La crise dans les pays de l'Est

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

L'année 1974 vient de se terminer dans un concert généralisé au monde entier sur le thème de la "crise". Toutes les interprétations possibles en sont données: "crise du pétrole", "crise des structures", "crise de l'énergie", "crise de civilisation" sont les diverses "explications" qui accompagnent une hausse vertigineuse des prix et du chômage et les appels à la baisse de la consommation et à l'austérité.

La "crise de civilisation" et la "crise du pétrole" ayant fait long feu face à l'approfondissement actuel de la dégradation du capitalisme, on commence à voir apparaître un nouveau cheval de bataille pour démontrer que le système peut encore s'en tirer. "En 1975, le taux de croissance (de l'URSS) sera de 6,5% selon les économistes soviétiques et de 7,2% selon les prévisions américaines. (...) C'est un incontestable succès face à l'économie occidentale frappée de stagnation et de chômage"[1]. Les mêmes qui, il n'y a pas si longtemps, affirmaient avec aplomb que la France restait un oasis de paix dans un monde en crise, récidivent maintenant sans peur du ridicule: on commence à tourner les yeux vers l'Est, car dans l'affolement généralisé, il faut entre autres trouver à tout prix "un champ de prospection pour notre commerce extérieur"(1). Cette recherche effrénée de marchés, qui se traduit par la multiplication des tentatives d'accords commerciaux est le lot de toutes les nations: entre l'Europe et les Etats-Unis, le Moyen-Orient et l'Europe, l'URSS et l'Europe, etc.

L’INTEGRATION AU MARCHE MONDIAL

L'URSS négocie des contrats de fourniture d'hydrocarbures à l'Allemagne de l'Ouest, l'Autriche, la France du même type de ceux qui existent déjà avec l'Allemagne de l'Est, la Tchécoslovaquie. Les entretiens entre Etats-Unis et URSS font en ce moment grand bruit. Tout ne va pas sans mal. Le P.C.F. attribue à la rapacité de l'impérialisme américain les difficultés qui peuvent se présenter, mais il se fait tout doux lorsqu'elles s'aplanissent. Et lors de la rencontre Brejnev- Giscard, il n'était plus question que d'"intérêt mutuel" et de "coopération exemplaire".

"Coopération” et "détente" sont les nouveaux leitmotive Pour le reste, G. Marchais, dans sa polémique avec le P.S. précise qu'il s'agit de "résoudre sans crise les problèmes du monde moderne"[2]. Face aux problèmes qui se posent au capitalisme mondial —trouver des marchés pour écouler la production, proposer du "socialisme" pour calmer les ouvriers—, la bourgeoisie rejoint les P.C. dans la louange des pays "socialistes". The Bankers de Glasgow proclame que l'"économie soviétique est plus stable, moins exposée à des chocs destructeurs que ne l'est l'économie occidentale. Si, comme on peut le penser, les désordres sociaux nous guettent (...) et si les dirigeants soviétiques sont capables de garder le contrôle à la fois sur le plan économique et sur le plan social, les points faibles de leur système sont peut-être dans ce cas le tribut qu'ils acceptent de payer en échange de la stabilité qui nous fait défaut"[3].(3).En frères ennemis, les diverses fractions de la classe capitaliste mondiale se rejoignent sur les remèdes à adopter: stabiliser la situation sociale pour pouvoir se consacrer à la guerre pudiquement qualifiée d'"économique". Pour encadrer la classe ouvrière, c’est la gauche qui a le vent en poupe; pour l'embrigader derrière chaque capital national, c'est encore elle qui représente le mieux la tendance générale au renforcement de l'Etat capitaliste. Car si l'on défend l'idée de l'existence dans le monde d'une aire "socialiste", c'est avant tout chacun pour soi. Pour Marchais, les P.C.F; et P.C.U.S. doivent coopérer certes mais en "luttant dans des conditions très différentes et déterminant souverainement leur ligne"[4].

Alors on affirme que la moitié de l'humanité échapperait à l'heure actuelle aux affres de la crise. Les échanges internationaux, la saturation du marché mondial, l'exacerbation des tensions avec la montée des conflits de toutes parts, ne sont que pacotille aux yeux des sinistres rêveurs de "paradis socialiste" et d'"expansion". Pour eux, le marché des pays de l'Est échappe aux lois du capitalisme mondial: la vente et la production ne sont là-bas pas de la même nature.

Pourtant, les faits sont là: "La diminution dans la vente comme dans la production de quelques articles —postes de TV et tourne-disques en R.D.A., machines à laver, aspirateurs, réfrigérateurs en Pologne, postes de radio en Tchécoslovaquie et en Bulgarie— peut être attribuée à une saturation du marché intérieur compte tenu du prix et de la qualité et en partie à l'expansion simultanée de ces productions dans l'ensemble des pays est-européens, ce qui a réduit les exportations dans ce domaine"[5]. En fait, c'est bien plutôt la possibilité ou l'impossibilité d'exporter qui déterminent l'état du marché intérieur. La réalisation du profit contenu dans la marchandise produite ne peut se faire que par la vente à l’"extérieur". A notre époque, le capitalisme qui doit vendre à tout prix mais pas à n'importe quel prix n'a plus d'issue; à l'Est comme à l'Ouest, c'est bien à la vente qu'est destinée la production. La loi de la valeur s'impose; l'Est a du mal à vendre et se tourne vers l'Ouest, l'Ouest a du mal à vendre et se tourne vers l'Est.

