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En réaction à l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, les médias du reste du monde et les porte-paroles du "libéralisme" en Amérique même ont donné une image sinistre d’une planète bientôt plongée par Trump dans les affres d’une catastrophe protectionniste telle que celle qui s’était déjà produite après 1929. Il était affirmé que le protectionnisme était le programme du "populisme" politique en général et de Donald Trump en particulier. À ce moment-là déjà, dans notre article sur le populisme et sur l’élection de Trump, nous disions qu’un programme économique particulier (protectionniste ou autre) n’est pas une caractéristique majeure du populisme de droite. Au contraire, ce qui caractérise cette sorte de populisme, au niveau économique, est le manque de tout programme cohérent. Soit ces partis n’ont que peu ou rien à dire sur les questions économiques, soit – comme dans le cas de Trump – ils veulent une chose un jour et son contraire le lendemain. Bien que Trump au pouvoir ait déjà fait la preuve de son penchant pour "l’unilatéralisme" en menaçant ou en commençant à retirer les États-Unis de deux des plus importants accords commerciaux : celui de NAFTA (avec l’Amérique du Nord) et le TPP (avec l’Asie, sans la Chine). Dans le premier cas, cela reste une menace à laquelle vont s’opposer beaucoup de compagnies américaines importantes. Dans le second cas, l’accord réel n’a jamais été signé, si bien qu’un retrait formel des États-Unis n’est pas nécessaire. En même temps, Trump a suspendu les négociations sur le TTIP (Traité de Libre Echange Transatlantique) avec l’Union Européenne – mais son intention en procédant de la sorte reste peu claire. Selon ses propres propos, son but est d’imposer "un meilleur traité" pour l’Amérique. Jetant tout le poids des États-Unis pour faire pression sur les autres, Trump joue avec des enjeux importants, comme nous avions prévu qu’il le ferait. Le résultat reste, lui, imprévisible. Ce qui est clair, cependant, c’est qu’au niveau de la politique économique, les classes dominantes des autres pays ont profité de la rhétorique protectionniste de Trump pour blâmer unilatéralement les États-Unis pour ce qui est, d’abord et avant tout, un produit du capitalisme global. Ce dont nous avons été témoins récemment, ce n’est rien de moins qu’une étape qualitativement nouvelle de la vie économique ou de la lutte à mort entre les puissances capitalistes dominantes – quelque chose qui a déjà commencé avant que Trump ne devienne président. Et, en même temps que les autres gouvernements font à voix haute des déclarations "en défense du libre-échange" contre Trump, en réalité, ils ont tous adopté sa rhétorique contre le dumping et pour "le libre, mais aussi équitable, échange". Jadis un slogan des ONG, "le commerce équitable", est aujourd’hui le cri de guerre de la lutte économique bourgeoise. Le protectionnisme n’est ni nouveau, ni le monopole des États-Unis. Il fait partie de la compétition capitaliste, et il est pratiqué par tous les pays.
Le protectionnisme formel du marché n’est cependant qu’une des formes que prend le conflit. Une autre est l’arme des sanctions. Les sanctions économiques contre Moscou, surtout promues par les États-Unis, sont presqu’autant dirigées contre l’économie européenne que contre la Russie. En particulier, le renouvellement de ces sanctions et leur intensification (imposées par une coalition de Démocrates et de Républicains, contre la volonté du président), mettent ouvertement en question les arrangements de l’Europe de l’Ouest avec la Russie sur les nouveaux oléoducs et pipelines, et cela a provoqué une avalanche de protestations, surtout en Allemagne. Sous Obama déjà, la bourgeoisie américaine avait aussi commencé à poursuivre légalement en justice les compagnies allemandes qui opéraient aux États-Unis, comme la Deutsche Bank et Volkswagen. Il ne serait pas exagéré de parler d’une guerre commerciale offensive des Américains contre l’Allemagne, d’abord et avant tout contre son industrie automobile. Nous ne doutons pas une minute que les gens de VW ou Mercedes soient coupables de toutes les saloperies dont ils ont été accusés (centrées sur la falsification des contrôles de pollution). Mais ce n’est pas la principale raison pour laquelle ils sont poursuivis, et la preuve en est que d’autres "coupables" n’ont été que peu affectés par les procédures légales.
