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Deuxième partie: Sur le contenu de la révolution communiste
Dans la partie précédente de cette série, nous avons republié l'article Bienvenue à Socialisme ou Barbarie écrit par la Gauche Communiste de France en 1948. L'article a pris une position claire sur la nature du mouvement trotskyste, qui avait abandonné ses références prolétariennes en participant à la Seconde Guerre mondiale impérialiste:
- "Le trotskisme, qui fut une des réactions prolétariennes dans l’IC au cours des premières années de sa dégénérescence, n’a jamais dépassé sa position d’opposition malgré sa constitution formelle en parti organiquement séparé. En restant attaché aux PC – qu’il considère toujours comme partis ouvriers - où a triomphé le stalinisme, le trotskisme se rattache à ce dernier dont il est l’appendice. Il est lié idéologiquement au stalinisme et le suit comme son ombre. Toute l’activité du trotskisme depuis 15 ans le prouve."
Et il poursuit en disant:
- "Cela ne veut pas dire que des ouvriers révolutionnaires, un peu éduqués, ne puissent se fourvoyer dans ses rangs. Au contraire, en tant qu’organisation, en tant que milieu politique, le trotskisme, loin de favoriser la formation de la pensée révolutionnaire et partant des organismes (fractions et tendances) qui l’expriment, est le milieu organique de leur pourrissement. C’est là une règle générale valable pour toute organisation politique étrangère au prolétariat, s’appliquant au trotskisme comme au stalinisme et vérifiable dans l’expérience. Nous connaissons le trotskisme depuis 15 ans en crise perpétuelle, avec scissions et unification, suivies de scissions et de crises, mais nous ne connaissons pas d’exemples où celles-ci aient été suivies de la formation d’une tendance révolutionnaire véritable et viable. C’est que le trotskisme ne secrète pas en son sein le ferment révolutionnaire. Au contraire il l’annihile. Le ferment révolutionnaire a donc pour condition de son existence et développement la nécessité d’être hors des cadres organisationnels et idéologiques du trotskisme"[1]
La réaction initiale de la GCF vis-à-vis de la " tendance Chaulieu-Montal"[2] qui s'était constituée comme une tendance au sein du parti trotskyste français, le Parti Communiste Internationaliste, a donc été d'exprimer de sérieux doutes quant à son potentiel d'évolution. Et pourtant, suite à la rupture avec le PCI et la formation du groupe Socialisme ou Barbarie, la GCF a reconnu qu'une véritable rupture avait eu lieu, laquelle était donc à saluer. Cela n'a cependant pas empêché la GCF d'alerter sur le fait que le nouveau groupe continuait d'être marqué par des vestiges de son passé trotskyste (par exemple sur la question syndicale, ou dans sa relation ambiguë avec la revue Les Temps Modernes publiée par le philosophe Jean-Paul Sartre) tout en manifestant une arrogance insolite vis à vis des courants révolutionnaires qui avaient tiré des conclusions similaires à celles de Socialisme ou Barbarie bien avant sa rupture avec le trotskysme.
Dans ce nouvel article, nous chercherons à montrer à quel point la GCF avait raison d'être prudente dans son accueil à Socialisme ou Barbarie, et combien il est difficile pour ceux qui ont grandi dans le milieu corrompu du trotskysme de rompre profondément avec ses idées de fond et avec ses attitudes. Nous examinerons la trajectoire politique et le travail de deux militants - Castoriadis et Grandizo Munis - qui ont formé des tendances parallèles dans le mouvement trotskyste à la fin des années 1940, et qui ont rompu avec lui à peu près à la même époque. Le choix de ces deux militants est pertinent non seulement parce qu'ils illustrent le problème général de la rupture avec le trotskysme, mais aussi parce que tous deux ont longuement écrit sur la question sur laquelle est fondée cette série: le contenu de la révolution socialiste.
Rompre avec la IVe Internationale
Il ne fait aucun doute qu'à la fin des années 1940 et au début des années 1950, Castoriadis et Munis étaient des militants de la classe ouvrière. Munis l’est resté toute sa vie.
Alors jeune homme en Grèce occupée, Castoriadis a quitté le Parti Communiste parce qu'il s'opposait à sa politique de soutien (et même de direction) de la Résistance nationaliste. Il a trouvé sa voie vers le groupe autour d'Aghis Stinas[3], qui, bien que faisant officiellement partie de la Quatrième Internationale, a maintenu une opposition intransigeante aux deux camps dans la guerre impérialiste, y compris les fronts de la Résistance. Mal informés des trahisons réelles du mouvement trotskyste, il supposait que ce devait être la position "normale" pour tout groupe internationaliste puisqu'elle s'inscrivait dans la continuité de la position de Lénine sur la Première Guerre Mondiale.
Courant le danger à la fois des agents fascistes et staliniens, Castoriadis quitta la Grèce à la fin de la guerre et s'installa en France, devenant membre de la principale organisation trotskyste de ce pays, le PCI. Après avoir formé une tendance d'opposition au sein du PCI (la tendance Chaulieu-Montal évoquée par la GCF), elle s’est séparée du Parti en 1948 pour fonder le groupe Socialisme ou Barbarie. Le document de séparation de la tendance, Lettre ouverte aux militants du PCI et de la IVe Internationale...., publié dans le premier numéro de Socialisme ou Barbarie, développe une critique approfondie de la vacuité théorique du mouvement trotskyste et de son incapacité à fonctionner autrement que comme un appendice du stalinisme: - soit parce qu'il considérait que l'URSS jouait encore un rôle historique mondial progressiste dans la création de nouveaux Etats ouvriers (quoique déformés) en Europe de l'Est; - soit parce qu'il suivait la coalition Parti socialiste/Parti communiste qui avait été intégrée au gouvernement de reconstruction en France et qui était chargée de superviser une intensification féroce de l'exploitation. La lettre était particulièrement tranchante dans sa critique de la flagornerie de la Quatrième Internationale à l'égard du dissident stalinien Tito en Yougoslavie, flagornerie qui exprimait clairement une rupture avec la vision de Trotski selon laquelle le stalinisme ne pouvait être réformé.
À la fin de sa vie, Trotsky avait fait valoir que si l'URSS sortait de la guerre sans être renversée par une révolution prolétarienne, son courant devrait revoir sa vision de l'État ouvrier et devrait conclure que celui-ci était le produit d'une nouvelle ère de barbarie. Il y a des traces de cette approche dans la caractérisation initiale par le groupe de la bureaucratie comme nouvelle classe exploiteuse, faisant écho aux analyses du "collectivisme bureaucratique" de Rizzi et Shachtman, qui définissent la Russie comme ni capitaliste ni socialiste; bien que, comme la GCF le reconnaît, le groupe se soit rapidement éloigné de cette notion pour aller vers l'idée d'un nouveau capitalisme bureaucratique. Dans un texte de Socialisme ou Barbarie, n° 2, Les rapports de production en Russie, Castoriadis n'hésite pas à critiquer la vision de Trotski de l'URSS comme un système avec un mode de distribution capitaliste mais avec un mode de production essentiellement socialiste. Une telle séparation entre la production et la distribution était, selon lui, contraire à la critique marxiste de l'économie politique. Dans le cadre de cet effort d'application d'une analyse marxiste à la situation historique mondiale, le groupe a considéré cette tendance à la bureaucratisation comme étant à la fois globale et une expression de la décadence du système capitaliste. Cette position explique aussi pourquoi la revue du nouveau groupe s'intitulait Socialisme ou Barbarie. En particulier, dans sa lettre ouverte et dans les premières années de Socialisme ou Barbarie, le groupe considérait qu'en l'absence d'une révolution prolétarienne, une troisième guerre mondiale entre les blocs de l'Ouest et de l'Est était inévitable.
Quant à Munis, son courage en tant que militant prolétarien a été particulièrement remarquable. Avec ses camarades du groupe bolchévique léniniste, l'un des deux groupes trotskystes actifs en Espagne pendant la guerre civile, et aux côtés des anarchistes dissidents des Amis de Durruti, Munis a combattu sur les barricades érigées par le soulèvement ouvrier contre le gouvernement républicain/stalinien en mai 1937. Emprisonné par les staliniens vers la fin de la guerre, il a échappé de justesse à un commando d'exécution et s'est enfui au Mexique, où il a repris son activité au sein du milieu trotskyste, s'exprimant aux funérailles de Trotski et devenant influent sur l'évolution politique de Natalia Trotski qui, comme Munis, devenait de plus en plus critique à l'égard de la position officielle trotskyste sur la guerre impérialiste et la défense de l'URSS.
