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L’un des fléaux qui affectent les organisations révolutionnaires de la Gauche communiste est le fait que beaucoup de leurs militants sont passés auparavant par des partis ou des groupes de gauche et d’extrême gauche du capital (PS, PC, trotskisme, maoïsme, anarchisme officiel, la soi-disant “nouvelle gauche” de Syriza ou Podemos). Cela est inévitable pour la simple raison qu’aucun militant ne naît avec une clarté d’emblée toute faite. Cependant, cette étape lègue un handicap difficile à surmonter : il est possible de rompre avec les positions politiques de ces organisations (syndicalisme, défense de la nation et du nationalisme, participation aux élections, etc.), mais il est beaucoup plus difficile de se débarrasser des attitudes, des modes de pensée, des façons de débattre, des comportements, des conceptions que ces organisations inoculent de force et qui constituent leur mode de vie.
Cet héritage, que nous appelons le legs dissimulé de la gauche du capital, contribue à provoquer au sein des organisations révolutionnaires des tensions entre camarades, de la méfiance, des rivalités, des comportements destructeurs, des blocages du débat, des positions théoriques aberrantes, etc. qui, combinées à la pression de l’idéologie bourgeoise et de la petite bourgeoisie, leur font beaucoup de mal. L’objectif de la série que nous commençons ici est d’identifier et de combattre ce lourd fardeau.
La gauche du capital : la politique capitaliste au nom du “socialisme”
Depuis son premier congrès (1975), le CCI s’est penchée sur le problème des organisations qui prétendent se revendiquer du “socialisme” et pratiquent une politique capitaliste. La Plateforme adoptée lors de ce congrès, dans son point 13 met en avant : “L’ensemble des partis ou organisations qui aujourd’hui défendent, même “conditionnellement” ou de façon “critique”, certains États ou certaines fractions de la bourgeoisie contre d’autres, que ce soit au nom du “socialisme”, de la “démocratie”, de “l’antifascisme”, de “1'indépendance nationale”, du “front unique”, ou du “moindre mal”, qui fondent leur politique sur le jeu bourgeois des élections, dans l’activité anti-ouvrière du syndicalisme ou dans les mystifications autogestionnaires sont des organes de l’appareil politique bourgeois : il en est ainsi, en particulier, des partis “socialistes” et “communistes””.
Notre plateforme se concentre également sur le problème des groupes et des groupuscules qui se placent “à gauche” de ces deux grands partis, qui en font souvent des “critiques incendiaires” et adoptent les poses les plus “radicales”: “L’ensemble des courants, soi-disant révolutionnaires, tels que le maoïsme (qui est une simple variante des partis définitivement passés à la bourgeoisie), le trotskisme (qui après avoir constitué une réaction prolétarienne contre la trahison des partis communistes, a été happé dans un processus similaire de dégénérescence) ou l’anarchisme traditionnel (qui se situe aujourd’hui dans le cadre d’une même démarche politique en défendant un certain nombre de positions des partis socialistes et des partis communistes, comme, par exemple, les alliances antifascistes), appartiennent au même camp que celui du capital. Le fait qu’ils aient moins d’influence ou qu’ils utilisent un langage plus radical n’enlève rien au fond bourgeois de leur programme et de leur nature, mais en fait d’utiles rabatteurs ou suppléants de ces partis”.
Pour comprendre le rôle de la gauche et de l’extrême gauche du capital, il faut se rappeler qu’avec le déclin du capitalisme, l’État “exerce un contrôle toujours plus puissant, omniprésent et systématique sur tous les aspects de la vie sociale. À une échelle bien au-delà de la décadence romaine ou féodale, l’État de la décadence capitaliste est devenu une machine monstrueuse, froide et impersonnelle qui a fini par dévorer la substance de la société civile”.(1) Cette nature s’applique autant aux régimes à Parti unique ouvertement dictatoriaux (staliniens, nazis, dictatures militaires) qu’aux régimes démocratiques.
Dans ce cadre, les partis politiques ne sont pas les représentants des différentes classes et couches de la société, mais les instruments totalitaires de l’État pour soumettre l’ensemble de la population (et principalement la classe ouvrière) aux impératifs du capital national. Ils deviennent également la tête de réseaux clientélistes, de groupes de pression et des sphères d’influence qui mêlent l’action politique et économique et deviennent le terreau d’une corruption inéluctable.
