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La poussière du mur de Berlin n’était pas encore totalement retombée qu’à l’été 1990, l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein allait donner lieu à la première guerre du Golfe. Les États-Unis étaient parvenus par cette intervention à prendre de court l’ensemble de ses alliés et à les aligner derrière lui pour la “défense du droit international”. Cela, avant que ceux-ci ne puissent profiter de l’ouverture offerte par la disparition de l’ennemi oriental commun pour remettre en cause un statut de leader hérité de l'ancien bloc occidental.
En effet, la disparition de l’URSS signait la fin inévitable d’un ordre mondial structuré en deux blocs, chacun bien rangé derrière un chef à la puissance de feu supérieure, à qui revenait d’assurer la protection de ses alliés mais qui dans le même temps récoltait les bénéfices de son leadership. Dès l’implosion du camp soviétique, les discours de victoire sur la démocratie et la liberté ont envahi tout l’espace disponible. En prenant les armes contre Saddam Hussein, les États-Unis voulaient montrer que leur rôle de leader et responsable de la paix mondiale n’avait pas faibli et qu'aucune partie du monde ne devait se soustraire à un “nouvel ordre mondial” désormais marqué par les “valeurs” du “pays des libertés”.
Ce coup de force était absolument nécessaire pour que les États-Unis préservent leur autorité et que ce brutal rebattage des cartes ne conduise à une poussée incontrôlable des velléités locales. C’est ainsi que dès la fin de l’année 1990 nous étions en mesure d’écrire que “l'invasion du Koweït par l'Irak résulte fondamentalement de la nouvelle situation historique ouverte par l'effondrement du bloc de l'Est. Elle est aussi une manifestation de la décomposition croissante qui touche le système capitaliste. Le gigantesque déploiement de forces armées des grandes puissances, essentiellement des États-Unis à vrai dire, révèle, pour sa part, la préoccupation croissante de ces dernières à l'égard du désordre qui s'étend de plus en plus. Mais, à terme, les réactions des grandes puissances ne pourront donner que le résultat inverse de celui attendu, se transformant en un facteur supplémentaire de déstabilisation et de désordre. A terme, elles ne peuvent qu'accélérer encore la chute dans le chaos et y entraîner l'humanité entière”.1
L’ère de paix qu’on nous promettait alors commençait dans une guerre brutale et sanglante. Le mensonge ne faisait que commencer car plus un seul jour depuis n’allait être dépourvu d’un déchaînement de violence armée, en particulier dans cette région du monde hautement stratégique.
Loin de réduire la planète à un ensemble discipliné derrière l’autorité d’un chef reconnu, cette première guerre du Golfe a marqué le début d’un lent déclin de la puissance américaine. Les “alliés” européens ont eu tôt fait de reprendre leurs distances avant même la fin du conflit, mettant de l’huile sur le feu en poussant à la constitution de puissances locales alliées face en particulier à l’Arabie Saoudite appuyée solidement par les Américains.
Dix ans plus tard, le chaos s’est amplifié, les États-Unis sont débordés et peinent de plus en plus à rassembler derrière eux. Nous résumions alors la situation ainsi au printemps 2001 lors de notre 14e congrès international : “la fragmentation des vieux blocs, dans leur structure et leur discipline, a libéré des rivalités entre nations à une échelle sans précédent, résultant en un combat de plus en plus chaotique de chacun pour soi, des plus grandes puissances mondiales jusqu'aux plus minables seigneurs de la guerre locaux. Ceci a pris la forme d'un nombre de plus en plus grand de guerres locales et régionales, autour desquelles les grandes puissances continuent d'avancer leurs pions à leur avantage. (...) Tout au long de la dernière décennie, la supériorité militaire des États-Unis s'est montrée complètement incapable d'arrêter le développement centrifuge des rivalités inter-impérialistes. Au lieu du nouvel ordre mondial dirigé par les États-Unis, que lui avait promis son père, le nouveau président Bush est confronté à un désordre militaire croissant, avec une prolifération de guerres sur toute la planète.”2
Dans une telle situation, le recours aux solutions politiques devient de plus en plus difficile à mettre en œuvre et les armes resteront seules à porter les ambitions des puissances impérialistes, qu’elles soient grandes ou petites, en particulier dans cette région du monde à la fois carrefour stratégique sur le plan géographique entre l’Orient et l’Occident et immense réserve de pétrole et de gaz à une époque où la pénurie des hydrocarbures est encore attendue à l’horizon de quelques décennies.
Dans ce contexte, l’attentat du World Trade Center à New York en septembre 2001 est un acte de guerre fondateur d’une période d’enfoncement sans précédent de destructions militaires sans lendemain. Les États-unis iront en représailles s’embourber en Afghanistan en transformant en champ de ruines un pays déjà laminé et peu après, se lanceront dans cette lamentable aventure qu’aura été la deuxième guerre du Golfe, conduisant à l’implosion de l’Irak en un champ de bataille permanent.
