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Ce n’est certainement pas la première fois que la bourgeoisie italienne connaît une crise grave dans son appareil politique ayant un impact sur sa capacité à former un gouvernement, comme par exemple pour le gouvernement Monti en 2011 et le gouvernement Letta en 2013, qui ne durera que 10 mois. Cependant, la gestation troublée du gouvernement de coalition Ligue-5 Étoiles a pris une dimension et une signification politique particulièrement sérieuses qui pourraient même engendrer une crise constitutionnelle, avec la menace d’une demande de destitution de la part du chef de l’État du Mouvement 5 Étoiles (M5S) et des Frères d’Italie.
Après une campagne électorale caractérisée par un affrontement très dur entre les forces politiques en jeu, dans lequel chacun a déclaré qu’il n’accepterait jamais de gouverner avec d’autres, où les promesses les plus audacieuses au nom de la “défense des familles, des précaires, des jeunes” se sont épanouies, le résultat électoral a vu le triomphe du populisme, mais sans une majorité de gouvernement claire et une série de vetos croisés (la Ligue contre le Parti démocrate (PD), le PD contre la Ligue, du M5S contre Berlusconi, etc.). Après plusieurs tentatives de la part du président de la République démocrate-chrétien, Sergio Mattarella, distinguant, rejetant, revenant en arrière et négociant avec les parties concernées, il a finalement été possible de parvenir à un accord pour former un gouvernement, évitant le spectre d’un retour immédiat aux urnes, ce qui aurait été un autre problème pour la bourgeoisie italienne, à la fois parce qu’il aurait prolongé la situation de grande instabilité avec des répercussions économiques majeures, et parce que le résultat de ce nouveau vote n’était certainement pas prévisible et risquait seulement de reporter le problème. Comment expliquer cette tempête ?
Le populisme, un problème pour la bourgeoisie au niveau international…
Un premier problème important est que la bourgeoisie est confrontée au niveau international au développement du populisme et à son poids, comme aux effets de la décomposition, sur les partis politiques avec une tendance dominante au “chacun pour soi”. (1) Comme nous l’avons déjà fait valoir dans d’autres textes, (2) ce développement est la conséquence de la phase historique actuelle. De larges couches de la population, et surtout le prolétariat, connaissent quotidiennement les effets de l’aggravation de la crise : une augmentation de l’instabilité économique, de l’enfoncement dans la précarité et de l’insécurité sociale, dont il est extrêmement difficile de comprendre les causes. Cela génère beaucoup de colère mais aussi une perte profonde de repères, un sentiment d’impuissance et une peur de tout ce qui semble mettre encore plus en danger leur situation présente et future. De plus, les partis “historiques”, qui, en raison de leur expérience politique, ont représenté pour la bourgeoisie un instrument essentiel pour détourner et contenir le mécontentement dans le jeu de l’alternance démocratique, ont subi une forte érosion de leur crédit. En particulier, les partis sociaux-démocrates, historiquement considérés comme les défenseurs des travailleurs, ont longtemps dû assumer eux-mêmes toutes les mesures et réformes économiques qui ont sérieusement dégradé la situation de la classe ouvrière, révélant ainsi leur caractère anti-prolétarien. (
Comme nous l’avons dit à propos de la victoire du Brexit, “le populisme n’est pas un autre acteur dans les jeux entre les partis de gauche et de droite ; il existe à cause du mécontentement généralisé qui ne trouve aucun moyen de s’exprimer. Il est entièrement sur le terrain politique de la bourgeoisie, mais il est basée sur l’opposition aux élites et à l’establishment, sur l’aversion envers l’immigration, sur la méfiance envers les promesses de la gauche et l’austérité de la droite, qui expriment une perte de confiance dans les institutions de la société capitaliste, mais ne voient pas, pour l’instant, l’alternative révolutionnaire de la classe ouvrière”.(3)
De ce point de vue, ces forces, dans une certaine mesure, peuvent aussi rendre un service utile à la bourgeoisie parce qu’elles canalisent la colère et la méfiance sur le terrain démocratique et institutionnel. Comme Di Maio l’a affirmé ces jours-ci, c’est le M5S qui a ramené sur le terrain de la protestation démocratique et du vote la plupart de ceux qui s’en éloignaient parce qu’ils étaient dégoûtés, désillusionnés et en colère contre la classe politique et les institutions. Mais, contrairement aux partis “historiques” de la bourgeoisie (de droite comme de gauche) qui, malgré tout, conservent encore un certain sens de l’État, la vision des forces populistes se traduit par des politiques concrètes qui vont souvent à l’encontre des intérêts globaux de la bourgeoisie nationale, tant sur le plan économique et de la politique internationale que sur le plan idéologique de la défense de la démocratie et constituent pour cette raison un péril pour la cohérence et les intérêts politiques de la même classe dirigeante.