Dans les systèmes démocratiques, l’appareil politique de l’État capitaliste est divisé en deux ailes : l’aile droite, liée aux fractions classiques de la bourgeoisie et responsable de l’encadrement des couches les plus arriérées de la population,(2) et l’aile gauche (la gauche avec les syndicats et une série d’organisations d’extrême gauche) consacrée essentiellement au contrôle, à la division et à la destruction de la conscience de la classe ouvrière.
Pourquoi les anciens partis ouvriers sont-ils devenus des partis de gauche du capital ?
Les organisations du prolétariat ne sont pas exemptes de dégénérescence. La pression de l’idéologie bourgeoise les corrode de l’intérieur et peut les conduire à un opportunisme qui, s’il n’est pas combattu à temps, aboutit à la trahison et à l’intégration dans l’État capitaliste.(3) L’opportunisme fait ce pas décisif lors d’événements historiques cruciaux de la vie sociale capitaliste : les deux moments clés, jusqu’à ce jour, ont été la guerre impérialiste mondiale et la révolution prolétarienne. Dans la Plateforme, nous essayons d’expliquer le processus qui mène à cette étape fatale : “Il en a été ainsi des partis socialistes lorsque, dans un processus de gangrène par le réformisme et l’opportunisme, la plupart des principaux d’entre eux ont été conduits lors de la Première Guerre mondiale (qui marque la mort de la IIe Internationale) à s’engager, sous la conduite de leur droite “social-chauvine”, désormais passée à la bourgeoisie, dans la politique de “défense nationale”, puis à s’opposer ouvertement à la vague révolutionnaire d’après guerre jusqu’à jouer le rôle de bourreaux du prolétariat comme en Allemagne en 1919.
L’intégration finale de chacun de ces partis dans leurs États nationaux respectifs prit place à différents moments de la période qui suivit l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Mais ce processus fut définitivement clos au début des années 1920, quand les derniers courants prolétariens furent éliminés ou sortirent de leurs rangs en rejoignant l’Internationale Communiste.
De même, les Partis communistes sont à leur tour passés dans le camp du capitalisme après un processus similaire de dégénérescence opportuniste. Ce processus, engagé dès le début des années 1920, s’est poursuivi après la mort de l’Internationale Communiste (marquée par l’adoption de la théorie du “socialisme en un seul pays” en 1928), jusqu’à aboutir, malgré la lutte acharnée de leurs fractions de gauche et après l’élimination de celles-ci, à une complète intégration dans l’État capitaliste au début des années 1930 avec leur participation aux efforts d’armement de leurs bourgeoisies respectives et leur entrée dans les “fronts populaires”. Leur participation active à la “Résistance”, durant la Seconde Guerre mondiale et à la “reconstruction nationale”, après celle-ci, les a confirmés comme de fidèles serviteurs du capital national et comme la plus pure incarnation de la contre-révolution”.(4)
En l’espace de 25 ans (entre 1914 et 1939), la classe ouvrière perdit d’abord les Partis socialistes, puis, dans les années 1920, les Partis communistes et enfin, à partir de 1939, les groupes de l’Opposition de gauche de Trotski qui ont soutenu la barbarie encore plus brutale de la Seconde Guerre mondiale. “En 1938, l’Opposition de gauche est devenue la Quatrième Internationale. C’est une aventure opportuniste car il n’est pas possible de constituer un parti mondial en situation de marche vers la guerre impérialiste et donc de défaite profonde du prolétariat. Les résultats seront désastreux : en 1939-40, les groupes de la soi-disant IVe Internationale prirent position en faveur de la guerre mondiale sous les prétextes les plus divers : la majorité soutenant la “patrie socialiste” russe, mais il y même eu une minorité soutenant la France de Pétain (elle-même satellite des nazis).
