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La bourgeoisie allemande a été parmi les toutes premières à reconnaître le talent et le potentiel politiques d’Emmanuel Macron. Dès le début de la campagne électorale française, une grosse partie de la classe politique en Allemagne et presque l’ensemble des médias soutenaient vigoureusement sa candidature. Evidemment, la bourgeoisie allemande ne dispose que de moyens limités pour influencer directement une élection française. En France, le grand public ne suit ni les médias allemands, ni ce qu’y disent les politiciens. Mais "l’élite politique" française prend nécessairement note de ce qui est dit ou fait de l’autre côté du Rhin. Avec sa position claire en sa faveur, la bourgeoisie allemande a contribué à convaincre les sphères influentes proches du pouvoir en France que Macron était un homme politique capable et sérieux. Ce soutien des Allemands à Macron n’était pas seulement motivé par la volonté d’arrêter Marine Le Pen, et de sauver l’Union Européenne. Macron a aussi été le seul candidat présidentiel à faire du renouveau du tandem franco-germanique un des points centraux de son programme électoral.
Macron a pris cet axe Paris-Berlin très au sérieux. Selon lui, la France n’est pas encore capable d’assumer son rôle dans une telle "alliance", parce qu’elle n’a pas encore résolu ses problèmes économiques. Il n’y a qu’une France revivifiée économiquement, dit-il, qui pourrait représenter quelque chose de similaire à un partenaire égal de l’Allemagne. Il voit sa perte relative de compétitivité économique comme la principale menace de la stature de la France dans sa capacité à jouer un rôle dans "la cour des grands" à une échelle internationale. Pour cette raison, Macron pose l’acceptation de son programme économique comme condition de la constitution d’un axe solide avec l’Allemagne. En posant les choses en ces termes, il a formulé un programme d’action qui peut apparaître à première vue souhaitable et réaliste pour la classe dominante de son pays. Il présente sa "réforme" comme la condition du maintien de la gloire impérialiste de la France, et en même temps, comme quelque chose de souhaitable et de réalisable – parce que ce sera soutenu par l’Allemagne. Par la même occasion, il a formulé un objectif à la fois souhaitable et réalisable pour la classe dominante allemande. Que ce soit vis-à-vis de la Russie ou vis-à-vis des États-Unis, Berlin a besoin de l’appui de Paris. Pour l’obtenir, Berlin devra soutenir la "modernisation" économique de la France.
L’insistance de Macron sur son programme économique comme étant la condition de tout le reste ne signifie pas qu’il a une vision économique limitée des problèmes auxquels la France est confrontée. Selon une ancienne analyse d’un de ses prédécesseurs en tant que président français, Valery Giscard d’Estaing, le principal problème économique de la France n’est pas son appareil industriel et agricole, qui est en grande partie hautement et efficacement compétitif, mais son appareil politique arriéré, et le rapport bureaucratique, rigide, qui lie la politique à son économie (le "système étatique" existant en France, qu’Helmut Schmidt et d’autres dirigeants allemands ont critiqué depuis des décennies). Macron veut faire face à ce problème aujourd’hui. À sa façon, un peu comme Trump aux États-Unis, il veut "bousculer" les vieilles élites. Mais il doit aussi surmonter la résistance possible de la classe ouvrière française. Que Macron soit capable ou non d’imposer ses attaques contre les conditions de vie et de travail du prolétariat français, pourrait bien décider du sort de l’expérience d’En Marche et de la présidence de Macron, pouvant se solder par un succès comme par un échec.
Chaque fois que Macron parle du tandem franco-germanique, alors qu’il mentionne toujours ces dimensions politiques et économiques, il insiste sur le fait que cela doit être vu, d’abord et avant tout, comme une question militaire (une question de "sécurité"). En réalité, l’axe dont parlent Macron et Merkel n’est pas une alliance impérialiste stable, comme c’était encore possible dans les conditions de la Guerre froide. Cela ressemble plus à un arrangement fondé sur une plus grande détermination à défendre une politique commune de certains pays de l’UE –exprimée par la réaction au Brexit– et à diminuer la dépendance vis-à-vis des États-Unis en réaction aux "positions" de Trump. L’association entre l’Allemagne et la France dans un tandem dirigeant de l’UE est rendue possible par la complémentarité entre ces deux pays. La France est la puissance militaire dominante en Europe, sur le même pied que la Grande-Bretagne, et réellement plus forte que l’Allemagne, et pas seulement du fait qu’elle possède l’arme nucléaire. La codirection avec la France pourrait bénéficier à l’Allemagne en lui conférant une crédibilité politique et diplomatique plus grande. Par ailleurs, la France pourrait attendre des retombées positives d’une alliance avec le leader économique de l’Europe, principalement une contre-tendance au déclin économique et politique qu’elle subit. Et plus. L’existence d’une telle codirection présente l’avantage de susciter moins de craintes chez les autres partenaires de l’UE qu’une Allemagne qui en assume à elle seule le leadership.
Les premières consultations gouvernementales franco-germaniques après l’élection de Macron ont décidé, entre autres, de la mise en chantier d’un avion de combat commun pour remplacer à la fois l’Eurofighter et le Rafale ; le renforcement de "Frontex" contre les réfugiés et la mise en place d’un registre commun d’entrée et de sortie dans l’UE ; sous la direction de l’Allemagne, le développement, avec l’Italie et l’Espagne, d’un drone militaire européen ; de nouveaux investissements dans des tanks modernes, dans la technologie spatiale et des bateaux de guerre. Le "ministre des affaires étrangères" de l’UE, Mogherini, s’est joint à Merkel et Macron pour déclarer une "alliance européenne pour la zone du Sahel". L’Allemagne a déclaré sa volonté, "en principe", d’accroitre ses investissements privés et publics en Europe et d’apporter son soutien financier aux missions militaires françaises actuelles en Afrique. Tout cela derrière le mot d’ordre : "Protéger l’Europe".