La présence du phénomène populiste et le discrédit des partis historiques expliquent aussi la difficulté croissante pour la bourgeoisie internationale et, en particulier en Italie, de contrôler le cirque électoral et de prédire son issue. Cette imprévisibilité s’est vue, par exemple, avec le Parti démocrate où Renzi, sur la base des 40,8 % obtenus lors des élections de 2014, s’est pris une claque avec le référendum sur la constitution en 2016 qui a anticipé l’effondrement actuel de sa formation politique. Dans le passé, l’électorat a maintenu une certaine fidélité aux partis traditionnels parce que cela correspondait aussi à des “idéaux politiques” et à des programmes qui, du moins en paroles, suggéraient des choix différents. La droite et la gauche du capital ont exprimé différentes options pour la gestion de la société ; l’électeur, quoique de façon critique, s’identifiait à l’un ou l’autre de ces partis. Aujourd’hui, cette distinction n’existe plus parce que la crise économique ne permet pas d’options alternatives globales. Tout parti ou coalition au pouvoir ne peut mener qu’une politique d’appauvrissement pour la grande majorité de la population, et ne peut lutter contre la détérioration des conditions de vie à d’autres niveaux (précarité, insécurité sociale, dégradation de l’environnement, etc). Le vote est donc donné à la force politique qui, à ce moment-là, semble être la “moins pire”, celle qui, peut-être, ne semble pas faire miroiter autant de fausses promesses ou celle qui répond le plus à ses doutes. Ce n’est pas un hasard si le cheval de bataille électoral gagnant du M5S a été le “revenu minimum de citoyenneté” et la promesse de réduction du coût de la vie, surtout dans le sud de l’Italie où la pauvreté, la précarité et le manque de perspectives pèsent dans la vie quotidienne de la majorité de la population. Pour la Ligue, cependant, c’est la sécurité, avec l’expulsion des migrants et davantage de policiers dans les rues, le droit à l’autodéfense et la flat tax qui avantage les petits et moyens entrepreneurs particulièrement présents dans le Nord.
Nous avons vu récemment un phénomène similaire avec les difficultés de la bourgeoisie anglaise à gérer les effets du Brexit, de la bourgeoisie américaine à contenir les politiques irresponsables de Trump, de la bourgeoisie allemande à former un gouvernement de coalition qui, bien qu’il doive inclure le CDU anti-européen, maintiendrait une politique interne et internationale conforme aux intérêts de l’État allemand. Ce n’est qu’en France, face au danger d’une éventuelle victoire de Marine Le Pen, que la bourgeoisie a pu trouver la solution Macron qui assurait la continuité des choix politiques nationaux et internationaux et qui, en même temps, se présentait comme “le renouveau”, “ni droite ni gauche”, répondant ainsi à la méfiance et au mécontentement croissants.
Cela explique aussi pourquoi, par rapport aux élections en Italie (dans la phase préélectorale et pendant la crise politique), il y a eu une forte préoccupation (en particulier de la part des pays européens) et toute la pression des personnalités influentes de l’UE et du monde des affaires, sur le fait que, quelle que soit la composition du nouveau gouvernement, cela ne devrait pas remettre en question les résultats obtenus par l’Italie grâce aux réformes mises en œuvre ces dernières années, avec la forte recommandation de ne pas changer de cap vers des politiques irréfléchies et irresponsables pour le capital italien qui créeraient une instabilité internationale.
