IRA: Soldats de l'impérialisme

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L'article que nous republions ici est d'abord paru dans World Revolution n° 21 en 1978. Dans le premier paragraphe, il établit le cadre dans lequel les luttes "libération nationale" doivent être considérées : "Les "petites nations" comme l'Irlande, qui voulaient arracher quelque chose pour elles-mêmes, devaient essayer d'exploiter pour leurs propres intérêts le conflit entre les grandes puissances impérialistes". Cette réalité a été identifiée par les révolutionnaires à l'époque de l'insurrection de Pâques, en 1916. Trotsky (dans Nashe Slovo du 4 Juillet 1916) a souligné l'importance militaire de l'Irlande par rapport à l'impérialisme britannique :"une Irlande "indépendante" ne pouvait exister que comme avant-poste d'un État impérialiste hostile à la Grande-Bretagne".

Une telle dépendance est reconnue dans la Proclamation lue au début de l'insurrection lorsqu'il est dit que les nationalistes irlandais ont été "pris en charge par leurs enfants exilés en Amérique et par les alliés courageux en Europe". Ceci est une référence aux fonds reçus de partisans aux États-Unis et les livraisons d'armes en provenance d'Allemagne. La "lutte nationale" avait besoin de soutiens impérialistes.

Pour en savoir plus sur le fond des événements de 1916 voir l'article précédant de cette RevueL’insurrection de Dublin en 1916 et la question nationale.

L'article de 1978 retrace l'évolution de la situation nationale et plus particulièrement le rôle de l'IRA jusqu'au début des années 1970. Si, après presque 40 ans, nous pouvons voir que certaines formulations n'ont pas résisté à l'épreuve du temps, le cadre général est toujours valide. Et ces formulations posent encore des questions importantes.

Par exemple, le texte parle de "la chute de l'unionisme". Il est vrai que le Parlement unioniste dominé par l'Irlande du Nord a été aboli au début des années 1970, les unionistes pro-britanniques ont néanmoins continué à exister comme force politique jusqu'à aujourd'hui. Mais l'essentiel de leurs positions a changé, surtout après l'accord du Vendredi Saint de 1998.

Le texte dit que "l'IRA ne va pas disparaître". Ceci apparaît contradictoire avec la déclaration de l'IRA de 2005 où elle annonce mettre fin à la lutte armée et selon laquelle ses objectifs seraient poursuivis par des moyens politiques. Cependant, l'aile politique de l'IRA, le Sinn Féin, joue maintenant un rôle de premier plan dans la direction de l'Irlande du Nord, partageant le pouvoir avec les unionistes et constituant ainsi un pilier fondamental de l'appareil politique de l'État capitaliste. Que l'article identifie à tort le républicanisme stalinien comme une force pour l'avenir ne fait qu'illustrer ce fait que l'issue des conflits au sein de la bourgeoisie ne peut être prévue dans les moindres détails. Nous pouvons aussi ajouter que la branche armée du républicanisme n’a pas disparu, même si elle a pris la forme d’une rupture dissidente de l’IRA.

Un autre aspect problématique de l'analyse (qui ne se limite pas à l'Irlande) peut être vu dans l'idée que les difficultés de l'économie irlandaise sont dues au "fait que le marché mondial est déjà divisé entre les grandes puissances capitalistes, et surtout parce que le système capitaliste lui-même empêche un développement mondial des forces productives." La division du marché mondial entre les différents capitaux nationaux n’est pas figée. Au cours des 20 dernières années, par exemple, nous avons constaté un recul de la position relative de l'économie japonaise et des avancées du capitalisme chinois. Cela ne veut pas dire que la décennie de croissance du tigre celtique aurait pu être maintenue, mais que, dans la compétition entre les différents capitaux, la possibilité d'avancées et de reculs de ceux-ci n'est pas exclue. En outre, il y a dans le passage cité l'idée implicite qu'il ne reste pas de possibilités pour l'expansion du capitalisme. Ceci est quelque chose qui a marqué d'autres textes au cours de l'histoire du CCI.