L'une de ses premières critiques majeures de la position de la Quatrième Internationale sur la guerre était contenue dans sa réponse à la défense de James Cannon, lors de son procès pour "sédition" à Minneapolis, de la politique du Parti Ouvrier Socialiste aux Etats-Unis - une application de la "politique militaire prolétarienne" qui consistait essentiellement en un appel à placer la guerre des États-Unis contre le fascisme sous "contrôle ouvrier". Pour Munis, cela représentait une capitulation complète face à l'effort de guerre d'une bourgeoisie impérialiste. Bien que rejetant plutôt tardivement clairement la défense de l'URSS[4], Munis, en 1947, dans une lettre ouverte au PCI[5] écrite avec Natalia et le poète surréaliste Benjamin Péret, insistait sur le fait que le rejet de la défense de l'URSS était maintenant une nécessité urgente pour les révolutionnaires. Comme la lettre de Chaulieu-Montal, le texte dénonçait le soutien des trotskystes au régime stalinien à l'est (bien qu'il n'ait pas encore présenté une analyse précise de sa nature sociale) et aux gouvernements PC/PS à l'ouest. La lettre est beaucoup plus centrée que celle de Chaulieu-Montal sur la question de la Seconde Guerre mondiale et la trahison de l'internationalisme par une grande partie du mouvement trotskyste à travers son soutien à l'antifascisme et à la Résistance à côté de sa défense de l'URSS. Le texte rejette aussi clairement l'idée que les nationalisations –dont l'appel et le soutien étaient un élément central des "exigences programmatiques" du trotskysme– ne pouvaient être considérées autrement que comme un renforcement du capitalisme. Bien que la lettre contienne encore l'espoir d'une IVe Internationale revivifiée, purgée de l’opportunisme, et qu'à cette fin elle appelle à un travail commun entre son groupe et la tendance Chaulieu-Montal au sein de l'Internationale, en réalité, le courant autour de Munis rompt bientôt tous les liens avec cette fausse Internationale et forme un groupe indépendant (l'Union Ouvrière Internationale) qui, comme Socialisme ou Barbarie, entre en discussion avec les groupes de la Gauche Communiste.
Castoriadis sur "Le contenu du socialisme": au-delà de Marx ou retour à Proudhon?
Nous reviendrons plus tard sur la trajectoire politique ultérieure de Castoriadis et Munis. Notre objectif principal est d'examiner comment, dans une période dominée par les définitions stalinienne et social-démocrate du socialisme, une période de recul de la classe ouvrière et d'isolement croissant de la minorité révolutionnaire, ces deux militants ont tenté d'élaborer une vision d'un chemin authentique vers l'avenir communiste. Nous commençons par Castoriadis, dont les trois articles sur "Le Contenu du Socialisme" (CS), publiés entre 1955 et 1958 dans Socialisme ou Barbarie[6] sont sans doute sa tentative la plus ambitieuse de critiquer les falsifications dominantes sur la signification du socialisme et de proposer une alternative. Ces textes, mais surtout le second, devaient avoir une influence sur un certain nombre d'autres groupes et courants, notamment l'Internationale Situationniste, qui a repris la notion d'autogestion généralisée de Castoriadis, et le groupe socialiste libertaire britannique Solidarity, qui devait retravailler le deuxième article dans sa brochure Les Conseils Ouvriers et l'économie d'une société autogérée[7].
Les dates de publication sont significatives; entre le premier et le second article, il y a eu des événements marquants dans l'empire de "l’Est": le célèbre discours de Khrouchtchev sur les excès de Staline, la révolte en Pologne et surtout le soulèvement prolétarien en Hongrie qui a vu l'émergence de conseils ouvriers. Ces événements ont évidemment eu un impact majeur sur la pensée de Castoriadis et sur la description assez détaillée d'un projet de société socialiste exposé dans le deuxième article. Le problème est que l'arrogance théorique, relevée par la GCF en 1948, persiste dans ces articles, avec leur prétention d'avoir compris les éléments clés du capitalisme et de sa négation révolutionnaire qui n'avaient pas été saisis dans le mouvement ouvrier, y compris par Marx. Mais en réalité, plutôt que d'aller "au-delà" de Marx, ils ont tendance à nous ramener à Proudhon, comme nous l'expliquerons.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas d'éléments positifs dans ces textes. Ils confirment le rejet par Castoriadis de la vision trotskyste du stalinisme comme expression dévoyée du mouvement ouvrier, en insistant sur le fait qu’il défend un intérêt de classe qui est à l’opposé de celui du prolétariat. Bien que Castoriadis accepte librement que sa conception de la société post-révolutionnaire est très proche de celle avancée par Pannekoek dans sa brochure Les Conseils Ouvriers[8], il ne tombe pas dans certaines des erreurs cruciales du Pannekoek "tardif": le rejet de la révolution russe en tant que révolution bourgeoise et de tout rôle pour une organisation politique révolutionnaire. Au lieu de cela, la révolution russe est toujours traitée comme une expérience essentiellement prolétarienne dont il faut comprendre la dégénérescence et en tirer des leçons. Les textes ne tombent pas non plus explicitement dans la position anarchiste qui rejette la centralisation par principe: au contraire, il critique fortement la vision anarchiste classique et affirme que "refuser de faire face à la question du pouvoir central équivaut à laisser la solution de ces problèmes à une bureaucratie ou à une autre" (On the Content of Socialism II - Socialisme Ou Barbarie – Référé "CS II" dans la suite du texte).
Rejetant l'opinion trotskyste selon laquelle un simple changement dans les formes de propriété peut mettre fin à la mécanique de l'exploitation capitaliste, Castoriadis insiste à juste titre sur le fait que le socialisme n'a de sens que s'il entraîne une transformation totale des relations au sein de l'humanité avec tous les aspects de la vie sociale et économique, un changement d'une société dans laquelle l'homme est dominé par les produits de ses propres mains et de son cerveau, à une société dans laquelle les êtres humains contrôlent consciemment leur propre activité, et surtout le processus de production. C'est pour cette raison que Castoriadis souligne l'importance centrale des conseils ouvriers en tant que formes par lesquelles ce changement profond dans le fonctionnement de la société peut être apporté. La difficulté se pose moins avec cette notion générale du socialisme telle que la restauration du "pouvoir humain comme fin en soi", qu’avec les moyens plus concrets que Castoriadis préconise pour atteindre cet objectif, et avec la méthode théorique qui se cache derrière les mesures qu'il met en avant.
Il n'y a rien de faux en soi dans l'idée de critiquer les contributions du mouvement ouvrier passé. En fait, c'est un élément essentiel dans le développement du projet communiste. Nous ne pouvons pas être en désaccord avec l'idée de Castoriadis selon laquelle le mouvement ouvrier est nécessairement affecté par l'idéologie dominante et qu'il ne peut se débarrasser de cette influence qu'à travers un processus de réflexion et de lutte constante. Mais les critiques de Castoriadis sont très souvent inexactes et conduisent à des conclusions qui tendent à "jeter le bébé avec l'eau du bain" - bref, elles le conduisent à une rupture avec le marxisme qui devait devenir explicite peu de temps après la publication de ses articles, et les prémisses de cette rupture sont déjà visibles dans ces textes. Pour donner un exemple: il rejette déjà la théorie marxiste de la crise comme un produit des contradictions économiques internes du système. Pour lui, la crise n'est pas le résultat de la surproduction ou de la baisse du taux de profit, mais le résultat du rejet croissant, par ceux "d'en bas", de la division de la société en donneurs d'ordre et ceux aux ordres, qu'il considère non pas comme le produit inévitable de l'exploitation capitaliste, mais comme son fondement réel: "L'abolition de l'exploitation n'est possible que lorsque toutes les strates distinctes de directeurs cessent d'exister, car dans les sociétés modernes, c'est la division entre directeurs et exécutants qui est à la base de l'exploitation"[9]. De même, dans CS II, il nous offre une caricature extrêmement réductrice (quoique très commune) de la théorie des crises de Rosa Luxemburg qui prédit un effondrement purement automatique du capitalisme.
S’appuyant sur une citation de Marx sur la persistance d'un "royaume de la nécessité" même dans le communisme, Castoriadis pense avoir découvert un défaut fatal dans la pensée de Marx: Le fait que pour Marx, la production serait toujours une sphère de déni et essentiellement d'aliénation, alors que lui seul, Castoriadis, a découvert que l'aliénation ne peut être surmontée que si la sphère de production est aussi celle dans laquelle notre humanité s'exprime. La référence qui est faite (dans CS II) concerne le passage du volume 3 du Capital où Marx dit que "Le règne de la liberté ne commence en fait que là où cesse le travail imposé par la nécessité et les considérations extérieures; de par la nature des choses, il existe donc au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite"[10]. Ce passage implique que le travail ou la production matérielle ne peut jamais être une zone d'épanouissement humain, et pour Castoriadis, cela représente un déclin par rapport au Marx à ses débuts qui attendait avec impatience la transformation du travail en activité libre (surtout dans les Manuscrits économiques et philosophiques de 1844). Mais présenter les choses de cette façon déforme la complexité de la pensée de Marx. Dans la Critique du programme Gotha, écrite en 1875, Marx insiste aussi sur le fait que le but de la révolution prolétarienne est une société dans laquelle "le travail est devenu non seulement un moyen de vie, mais le premier besoin de la vie". Nous pouvons trouver des idées similaires dans le Grundrisse, un autre travail "de la maturité"[11].
L'autogestion d'une économie de marché
Une critique courante sur Le Contenu du Socialisme est qu'il viole la mise en garde de Marx contre "l'élaboration de recettes de cuisine pour les livres de l'avenir". Dans CS II, Castoriadis anticipe sur cette critique en niant qu'il essaie d'élaborer des statuts ou une constitution pour la nouvelle société. Il est intéressant de voir à quel point la société capitaliste a changé depuis que CS II a été écrit, posant des problèmes qui n'entrent pas tout à fait dans son schéma - surtout la tendance à l'élimination de la grande production industrielle au centre de nombreux pays capitalistes centraux, la croissance de l'emploi précaire, et la pratique de l'"externalisation" vers des régions du globe où la main-d'œuvre est moins chère. On ne peut pas reprocher à Castoriadis de ne pas avoir prévu de tels développements, mais cela montre les pièges des anticipations schématiques de la société future. Quoi qu’il en soit, nous préférons examiner les idées contenues dans le texte et montrer pourquoi une partie si importante de ce que Castoriadis avance ne ferait de toute façon pas partie d'un programme communiste en pleine évolution.