… et pour la bourgeoisie italienne
Regardons maintenant de plus près la situation italienne pour comprendre une série d’étapes importantes dans la politique de la bourgeoisie nationale. Par exemple, pourquoi le président de la République, Mattarella, a-t-il refusé de signer la nomination de Savone comme ministre de l’Économie ? Pourquoi cette lutte acharnée sur un seul nom ? En réalité, Mattarella, qui représente la partie la plus responsable de la bourgeoisie nationale avec une vision plus large et à long terme des intérêts du capital national et des instruments nécessaires pour les défendre, s’est retrouvée à gérer une situation caractérisée par :
— la victoire électorale de deux forces qui, bien que de manières différentes, sont l’expression d’un populisme caractérisé par une forte irresponsabilité associée à l’absence d’expérience et de profondeur politique. Le M5S né avec le slogan “allez vous faire foutre !” dirigée contre “la caste les bouffons parlementaires et des malversations”, une fois au parlement a dû prendre un rôle plus modéré et institutionnel, mais il reste une force totalement dépourvue d’expérience dans la gestion de l’État et fortement caractérisée par une politique qui est basée sur les humeurs viscérales immédiates du “peuple” pour élargir son consensus et entrer dans les lieux du pouvoir. Cela signifie qu’il s’agit d’une force oscillante, sur laquelle il est difficile de s’appuyer dans une situation qui exige rigueur et responsabilité en prenant des mesures drastiques et impopulaires. Après tout, il suffit de voir la réaction infantile et irresponsable de Di Maio et Di Battista (en bonne compagnie avec Meloni) immédiatement après le rejet par Mattarella de leur proposition gouvernementale. Les menaces répétées de destitution exprimées dans divers entretiens et lors de la réunion de Naples, ainsi que les déclarations de la Ligue par la bouche de Salvini, ont alimenté sur le web un climat d’attaque contre les institutions et en particulier contre Mattarella et la plus haute fonction de l’État. Enfin, malgré les assurances actuelles, le M5S s’est toujours distingué contre l’ingérence de l’UE dans la politique économique de l’Italie et le retour à la monnaie nationale.
La Ligue, ayant déjà assumé des responsabilités gouvernementales avec Bossi dans le passé, se présente comme moins versatile et plus cohérente et (après avoir abandonné son caractère régionaliste) se présente comme une force nationale. Cependant, elle reste une force à forte connotation anti-européenne (“l’Italie ne doit pas être tenue en laisse par l’Allemagne”), russophile et xénophobe (“si j’allais au gouvernement, je commencerais par un grand coup de balai, fixer des règles pour armer et protéger les frontières des Alpes à la Sicile.”)(4)
Ces deux partis pourraient remettre en cause les choix d’alliances impérialistes de l’Italie, tous deux étant plus ou moins explicitement favorables à une “ouverture” à la Russie ;
– un programme gouvernemental (celui du contrat de gouvernement du M5S et de la Ligue) qui, derrière un torrent de mots, cache une incohérence totale sur certains choix cruciaux de la politique économique, comme l’emploi, tandis que sur d’autres, il propose des mesures telles que le revenu citoyen, la flat tax et l’abolition de la réforme Fornero sur les pensions, abolition qui non seulement n’ont aucun financement budgétaire, mais qui remettent dangereusement en question les résultats pauvres mais positifs du point de vue des intérêts du capital italien obtenus par l’État au cours des dernières années. Ce contrat, en outre, était associé à un ministre de l’Économie, Savone, qui, bien qu’il rassure aujourd’hui en affirmant ne pas vouloir proposer une sortie immédiate de l’UE, est un fervent anti-européen déclaré et aurait certainement pu mettre en place sa politique avec des problèmes évidents pour l’État italien au sein de l’Union ;
– un appareil politique fortement discrédité (le parti démocrate et Forza Italia de Silvio Berlusconi, cette dernière fraction de centre droit n’ayant gagné le pouvoir dans le passé qu’en tant que membre d’une coalition avec la Ligue et les Frères d’Italie), incapable de construire une véritable alternative aux forces populistes, également parce que déchiré par des affrontements et des divisions internes.
Tout cela dans un contexte où, au-delà des belles phrases sur la “défense des intérêts des Italiens”, chacun a essayé de défendre ses propres intérêts, de maintenir et de renforcer la place obtenue sur la scène politique au détriment des autres. Par exemple, dans le cas du refus du PD d’accepter le M5S, ce qui l’aurait probablement encore plus discrédité, ou de la Ligue, qui a joué au mieux son succès électoral tant dans la négociation avec le M5S qu’au sein de la coalition de centre-droit.