Bien que Trump, à la différence de son prédécesseur, n’ait pas pris de telles mesures pour le moment, il continue à menacer massivement, pas tant l’Europe, mais surtout la Chine. De son point de vue, il a de bonnes raisons de le faire. Au niveau économique déjà, la Chine est actuellement en train de faire surgir deux menaces gigantesques pour les intérêts des États-Unis. La première d’entre elles est la soi-disant nouvelle Route de la Soie, un programme d’infrastructure massive visant à relier l'Asie du Sud-est, le Moyen Orient, l’Afrique et l’Europe à la Chine grâce à un vaste système de trains modernes, d’autoroutes, de ports et d’aéroports, par terre et par mer. Pékin a déjà promis mille milliards de dollars pour cela, le programme le plus ambitieux pour des infrastructures dans l’histoire jusqu’à nos jours. La seconde menace est que la Chine (mais aussi le Japon) a commencé à retirer des capitaux des États-Unis et de la zone dollar et à établir des accords bilatéraux avec d’autres gouvernements (les États qu’on appelle les BRICS, mais aussi le Japon et la Corée du Sud) pour accepter des paiements dans toutes les autres monnaies[1], au lieu de payer en dollars. Bien qu’il y ait évidemment des limites objectives au niveau jusqu’auquel peuvent aller la Chine et le Japon sans se créer eux-mêmes des problèmes, ces mouvements représentent une grave menace pour les États-Unis : "tôt ou tard, le marché de la monnaie reflètera le rapport de force dans le commerce international – signifiant un ordre multipolaire avec trois centres de pouvoir. Dans un futur prévisible, le dollar devra partager son rôle dominant avec l’Euro et le Yuan chinois. (…) Cela n’affectera pas que l’économie et le secteur social, mais aussi l’armement militaire de la puissance mondiale" 5. Cela risque d’ailleurs de saper, sur le long terme, la supériorité militaire écrasante des États-Unis, la suprématie écrasante du dollar comme la monnaie du commerce mondial finance actuellement à un degré considérable leur gigantesque machine militaire et leur dette d’État. Bien que les États-Unis et l’Union Européenne menacent tous deux la Chine de nouveaux droits de douane pour répondre à ce qu’ils appellent le dumping chinois, ce à quoi ils veulent avant tout arriver, c’est que Pékin soit dépouillé de son statut, dans les institutions économiques internationales, de "pays en voie de développement" (qui donne à la Chine beaucoup de possibilités légales de protéger son propre marché). L’élément dans le programme économique de Trump, qui a cependant le plus impressionné la classe dominante, pas seulement aux États-Unis, est sa "réforme des impôts" planifiée. Le Frankfurter Allgmeine Zeitung en Allemagne a déclaré que cela constituerait – si cela devait se réaliser – rien de moins qu’une "révolution des impôts"[2]. Son idée principale n’est pas nouvelle en elle-même, mais va dans la même direction que des "réformes" semblables dans l’ère "néo-libérale" : celle de taxer autant que possible la consommation plutôt que la production. Comme tout le monde paie la taxe à la consommation, de tels transferts constituent une espèce de suppression d’impôts pour les propriétaires des moyens de production. Convaincus que les États-Unis sont le seul grand pays où un tel système de taxation pourrait être imposé d’une façon réellement radicale, Trump espère, en rendant la production aux États-Unis virtuellement libre d’impôts, ramener at home les compagnies américaines, leurs quartiers généraux étant actuellement dans des endroits comme Dublin ou Amsterdam, mais aussi la production à l’étranger, et devenir plus attractive pour les investisseurs et les producteurs étrangers. Cela semble surtout être la contre-offensive que Donald Trump a en tête dans l’étape actuelle de l’économie de guerre.
Sur le plan économique, Trump n’est rien d’autre qu'en opposition à la politique "néolibérale" dont il se réclame parfois. S’il a un but, celui de son gouvernement de milliardaires ressemble plus au "parachèvement" de la "révolution néolibérale". Derrière la rhétorique de son conseiller précédent, Steve Bannon, sur la "destruction de l’État", se cache l’État néolibéral, une forme particulièrement brutale et puissante de capitalisme d’État. Mais le problème de l’administration Trump aujourd’hui n’est pas seulement que son programme économique se contredit. C’est aussi que ces éléments de son programme qui pourraient être des plus utiles à la bourgeoisie américaine sont vraiment peu certains d’être mis en œuvre. La raison en est le chaos dans l’appareil politique de la première classe dominante du monde.
[1] Josef Braml : Trump’s Amerika, page 211. Braml Work for the German Society for Foreign Policy. (DGAP)
[2] Frankfurter Allgemeine Zeitung 02.04.2017. Le journal FAZ est un des porte-paroles dominants de la bourgeoisie allemande.