Nous avons déjà mentionné le rejet par Castoriadis de la théorie des crises de Marx en faveur de sa propre innovation: l'exploitation, et la contradiction fondamentale du capitalisme "moderne", comme étant enracinées dans la division entre les donneurs d'ordre et les preneurs d'ordre. Et ce "révisionnisme" audacieux, cette mise à l'écart des contradictions économiques inhérentes au rapport salarial et à l'accumulation du capital, signifie que Castoriadis n'hésite pas à décrire sa société socialiste de l'avenir comme une société où toutes les catégories essentielles du capital restent intactes et ne présentent aucun danger d'une nouvelle forme d'exploitation et aucun obstacle à la transition vers une société pleinement communiste.
En 1972, lorsque le groupe britannique Solidarity a produit sa brochure Workers Councils and the Economics of a Self-managed Society (Les conseils ouvriers et l’économie d’une société autogérée), son introduction était déjà assez défensive sur le fait que la société "socialiste" décrite par Castoriadis conservait encore un certain nombre de caractéristiques clés du capitalisme: les salaires (bien que Castoriadis insiste sur l'égalité absolue des salaires dès le premier jour), les prix, la valeur du travail comme source de comptabilité, un marché de consommation, et "le critère de rentabilité". Et en effet, dans une polémique écrite en 1972, Adam Buick, du Parti socialiste de Grande-Bretagne, a montré à quel point la version de Solidarity avait expurgé certains des passages les plus embarrassants de l'original:
"Quiconque a lu l'article original ne peut nier que Cardan était un partisan du soi-disant "socialisme de marché". Solidarity lui-même a clairement trouvé cela embarrassant parce qu'il a supprimé lors de l’édition ses expressions les plus grossières. Dans son introduction, il s'excuse: "Certains considéreront le texte comme une contribution majeure à la perpétuation de l'esclavage salarié - parce qu'il parle encore de "salaires" et n'appelle pas à l'abolition immédiate de "l'argent" (bien que définissant clairement les significations radicalement différentes que ces termes prendront dans les premières étapes d'une société autogérée)" (p. 4). Et, encore une fois, dans une note de bas de page: "Tous les discours précédents sur les "salaires", les "prix" et le "marché", par exemple, auront sans doute fait sursauter un certain groupe de lecteurs. Nous leur demandons momentanément de contrôler leurs réponses émotionnelles et d'essayer de penser rationnellement avec nous sur la question" (p. 36).
Mais Cardan ne parlait pas seulement de "salaires", de "prix" et de "marché". Il a également parlé de "rentabilité" et de taux d'intérêt. C'était visiblement trop, même pour l'émotion contenue de Solidarity, puisque ces mots n'apparaissent nulle part dans la traduction publiée.
Il est très révélateur de donner quelques exemples de la façon dont Solidarity a atténué les aspects "socialisme de marché" des articles originaux de Cardan:
Original: magasins de vente aux consommateurs.
La version de Solidarity: les magasins qui distribuent aux consommateurs (p. 24).
Original: Le marché des biens de consommation.
La version de Solidarity: biens de consommation (rubrique p. 35).
Original: Ce qui implique l'existence d'un marché réel pour les biens de consommation.
La version de Solidarity: Ce qui implique l'existence d'un mécanisme par lequel la demande des consommateurs peut réellement se faire sentir (p.35).
Original: Monnaie, prix, salaires et valeur
Version de Solidarity: "argent", "salaires", "valeur" (rubrique p. 36)...
En fait, Cardan a envisagé une économie de marché dans laquelle tout le monde serait payé en argent circulant, un salaire égal, avec lequel acheter des biens qui seraient en vente à un prix égal à leur valeur (quantité de travail socialement nécessaire incorporée dans ces marchandises). Et il avait le culot de prétendre que Marx soutenait aussi que sous le socialisme, les biens s’échangeraient à leurs valeurs.... " [12]
La véritable continuité ici n'est pas avec Marx mais avec Proudhon, dont la future société "mutualiste" est une société de producteurs de marchandises indépendants, qui échangent leurs produits à leur valeur. ..
Le "socialisme" en tant que société de transition ?
Castoriadis ne prétend pas que la société qu'il décrit est le but final de la révolution. En fait, sa position est très similaire à la définition qui est apparue pendant la période de la social-démocratie et qui a été théorisée par Lénine en particulier: le socialisme est une étape sur la voie du communisme[13]. Et bien sûr, le stalinisme a profité pleinement de cette idée pour faire valoir que l'économie entièrement stratifiée de l'URSS était déjà le "socialisme réel". Mais le problème avec cette idée ne réside pas seulement dans la manière dont elle a été utilisée par le stalinisme. Une difficulté plus profonde est qu'elle tend à figer la période de transition dans un mode de production stable, alors qu'elle ne peut vraiment être comprise que d'une manière dynamique et contradictoire, comme une période marquée par une lutte constante entre les mesures communistes déclenchées par le pouvoir politique de la classe ouvrière, et tous les restes de l'ancien monde qui tendent à ramener la société vers le capitalisme. Que le régime politique de cette étape "socialiste" soit envisagé de manière despotique ou démocratique, l'illusion fondamentale demeure: que l'on peut arriver au communisme par un processus d'accumulation de capital. On peut même voir la tentative de Castoriadis de développer une économie équilibrée, où la production est harmonisée avec le marché de consommation, comme un reflet des méthodes keynésiennes de l'époque, qui visaient à éliminer les crises économiques précisément en réalisant un tel équilibre planifié. Et cela révèle à son tour à quel point Castoriadis a été ensorcelé par l'apparence de stabilité économique capitaliste dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale[14].
Dans une première partie de CS II, Castoriadis reprend à juste titre l'opinion de Marx selon laquelle la future société de producteurs libres doit simplifier profondément l'ensemble du processus de production et de distribution - doit rendre ses opérations "parfaitement simples et intelligibles", pour reprendre le terme utilisé par Marx dans l'une des rares descriptions de la société communiste contenues dans Le Capital[15]. Mais en conservant les catégories de production de valeur, non seulement toute tentative de planification rationnelle de la production et de la distribution sera entravée par les préoccupations du marché et de la "rentabilité", mais elle conduira tôt ou tard à la même vieille merde - à la crise économique et à des formes d'exploitation cachées, puis ouvertes. Il semble également assez ironique qu'ayant développé, dans la première partie de CSII, l'argument selon lequel la technologie capitaliste ne peut être considérée comme neutre mais est profondément liée aux objectifs de la production capitaliste, Castoriadis semble alors opter pour une sorte de solution technique, dans laquelle la "production planifiée" à l'aide de très gros ordinateurs, est en mesure de déterminer comment le marché autogéré parviendra à un équilibre économique parfait.
L'incapacité de Castoriadis à envisager un réel dépassement du rapport salarial est liée à sa fixation sur la notion d'"entreprise" socialiste en tant qu'unité autogérée, bien qu'elle se coordonne avec d'autres entreprises et branches de production à différents niveaux. Dans CS II, la description des relations dans la future société socialiste commence par une longue section sur la façon dont l'usine du futur sera gérée, et ce n'est que plus tard dans le texte qu'elle discute de la façon dont la société dans son ensemble sera gérée au niveau politique et économique. Le texte CS III est presque entièrement consacré à l'analyse de la réalité de la résistance au jour le jour dans l'atelier de l'usine, la considérant comme le terrain sur lequel une future conscience révolutionnaire se développera. Castoriadis n'a pas tort de souligner l'importance du lieu de travail en tant que centre d'intérêt pour l'association des travailleurs, pour leur résistance collective, et dans tout processus révolutionnaire, les assemblées de base sur le lieu de travail joueront certainement un rôle vital en tant que "cellules" d'un réseau plus large de conseils. Mais Castoriadis va plus loin que cela et suggère que, dans la société socialiste, l'usine/lieu de travail se maintiendra comme une sorte de communauté fixe. Au contraire, comme Bordiga a toujours souligné, l'émergence du communisme implique nécessairement la fin de l'entreprise individuelle, et le dépassement réel de la division du travail impliquera certainement que les producteurs seront de moins en moins liés à une seule unité de production.
Peut-être plus important encore, "l’usinisme" de Castoriadis conduit à une profonde sous-estimation de la fonction première des conseils ouvriers, qui n'est pas la gestion de l'usine mais l'unification de la classe ouvrière aux niveaux économique et politique. Pour Castoriadis, un conseil ouvrier est essentiellement un conseil élu par l'assemblée ouvrière d'une unité de production donnée, et vers la fin de CS II, il le distingue clairement des soviets russes qu'il considère comme essentiellement basés sur des unités territoriales[16]: "Bien que le mot russe "soviet" signifie "conseil", il ne faut pas confondre les conseils ouvriers que nous avons décrits dans ce texte, même avec les premiers Soviet russes. Les conseils ouvriers sont basés sur le lieu de travail. Ils peuvent jouer à la fois un rôle politique et un rôle dans la gestion industrielle de la production. Par essence, un conseil ouvrier est un organe universel. Le (Conseil) Soviet des députés ouvriers de Petrograd de 1905, bien qu'issu d'une grève générale et de composition exclusivement prolétarienne, soit resté un organe purement politique. Les Soviets de 1917 étaient en règle générale basés géographiquement. Eux aussi étaient des institutions purement politiques, dans lesquelles toutes les couches sociales opposées à l'ancien régime formaient un front uni".