Contre cette dégénérescence des organisations trotskistes, les derniers noyaux internationalistes restants ont réagi : en particulier la compagne de Trotski et le révolutionnaire d’origine espagnole Munis. Depuis lors, les organisations trotskistes sont devenues des agences “radicales” du capital qui tentent d’attirer le prolétariat avec toutes sortes de “causes révolutionnaires” qui correspondent généralement à des factions “anti-impérialistes” de la bourgeoisie (comme le célèbre sergent Chavez d’aujourd’hui). De même, ils récupèrent les travailleurs qui sont dégoûtés du jeu électoral en les faisant voter de façon “critique” pour les “socialistes” pour ainsi “fermer le chemin à la droite”. Enfin, ils ont toujours le grand espoir de “récupérer” les syndicats par le biais de “candidatures combatives”.(5)
La classe ouvrière est capable de générer des fractions de gauche au sein des Partis prolétariens lorsqu’ils commencent à être affectés par la maladie de l’opportuniste. Ainsi, au sein des partis de la IIe Internationale, les bolcheviques, le courant de Rosa Luxemburg, le tribunisme hollandais, les militants de la Fraction abstentionniste italienne, etc., se sont distingués. L’histoire des combats menés par ces fractions est suffisamment connue parce que leurs textes et leurs contributions se sont concrétisés dans la formation de la IIIe Internationale.
Et, dès 1919, la réaction prolétarienne face aux difficultés, aux erreurs et à la dégénérescence ultérieure de la Troisième Internationale s’est exprimée dans la Gauche communiste (italienne, néerlandaise, allemande, russe, etc.) qui a conduit (avec beaucoup de difficultés et malheureusement très dispersée) à une lutte héroïque et déterminée. L’Opposition de gauche de Trotski est née plus tard et d’une manière beaucoup plus incohérente. Dans les années 1930, l’écart entre la gauche communiste (principalement son groupe le plus cohérent, Bilan, représentant de la gauche communiste italienne) et l’Opposition de Trotski est devenu plus évident. Tandis que Bilan voyait les guerres impérialistes localisées comme l’expression d’une course vers la guerre impérialiste mondiale, l’Opposition s’est empêtrée dans des divagations sur la libération nationale et le caractère progressiste de l’antifascisme. Tandis que Bilan voyait l’enrôlement idéologique pour la guerre impérialiste et l’intérêt du capital derrière la mobilisation des travailleurs espagnols vers la guerre entre Franco et la République, Trotski voyait dans les grèves de juillet 1936 en France et dans la lutte antifasciste en Espagne le début de la révolution… Cependant, le pire, c’est que, même si Bilan n’était pas encore clair sur la nature exacte de l’URSS, il était évident pour lui qu’il ne pouvait la soutenir en aucun cas et que l’URSS était un agent actif dans la guerre en préparation. Trotski, par contre, avec ses spéculations sur l’URSS comme “État ouvrier dégénéré”, ouvrait en grand les portes pour le soutien à l’URSS, ce qui fut un moyen de soutenir la deuxième boucherie mondiale de 1939-1945.
Le rôle de l’extrême gauche du capital contre la résurgence de la lutte ouvrière en 1968
Depuis 1968, la lutte prolétarienne renaissait dans le monde entier. Mai 68 en France, “l’Automne chaud” italien, le “cordobazo” argentin, l’octobre polonais, etc., sont les expressions de ce combat vigoureux. Cette lutte a fait surgir une nouvelle génération de révolutionnaires. De nombreuses minorités de la classe ouvrière surgissaient partout et tout cela constitue une force fondamentale pour le prolétariat.
Cependant, il est important de noter le rôle des groupes d’extrême gauche dans la destruction de ces minorités : le trotskisme dont nous avons déjà parlé, l’anarchisme officiel(6) et, enfin, le maoïsme. En ce qui concerne ce dernier, il faut noter qu’il n’a jamais été un courant prolétarien. Les groupes maoïstes sont nés des conflits et des guerres d’influence de type impérialiste entre Pékin et Moscou qui ont conduit à la rupture entre les deux États et à l’alignement de Pékin sur l’impérialisme américain en 1972.