Est-ce que les États-Unis, en multipliant les démonstrations de force, auront réussi à imposer leur autorité au reste du monde ? Bien au contraire, la situation leur échappe totalement, leur doctrine “zéro morts” n’est qu’un lointain souvenir(3) et les trois mille milliards de dollars qu’on estime avoir coûté cette guerre n’auront conduit qu’à multiplier les insurrections et le chaos. Les tensions régionales ne cessent d’augmenter, avec souvent l’Arabie Saoudite en tête, contre l’Iran, contre le Qatar.
L’Irak est, comme l’Afghanistan avant lui, réduit de plus en plus à un quasi-champ de dévastation. Alors que le focus est mis dans les médias occidentaux sur le recul de Daesh, rien n’est dit sur ce que cette guerre laisse derrière elle : des régions entières exsangues, des ruines écroulées sur des monceaux de cadavres et des villes (ou ce qu’il en reste) laissées à l’appétit de cliques locales qui finissent par leurs propres affrontements à y supprimer tout espoir de vie.3
La guerre civile en Syrie ne semble pas pouvoir trouver d’autre issue qu’un massacre généralisé. De plus en plus de zones du pays prennent, en bonne partie, le chemin de ce qu’est devenu l’Irak aujourd’hui. Au fur et à mesure que la menace islamiste est “contenue”, les alliances locales se délitent et les tensions se déplacent.
Au Yémen, les affrontements se multiplient, affamant et plongeant la population dans la misère et le dénuement.
Les tensions en Turquie, au Liban ou en Israël font légitimement craindre une extension des conflits armés dans la région, pourtant déjà très enflammée.
Les États-Unis ont-ils réussi à mettre fin au terrorisme, dont il faut rappeler que c’était le principal objectif de ces interventions ? La menace terroriste (et le passage à l’acte) au quotidien partout dans le monde apporte une réponse définitive à la question. Tous les jours ou presque, une terrasse de café, une salle de concert ou un arrêt de bus dans le monde subit l’explosion d’un “martyr” terroriste. Rien que sur les derniers mois, les attentats terroristes dans le monde se comptent par dizaines : les derniers attentats de Barcelone, en Finlande ou en Russie, au Burkina Faso, en Afghanistan et au Nigeria, pour ce qui est du seul mois d’août, en témoignent. En Juillet, ce fut l’Allemagne, l’Egypte, Israël, la Syrie… En juin, les Philippines, le Royaume-Uni, l’Australie, l’Iran, la Colombie, le France, la Belgique, les États-Unis, le Pakistan, le Mali, Israël, le Nigeria… En mai, encore le Royaume-Uni, l’Indonésie… Sans compter naturellement les attentats presque hebdomadaires en Irak ou Syrie qui font à chaque fois des dizaines de tués. La liste n’en finit pas.
L’embrasement du Moyen-Orient illustre le monde capitaliste décomposé, où le chacun pour soi domine, que ce soit localement par l’affrontement de cliques à la détermination morbide ou plus globalement par le reflet des affrontements entre les grandes puissances défendant leurs intérêts au mépris de toute logique, ne serait-ce qu’économique ! Au delà des massacres et des morts innocentes, c’est l’irrationalité absolue de ces guerres qui stupéfie : même s’il y a du pétrole sous ces terres, y en a-t-il assez pour “rentabiliser” les milliers de milliards qui sont dépensés dans ces affrontements sans fin ? Y a-t-il un seul argument capable de rendre rationnel une telle dévastation ?
N’allons donc pas croire que ce chaos meurtrier restera limité à cette région du monde, que si le Moyen-Orient est davantage touché, c’est uniquement par son caractère stratégique. Car une caractéristique essentielle de la décomposition, c’est que la situation est déterminée par un engrenage guerrier. Les tensions sont sans fin, la course sans limite. Les États s’effondrent et se délitent en multiples cliques rivales. Apparaissent alors des forces de plus en plus incontrôlables, opportunistes et imprégnées de la folie meurtrière de ce monde en chute libre. Cette spirale guerrière, avec ses répercussions toujours plus fortes, jusque dans le cœur du capitalisme, c’est le seul avenir que ce système nous réserve : celui de son autodestruction.
Aucune puissance capitaliste, aussi forte soit-elle, aussi déterminée soit-elle, ne peut enrayer cette spirale de mort car celle-ci est inscrite de façon indélébile dans son histoire et déclin. Seule la classe ouvrière porte une autre perspective, qu’elle devra imposer par sa lutte : la perspective du communisme. Sans l’intervention du prolétariat sur la scène de l’histoire, le capitalisme finira à coup sûr par anéantir l’humanité et réduire la Terre à un vaste désert fumant.
Delix, 8 septembre 2017
1 Golfe persique : le capitalisme, c’est la guerre, Revue Internationale n° 63, 4e trimestre 1990.
2 Résolution sur la situation internationale du 14e congrès du CCI, Revue Internationale n° 106, 3e trimestre 2001.
3 Plus de 4 000 GI’s ont trouvé la mort entre 2003 et 2008 dans le conflit.