Castoriadis envisage un réseau de conseils prenant en charge la gestion des affaires politiques locales et nationales, et Solidarity nous dessine utilement un schéma, mais celui-ci semble impliquer une assemblée centrale de délégués d'usine au niveau national sans lien avec le niveau local. Mais, fixé sur le problème de la gestion de l'usine (une question qui, en Russie, a été reprise par les comités d'usine), Castoriadis sous-estime l'importance du fait que les soviets sont apparus en 1905 et 1917 pour coordonner les lieux de travail engagés dans une grève de masse: il s'agissait d'un "conseil de guerre" de délégués de toutes les entreprises d'un village ou d'une ville donnée et, dès le début, il a pris la direction d'un mouvement qui passait du terrain de la défense économique à celui de la confrontation politique avec le régime existant.
Il est vrai qu'à côté, et souvent en liaison avec les soviets de députés ouvriers, il y avait des soviets de délégués de soldats et de marins, élus dans les casernes et sur les navires, et des soviets de députés "paysans" élus dans les villages, ainsi que des formes comparables élues sur la base des quartiers urbains, des groupes d'appartements, etc. En ce sens, de nombreux soviets avaient une base territoriale ou résidentielle forte. Mais cela soulève une autre question: la relation entre les conseils ouvriers et les conseils d'autres couches non exploiteuses. Castoriadis est conscient de ce problème puisque son "diagramme" envisage que l'assemblée centrale des délégués renferme des délégués des conseils paysans et des conseils de professionnels et de petits commerçants. C'est pour nous le problème central de l'État dans la période de transition: une période où les classes existent encore, dans laquelle la classe ouvrière doit exercer sa dictature tout en intégrant les autres couches non exploiteuses dans la vie politique et dans le processus de transformation des rapports sociaux. Castoriadis envisage un processus similaire mais rejette l'idée que cette organisation transitoire de la société constitue un État. Selon nous, cette approche est plutôt susceptible de permettre une situation où l'État devient une force "autonome" s'opposant aux organes de la classe ouvrière, comme cela s'est produit assez rapidement en Russie, compte tenu de l'isolement de la révolution après 1917. Pour nous, l'indépendance réelle de la classe ouvrière et de ses conseils est mieux servie en appelant l'État ce qu'il est, en reconnaissant ses dangers inhérents, et en s'assurant qu'il n'y a pas de subordination des organes de la classe ouvrière aux organes de la "société dans son ensemble".
Une dernière expression de l'incapacité de Castoriadis à envisager une véritable rupture avec les catégories de capital: la limitation de sa vision au niveau national. Des indices en sont donnés ici et là dans CS II où il parle de la façon dont les choses pourraient fonctionner "dans un pays comme la France", et comment "la population du pays tout entier" pourrait gérer ses affaires à travers une assemblée de délégués de conseil qui est dépeinte comme existant seulement à l'échelle nationale. Mais le danger de voir le "socialisme" dans un cadre national apparaît beaucoup plus explicitement dans ce passage:
- "(...) la révolution ne peut commencer que dans un seul pays, ou dans un seul groupe de pays. Par conséquent, elle devra subir des pressions de nature et de durée extrêmement variées. D'autre part, même si la révolution se propage rapidement à l'échelle internationale, le niveau de développement interne d'un pays jouera un rôle important dans l'application concrète des principes du socialisme. Par exemple, l'agriculture pourrait créer des problèmes importants en France - mais pas aux États-Unis - ou en Grande-Bretagne (où, inversement, le problème principal serait celui de l'extrême dépendance du pays à l'égard des importations alimentaires). Au cours de notre analyse, nous avons examiné plusieurs problèmes de ce genre et nous espérons avoir montré que des solutions tendant vers une direction socialiste existaient dans chaque cas.
Nous n'avons pas été en mesure de prendre en compte les problèmes particuliers qui se poseraient si la révolution restait longtemps isolée dans un pays - et nous pouvons difficilement le faire ici. Mais nous espérons avoir montré qu'il est faux de penser que les problèmes résultant d'un tel isolement sont insolubles, qu'un pouvoir ouvrier isolé doit mourir héroïquement ou dégénérer, ou qu'il peut tout au plus "tenir bon" en attendant. La seule façon de "tenir" est de commencer à construire le socialisme; sinon, la dégénérescence nous a déjà gagnés et il n'y a rien à retenir. Pour le pouvoir ouvrier, la construction du socialisme dès le premier jour n'est pas seulement possible, elle est impérative. Si elle n'a pas lieu, le pouvoir détenu a déjà cessé d'être le pouvoir des travailleurs".[17]
L'idée qu'un pouvoir prolétarien peut se maintenir dans un seul pays en construisant le socialisme inverse la réalité du problème et nous ramène, finalement, aux erreurs des bolcheviks après 1921, et même aux positions contre-révolutionnaires de Staline et de Boukharine après 1924. Lorsque la classe ouvrière prend le pouvoir dans un pays, elle sera bien sûr obligée de prendre des mesures économiques pour garantir la satisfaction des besoins de base et, dans la mesure du possible, elles devraient être compatibles avec les principes communistes et contraires aux catégories de capital. Mais il faut toujours reconnaître que de telles mesures (comme le "communisme de guerre" en Russie) seront profondément déformées par des conditions d'isolement et de pénurie et n'auront pas nécessairement de continuité directe avec la reconstruction communiste authentique qui ne commencera qu'une fois que la classe ouvrière aura vaincu la bourgeoisie à l'échelle mondiale. Entre temps, la tâche essentiellement politique de l'extension de la révolution devra prendre le pas sur les mesures sociales et économiques contingentes et expérimentales qui auront lieu dans les premières étapes d'une révolution communiste.
Nous reviendrons plus tard sur la trajectoire politique suivie par Castoriadis, qui allait être significativement modelée par son abandon du marxisme au niveau théorique.
Munis: "Pour un second manifeste communiste".
Munis est retourné en Espagne en 1951 pour intervenir dans une flambée généralisée de lutte de classe, voyant la possibilité d'un nouveau soulèvement révolutionnaire contre le régime franquiste[18]. Il a été arrêté et a passé les sept années suivantes en prison. On peut soutenir que Munis n'a pas réussi à tirer des leçons politiques clés de cette expérience, en particulier en ce qui concerne les possibilités révolutionnaires de l'après-guerre, mais cela n'a certainement pas freiné son engagement pour la cause révolutionnaire. Il s'est réfugié de façon très précaire en France - l'État français l'a rapidement expulsé - et il a passé plusieurs années à Milan, où il est entré en contact avec les Bordiguistes et avec Onorato Damen de Battaglia Comunista, et il s’est développé une forte estime entre eux. C'est à cette époque, en 1961, que Munis, en compagnie de Péret, fonde le groupe Fomento Obrero Revolucionario. Dans ce contexte, il a produit deux de ses textes théoriques les plus importants: Les syndicats contre la révolution en 1960 et Pour un second Manifeste Communiste en 1961[19].
Au début de cet article, nous avons noté les similitudes dans les trajectoires politiques de Castoriadis et Munis dans leur rupture avec le trotskysme. Mais au début des années 1960, leurs chemins avaient commencé à diverger assez radicalement. À ses débuts, le titre "Socialisme ou Barbarie" correspondait au choix réel auquel était confrontée l'humanité: Castoriadis se considérait comme marxiste et l'alternative annoncée dans le titre exprimait l'adhésion du groupe à l'idée que le capitalisme était entré dans son époque de déclin[20]. Mais dans l'introduction au premier volume d'un recueil de ses écrits, La Société Bureaucratique[21], Castoriadis décrit la période 1960-64 comme les années de sa rupture avec le marxisme, considérant non seulement que le capitalisme avait essentiellement résolu ses contradictions économiques, réfutant ainsi les prémisses de base de la critique marxiste de l'économie politique; mais aussi que le marxisme, quelles que soient ses conceptions, ne pouvait être séparé des idéologies et des régimes qui s’en revendiquaient. En d'autres termes, Castoriadis, comme d'autres anciens trotskystes (comme les restes du RKD allemand) est passé d'un rejet total du "léninisme" à un rejet du marxisme lui-même (et s'est donc retrouvé dans un anarchisme de type "new look").
Même si, comme nous l'examinerons également, le ‘Second Manifeste’ indique à quel point Munis n'avait pas entièrement évacué le poids de son passé trotskyste, il dit clairement que, malgré toute la propagande contemporaine sur la société d'abondance et l'intégration de la classe ouvrière, la trajectoire réelle de la société capitaliste a confirmé les fondements du marxisme: que le capitalisme, depuis la première guerre mondiale, était entré dans son époque de décadence, dans laquelle la contradiction criante entre les rapports de production et les forces productives menaçait de mener l'humanité à la ruine, surtout à cause du danger historique de guerre entre les deux blocs impérialistes qui dominaient le globe. La société d'abondance était essentiellement une économie de guerre.