On estime que vers 1970, il y avait plus de cent mille militants dans le monde qui, bien qu’avec une énorme confusion, se prononçaient en faveur de la révolution, contre les partis traditionnels de gauche (PS, PC), contre la guerre impérialiste et cherchaient à faire avancer la lutte prolétarienne en gestation. Une écrasante majorité de cet important contingent a été récupérée par cette constellation de groupes d’extrême gauche. La présente série d’articles va essayer de démonter minutieusement tous les mécanismes par lesquels ils ont exercé cette récupération. Nous parlerons non seulement du programme capitaliste drapé dans des étendards radicaux et ouvriéristes, mais aussi des méthodes d’organisation, du débat, du fonctionnement, de la morale, qu’ils ont utilisé.
Ce qui est certain, c’est que leur action a été très importante pour détruire le potentiel de la classe ouvrière pour construire une large avant-garde pour sa lutte. Les militants potentiels ont été détournés vers l’activisme et l’immédiatisme, canalisés vers des combats stériles au sein des syndicats, des municipalités, des campagnes électorales, etc.
Les résultats ont été concluants :
– La majorité a quitté la lutte profondément déçue et est tombée dans un scepticisme sur la lutte ouvrière et la possibilité du communisme ; une partie non négligeable de ce secteur est tombée dans la drogue, l’alcool, le désespoir le plus absolu ;
– Une minorité est restée en tant que troupe de base des syndicats et des partis de gauche, propageant une vision sceptique et démoralisante de la classe ouvrière ;
– Une autre minorité, plus cynique, a fait carrière dans les syndicats et les partis de gauche, et même certains de ces “gagnants” sont devenus membres des partis de droite.(7)
Les militants communistes sont un atout vital pour le prolétariat et c’est une tâche centrale des groupes de la Gauche communiste actuels, qui sont aujourd’hui les héritiers de la trajectoire de Bilan, d’Internationalisme, etc. de tirer toutes les leçons de ce qui a permis l’énorme saignée des forces militantes que le prolétariat a dû supporter depuis son réveil historique en 1968.
Une vision fausse de la classe ouvrière
Pour effectuer leur sale travail d’encadrement, de division et de confusion, les partis de gauche et d’extrême gauche propagent une fausse vision de la classe ouvrière. Elle imprègne les militants communistes en déformant leur pensée, leur conduite et leur approche. Il est donc vital de l’identifier et de la combattre.
1- Une somme de citoyens individuels
Pour la gauche et l’extrême gauche, les travailleurs ne forment pas une classe sociale antagoniste du capitalisme mais une somme d’individus. Ils sont la partie “inférieure” de la “citoyenneté”. En tant que tels, les travailleurs individuels devraient aspirer à une “situation stable”, à une “juste rétribution” pour leur travail, à un “respect de leurs droits”, etc.
Cela permet à la gauche de cacher quelque chose d’essentiel : la classe ouvrière est une classe indispensable à la société capitaliste parce que sans son travail associé, elle ne pourrait pas fonctionner, mais en même temps elle est une classe exclue de la société, étrangère à toutes ses règles et normes vitales, et c’est donc une classe qui ne peut se réaliser en tant que telle qu’en abolissant la société capitaliste de bas en haut. À la place de cette réalité, apparaît l’idée d’une classe “intégrée” qui, par des réformes et la participation aux institutions, pourrait satisfaire ses intérêts.
Cette vision dissout ensuite la classe ouvrière dans la masse amorphe et interclassiste de la “citoyenneté”. Dans un tel magma, l’ouvrier est assimilé au petit bourgeois qui l’arnaque, au policier qui le réprime, au juge qui le condamne à l’expulsion, au politicien qui le trompe et même aux “bourgeois progressistes”. Les notions de classes sociales et d’antagonismes de classe disparaissent pour faire place à la notion de citoyens de la nation, à la fausse “communauté nationale”.
Une fois que la notion de classe a été effacée de l’esprit de la classe ouvrière, la notion fondamentale de classe historique disparaît également. Le prolétariat est une classe historique qui, au-delà de la situation de ses différentes générations ou lieux géographiques, a entre les mains un avenir révolutionnaire, l’établissement d’une nouvelle société qui dépasse et résolve les contradictions qui conduisent le capitalisme à la destruction de l’humanité.