Par-dessus tout, l'article tape juste lorsqu'il se termine avec l’affirmation que seule la guerre de classe est en mesure de s'opposer aux attaques du capitalisme et de ses mobilisations pour la guerre impérialiste.

L'Insurrection de Pâques 1916, typiquement petite bourgeoise dans son désespoir - son héroïsme étant un produit de pur désespoir - a ouvert une nouvelle période de crise sociale et politique en Irlande. Du fait de la brutalité avec laquelle la bourgeoisie britannique a écrasé le soulèvement de Pâques, et également de l'attitude relativement désintéressée et même hostile des travailleurs irlandais (à l'époque, leurs oreilles résonnent encore du son de la défaite de la vague de grèves en 1913) vis-à-vis des objectifs des classes dirigeantes en Irlande, l'histoire avait montré à la bourgeoisie irlandaise qu'était terminée l'ère où la révolution bourgeoise en Irlande était encore possible. La réalité de la Grande Guerre fut la nouvelle partition violente du monde entre les puissances impérialistes en crise. Les "petites nations" comme l'Irlande, qui voulaient arracher quelque chose pour elles-mêmes, devaient essayer d'exploiter pour leurs propres intérêts les conflits entre les grandes puissances impérialistes. Ainsi, après 1916, la politique du Sinn Fein 1 a tourné autour de la lutte pour obtenir l'admission à la conférence de paix d'après-guerre entre grandes puissances, dans l'espoir d'obtenir le soutien américain pour l'indépendance irlandaise contre la Grande-Bretagne. De même, le soi-disant "Mouvement travailliste irlandais" a envoyé des délégués à la misérable conférence de réconciliation social-démocrate à Berne 2, afin de gagner le soutien à la cause irlandaise de la part des bouchers qui en sont les meilleurs avocats en Europe.

Si la Grande-Bretagne avait perdu la guerre, cela aurait pu être une autre histoire mais, étant donnée la situation d'alors, les nationalistes irlandais ont été incapables de persuader quiconque. Leurs fractions les plus radicales étaient soit restées à l'écart de la guerre, soit avaient tenté d'obtenir l'appui de l'impérialisme allemand. Elles se retrouvèrent les mains vides.

Les développements intervenus dans le monde pendant et immédiatement après la guerre avaient ébranlé l'économie irlandaise. La concentration massive du capital et sa centralisation sous la direction de l'État en temps de guerre en Grande-Bretagne et en Europe, la crise économique grave qui a suivi la guerre et le démantèlement de l'économie de guerre, menaçaient de ruine et d'éliminer la petite bourgeoisie liée à la manufacture dans le sud de l'Irlande. Ce fut la lutte désespérée pour la survie de ces couches usées confrontées avec les convulsions d'un capitalisme mondial lui-même agonisant, qui a donné naissance à cet avorton impérialiste remarquable - l'État libre d'Irlande. Dans cette atmosphère, la bourgeoisie du Sud a pu mobiliser la petite bourgeoisie urbaine et rurale pour une guérilla contre les forces britanniques. Cela est devenu ce qui est connu comme étant la guerre d'Indépendance (1919 à 1921).

Pendant cette période, les nationalistes ont façonné le noyau d'un État séparé, basé sur les critères les plus modernes : doté d'un parlement, d'une force de police, de tribunaux, de prisons, et - bien sûr – d'une armée. L'Armée Républicaine Irlandaise (Irish Republican Army)) était basée sur les Brigades Volontaires de 1916, mais était bien disciplinée et fermement attachée au cadre du nouvel État, lui-même constituant un rempart de l'ordre capitaliste. L'IRA est entrée dans le monde avec le sang du prolétariat ruisselant sur ses mains. Dans le Sud et le Sud-Ouest, elle n'a pas hésité à intervenir contre les travailleurs en grève (voir l'article "James Connolly and Irish nationalism" – "James Connolly et le nationalisme irlandais"). Dans les villes, elle brutalisait la population civile, à l'image de ce qu'infligeaient les Black and Tans britanniques 3.