Loin de blâmer le marxisme pour avoir en quelque sorte donné naissance au stalinisme, le Second Manifeste dénonce avec éloquence les régimes et partis staliniens comme l'expression la plus pure de la décadence capitaliste qui, sous différentes formes à travers le monde, engendre une poussée vers un capitalisme d'État totalitaire. À partir du même point de départ théorique, le texte affirme que toutes les luttes de libération nationale sont devenues des moments de la confrontation impérialiste mondiale. À une époque où l'idée que les luttes nationales dans le Tiers-Monde étaient la nouvelle force du changement révolutionnaire, c'était un exemple frappant d'intransigeance révolutionnaire, et les arguments qui l'accompagnaient allaient être largement confirmés par l'évolution des régimes "post-coloniaux" produits par la lutte pour l'indépendance nationale. Cela contrastait avec les ambiguïtés du groupe SouB sur la guerre d'Algérie et d'autres questions fondamentales de classe. Le Second Manifeste indique clairement que SouB a suivi un chemin de compromis et d'ouvriérisme plutôt que de lutter pour la clarté communiste, contre le courant là où c'est nécessaire:
- "Pour sa part, la tendance "Socialisme ou Barbarie", également issue de la IVe Internationale, opère à la traine de la "gauche" française en décadence sur tous les problèmes et dans tous les mouvements importants: sur l'Algérie et le problème colonial, le 13 mai 1958 et le pouvoir gaulliste, les syndicats et les luttes ouvrières contemporaines, l'attitude envers le stalinisme et la direction de l'État en général. Au point où, bien qu'elle considère l'économie russe comme une forme de capitalisme d'État, elle n'a servi qu'à semer la confusion. En renonçant expressément à la tâche de lutter contre le courant et en disant seulement à la classe ouvrière "ce qu'elle peut comprendre", elle se condamne à son propre échec. Manquant de nerf, cette "tendance" a cédé à une sorte de polyvalence qui a des airs de funambulisme existentialiste. Pour eux, comme pour d'autres courants aux États-Unis, il vaut la peine de rappeler les paroles de Lénine: " quels intellectuels pitoyables qui pensent qu'avec les travailleurs, il suffit de parler de l'usine et de parler de ce qu'ils savent déjà depuis longtemps" ".
Encore une fois, contrairement à l'évolution de SouB, le Second Manifeste n'hésite pas à défendre le caractère prolétarien de la révolution d'Octobre et du parti bolchevique. Dans un document écrit environ 10 ans plus tard, et qui reprend des thèmes similaires au Second Manifeste, Parti-État, Stalinisme, Révolution[22], Munis argumente contre les courants de la gauche allemande et hollandaise qui avaient renié leur soutien initial à octobre et décidé que la révolution russe et le bolchevisme étaient essentiellement de nature bourgeoise. En même temps, le Second Manifeste se concentre sur certaines erreurs clés qui ont accéléré la dégénérescence de la révolution en Russie et la montée de la contre-révolution stalinienne: la confusion entre des nationalisations et de la propriété étatique et le socialisme, et l'idée que la dictature du prolétariat signifiait la dictature du parti. Dans Parti-État, Munis a également une vision précise de l'idée que l'État transitoire ne peut pas être considéré comme l'agent de la transformation communiste, faisant écho à la position de Bilan et de la GCF:
- "De la Commune de Paris, les révolutionnaires ont tiré une leçon de grande importance, entre autres: l'Etat capitaliste ne pouvait être conquis ou utilisé; il fallait le démolir. La révolution russe a approfondi cette même leçon de manière décisive: l'Etat, aussi ouvrier ou soviétique soit-il, ne peut être l'organisateur du communisme. En tant que propriétaire des instruments du travail, en tant que collecteur du surplus de travail social nécessaire (ou superflu), loin de dépérir, il acquiert une force et une capacité d'étouffement illimitées. Philosophiquement, l'idée d'un État émancipateur est du pur idéalisme hégélien, inacceptable pour le matérialisme historique" (Parti-État, p.43).
Et là où Castoriadis dans "Le contenu du socialisme" prône une forme de capitalisme autogéré, Munis ne laisse aucune place au doute sur le contenu économique et social du programme communiste - l'abolition du travail salarié et de la production de marchandises:
- "L'objectif d'une économie réellement planifiée ne peut être que de mettre la production en accord avec la consommation; seule la pleine satisfaction de cette dernière - et non le profit ou les privilèges, ni les exigences de la "défense nationale" ou d'une industrialisation étrangère aux besoins quotidiens des masses - peut être considérée comme l'impulsion de la production. La première condition pour une telle approche ne peut être que la disparition du travail salarié, pierre angulaire de la loi de la valeur, universellement présente dans les sociétés capitalistes, même si beaucoup d'entre elles prétendent aujourd'hui être socialistes ou communistes".
En même temps, cette force du ‘Second Manifeste’ concernant le contenu de la transformation communiste est aussi un côté faible - une tendance à supposer que le travail salarié et la production de marchandises peuvent être abolis dès le premier jour, même dans le contexte d'un seul pays. Il est vrai, comme dit le texte, que "dès le premier jour, la société en transition née de cette victoire doit viser cet objectif. Elle ne doit pas perdre de vue un instant l'interdépendance stricte entre la production et la consommation". Mais comme nous l'avons déjà fait remarquer, le prolétariat d'un seul pays ne doit jamais perdre de vue le fait que les mesures qu'il prend ne peuvent être que temporaires tant que la victoire révolutionnaire n'a pas été remportée à l'échelle mondiale, et qu’elles restent soumises au fonctionnement global des lois du capitalisme. Le fait que Munis ne garde pas cela à l'esprit à tout moment est confirmé en particulier dans Parti-État où il présente le communisme de guerre comme une sorte de "non-capitalisme" et considère la NEP comme la restauration des rapports capitalistes. Nous avons déjà critiqué cette approche dans deux articles[23] de la Revue internationale. C'est aussi confirmé par ce que Munis a toujours maintenu au sujet des événements en Espagne 36-37: pour lui, la révolution espagnole est allée encore plus loin que la révolution russe. C'était en partie parce qu'en mai 1937, les ouvriers montraient pour la première fois, les armes à la main, une compréhension du rôle contre-révolutionnaire du stalinisme. Mais il considérait aussi que les collectifs industriels et agraires espagnols avaient établi de petits îlots de communisme. En résumé: les rapports communistes sont possibles même sans la destruction de l'État bourgeois et l'extension internationale de la révolution. Dans ces conceptions, nous voyons, une fois de plus, un renouveau des idées anarchistes et même une anticipation du courant de "communisation" qui devait se développer dans les années 1970 et qui a une influence certaine au sein du mouvement anarchiste plus large d'aujourd'hui.
Et alors qu’une rupture incomplète avec le trotskysme prend parfois cette direction anarchiste, elle peut aussi se manifester par des séquelles plus classiques du trotskysme. Le Second Manifeste se termine donc par une sorte de version actualisée du programme de transition de 1938. Nous citons longuement à ce propos notre article de la Revue internationale 52:
- "En effet, le FOR a cru bon - dans "Pour un second manifeste communiste" - de mettre en avant toutes sortes de revendications transitoires, en l'absence de mouvements révolutionnaires du prolétariat. Cela va de la semaine de 30 heures, de la suppression du travail aux pièces et du chronométrage dans les usines, à la "revendication du travail pour tous, chômeurs et jeunes", sur le terrain économique. Sur le plan politique, le FOR exige de la bourgeoisie le "droit"(!) et la "liberté" démocratiques: "liberté de parole, de presse et de réunion; le droit d'élire pour les ouvriers leurs délégués permanents d'atelier, d'usine, profession", "sans aucune formalité judiciaire ou syndicale" ("Second Manifeste", p. 65-71).
Cela se situe dans la "logique" trotskyste, selon laquelle il suffirait de poser des revendications bien choisies pour arriver graduellement à la révolution. Pour les trotskystes, le tout est de savoir être pédagogue avec les ouvriers, qui ne comprendraient rien à leurs revendications, et de brandir les carottes les plus appétissantes dans le but de pousser les ouvriers dans leur "parti"... Est-ce cela que veut Munis, avec son programme de transition "bis" ? (...)
Le FOR ne comprend toujours pas aujourd'hui:
- Qu'il ne s'agit pas d'établir un catalogue de revendications pour les luttes futures: les travailleurs sont assez grands pour formuler spontanément leurs propres revendications précises, au cours de la lutte;
- Que telle ou telle revendication précise - comme le "droit au travail" pour les chômeurs - peut être reprise par les mouvements bourgeois et utilisée contre le prolétariat (camps de travail, travaux publics, etc.);
- Que ce n'est qu'à travers la lutte révolutionnaire contre la bourgeoisie que les ouvriers peuvent réellement satisfaire leurs revendications (…)
De façon très caractéristique, le FOR met sur le même plan ses mots d'ordre réformistes de "droits et libertés" démocratiques pour les ouvriers et des mots d'ordre qui ne peuvent surgir que dans une période pleinement révolutionnaire. On trouve ainsi pêle-mêle les mots d'ordre de:
- "expropriation du capital industriel, financier et agricole";
- "gestion ouvrière de la production et de la distribution des produits";
- "destruction de tous les instruments de guerre, atomiques aussi bien que classiques, dissolution des armées, des polices, reconversion des industries de guerre en production de consommation";
- "armement individuel des exploités sous le capitalisme, territorialement organisé, selon le schéma des comités démocratiques de gestion et de distribution";
- "suppression du travail salarié en commençant par élever le niveau de vie des couches sociales les plus pauvres pour atteindre finalement la libre distribution des produits selon les besoins de chacun";
- "suppression des frontières et constitution d'un seul gouvernement et d'une seule économie au fur et à mesure de la victoire du prolétariat dans divers pays."
Tous ces mots d'ordre montrent des confusions énormes. Le FOR semble avoir abandonné toute boussole marxiste. Aucune distinction n'est faite entre une période prérévolutionnaire, où domine politiquement le capital, une période révolutionnaire, où s'établit un double pouvoir, et la période de transition (après la prise du pouvoir par le prolétariat) qui seule peut mettre à l'ordre du jour (et non immédiatement!) la "suppression du travail salarié" et la "suppression des frontières"."[24]
La trajectoire ultérieure de Munis et Castoriadis.