En balayant les notions vitales et scientifiques de classes sociales, d’antagonisme de classes et de classe historique, la gauche et l’extrême-gauche du capital ramènent la révolution au rang d’un vœu pieux qu’il faut laisser entre les mains “expertes” des politiciens et des Partis. Ils introduisent la notion de délégation de pouvoir, concept parfaitement valable pour la bourgeoisie, mais absolument destructeur pour le prolétariat. En fait, la bourgeoisie, une classe exploiteuse qui détient le pouvoir économique, peut confier la gestion de ses affaires à un personnel politique spécialisé qui constitue une couche bureaucratique avec ses propres intérêts dans l’enchevêtrement des intérêts du capital national.
Il n’en va pas de même pour le prolétariat, qui est à la fois une classe exploitée et révolutionnaire, qui n’a pas de pouvoir économique, mais dont la seule force est sa conscience, son unité et sa solidarité, sa confiance en soi, c’est-à-dire des facteurs qui sont radicalement détruits s’il s’appuie sur une couche spécialisée d’intellectuels et de politiciens.
Armés de cette délégation, les partis de gauche et d’extrême gauche défendent la participation aux élections comme un moyen de “bloquer le chemin de la droite”, c’est-à-dire qu’ils détruisent dans les rangs des travailleurs l’action autonome en tant que classe pour se transformer en une masse de citoyens votants. Une masse individualisée, chacun enfermé dans ses “intérêts propres”. L’unité et l’auto-organisation du prolétariat est ainsi écrasée.
Finalement, c’est ainsi que les partis de gauche et d’extrême gauche appellent le prolétariat à se réfugier entre les mains de l’État pour “atteindre une nouvelle société”. Ils réalisent ainsi le tour de passe-passe de présenter le bourreau capitaliste, l’État, comme “l’ami des ouvriers” ou “son allié”.
2- Une masse de perdants plongés dans un matérialisme vulgaire
La gauche et les syndicalistes propagent une vision matérialiste vulgaire des travailleurs. Selon eux, les travailleurs sont des individus qui ne pensent qu’à leur famille, à leur confort, à obtenir la meilleure voiture, la maison la plus luxueuse, et, noyés dans ce consumérisme, ils n’ont pas “d’idéal” de lutte, préférant rester à la maison pour regarder le football ou aller au bar avec leurs amis. Pour boucler la boucle, ils affirment qu’étant donné que les travailleurs sont endettés jusqu’au cou pour payer leurs caprices consuméristes, ils sont incapables de mener la moindre lutte.(8)
Avec ces leçons de morale hypocrite, ils transforment la lutte ouvrière, qui est une nécessité matérielle, en un idéal volontariste, alors que le communisme, but ultime de la classe ouvrière, est une nécessité matérielle en réponse aux contradictions insolubles du capitalisme.(9) Ils séparent et opposent la lutte revendicative à la lutte révolutionnaire, alors qu’il y a unité entre les deux, puisque la lutte de la classe ouvrière est, comme l’avait dit Engels, à la fois économique, politique et un combat d’idées.
Priver notre classe de cette unité conduit à la vision idéaliste d’une lutte “sale”, “égoïste” et “matérialiste” pour les besoins économiques et une lutte “glorieuse” et “morale” pour la “révolution”. Cela démoralise profondément les travailleurs qui se sentent honteux et coupables de se soucier des besoins de leur survie, ceux de leurs enfants et de leurs proches, d’être des individus rampants qui ne penseraient qu’à leurs petits sous. Avec ces fausses approches, qui suivent la ligne cynique et hypocrite de l’Église catholique, la gauche et l’extrême gauche sapent de l’intérieur la confiance des travailleurs en eux-mêmes en tant que classe et tentent de les présenter comme la partie la plus “basse” de la société.
Ce faisant, ils convergent avec l’idéologie dominante qui présente la classe ouvrière comme la classe des perdants. Le fameux “bon sens commun” dit qu’un travailleur est un individu qui est resté un travailleur parce qu’il n’est pas assez bon pour autre chose ou qu’il ne s’est pas battu assez fort pour progresser dans l’échelle sociale. Les travailleurs seraient les paresseux, ceux qui n’ont pas d’aspirations, qui n’ont pas “réussi”…
C’est vraiment le monde à l’envers ! La classe sociale qui produit par son travail associé la principale richesse de la société serait composée par les plus mauvais éléments de celle-ci. Puisque le prolétariat regroupe la majorité de la société, il semblerait alors que celle-ci se compose fondamentalement de fainéants, de perdants, d’individus sans culture ni motivation. La bourgeoisie n’exploite pas seulement le prolétariat, mais se moque aussi de lui. Elle qui est une minorité qui vit des efforts de millions d’êtres humains a l’audace de considérer les ouvriers comme de gens indolents, sans réussite, inutiles et sans aspirations.
