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Comme nous l’avons montré dans notre article « Manifestations en Iran, force et limites du mouvement », bien qu’existe des signes prometteurs de la capacité à rebondir pour la classe ouvrière, le danger non seulement d’une répression sanglante mais aussi de la manipulation de la colère populaire par les différentes fractions de la classe dominante est bien réel. Le vieux conflit entre les “réformateurs” et les “durs” au sein de la “République Islamique” est entré dans une nouvelle phase. Les réformateurs autour du président Rohani sont convaincus qu’un changement majeur dans la politique est nécessaire pour consolider les acquis considérables obtenus récemment par l’Iran. Ces acquis concernent essentiellement deux niveaux : d'une part, sur le plan de la politique étrangère, les milices chiites et d’autres forces soutenues par Téhéran ont fait d’importantes avancées en Irak, en Syrie, au Liban (la soi-disant faucille révolutionnaire de l’Iran vers la Méditerranée) et au Yémen. Sur le plan diplomatique, le régime a pu conclure un “accord atomique” avec les grandes puissances, ce qui a conduit à la levée de certaines sanctions (en échange d’une renonciation formelle à l’acquisition d’une bombe atomique Iranienne). Aujourd’hui, ces avancées sont menacées de tous les côtés. L’une de ces menaces est l’alliance contre l’Iran que les États-Unis essaient de construire, sous la direction de Trump, avec Israël et l’Arabie Saoudite. D'autre part, sur le plan de la situation économique, contrairement au niveau militaire ou diplomatique, le capitalisme iranien n’a fait aucun progrès ces dernières années, au contraire. L’économie ploie sous le joug du coût militaire des opérations de l’impérialisme iranien à l’étranger et elle est affaiblie par les sanctions internationales. Les États-Unis n’ont pas levé les sanctions économiques contre l’Iran, comme ils l’avaient promis dans le cadre de l’accord nucléaire. Au lieu de cela, ils ont entravé les investissements des entreprises européennes en Iran. Maintenant, avec Trump, les sanctions américaines seront même renforcées. Il y a un autre problème, très important : la compétitivité du capital national iranien est étranglée par la bureaucratie théocratique-cléricale profondément anachronique, qui ne sait pas gérer une économie capitaliste moderne, et par le système kleptomane des “Gardiens de la Révolution”. Du point de vue du président Rohani, briser ou au moins affaiblir la domination de ces structures serait une bonne chose pour les intérêts du capitalisme Iranien. Cela donnerait également de l’Iran une image plus libérale, mieux adaptée pour contrer les sanctions, la diplomatie et la rhétorique de ses ennemis à l’étranger.
Mais, en raison de la position dominante des tenants de la ligne dure au sein des forces armées, les réformateurs n’ont pas une grande marge de manœuvre légale pour imposer leur politique. C’est pourquoi le président Rohani a commencé à appeler la population dans son ensemble à formuler ses critiques sur la politique économique actuelle et sur la corruption des Gardiens et la défense de leurs intérêts commerciaux. Les réformateurs ont essayé d’utiliser le mécontentement populaire comme levier contre les “durs”. Une telle politique est dangereuse et révèle le retard et le manque de souplesse de la bourgeoisie en Iran, qui est incapable de régler ses problèmes en interne. C’était d’autant plus dangereux quand on considère que Rohani savait parfaitement que le boom économique promis après la levée des sanctions ne se produirait pas. De plus, Rohani ne fut pas le seul à prendre des risques : le président lui-même a accusé ses opposants intransigeants d’avoir organisé la première manifestation à Mashhad, qui est le bastion d’ Ibrahim Raisi, le candidat des “durs” lors des élections présidentielles de mai 2017. Le slogan principal de cette manifestation aurait été : “A mort Rohani !”. Mais, au fur et à mesure que la protestation s’amplifiait, d’autres slogans ont été entendus, tels que “A mort Khamenei !” (le chef d’État religieux de tendance “dure”), “A bas la dictature !”, ou “Qu’est-ce qui est gratuit en Iran ? Le vol et l’injustice !” L’apparition de tels slogans dirigés contre le régime dans son ensemble montre que les deux fractions bourgeoises principales ne peuvent pas manipuler la colère populaire à leur gré, contre l’autre fraction.
Cependant, cela ne diminue en rien le danger pour la classe ouvrière d’être manipulée par la classe dominante. Il est important, à cet égard, de se souvenir de ce qui s’est passé en Égypte, où les manifestations populaires (Place Tahrir), impliquant des rassemblements et des manifestations de masse, mais aussi des grèves ouvrières, ont balayé le régime Moubarak. C’était au début du “printemps arabe”. Mais cela a été rendu possible parce que les militaires ont laissé faire (le président Moubarak avait l’intention de diminuer l’influence des généraux sur le plan politique et surtout sur l’économie). En Iran (comme en Égypte à l’époque), les puissances étrangères étaient également impliquées. Les dirigeants religieux d’Iran ont prétendu que les manifestations en Iran ont été provoquées par des puissances étrangères (États-Unis, Israël, Arabie Saoudite), ce qui a enragé de larges secteurs de la population, car cette prétention nie avec arrogance toutes leurs souffrances réelles et leur capacité à prendre eux-mêmes des initiatives. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que ces puissances rivales et d’autres n’essaient pas de déstabiliser le régime iranien. Lors d’un entretien donné en avril 2017, le prince héritier Ben Salman déclarait que le conflit entre son pays et son voisin persan serait réglé “en Iran, pas en Arabie Saoudite”. L’un de ses groupes de réflexion à Ryad lui a conseillé de susciter le mécontentement au sein de la minorité sunnite en Iran ainsi que parmi les minorités ethniques (un tiers de la population en Iran n’est pas d’origine persane). En Égypte, après la chute de Moubarak, la guerre civile entre les principales fractions de la bourgeoisie, les forces armées et les Frères Musulmans, n’a été évitée qu’à cause de la féroce répression de ces derniers contre les premiers. En Syrie, les protestations sociales ont déclenché une guerre impérialiste qui fait toujours rage. Que ce soit en Égypte, Syrie ou Iran, la classe ouvrière n’est pas seulement relativement faible, elle est aussi isolée internationalement, à cause de l’actuel reflux de la lutte de classe, du recul de la conscience et de l’identité de classe à l’échelle mondiale. Sans le soutien du prolétariat mondial, les difficultés et les dangers pour nos frères et sœurs de classe sont d’autant plus grands.
Steinklopfer, 9 janvier 2018