Munis est décédé en février 1989. Le CCI a publié un hommage qui commençait en disant: "le prolétariat a perdu un militant qui a consacré toute sa vie à la lutte de classe"[25]. Après avoir brièvement retracé l'histoire politique de Munis à travers l'Espagne des années 1930, sa rupture avec le trotskysme pendant la Seconde Guerre mondiale, son séjour dans les prisons de Franco au début des années 1950 et la publication de Pour un second Manifeste Communiste, l'article reprend l'histoire à la fin des années 60:
- "En 1967, avec des camarades du groupe vénézuélien Internacionalismo, il participe aux efforts pour rétablir les contacts avec le milieu révolutionnaire en Italie. Ainsi, à la fin des années 1960, avec la résurgence de la classe ouvrière sur la scène de l'histoire, il a pris sa place aux côtés des forces révolutionnaires faibles qui existaient à l'époque, y compris celles qui allaient former Révolution Internationale en France. Mais au début des années 1970, il est malheureusement resté en dehors des discussions et des tentatives de regroupement qui ont abouti notamment à la constitution du CCI en 1975. Malgré cela, le Ferment Ouvrier Révolutionnaire (FOR), le groupe qu'il a formé en Espagne et en France autour des positions du 'Second Manifeste', a d'abord accepté de participer à la série de conférences de groupes de la gauche communiste qui a eu lieu à Milan en 1977. Mais cette attitude a changé au cours de la deuxième conférence; le FOR est sorti de la conférence, et ce fut l'expression d'une tendance à l'isolement sectaire qui prévalut jusqu'à présent dans cette organisation".
Aujourd'hui, le FOR n'existe plus. Il a toujours été fortement dépendant du charisme personnel de Munis, qui n'a pas su transmettre une solide tradition d'organisation à la nouvelle génération de militants qui se sont ralliés autour de lui, et qui aurait pu servir de base pour la poursuite du fonctionnement du groupe après la mort de Munis. Et comme le remarque notre hommage, le groupe a souffert d'une tendance au sectarisme qui a encore affaibli sa capacité de survie.
L'exemple de cette attitude mentionnée dans l'hommage est le départ plutôt ostentatoire de Munis et de son groupe de la deuxième conférence de la gauche communiste, en mettant en avant son désaccord avec les autres groupes sur le problème de la crise économique. Ce n'est pas l'endroit pour examiner ce problème en détail, mais nous pouvons voir le cœur de la position de Munis dans le Second Manifeste:
- "La reprise de l'esprit combatif et la résurgence d'une situation révolutionnaire ne peuvent être attendues, comme le prétendent certains marxistes qui penchent pour l'automatisme économique, comme conséquence de l'une de ces crises cycliques, appelées à tort "crises de surproduction". Ce sont les vibrations qui régularisent le développement chaotique du système et ne sont pas le résultat de son épuisement. Le capitalisme géré sait comment les atténuer et d'ailleurs, même si l'une d'entre elles se produit, cela pourrait facilement favoriser les dessins tortueux de nouveaux réactionnaires, qui attendent leur moment, les plans à cinq ans dans une poche, et les normes de production dans l'autre. La crise générale du capitalisme est son épuisement en tant que système social. Elle consiste, sommairement parlant, dans le fait que les instruments de production en tant que capital et de distribution de produits, limités par le travail salarié, sont devenus incompatibles avec les nécessités humaines, et même avec les possibilités maximales que la technique pourrait offrir au développement économique. Cette crise est insurmontable pour le capitalisme, et en Occident comme en Russie, elle s'aggrave de jour en jour".
La position de Munis n'est donc pas simplement de nier la crise de surproduction, et d’ailleurs, plus tôt dans le Second Manifeste, il attribue ces crises à une contradiction fondamentale du système, celle entre la valeur d'usage et la valeur d'échange. De plus, dans son rejet de l'idée "d'automatisme" selon laquelle un crash économique conduirait mécaniquement à une avancée de la conscience révolutionnaire, Munis a raison. Il a également raison de voir que l'émergence d'une conscience véritablement révolutionnaire implique la reconnaissance du fait que les rapports sociaux mêmes, sous-jacents à la civilisation, sont devenus incompatibles avec les besoins de l'humanité. Ce sont des points qui auraient pu être discutés avec d'autres groupes de la gauche communiste et qui ne justifiaient certainement pas de quitter la conférence de Paris sans même expliquer ses véritables divergences.
Encore une fois, dans sa brochure Fausse Trajectoire de Révolution Internationale[26], où ses vues sur la relation entre crise économique et conscience de classe sont expliquées plus longuement, Munis vise parfois juste, puisque, comme nous l'avons dit dans notre résolution sur la situation internationale du 21e congrès international[27], le CCI a parfois établi un lien immédiat et mécanique entre la crise et la révolution. Mais la réalité n'était pas vraiment du côté de Munis puisque, qu'on le veuille ou non, le système capitaliste est en effet coincé dans une crise économique très profonde depuis les années 1970; l'idée que les crises économiques font simplement partie du mécanisme de "régulation" du système semble refléter les pressions de l'époque où le Second Manifeste a été écrit, le début des années 1960, le zénith du boom de l'après-guerre. Mais ce pic a été suivi d'une descente rapide dans une crise économique mondiale qui s'est avérée fondamentalement insoluble, malgré toutes les énergies qu'un système géré par l'État a déployées pour ralentir et retarder ses pires effets. Et s'il est vrai qu'une conscience véritablement révolutionnaire doit saisir l'incompatibilité entre les rapports sociaux capitalistes et les besoins de l'humanité, l'échec visible d'un système économique qui se présente comme pas moins qu’une incarnation de nature humaine, jouera certainement un rôle clé pour permettre aux exploités de se débarrasser de leurs illusions sur le capitalisme et son immortalité.
Derrière ce refus d'analyser la dimension économique de la décadence du capitalisme se cache un volontarisme non dépassé, dont les fondements théoriques remontent à la lettre annonçant sa rupture avec l'organisation trotskyste en France, le Parti Communiste Internationaliste, où il maintient avec constance la notion de Trotsky, présentée dans les premières lignes du Programme de transition, selon laquelle la crise de l'humanité est la crise de la direction révolutionnaire:
- "La crise de l'humanité - nous le répétons mille fois avec L.D. Trotsky - est une crise de la direction révolutionnaire. Toutes les explications qui tentent de mettre la responsabilité de l'échec de la révolution sur les conditions objectives, le fossé idéologique ou les illusions des masses, sur le pouvoir du stalinisme ou l'attraction illusoire de ‘l'Etat ouvrier dégénéré’, sont fausses et ne servent qu'à excuser les responsables, à détourner l'attention du vrai problème et à entraver sa solution. Une direction révolutionnaire authentique, étant donné le niveau actuel des conditions objectives pour la prise du pouvoir, doit surmonter tous les obstacles, surmonter toutes les difficultés, triompher de tous ses adversaires"[28].
C'est cette attitude "héroïque" qui a conduit Munis à voir la possibilité d'une révolution prête à faire surface à tout moment dans la période décadente: - dans les années 1930, quand Munis voit les événements en Espagne non pas comme la preuve d'une contre-révolution triomphante mais comme le point culminant de la vague révolutionnaire qui a commencé en 1917; - après la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand, comme nous l'avons vu, Munis a vu les mouvements en Espagne en 1951 comme précurseurs d'un assaut révolutionnaire; - à l'apogée de la période du "boom" des années 1960, puisque le Second Manifeste fait déjà référence à "l'accumulation d'énergies révolutionnaires redoutables" qui s'est produite au moment où il a été écrit. Et tout comme il a rejeté les efforts du CCI pour examiner l'évolution de la crise économique, il rejette également notre argument selon lequel même si la décadence signifie que la révolution prolétarienne est à l'ordre du jour de l'histoire, il peut y avoir des phases de défaite et de désarroi profonds dans la classe pendant cette période, des phases qui rendent la révolution presque impossible et qui confèrent des tâches différentes à l'organisation révolutionnaire.
Mais aussi graves qu'aient pu être ces erreurs, ce sont des erreurs compréhensibles d'un révolutionnaire qui désire de tout son être voir la fin du capitalisme et le début de la révolution communiste. C'est pourquoi notre hommage se termine ainsi:
- "Il est donc clair que nous avons des divergences très importantes avec le FOR, ce qui nous a conduit à polémiquer avec eux à plusieurs reprises dans notre presse (voir en particulier l'article de la Revue internationale 52). Cependant, malgré les graves erreurs qu'il a pu commettre, Munis est resté jusqu'à la fin un militant profondément loyal au combat de la classe ouvrière. Il a été l'un de ces très rares militants qui ont résisté aux pressions de la plus terrible contre-révolution que le prolétariat ait jamais connue, quand beaucoup ont déserté ou même trahi le combat militant; et il était de nouveau là aux côtés de la classe avec la résurgence historique de ses luttes à la fin des années 60.
Nous rendons hommage à ce militant de la lutte révolutionnaire, à sa loyauté et à son engagement indéfectible en faveur de la cause prolétarienne. Aux camarades du FOR, nous envoyons nos salutations fraternelles".
Castoriadis déserte le mouvement ouvrier
L'un des meilleurs récits de la vie de Munis a été écrit par Auguste Guillamon en 1993. Son titre - G. Munis, un révolutionnaire peu connu - résume l'un des principaux points de l'article: que la plupart des militants qui, à travers les épreuves et les tribulations du 20ème siècle, sont restés fidèles à la cause prolétarienne, n'ont pas été récompensés par la gloire ou la fortune: aux côtés de Munis, il mentionne Onorato Damen, Amadeo Bordiga, Paul Mattick, Karl Korsch, Ottorino Perrone, Bruno Maffi, Anton Pannekoek et Henk Canne-Meijer[29]. En revanche, notre nécrologie pour Castoriadis s'intitulait: Mort de Cornelius Castoriadis: la bourgeoisie rend hommage à l'un de ses serviteurs. Nous pouvons laisser l'article parler de lui-même, en ajoutant quelques commentaires supplémentaires.