La réalité sociale est radicalement différente : dans le travail associé mondial du prolétariat, se développent des liens culturels, scientifiques et, simultanément, des liens humains profonds, la solidarité, la confiance et un esprit critique. Ils sont la force qui fait bouger silencieusement la société, la source du développement des forces productives.
L’apparence du prolétariat est celle d’une masse anonyme, insignifiante et silencieuse. Cette apparence est le résultat d’une contradiction subie par le prolétariat en tant que classe exploitée et révolutionnaire. D’une part, c’est la classe du travail mondial associé et, en tant que tel, c’est elle qui fait fonctionner les rouages de la production capitaliste et a entre ses mains les forces et les capacités de changer radicalement la société. Mais d’un autre coté, la concurrence, la marchandise, la vie normale d’une société où prévaut la division et le tous contre tous, l’écrasent comme une somme d’individus, chacun impuissant, avec le sentiment d’échec et de culpabilité, séparé des autres, atomisé, forcé de se battre seulement pour soi-même.
La gauche et l’extrême gauche du capital, en complète continuité avec l’idéologie bourgeoise, veulent qu’on ne voie que cette masse amorphe d’individus atomisés. De cette façon, ils servent le capital et l’État dans leur tâche de démoraliser et d’exclure la classe ouvrière de toute perspective sociale.
Nous retrouvons ici ce que nous avons dit au début : la conception du prolétariat comme une somme d’individu. Cependant, le prolétariat est une classe et agit en tant que telle chaque fois qu’il réussit à se libérer des chaînes qui l’oppriment et l’atomisent avec une lutte conséquente et autonome. Ainsi, nous ne voyons pas seulement une classe en action, mais nous voyons aussi chacune de ses composantes se transformer en êtres qui agissent, se battent, pensent, prennent des initiatives, développent la créativité. On l’a vu dans les grands moments de la lutte des classes, comme les révolutions en Russie de 1905 et 1917. Comme Rosa Luxemburg l’a souligné si bien dans Grève des masses, Parti et syndicats, “… dans la tempête révolutionnaire, le prolétaire, le père de famille prudent, soucieux de s’assurer un subside, se transforme en “révolutionnaire romantique” pour qui le bien suprême lui-même (la vie) et à plus forte raison le bien-être matériel n’ont que peu de valeur en comparaison de l’idéal de la lutte”.
En tant que classe, la force individuelle de chaque travailleur se libère, se défait de ses entraves, développe son potentiel humain. En tant que somme d’individus, les capacités de chacun sont annihilées, diluées, gaspillées pour l’humanité. La fonction de la gauche et de l’extrême gauche du capital est de maintenir les travailleurs dans les chaînes de la citoyenneté, c’est-à-dire la somme des individus.
3- Une classe avec les pendules arrêtées sur les tactiques du XIXe siècle
D’une manière générale, à l’époque ascendante du capitalisme et plus particulièrement à son apogée (1870-1914), la classe ouvrière pouvait se battre pour des améliorations et des réformes dans le cadre du capitalisme, sans envisager immédiatement sa destruction révolutionnaire. Cela impliquait, d’une part, la formation de grandes organisations de masse (partis socialistes, syndicats, coopératives, universités de travailleurs, associations de femmes et de jeunes, etc.) et, d’autre part, des tactiques de lutte, y compris la participation aux élections, les actions de pression, les grèves planifiées par les syndicats, etc.