Compte tenu de ce cadre et de la priorité absolue de l’État italien d’assurer une relative stabilité dans son budget, de sa capacité de négociation durement acquise au sein de l’UE et de son respect pour les alliances impérialistes actuelles, il est clair que la structure de gouvernement prévue causait beaucoup d’inquiétude à la classe dirigeante. D’où le veto sur la nomination de Savona imposé par Mattarella qui a pleinement rempli le rôle conféré par la Constitution au président de la République en tant que garant de la défense des intérêts nationaux. En fait, Di Maio a raison quand, lors de la réunion de Fiumicino, il a dit : “Dans ce pays, vous pouvez être un criminel condamné, un condamné pour fraude fiscale,… vous pouvez avoir commis des crimes contre l’administration publique, vous pouvez être une personne faisant l’objet d’une enquête pour corruption et devenir ministre. Mais si vous avez critiqué l’Europe, vous ne pouvez même pas vous permettre d’être ministre de l’Économie”. En fait, c’est ainsi que cela fonctionne parce que, contrairement à ce que lui, Grillo, Salvini, Meloni, Travaglio et consorts veulent nous faire croire, la Constitution italienne, ainsi que celle de tout autre État, n’est rien de plus qu’un instrument entre les mains de la classe dirigeante pour contrôler et gérer sa domination de la meilleure manière possible sur la société, dans un cadre démocratique, pour la sauvegarde du capital national sur le plan économique et politique à l’échelle internationale.
Cependant, la bourgeoisie, aussi bien en Italie qu’en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, a aussi un autre problème : elle ne peut exclure de la formation du gouvernement les forces populistes qui remportent les élections parce que cela démolirait toute la mystification démocratique qui constitue l’arme la plus puissante de sa domination. D’où la tendance extrêmement prudente, patiente et d’attente de Mattarella dans sa tentative de former un gouvernement aussi fiable que possible, comme a essayé de le faire Angela Merkel en Allemagne. Le problème supplémentaire posé par la situation actuelle en Italie est qu’il n’y a pas eu ici la possibilité de rejoindre Salvini et Di Maio avec une troisième force à déployer. Ce n’est pas un hasard si la première tentative de Mattarella a été d’essayer de former un gouvernement de tout le centre-droit avec le M5S et donc la présence de Forza Italia, car, malgré tout le discrédit dont il a souffert, Berlusconi, dans son expérience du gouvernement, a néanmoins fait preuve de loyauté envers l’OTAN et l’UE, ce qui dans le gouvernement aurait donné un peu plus de garanties à la bourgeoisie.
Le gouvernement Conte, finalement constitué, conserve toute sa nature problématique et devra être maîtrisé. Mais la fermeté de Mattarella sur le ministère de l’Économie et sur le rôle institutionnel du président de la République ont au moins forcé le M5S et la Ligue à faire marche arrière par rapport aux attitudes de protestation irresponsables antérieures et à exprimer leur opinion explicite sur la position de l’Italie au niveau international.
Quelles sont les conséquences pour les prolétaires ?
Comme nous l’avons déjà dit, le programme de ce nouveau gouvernement n’a vraiment rien pour améliorer une situation dans laquelle l’augmentation de la pauvreté et de la précarité, le manque de perspectives, la dégradation sociale sont vécus de façon dramatique par l’écrasante majorité des exploités qui ne peuvent même plus vendre la seule chose qu’ils ont, leur force de travail, ou s’ils ont un emploi, c’est seulement dans des conditions d’esclavage qui souvent ne permettent même pas la survie. Les grandes mesures promises seraient le “revenu citoyen” et la flat tax. La première, déjà largement redimensionnée par rapport aux promesses pré-électorales, ne s’élève pas à beaucoup plus de 80 euros et implique des conditions de chantage croissantes : soit vous acceptez n’importe quel type de travail avec n’importe quel salaire, soit vous n’aurez plus rien. En fait, cela signifie que vous devez vivre avec 780 euros par mois, un chiffre qui ne couvre même pas le coût d’un loyer et d’un toit au-dessus de votre tête. La flat tax, pour sa part, n’enlève rien et n’ajoute rien pour les faibles revenus mais permet beaucoup d’épargne pour les revenus élevés. Paradoxalement, il favorise divers hommes d’affaire du genre Berlusconi, certainement pas les revenus salariaux. Il est certain que, à en juger par les premiers pas du gouvernement Conte, la consolidation des comptes publics et des politiques internationales ne peut se faire qu’aux dépens des travailleurs qui sont les producteurs de la richesse nationale.
Cependant, l’effet le plus lourd sur le prolétariat de toute cette farce électorale et des événements récents se situe au niveau idéologique.