Alors qu'en 1973, la récolte de blé en URSS avait été particulièrement satisfaisante, ce pays a signé le contrat du siècle avec les Etats- * Unis pour l'importation massive de blé américain.

En 1973 encore, la part des importations provenant de l"extérieur" occidental a été de 20% du revenu global de la Pologne, de 40% pour la Hongrie. Au sein même du "bloc" de l'Est, tout ne va pas au mieux. On prétend d'une part que la crise de l'énergie ne sévit pas et on expliquera nécessité de couvrir une partie de la consommation —de pétrole—par des importations des pays capitalistes à des prix qui ont quadruplé en quelques mois"[6].

Cette crise dite du "pétrole" ou de 1'"énergie", tarte à la crème de l'agonie du capitalisme en 1974, , outil de la classe capitaliste pour imposer la baisse de la consommation, touche donc déjà 1 "'oasis de stabilité" qu'est le "marché socialiste". Le prix de l'essence a doublé en Tchécoslovaquie depuis le 30 Mars 1974 et la vitesse a été limitée sur les routes. Dès la fin 1973, de distingués économistes du Frankfurter Allgemeine Zeitung signalaient que "la crise du pétrole aurait des répercussions défavorables sur l'économie de l'ensemble du bloc oriental". D'un cêté on affirme qu'il ne manque pas une goutte d'énergie dans les pays de l'Est; de l'autre on utilise encore cette mystification éculée ... et le tour est joué.

La dépendance à l'égard du marché mondial éclata au grand jour. D'ailleurs, le COMECON, cette sorte de Marché Commun est-européen suit à quelques variations près les prix du marché mondial.

LA DECOMPOSITION

Les objections à la crise sont nombreuses, à commencer par les plus plates apologies de l'URSS. Certes, dans tous ces phénomènes que l'on retrouve à l'Est semblables à ceux de l'Ouest, l'URSS • tire mieux que ses "partenaires" son épingle du jeu. La domination qu'elle exerce par les accords commerciaux qu'elle réussit à imposer moyennant une "protection" militaire qui peut n'être souvent qu'une "menace", lui permet d'être apparemment moins dépendante que les autres Etats; notamment pour ce qui est sa part d'importations. Mais en est-il autrement dans l'autre zone d'influence où les Etats-Unis bénéficient des mêmes avantages.

Les effets du marasme commencent à se faire sentir. Les difficultés, l'impossibilité d'élargir les débouchés se répercutent dans une désorganisation de la production au sein de chaque unité, de chaque région, de chaque nation, de chaque bloc. La lutte devient serrée autour du gâteau.

L'acharnement à ouvrir les portes aux hommes d'affaires, qui ont eu droit à un éloge de la part de Brejnev au cours de sa rencontre avec Nixon, va de pair avec les appels de Podgorny contre le "pillage économique". Ce dernier a "demandé à la presse un effort pour dénoncer les escrocs, les dilapideurs et autres adeptes du système D, dont les journaux, pourtant, signalent quotidiennement les activités, (et) n'a pas caché que le mal est fort répandu."[7]. C'est dans le domaine alimentaire que le problème semble le plus préoccupant pour le gouvernement. Les responsables désignés

par le régime sont les "renégats sociaux", les "houligans", les "fainéants". lorsque ce "pillage" prend la forme d'un détournement systématique de marchandises, de produits alimentaires de leur destination officielle, vers le marché noir, on peut dire que les "houligans" ont bon dos. Imagine-t-on Paris aux mains des blousons noirs ? Imagine-t-on une usine "clandestine" de textiles, comptant 200 ouvriers, installée dans les sous-sols d'un théâtre...comme à Tbilissi et vendant aux autres Etats de l'Union mais pas dans le sien bien sûr î

La règlementation étatique n'a jamais tout contrôlé et la classe exploiteuse s'est longtemps accomodée plutôt bien que mal de cet état de choses. La montée des difficultés économiques accélère la décomposition sociale et nécessite un renforcement de l'Etat, une intervention plus efficace. L'appel que lance Podgorny est clair à cet égard: "Les travailleurs honnêtes, les collectivités, les organisations, cherchent à produire davantage, prennent des engagements élevés, luttent avec abnégation pour augmenter la productivité et mettre en exploitation de nouvelles ressources". Voilà qui n'a rien d'une lutte contre de la délinquance, mais ressemble comme deux gouttes d'eau à la défense du capital national, à la préservation de la "propriété socialiste"(7).

