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L’image a fait le “buzz” quelques jours sur internet. Alors qu’il s’imagine en terrain conquis en allant – en lever de rideau de son meeting du 26 janvier au soir – à la rencontre de cheminots manifestant à Périgueux contre la suppression de leurs emplois, Jean-Luc Mélenchon se fait interpeller plusieurs fois par des ouvriers refusant la récupération politique de leur mouvement. La dernière invective, évoquant l’absence de respect pour les ouvriers de tous les responsables politiques, de droite comme de gauche, fait sortir le leader de l’autoproclamée “France insoumise” de ses rails : “J’use ma vie à vous défendre ! J’use ma vie !”, faisant de lui… l’autoproclamé défenseur de la classe ouvrière.
Ne nous emballons pas : en fait, le parcours et les positions de Mélenchon font totalement pencher la balance vers une véritable défense du capital national et de sa bourgeoisie.
Né à Tanger d’un père receveur des PTT et d’une mère institutrice, il s’installe en France à 11 ans, dans le Jura. A 17 ans, il est l’un des meneurs du mouvement de son lycée en mai 68 et navigue dans les eaux trotskistes (lambertistes) pendant ses années d’études de philosophie et les débuts de sa carrière d’enseignant et de journaliste.
Puis, comme beaucoup de ses camarades de l’époque, il ne tarde pas à prendre ses distances avec le lambertisme et ne cherche pas à résister aux sirènes d’un Parti socialiste qui, depuis que François Mitterrand en a pris les rênes, rassemble de plus en plus de mouvements et militants de gauche attirés par la perspective de l’exercice des responsabilités démocratiques.
Fini l’espoir du “Grand soir”, place maintenant à l’ambition du pouvoir. A tout juste 25 ans, Mélenchon adhère au PS qu’il ne quittera que 32 ans plus tard, en 2008. Il est élu conseiller général de l’Essonne en 1985 (dont il devient président délégué en 1998), sénateur en 1986 et en 2004, il est nommé ministre délégué en 2000 et pendant deux ans dans le gouvernement de Jospin, avant de devenir député européen en 2009. Une belle carrière politique qui rend difficile de légitimer une proximité avec le monde ouvrier quand on a posé ses fesses aussi longtemps sur le velours des hémicycles et des institutions de la bourgeoisie.
Mais le passé est le passé, nous dira-t-on. Aujourd’hui, Mélenchon n’est plus qu’un “simple” député européen et son projet politique est libéré des contraintes d’un grand parti. En 2008 en effet, Mélenchon claque la porte du parti à la rose et fonde son propre mouvement, le Parti de gauche, avec l’ambition assumée de “rassembler la gauche” et qui lui permet d’obtenir un mandat au parlement européen. En guise de rassemblement, il parviendra à attirer derrière son panache une partie majoritaire d’un PCF touchant le fond des sondages et des résultats électoraux. Du Parti de gauche à la France insoumise en passant par le Front de gauche, Mélenchon a peaufiné son image et lustré son discours. Et pour bien marquer la nouveauté de ses idées, il emprunte à d’autres “troisièmes hommes” le fameux concept de “sixième République”. Jusqu’à rajouter, il y a peu, le “dégagisme” à la française, un néologisme assez mal défini et censé traduire une radicalité massive et populaire (mais surtout démagogique) dont il se proclame lui-même le leader.
Nouvelles ses idées ? Pas vraiment. En fait, il s’agit d’un amas plutôt hétéroclite résultant d’une collecte d’à-peu-près toutes les idées des “anti” et des “sans” de par le monde et qui au final ne forment qu’une resucée de vieux projets politiques qui ont à un moment ou un autre trouvé une place dans un programme politique étiqueté “de gauche” ou “radical” depuis les années 1970. Mais que pouvait-on attendre d’un pur produit de la bourgeoisie, rompu aux méthodes des partis bourgeois et dont le rêve absolu consiste en… une nouvelle constitution ?