La démocratie à l’œuvre contre le prolétariat
Il ne fait aucun doute que les événements des derniers mois ont causé incrédulité et confusion, mais ils ont aussi discrédité et enlevé des illusions envers une classe politique divisée, hésitante dans ses choix politiques et incapable de faire face à une situation tragique. Il n’y a pas non plus de doute que cela donne lieu à une réflexion, à des questions et à une tentative de comprendre les raisons de tout cela, au-delà de la contingence de la formation de ce gouvernement. Mais ce processus de réflexion est entravé et dévié par toute une série de mystifications utilisées notamment par la Ligue et le M5S qui poussent les prolétaires à chercher la raison de leur souffrance dans tel ou tel mal particulier, telle ou telle institution, mais jamais dans le système économique capitaliste qui, fondé sur l’exploitation, la concurrence, la lutte entre États-nations, ne peut favoriser qu’une petite minorité dominante au détriment du reste de l’humanité. Ainsi, les réfugiés, les immigrants deviennent des boucs-émissaires, des “envahisseurs” contre lesquels il faudrait se protéger, la dépendance envers l’Allemagne porterait la responsabilité d’impôts accablants, de l’inondation de rentes viagères et de voitures bleues, ce qui ferait perdre des emplois, ce qui forcerait à vivre avec des salaires de misère et à priver la nouvelle génération de toute possibilité d’une vie décente.
Cependant, les mystifications les plus dommageables qui ont repris toute leur force au cours du dernier mois sont la défense de la démocratie et le nationalisme. Le Non à Savone de Mattarella a déclenché un chœur retentissant du M5S, de la Ligue, des Frères d’Italie et toute une série de représentants des médias comme Travaglio, selon lequel la démocratie serait piétinée, voulant empêcher les partis librement choisis par le “peuple souverain” de gouverner. Pour cette raison, Mattarella et ses compagnons seraient des marionnettes sous les ordres d’autres nations qui veulent dicter leur loi au “peuple” italien.
Cette campagne a eu un certain écho dans la population et aussi parmi le prolétariat, provoquant une division entre deux camps opposés : entre ceux qui ont défendu les institutions (représentés par Mattarella dans cette affaire) et ceux qui ont défendu la souveraineté du “peuple italien” contre l’ingérence d’États étrangers. Cette opposition n’est qu’apparente, car l’idée qui unit les deux positions est la défense de l’État démocratique en tant qu’expression des intérêts des “citoyens” d’une nation donnée qui décident de leur propre destin par le vote.
Mais, c’est précisément le poids de cette mystification qui empêche le développement d’une prise de conscience de la nature fondamentale de ce système et de son appareil de la part de la classe ouvrière. La démocratie porte en elle l’idée que la base de la société ne sont pas les classes mais l’individu et que l’individu, en tant que “citoyen”, ne peut agir qu’en déléguant à un groupe plus large (parti, union ou institution) la défense de ses intérêts. C’est ce qui conduit des millions de prolétaires à voter, à croire que tel ou tel parti peut changer quelque chose, malgré la désillusion croissante et le mépris envers les partis, malgré la colère face aux conditions de vie imposées et la conscience que la dignité même de l’être humain est piétinée dans cette société. Le nationalisme renforce cette idée en se présentant comme la seule sphère de défense de l’individu comme faisant partie d’un tout national, où nos intérêts d’exploités pourrait trouver un compromis avec ceux qui nous exploitent et nous oppriment, pour sauvegarder un minimum de sécurité face à un ennemi commun qui risquerait de remettre cela en question (que ce soit l’ingérence d’autres puissances ou l’afflux de migrants). Cela renforce encore la difficulté du prolétariat à se concevoir comme faisant partie d’une classe avec des intérêts distincts du reste de la société, une classe mondiale où des millions de travailleurs sont dans la même position et doivent se défendre contre les mêmes attaques du capital, qu’ils soient en Italie, en Allemagne, en Chine ou en Amérique. Les deux aspects de cette mystification tendent donc à maintenir les travailleurs attachés à l’État et à ses institutions mais, surtout, ils entravent la prise de conscience de la classe en tant que force sociale collective qui peut non seulement se défendre véritablement, mais aussi changer la société concrètement et radicalement.
Le populisme alimente fortement ces mystifications, qui sont les principales armes de la domination de la bourgeoisie. Ce n’est qu’en retrouvant cette identité de classe, d’une classe à la fois exploitée et révolutionnaire, que le prolétariat pourra se confronter au piège de la démocratie, de l’idéologie populiste, et, surtout, lutter à la racine contre le système capitaliste et ses conséquences néfastes pour l’humanité.
D’après Rivoluzione Internazionale, organe du CCI en Italie, 13 juin 2018
1) Voir nos Thèses sur la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste, écrites en mai 1990 et republiées dans la Revue Internationale n° 107.
2) Contribution sur le problème du populisme et Résolution sur la situation internationale du XXIIe Congrès du CCI.