Ces méthodes ont commencé à devenir de plus en plus inadéquates au début du XXe siècle. Dans les rangs révolutionnaires, il y avait un large débat qui opposait, d’une part, Kautsky, un partisan de ces méthodes, et, d’autre part, Rosa Luxemburg(10) qui, tirant les leçons de la révolution russe de 1905,(11) montrait clairement que la classe ouvrière s’orientait vers de nouvelles méthodes de lutte qui correspondaient à la nouvelle situation qui s’annonçait, avec des guerres généralisées, la crise capitaliste, etc., c’est-à-dire, la chute du capitalisme dans sa décadence. Les nouvelles méthodes de lutte étaient basées sur l’action directe de masse, sur l’auto-organisation du prolétariat dans les Assemblées et Conseils ouvriers, sur l’abolition de l’ancienne division entre le programme minimum et le programme maximum. Ces méthodes se sont heurtées de front au syndicalisme, aux réformes, à la participation électorale, à la voie parlementaire.
La gauche et l’extrême gauche du capital concentrent leurs politiques sur l’enfermement de la classe ouvrière dans ces vieilles méthodes qui sont aujourd’hui radicalement incompatibles avec la défense de leurs intérêts immédiats et historiques. Ils ont arrêté la pendule de l’histoire d’une manière intéressée dans les années “dorées” de 1890 à 1910 avec toutes leurs routines de plus en plus démobilisatrices de participation électorale, d’actions syndicales, de présence passive aux actes du “Parti”, de manifestations programmées à l’avance, etc., un mécanisme qui fait des travailleurs de “bons citoyens travailleurs”, c’est-à-dire des êtres passifs et atomisés qui se soumettent avec discipline à tout ce dont le capital a besoin : travailler dur, voter tous les quatre ans, user leurs chaussures dans les marches syndicales, continuer sans remettre en question les dirigeants autoproclamés.
Cette politique est défendue sans vergogne par les partis socialistes et communistes, tandis que ses annexes “d’extrême gauche” la reproduisent avec des touches “critiques” et des surenchères “radicales”. Tous défendent une vision de la classe ouvrière comme classe pour le capital, qui devrait se soumettre à tous ses impératifs et se contenter de l’attente de quelques miettes hypothétiques qui, de temps en temps, tombent de la table dorée de ses banquets.
C. Mir 18-12-17
1 Point 4 de notre Plateforme
2 Les partis classiques de droite (conservateurs, libéraux, centristes, progressistes, démocratiques, radicaux) complètent leur partie du contrôle de la société par des partis d’extrême droite (fascistes, néonazis, populistes de droite, etc.). La nature de cette dernière est plus complexe, voir à cet égard : “Contribution sur le problème du populisme”, Revue Internationale n° 175.
3 Pour une étude sur comment l’opportunisme pénètre et détruit la vie prolétarienne de l’organisation, avec toutes les conséquences néfastes que cela entraîne, voir “Le chemin vers la trahison de la Social-démocratie allemande”, Revue Internationale n° 152.
4 Point 13 de notre Plateforme.
5 Voir l’article en espagnol : “¿Cuales son las diferencias entre la Izquierda Comunista y la IVª Internacional?”
6 Il ne s’agit pas ici des groupes les plus minoritaires de l’anarchisme internationaliste, qui, malgré ses confusions, se revendiquent de beaucoup de positions de la classe ouvrière, se manifestant clairement contre la guerre impérialiste et pour la révolution prolétarienne.
7.Il y a une foule d’exemples. Durão Barroso, ancien président de l’Union Européenne, fut maoïste dans sa jeunesse. Cohn-Bendit est député du parlement européen et conseiller de Macron ; Lionel Jospin, ancien Premier ministre français, fut trotskiste dans sa jeunesse...
8 Il faut reconnaître que le consumérisme (promu depuis les années 1920 aux États-Unis et après la Seconde Guerre mondiale) a contribué à miner l’esprit revendicatif au sein de la classe ouvrière, puisque les besoins vitaux de chaque travailleur sont déformés par le parti pris consumériste, transformant ses besoins en une affaire individuelle où “tout peut être réalisé par le crédit”.
9 Voir notre série : “Le communisme n’est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle”.
10 Voir le livre (en espagnol): “Debate sobre la huelga de masas” (textes de Parvus, Mehring/ Luxemburg/ Kautsky/ Vandervelde/Anton Pannekoek).
11 Voir : “Grève de masse, parti et syndicats” de Rosa Luxemburg.