La partition

Au bord de la défaite, les nationalistes furent contraints de signer un traité avec la Grande-Bretagne en 1921 à travers lequel l'indépendance formelle de l'Irlande était accordée. Cependant, le pays devait être partagé, les comtés industriels du Nord-Est ayant leur propre parlement régional et conservant des liens privilégiés avec la Grande-Bretagne.

L'acceptation du traité faillit provoquer un coup d'État militaire. Cela n'a pas eu lieu mais il en est résulté, au sein du gouvernement et de l'armée dans le Sud, une scission avec les extrémistes républicains qui étaient désireux d'obtenir plus de la Grande-Bretagne 4. Et bien que des tentatives aient été faites pour réunifier l'IRA dans le but de lancer une attaque contre l'Irlande du Nord, face à l'impossibilité évidente d'une telle entreprise, l'État libre a glissé dans un combat de factions bourgeoises encore plus sauvage que la "guerre d'indépendance". Ce conflit prit fin avec la victoire, dans le Sud, des forces en faveur du traité (soutenues par la Grande-Bretagne).

Ces événements nous montrent non seulement le caractère absolument antiprolétarien de "l'indépendance et l'unité irlandaises" dans l'époque actuelle, de même que son impossibilité objective. Avant 1916, les unionistes d'Ulster et les nationalistes irlandais du Sud ont été enrôlés dans des groupements armés rivaux et la constitution d'armées paramilitaires. Dans le Nord, Craig - le leader unioniste - avait généreusement envoyé les travailleurs d'Ulster à la boucherie impérialiste afin de montrer son amour du roi et du pays. Mais les unionistes étaient préparés, même si cela en est resté au niveau de parades militaires, pour résister à toute tentative de Londres de subordonner, de quelque manière que soit, leurs intérêts au contrôle de la bourgeoisie irlandaise du Sud. L'industrie de l'Ulster vivait et produisait pour le marché britannique et mondial. Elle n'avait aucun intérêt à soutenir l'économie agricole irlandaise stagnante, ou à devenir la victime des politiques protectionnistes du Sud.

Le développement économique de l'Irlande

En Irlande, seule l'Ulster a participé à la révolution industrielle britannique. Sur le plan politique et économique, seule la bourgeoisie britannique qui avait le contrôle de l'ensemble de l'île aurait pu être capable d'industrialiser le sud de l'Irlande. Mais, dans le Royaume-Uni, l'Irlande a assumé le rôle de fournisseur à bas coûts de produits agricoles et de force de travail. Si la République d'Irlande se trouve exactement dans la même situation aujourd'hui, alors ceci est le résultat non pas de "700 ans de trahisons" - mais du fait que le marché mondial est déjà divisé entre les grandes puissances capitalistes, et surtout parce que le système capitaliste lui-même constitue une entrave au développement mondial des forces productives. Il ne s'agit donc pas d'une simple question irlandaise : nous vivons dans un monde qui s'enfonce dans la faim et la misère, qui nous entraine vers l'autodestruction nucléaire si la résolution de la crise actuelle du capitalisme est laissée à l'initiative de la bourgeoisie.

L'hostilité entre le Nord et le Sud

L'hostilité dramatique entre le Nord et le Sud de l'Irlande reflète les objectifs impérialistes antagonistes entre la bourgeoisie en Ulster et celle du Sud. Face à un marché mondial qui se rétrécit, ces visées politiques ne pouvaient pas être conciliées. Mais ce conflit avait un aspect "positif" pour le capitalisme en Irlande. Les maîtres des ateliers de misère de Belfast, et l'Armée républicaine des propriétaires de Dublin, ont l'assurance que les travailleurs sont pris dans le feu croisé entre eux. Dans les centres industriels du Nord, les ghettos protestants et catholiques sont destinés à entrer en concurrence les uns contre les autres pour quelque emplois, les salaires et le logement misérables. Intimidée ou mobilisée ou derrière l'orange et le vert 5, la solidarité de classe des travailleurs a trouvé face à elle la tyrannie des pogromes. À Belfast, la vague de grèves prolétarienne de 1919 fut rapidement suivie par orgies sanglantes, motivées par le meurtre par l'IRA de travailleurs protestants, et prises en charge par les Volontaires de Carson en Ulster. Plus de soixante morts dans cette vague de barbarie. Dans les années 1930, les gangs républicains et unionistes firent montre de la même suspicion et hostilité face à la lutte unie des travailleurs sans emploi à Belfast.