On ne pourrait pas commencer le catalogue de ses promesses par autre chose que la refondation du partage des richesses. Vieille revendication de gauche s’il en est. Mais peut-être que notre grand leader populaire voit les choses de façon beaucoup plus radicale : expropriation des capitalistes ? Répartition des richesses à chacun selon ses besoins ? En fait, Mélenchon propose simplement une réforme fiscale et une revalorisation du SMIC. Avec de telles propositions, Mélenchon ne bouleverse pas l’ordre des choses mais, et c’est le plus important pour lui, il s’assure le soutien de la vieille garde gauchiste et stalinienne qui depuis des décennies et à chaque échéance électorale promet de “faire payer les riches”.
Autre mesure centrale dans son programme, l’indépendance économique et politique de la France. Car ne nous y trompons pas, l’internationalisme autoproclamé de Mélenchon n’est que grossier mensonge ! La défense des travailleurs oui, mais des travailleurs français ! La révolution oui, mais la révolution française ! En 2015, il n’hésitait pas à déclarer sur France 3 que “le drapeau tricolore et la Marseillaise sont des symboles révolutionnaires” et confiait en octobre 2016 à un journaliste de RTL qu’il envisageait de ne plus chanter l’Internationale à la fin de ses meetings. Finalement il chante les deux…
Ce qui peut sembler symbolique est au contraire la manifestation de son profond attachement à la nation bourgeoise, qu’il vénère comme tout bourgeois qui se respecte. Son discours sur le contrôle de l’immigration, “le travailleur détaché, qui vole son pain au travailleur qui se trouve sur place” 1, son ironique rejet de “ceux pour qui il est normal que tout le monde puisse s’établir où il veut, quand il veut. Comme si passeports, visas et frontières n’existaient pas” 2 démontre s’il en était besoin que le projet politique de Mélenchon n’est certainement pas en opposition avec les règles du système, en particulier le caractère central de la nation capitaliste qui encadre l’exploitation de la force de travail.
De même, dans une vision très gaullienne, Mélenchon promet de revoir tous les traités européens et tous les traités de libre-échange pour mieux défendre l’intérêt de la France.
Mélenchon promet aussi plus de “démocratie participative” : une assemblée constituante qui pourrait être en partie formée de “citoyens” tirés au sort, des élus révocables en cours de mandat et un recours au référendum plus fréquent. Des propositions communes à tous les candidats “anti-système” qui draguent ouvertement les nombreux déçus des partis traditionnels. Il ratisse ainsi le plus largement possible en donnant le change à tous les “sans” et les “anti”. Mais pas une seule de ses mesures ne remet en cause l’essentiel : l’exploitation capitaliste. Le vieil argument déjà utilisé par les staliniens et les trotskistes depuis la nuit des temps, selon lequel imposer une répartition plus juste des richesses est en soi une remise en cause du capitalisme, ne tient pas. Le système capitaliste ne peut pas être remis en cause si ce qui le fonde ne l’est pas, c’est-à-dire si le salariat, le profit, la nation et l’État sont non seulement maintenus mais confortés à travers des mesures qui visent à en faire les piliers de la société : revalorisation des salaires pour dynamiser la consommation, imposition plus progressive, démocratie participative et “préférence nationale”.
Le discours peut-être contestataire, conspuant les élites et les “ultra-riches”, il ne peut cacher la réalité : Mélenchon est un pur produit du système capitaliste qu’il prétend rejeter et son radicalisme n’est que le résultat d’une stratégie globale de la bourgeoisie pour faire en sorte que le terrain politique soit le plus possible occupé. En gesticulant sur la gauche du PS, Mélenchon flatte son ego de “leader” en pensant à ses maîtres (Castro, Chavez 3... d’emblématiques apôtres du nationalisme !) et cherche à ramasser derrière des propositions rebattues et inoffensives le maximum de ceux qui tentent de s’interroger sur la perspective que le capitalisme nous propose. Ce n’est pas en comptant sur le genre de propositions avancées par Mélenchon, pas plus que celles de n’importe quel autre candidat, que le prolétariat pourra faire triompher sa propre perspective.
GD, 1er février 2017
1 Déclaration en juillet 2016 au Parlement européen.
2 Le choix de l’insoumission, livre d’entretiens avec Marc Endeweld, journaliste à Marianne, éditions du Seuil, 2016.
3 Voir dans RI no 461 notre article : “Mélenchon, un apôtre du modèle stalinien”.