"La presse bourgeoise, surtout en France, a fait du bruit sur la mort de Cornelius Castoriadis. Le Monde y fait référence dans deux numéros successifs (28-29 décembre et 30 décembre 1997) et lui consacre une page entière sous un titre significatif: "Mort de Cornelius Castoriadis, révolutionnaire anti-marxiste". Ce titre est typique des méthodes idéologiques de la bourgeoisie. Il contient deux vérités enroulées autour du mensonge que nous devrions avaler. Les vérités: Castoriadis est mort, et il était anti-marxiste. Le mensonge: c'était un révolutionnaire. Pour étayer l'idée, Le Monde rappelle les propres mots de Castoriadis, "répétés jusqu'à la fin de sa vie", "Quoi qu'il arrive, je resterai d'abord et avant tout un révolutionnaire".
Et en effet, dans sa jeunesse, il fut un révolutionnaire. À la fin des années 1940, il rompt avec la 4e Internationale trotskyste en compagnie d'autres camarades et anime la revue Socialisme ou Barbarie. À cette époque, SouB représentait un effort, quoique confus et limité par ses origines trotskystes, pour développer une ligne de pensée prolétarienne au milieu de la contre-révolution triomphante. Mais au cours des années 1950, sous l'impulsion de Castoriadis qui signa ses articles Pierre Chaulieu, puis Paul Cardan), SouB rejeta de plus en plus les faibles fondements marxistes sur lesquels il avait été construit. En particulier, Castoriadis a développé l'idée que le véritable antagonisme dans la société n'était plus entre exploiteurs et exploités, mais entre "dirigeants et dirigés". SouB a finalement disparu au début de 1966, à peine deux ans avant les événements de mai 68, qui ont marqué la résurgence historique de la lutte de classe mondiale après une contre-révolution de près d'un demi-siècle. En fait, Castoriadis avait cessé d'être un révolutionnaire bien avant sa mort, même s'il était capable d’en maintenir l'apparence illusoire.
Castoriadis n'a pas été le premier à trahir les convictions révolutionnaires de sa jeunesse. L'histoire du mouvement ouvrier est parsemée de tels exemples. Ce qui le caractérise cependant, c'est qu'il a habillé sa trahison dans les haillons du "radicalisme politique", en prétendant qu'il était opposé à l'ensemble de l'ordre social existant. Nous pouvons le voir en regardant un article écrit dans Le Monde Diplomatique en réponse à son livre final, "Done and to be done" ("Fait et à faire", 1997):
- "Castoriadis nous donne les outils pour contester, construire les barricades, envisager le socialisme du futur, penser à changer le monde, vouloir changer la vie politiquement... Quel héritage politique peut venir de l'histoire du mouvement ouvrier, alors qu'il est maintenant évident que le prolétariat ne peut pas jouer le rôle de force motrice que le marxisme lui attribue ? Castoriadis répond avec un superbe programme qui combine les plus hautes exigences de la politique humaine avec le meilleur de l'idéal socialiste... L'action et la pensée sont à la recherche d'un nouveau radicalisme, maintenant que la parenthèse léniniste est fermée, maintenant que l’État-policier du marxisme historique est tombé en poussière ...".
En réalité, ce "radicalisme" qui faisait tant saliver les journalistes de haut vol était une feuille de vigne qui couvrait le fait que le message de Castoriadis était extrêmement utile aux campagnes idéologiques de la bourgeoisie. Ainsi, sa déclaration selon laquelle le marxisme avait été pulvérisé (The rise of Insignificance, 1996) a apporté un soutien "radical" à toute la campagne sur la mort du communisme qui s'est développée après l'effondrement des régimes staliniens du bloc de l'Est en 1989".
Nous avons vu certains des premiers signes d'une recherche de reconnaissance dans la décision du groupe Castoriadis d'écrire pour Les Temps Modernes de Sartre, une pratique fortement critiquée par la GCF[30]. Mais c'est quand il abandonne finalement l'idée d'une révolution de la classe ouvrière et commence à spéculer sur une sorte d'utopie de citoyens autonomes, quand il plonge dans les bains plus obscurs de la sociologie et de la psychanalyse lacanienne, qu'il devient intéressant pour l'académie bourgeoise et les branches les plus sophistiquées des médias, qui étaient tout à fait disposées à lui pardonner les folies de sa jeunesse et à l'accepter dans leurs très confortables rangs.
Mais notre article ("Mort de Cornelius Castoriadis … ") accuse Castoriadis d'une trahison plus grave que d’abandonner la vie militante et de rechercher avant tout son avancement professionnel.
- "Mais le véritable test du radicalisme de Castoriadis avait déjà eu lieu au début des années 80, lorsque, sous la direction de Reagan, la bourgeoisie occidentale a lancé une campagne assourdissante contre la menace militaire de "l’Empire maléfique" de l'URSS afin de justifier une campagne d'armement sans précédent depuis la seconde guerre mondiale. Et c'est précisément à cette époque que Castoriadis publie son livre "Facing War" où il tente de démontrer qu'il existe un "déséquilibre massif" en faveur de la Russie, "une situation qu'il était pratiquement impossible pour les Américains de modifier". De plus, cette "analyse" a été fréquemment citée par Marie-France Garaud, idéologue de la droite ultra-militariste et porte-parole en France des campagnes Reaganiste.
A la fin des années 80, la réalité a démontré que la puissance militaire russe était en fait largement inférieure à celle des États-Unis, mais cela n'a pas émoussé l'autosatisfaction de Castoriadis et n'a pas fait taire les louanges des journalistes à son égard. Ce n'était pas nouveau non plus. A partir de 1953-54, avant même d'abandonner ouvertement le marxisme, Castoriadis a développé toute une théorie selon laquelle le capitalisme aurait définitivement surmonté sa crise économique (voir 'La dynamique du capitalisme' dans SouB n° 120). Nous savons ce qui s'est passé après cela: la crise du capitalisme est revenue en force à la fin des années 60. Ainsi, lorsqu'un recueil de poche (Editions 10/18) des œuvres de Castoriadis a été publié en 1973, il y manquait certains écrits peu glorieux, ce qui a permis à son ami Edgar Morin de dire à l'époque: "Qui peut aujourd'hui publier sans honte, voire avec fierté, les textes qui ont marqué son parcours politique de 1948 à 1973, sinon un esprit rare comme Castoriadis ?" (Le Nouvel Observateur)".
Castoriadis a-t-il ouvertement appelé à mobiliser les travailleurs pour défendre la "démocratie occidentale" contre ce qu'il a appelé la "stratocratie" du bloc de l'Est ? Dans un fil sur Libcom en 2011, un post signé 'Julien Chaulieu' s'oppose au post original, un récit de la vie de Castoriadis écrit par la Fédération Anarchiste au Royaume-Uni, qui affirme que "dans sa dernière période, Castoriadis s'est orienté vers les investigations philosophiques, vers la psychanalyse. Dans cette période, son manque de connaissance des événements et mouvements sociaux actuels l'a conduit vers une tentative de défense de l'Occident - parce que la lutte y restait encore possible - contre l'impérialisme stalinien".[31]
Julien Chaulieu répondit:
- "En tant que personne qui a étudié toutes ses œuvres, aux côtés de Guy Debord et de nombreux anarchistes-libertaires socialistes, je peux confirmer que la déclaration ci-dessus est tout à fait fausse.
Castoriadis n'a jamais défendu l'Occident. Il s'agissait d'un malentendu, basé sur une propagande du parti social-fasciste stalinien grec (Parti Communiste de Grèce). Dans cette interview-vidéo (qui n'est malheureusement disponible qu'en grec), il affirme que l'URSS était effectivement oppressive et tyrannique, mais que cela ne veut pas dire que nous devons défendre les puissances capitalistes occidentales qui sont tout aussi brutales à l'égard du "Tiers Monde". Le fait qu'il ait abandonné les idées socialistes typiques, en s'orientant vers l'autonomie a provoqué des réactions massives au sein du PCG.
Dans cet entretien, il a déclaré ce qui suit:
- "Les sociétés occidentales ne sont pas seulement des sociétés capitalistes. Un marxiste dira que le mode de production dans le monde occidental est capitaliste, donc ces sociétés sont capitalistes parce que le mode de production détermine tout. Mais ces sociétés ne sont pas seulement capitalistes. Elles se nomment elles-mêmes démocraties (je ne les dis pas démocratiques parce que j'ai une définition différente de la démocratie), je les appelle des oligarchies libérales. Mais dans ces sociétés, il y a un élément démocratique qui n'a pas été créé par le capitalisme. Au contraire, il a été créé en contraste avec le capitalisme. Il a été créé alors que l'Europe sortait du Moyen Âge et qu'une nouvelle classe sociale était en train d'être créée, la soi-disant classe moyenne (qui n'a rien à voir avec les capitalistes) et elle a essayé d'obtenir une certaine liberté vis-à-vis des féodaux, des rois et de l'église. Ce mouvement se poursuit après la Renaissance avec la Révolution anglaise au XVIIe siècle, les révolutions française et américaine au XVIIIe siècle qui ont abouti à la création du mouvement ouvrier."