L'Irlande du Sud sous De Valera

Grâce à la guerre civile, l'aile de l'IRA qui était en faveur du traité s'était imposée comme l'armée officielle de l'État dans le Sud. Peu de temps après, De Valera et ses partisans se sont éloignés de l'IRA extrémiste et ont fondé un parti politique, le Fianna Fail, pour représenter les républicains radicaux au Parlement. Face à l'effondrement économique mondial de 1929, De Valera est arrivé au pouvoir à travers les élections de 1932, armé d'un protectionnisme de fortune et d'un programme capitaliste d'État. Sa victoire électorale devait beaucoup à l'appui que lui avait donné l'IRA. Cependant, bien que les républicains aient pris des mesures radicales pour consolider le capital national en Irlande du Sud, ils ont été incapables de stimuler la croissance industrielle. Leur "guerre économique" avec la Grande-Bretagne n'a fait que conduire au chaos dans le secteur agricole vital orienté vers l'exportation. Mais, malgré le fiasco de cette politique, nous pouvons voir comment les républicains se sont imposés au cours de cette période comme les dirigeants naturels du capital irlandais. Dans les années 1930, De Valera a été en mesure d'utiliser toute la force de l'État – et celle de l'IRA - pour écraser les Fascistes de Blueshirts de O'Duffy essentiellement pro-britanniques. C'est le moment où les rebelles de l'IRA affluèrent dans les rangs des forces de sécurité officielles de l'État et de la police secrète pour lutter contre la menace fasciste. Et quand les Blueshirts ont entrainé les agriculteurs à ne pas verser la rente au gouvernement en vue d'amener De Valera à appeler à cesser la "guerre économique" avec la Grande-Bretagne, ce sont les hommes armés républicains qui ont confisqué le bétail de ces agriculteurs pour le vendre aux enchères.

La "guerre économique" était une réponse désespérée au rétrécissement du marché mondial, après la Grande Crise. Elle ne constituait, ni ne prétendait constituer, une menace pour le contrôle économique de la Grande-Bretagne sur l'Irlande. Et cela, en dépit de la nostalgie actuelle qu'ont les gauchistes irlandais de cette période. Entre 1926 et 1938, le taux de croissance économique en Irlande du Sud avait été d'environ 1% par an. Dans les années de guerre, il avait été nul. Par nécessité, cette politique a dû être abandonnée avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. En effet, Londres était prête à faire des concessions dans la période immédiate d'avant-guerre. Chamberlain, quand ce fut nécessaire, évacua les bases navales en Irlande. Plus tard, Churchill allait offrir l'unification de l'Irlande à la bourgeoisie du Sud en échange d'un soutien plus ouvert que la neutralité de la République pendant la Première Guerre. L'idée de placer les industries de guerre de l'Ulster dans le cocon de la neutralité irlandaise semblait tentant pour la bourgeoisie du Sud. Mais comme toujours, l'intransigeance des unionistes d'Ulster - qui tiraient profit de l'économie de guerre britannique - barrait la route à cette solution.

L'héritage de 1916

"La haine de la Grande-Bretagne" a pu être la force qui animait les "hommes de 1916". Mais pour l'IRA, et pour le républicanisme de De Valera, cet héritage a davantage été utilisé comme thème de propagande pour leur régime et comme un moyen de recrutement pour gagner du soutien. Leur but, après tout, n'a jamais été de briser l'impérialisme britannique, ce qui (en dehors du fait que cela était impossible à cette époque) serait revenu à tuer la poule aux œufs d'or pour ce qui les concernait. Le réel but historique mondial des forces bourgeoises derrière la prétendue Révolution irlandaise était soit de cajoler soit de forcer le gouvernement britannique afin qu'il donne aux patrons Unionistes de l'Ulster le coup de pied dans les dents qu'ils avaient mérité. Et la Grande-Bretagne était la seule dans la région qui soit assez forte pour le faire 6. Les républicains ont estimé que s'ils pouvaient réunir le Nord industriel avec le Sud agricole, ils auraient des tracteurs pour labourer leurs champs. Ils pourraient alors espérer se remplumer en envahissant le marché britannique. Le plan était de concilier les intérêts impérialistes de l'Irlande du sud et de la Grande-Bretagne aux dépens de l'Ulster. Cette grande stratégie expansionniste des républicains a été appelée "l'unification de l'Irlande".

Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale a semblé modifier cette situation. Il a fait miroiter aux républicains la possibilité de vraiment renverser les unionistes eux-mêmes, et de chasser les Britanniques hors de l'Irlande dans le sillage de l'impérialisme allemand. La campagne 1939 de bombardement de l'Angleterre (qui a impliqué l'assassinat des travailleurs britanniques) a été suivie par les plans d'action farfelus élaborés par les antifascistes de l'IRA et le gouvernement nazi en Allemagne 7. Cependant, la bourgeoisie allemande n'a jamais sérieusement envisagé une campagne irlandaise, si bien que l'IRA n'a réussi qu'à provoquer de nouvelles vagues de répression de la part du Fianna Fail contre elle-même. S'en prenant à un ami politique indésirable, le gouvernement démocratique de Dublin n'a jamais hésité à utiliser les camps de concentration et l'assassinat ouvert dans ses mesures répressives contre l'IRA pendant les années 1930 et 1940. Tout comme aujourd'hui, le gouvernement démocratique en Irlande organise une terreur systématique au service de la défense des libertés bourgeoises et civiles même si elle se répand en des flots de larmes pour les victimes des campagnes de terreur à plus petite échelle de l'IRA.

La pulvérisation de l'IRA

Dans les années 1960, l'IRA a été militairement pulvérisée dans le Nord et dans le Sud. Elle avait perdu tout soutien parmi les travailleurs "catholiques", qui précédemment avaient constitué une source importante de chair à canon. Elle a ensuite défendu un programme capitaliste d'État radical pour regagner du soutien et, de ce fait, a commencé à se pencher vers le bloc impérialiste russe. L'économie de l'Irlande du Sud, attardée, avait dû lever ses barrières protectionnistes afin de bénéficier du boom d'après-guerre. Mais avec la fin de la période de reconstruction après 1965, la République d'Irlande s'est trouvée de plus en plus dépendante de ses voisins plus puissants. Si son économie voulait éviter l'effondrement face à la crise économique mondiale, elle devait alors s'intégrer plus étroitement dans le bloc occidental dans son ensemble. Peu après, l'Irlande est entrée dans la CEE.

L'IRA, sauveurs potentiel de la nation, a répondu à la crise - et à la combativité alarmante de la classe ouvrière dans le Sud - en se tournant vers le stalinisme. Mais ce basculement en douceur à gauche s'est trouvé brutalement interrompu par les événements d'Irlande du Nord après 1969. La caste industrielle de l'Ulster, la perdante dans la lutte pour la survie économique, étaient devenue un obstacle réel à la gestion politique et économique de la crise politique par la Grande-Bretagne. La bourgeoisie était consciente qu'elle devait transformer le tas d'ordures unioniste. Mais quand elle a essayé d'y toucher, elle l'a trouvé grouillant de rats en colère. À ce stade, avec les unionistes qui résistaient à toutes les réformes, le gouvernement de Dublin est intervenu, d'abord par son soutien au mouvement des droits civiques dans le Nord et, d'autre part, en proposant de soutenir l'IRA du Nord dans une nouvelle campagne. Mais ce soutien n'a été donné que conditionnellement. L'IRA du Nord devait accepter de se séparer de la direction de l'IRA de l'Irlande du Sud.

Ces mesures ont conduit rapidement à une scission au sein de l'IRA. D'une part Les Provisoires, des gangs meurtriers de droite nationaliste basés dans les ghettos d'Ulster, et d'autre part les staliniens "non-sectaires" du Commandement du Sud, qui comprenaient les officiels. À la suite de son habile manœuvre, le gouvernement de Dublin espérait atteindre deux choses :

1. La préparation de la poussée militaire nécessaire pour renverser les unionistes, le principal obstacle à "l'unification irlandaise".

2. L'affaiblissement de ses adversaires staliniens de l'IRA dans le Sud.

Mais même sans entrer dans le cours des événements récents en Ulster, il est clair que la partie antiprolétarienne jouée par l'IRA dans cet holocauste sanglant marque la continuation de ses traditions bourgeoises. Elle a joué son rôle, sans aucun doute, dans la chute de l'unionisme. En même temps, elle a elle-même reçu une sévère raclée. Malgré la poursuite des attentats à la bombe et des fusillades sauvages, ce sont les forces de sécurité britanniques et Irlandaises - les maîtres des rues et des camps de concentration, les anti-terroristes armés - qui seront les principales forces essayant de contenir le mouvement révolutionnaire du prolétariat sur les îles. Mais, même battue, il est possible que l'IRA ne disparaisse pas, qu'elle reste le symbole vivant d'un impérialisme irlandais frustré. Et en particulier, dans sa forme stalinienne, elle aura un rôle important à jouer dans la lutte à venir contre les travailleurs.

Divisé et démoralisé par plus de cinquante ans de contrerévolution, le prolétariat d'Ulster s'est lui-même trouvé entraîné, dans les ghettos en 1969, à la recherche de la sécurité là où il n'était pas possible de la trouver. Il doit maintenant émerger pour répondre aux attaques incessantes du capitalisme que la crise économique aggrave. Et aussi gigantesque que soit cette tâche, il n'y a pas d'autre issue. Comme militants de la classe ouvrière, nous dénonçons les mensonges cyniques de la bourgeoisie irlandaise et britannique sur les réconciliations et sur un "règlement démocratique". Et nous appelons le prolétariat – du nord et du sud - à reprendre la guerre de classe.

Krespel (décembre 1978)


1 Sinn Fein (nous seuls) : parti politique républicain irlandais. Fondé en 1902 par Arthur Griffith, il est passé sous la direction de De Valera en 1917. Après la "guerre d'indépendance" de 1919 à 1921, une scission a eu lieu en 1922, Griffith et Michael Collins acceptant la partition et la création de l'État irlandais libre, De Valera en opposition avec eux formant un autre parti, le Fianna Fail.

2 La Conférence de Berne en 1920 regroupait tous les partis "socialistes", comme le Parti travailliste indépendant de Grande-Bretagne qui avait rompu avec la 2ème Internationale quand elle capitula face l'effort de guerre, mais qui refusa de se joindre à l'Internationale communiste. L'Internationale communiste avait dénoncé cette initiative comme étant une tentative de ressusciter la 2ème Internationale dans l'esprit sinon dans le nom.

3 "Black and Tans" (ainsi nommés pour la couleur de leurs uniformes). Combattants engagés par le gouvernement britannique dès 1920 afin d'aider la police royale irlandaise et l'armée britannique à lutter contre les indépendantistes.

4 Afin d'obtenir mieux, De Valera agissant pour les extrémistes avait même suggéré que la Grande-Bretagne devait déclarer une "doctrine Monroe" concernant l'Irlande, en garantissant que le peuple d'Irlande serait le seul à avoir le droit de décider de son propre destin.

5 Les couleurs respectives de l'Ordre d'Orange et des républicains.

6 Il y avait essentiellement deux tendances politiques impliquées ici, représentées par le Fianna Fail espérant manœuvrer, et l'IRA espérant forcer la bourgeoisie britannique à restituer l'Ulster.

7 A un moment - en 1942 - l'IRA a demandé "Que comme un prélude à une coopération entre Óglaigh noh-Eireann et le gouvernement allemand, le gouvernement allemand déclare explicitement son intention de reconnaître le Gouvernement provisoire de la République d'Irlande (ie. IRA) comme étant le gouvernement de l'Irlande dans toutes les négociations d'après-guerre concernant l'Irlande".

 

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Nation et nationalisme