En fait, il semble très critique à l'égard du capitalisme, il dévoile le mythe selon lequel "le capitalisme est le seul système qui fonctionne, le moins mauvais", qui est l'approche occidentale dominante. Rien de pro-capitaliste ici. Au contraire, il dit la vérité qui a été détruite par des libéraux stupides".
Mais ce que nous trouvons réellement dans ce passage, avec son analyse alarmiste de la force militaire russe, et encore une fois avec certaines déclarations sur la guerre du Golfe de 1991[32] c'est que les textes ultérieurs de Castoriadis créent une zone d'ambiguïté qui peut facilement être exploitée par les vrais vautours de la société capitaliste, même si Castoriadis lui-même évite de s'incriminer avec des déclarations explicitement pro-guerre.
Notre article aurait également pu ajouter qu'il y a une autre facette de "l'héritage de Castoriadis": il est, en un sens, l'un des pères fondateurs de ce que nous avons appelé le courant "moderniste" (et qui, rappelons-le, a toujours été inspiré, dans une large mesure, par la version Castoriadis issue du trotskysme), composé de divers groupes et individus qui prétendent avoir dépassé le marxisme mais qui se considèrent encore comme révolutionnaires et même communistes. Plusieurs membres de l'Internationale Situationniste, qui tendaient vers cette direction, étaient même membres de SouB, mais la transmission de cette flamme est une tendance plus générale et ne dépend pas d'une succession physique directe. Les Situationnistes, par exemple, se sont mis d'accord avec Castoriadis sur le slogan de l'autogestion généralisée, ont convenu que l'analyse marxiste de la crise économique était une vieillerie, mais ne l'ont pas suivi dans l’abandon de l'idée de la classe ouvrière comme force motrice de la révolution. D'autre part, la tendance principale du modernisme ultérieur - qui tend aujourd'hui à se qualifier de "mouvement pour la communisation" - a lu Marx et Bordiga et est capable de montrer que cette notion d'autogestion est tout à fait compatible avec la loi de la valeur. Mais ce qu'ils héritent de Castoriadis, c'est avant tout l'abandon de la classe ouvrière comme sujet de l'histoire. Et de même que le dépassement de Marx par Castoriadis l'a ramené à Proudhon, de même le puissant acte "d’abrogation" cher aux communisateurs ramène ces derniers à Bakounine, où toutes les classes s'immolent dans la grande conflagration à venir. Mais ceci est une polémique que nous devrons reprendre.
C D Ward, décembre 2017
[1] Le communisme est à l'ordre du jour de l'histoire: Castoriadis, Munis et le problème de la rupture avec le trotskisme (première partie), Revue internationale n° 161.
[2] Chaulieu étant un nom de guerre pour Cornelius Castoriadis - avec Paul Cardan et d'autres; Montal pour Claude Lefort.
[3] Lire à ce sujet: Mémoires d'un révolutionnaire (A. Stinas, Grèce): nationalisme et antifascisme dans la Revue internationale n° 72; Revolutionary defeatists in Greece in World War II, Aghis Stinas.
[4] Voir par exemple ce texte de 1945 Defense of the Soviet Union and Revolutionary Tactics.
[6] On the Content of Socialism I - Socialisme Ou Barbarie, On the Content of Socialism II - Socialisme Ou Barbarie, On the Content of Socialism III - Socialisme Ou Barbarie
[8] La brochure de Pannekoek a été écrite pendant la guerre mais publiée complètement dans les années qui ont suivi. La référence qu’y fait Castoriadis est dans On the Content of Socialism III - Socialisme Ou Barbarie
[9] CS II.
[10] Chapitre XLVIII
[11] Voir notre article précédant dans cette série, Le renversement du fétichisme de la marchandise.
[12] Solidarity, the market and Marx. Le texte est également intéressant dans la mesure où il salue l'apparition de nouveaux groupes comme Workers Voice à Liverpool, Internationalism aux États-Unis et le groupe de Londres qui, après s'être séparé de Solidarity, a formé World Revolution, qui sont beaucoup plus clairs que Solidarity sur le contenu du socialisme/communisme. Ce qu'il ne fait pas, c'est de s'opposer à la conception essentiellement nationale du socialisme contenue dans CS II - une faiblesse qui afflige inévitablement le SPGB avec sa vision d'un chemin parlementaire vers le socialisme. Voir note suivante.
[13] Pour nous - et nous pensons être plus proches de Marx ici, même s'il préférait beaucoup le terme "communisme" - nous considérons le socialisme et le communisme comme la même chose: une société où le travail salarié, la production marchande et les frontières nationales ont été dépassés.
[14] Voir notre article Décadence du capitalisme: le boom d'après-guerre n'a pas renversé le cours du déclin du capitalisme.
[15] Le Capital, volume 1, chapitre 1
[16] Il est intéressant de noter que dans une lettre à Socialisme ou Barbarie en 1953, Anton Pannekoek avait déjà remarqué la conception restrictive des conseils ouvriers par le groupe français: "Alors que vous limitez l'activité de ces organismes à l'organisation du travail dans les usines après la prise de pouvoir social par les travailleurs, nous les considérons aussi comme étant les organismes par lesquels les travailleurs vont conquérir ce pouvoir". Letter to Socialisme ou Barbarie. Anton Pannekoek 1953.
[17] CS II
[19] Unions against revolution. Ce texte fut également publié dans Internationalism n°3 au début des années 70, avec une introduction de Judith Allen, Les syndicats et le réformisme. La réponse de Munis à celle-ci fut Brouillon théorique et clarté révolutionnaire. Il existe une édition française de Pour un second manifeste communiste.
[20] Voir par exemple Les rapports de production en Russie.
[21] La société bureaucratique 1: les rapports de production en Russie, éditions 10:18, 1973
[22] Parti-État, Stalinisme, Révolution, éditions Spartacus, 1975
[23] Les confusions du "fomento obrero revolucionario" sur Russie 1917 et Espagne 1936 publié dans la Revue internationale n° 25; Polémique: Où va le FOR ? (Ferment Ouvrier Révolutionnaire) dans la Revue internationale n° 52.
[25] À la mémoire de munis, un militant de la classe ouvrière, dans la Revue internationale n° 58.
[26] Dans la brochure Alarme, non datée.
[27] Revue internationale n° 156. Voir également la résolution sur la lutte de classe internationale de notre 22eme congrès, en particulier son point 15, publiée dans la Revue internationale n° 159.
[29] Curieusement, il n'inclut pas Marc Chirik dans la liste, ni dans l'ensemble de l'article, ce qui le prive quelque peu d'un important domaine d'investigation. Non seulement les discussions entre Munis et la Gauche Communiste de France à la fin des années 40 et au début des années 50 ont joué un rôle dans la rupture de Munis avec le trotskysme, mais aussi nous pouvons voir tout au long des écrits de Munis sur la crise économique une polémique continue contre la conception de la décadence défendue par la GCF et plus tard le CCI.
[30] Le communisme est à l'ordre du jour de l'histoire: Castoriadis, Munis et le problème de la rupture avec le trotskisme (première partie).
[32] Selon Takis Fotopoulos: "Enfin, il faut mentionner sa position sur la guerre du Golfe, ce qui était totalement inacceptable pour un membre auto-déclaré de la gauche anti-systémique, alors que, contrairement à d'autres analystes de la gauche comme Noam Chomsky (en aucun cas un extrémiste et lui aussi un admirateur enthousiaste de l'effondrement de l'URSS !), il n'a pas pris une position sans équivoque contre cette guerre criminelle, qui a ouvert la voie à la destruction éventuelle de l'Irak, mais il a plutôt adopté une approche indirecte de "distances égales" envers la victime (le peuple irakien) et le bourreau (l'élite transnationale). Ainsi, après avoir rejeté le pétrole comme la cause fondamentale de la guerre dans le Golfe (et plus tard, par conséquence, de l'invasion de l'Irak, ce qui est aujourd'hui reconnu même par le chef du système de la Réserve fédérale américaine de l'époque, il a ensuite suggéré - plus d'une décennie avant Samuel Huntington - une sorte de "choc des civilisations" version Castoriadis. Il s'agissait en fait d'une "approche à distances égales" déguisée à l'égard de la victime et de son agresseur (c'est-à-dire l'approche habituelle adoptée par la gauche réformiste sur toutes les guerres récentes de l'élite transnationale): "Le conflit va déjà bien au-delà du cas de l'Irak et de Saddam Hussein. Il est en train de se transformer en confrontation entre, d'une part, des sociétés maintenues sous l'emprise d'un imaginaire religieux tenace, aujourd'hui renforcé, et, d'autre part, des sociétés occidentales qui, d'une manière ou d'une autre, ont été délivrées de cet imaginaire mais se sont révélées incapables de transmettre au reste du monde autre chose que les techniques de guerre et la manipulation de l'opinion." Pas étonnant que, dans les années 1990, Castoriadis, à ma connaissance, n'ait jamais prononcé un seul mot contre l'embargo occidental catastrophique contre ce pays qui a entraîné, selon les estimations de l'ONU, la mort d'un demi-million d'enfants irakiens, ou contre les bombardements meurtriers du pays ordonnés par l'administration Clinton. Inutile d'ajouter qu'une approche "à distances égales", similaire à celle adoptée par Castoriadis et la gauche réformiste, implique en effet un soutien indirect des élites dirigeantes et de leurs "guerres" ! The Autonomy project and Inclusive Democracy: A critical review of Castoriadis’ thought’, Takis Fotopoulos, The International Journal of Inclusive Democracy Vol. 4, No. 2 (Avril 2008).