Le système en difficulté doit tenter de rationaliser’ sa production. En URSS, dans l'agriculture, le gouvernement essaye de réorganiser sovkhozes et kolkhozes, de rentabiliser au maximum, d'élaguer tout ce qui reste sans apporter une contribution suffisante. Dans la gestion des entreprises, c'est aussi partout le remue-ménage; Gvichiani [8](3), gendre de Kosygine, répond à la question d'une réintroduction de la notion de profit: "Non, pas de profit, de rentabilité.(...) C'est une question d'organisation rationnelle mais il faut aussi qu'il y ait des stimulants moraux et économiques". Toute une génération de managers à l'américaine fait son entrée sur scène, prône de nouvelles méthodes. On envisage des concentrations industrielles à l'image de celles qui se tentent en Occident, afin d'assurer une hausse sensible de productivité.

Partout on cherche des solutions capables d'éviter la dégradation soudain accélérée d'un système en faillite. Les appels sont les mêmes: décentraliser, réorganiser, etc. Tout cela bien sûr toujours au nom des ouvriers. A Cuba, le gouvernement octroie même une expérience de "pouvoir élu et révocable par les masses". S'il le faut, on fera même gérer aux ouvriers leur propre exploitation. On ne manque pas d'en appeler aux nationalistes de tout acabit pour la création d'un "front commun des patriotes". A Cuba, la devise reste plus que jamais: "Mon travail, ma famille, mon C.D.R." (Comité de Défense de la Révolution).

Les réactions nationalistes, régionalistes s'exacerbent. Le P.C.U.S. remet de l'ordre au sein du P.C. Ukrainien un peu trop turbulent à son gré. En Chine également, on normalise. Les gouvernements de tous les pays rivalisent d'appels, d'avertissements, de menaces et de palabres. Malgré toutes ces similitudes de la crise dans ses nombreuses manifestations, la gauche est là pour nous rappeler les "différences'' les "nuances" surtout bien sûr en ce qui concerne la classe ouvrière.

CHOMAGE ET INFLATION

La Vie Ouvrière du 15 Janvier 1975 consacre une quinzaine de pages à nous persuader qu'"Il y a des pays sans chômage". En Allemagne de l'Est, "si quelqu'un est menacé de chômage, c'est l'employé du bureau de placement... On ne met que trois jours pour retrouver du travail, etc.'' Tout est axé sur les problèmes de la "main d'œuvre”.

Pour illustrer l'éclat de rire de mineurs bulgares, on nous explique que la "raine est condamnée", mais que les ouvriers sont contents car ils savent qu'ils seront reclassés dans le bâtiment par exemple. On a là toute une mécanique rationalisée* de la vente de la force de travail. On y reconnaît la possibilité de licenciements" pour des "raisons d'organisation" mais ceci seulement..."avec l'autorisation du syndicat". On reconnaît aussi qu'il y a des problèmes mais que "les ouvriers français seraient heureux d'avoir ces problèmes".

Trêve de plaisanterie, malgré ce tableau idyllique, "la Tchécoslovaquie préconisait dès Juillet 1973 des mesures d'économies". Quant à la Hongrie, elle "a tenté de minimiser les effets psychologiques de la crise pétrolière"[9]. Tous les pays d'Europe de l'Est ont pris des mesures d'austérité en 1973, restreignant la consommation publique et privée d'électricité. Que sont ces effets "psychologiques"? On lit dans la "Pravda”: "L'ouvrier se plaint de ne plus pouvoir profiter des jours de repos avec sa famille: son épouse, comme les autres employées de l'usine, travaille toute la semaine, sans jour de congé et sans pour autant, toucher de primes. Il faut reconnaître que personne n'oblige les femmes à travailler le Dimanche. C'est du 'volontariat' donc une affaire personnelle. L'administration n'a jamais donné d'ordre à ce sujet. Mais il a été décrété qu'elles ne devraient pas compter sur le treizième mois ni sur le 'salaire progressif' si elles ne se portaient pas volontaires" (Janvier 1974).

Pour un salaire de 1750F. par mois pour deux (type de revendication avancée au cours de la grève des PTT en France par ceux-là mêmes qui voient quelque chose de "socialiste" à l'Est), il en coûte 5F pour une plaquette de beurre, 8F. pour un paquet de café.

La pénurie volontaire de certains produits dont les prix sont fixés à de très hauts niveaux contraint la classe ouvrière à épargner, à financer ainsi la classe qui l'exploite. En 1969, les ménages russes ont épargné 2/3 de leur revenu supplémentaire, en Tchécoslovaquie, 95%.

Officiellement, les prix n'augmentent pas. Cependant, le dernier modèle de Volga coûte 65% plus cher que le précédent alors même qu'un ingénieur pourrait difficilement y voir une différence avec l'ancien.

L'évolution qu'a suivi le capitalisme mondial depuis la deuxième guerre mondiale pendant la période de la reconstruction a touché à sa fin vers

1963-64, avec notamment la chute de Kroutchev, les luttes de fractions en Chine. Tous les pays du bloc de l'Est connurent à cette époque le même léger passage à vide de la croissance. Le 1968 tchèque fut un sévère avertissement au grand de l'Est, l'URSS. 1970 en Pologne marqua la reprise de la lutte du prolétariat.

Dès 1966, la revue polonaise Polityka affirmait: "Il est certain et nous devons en prendre conscience, que la population doit choisir entre soit une augmentation importante de l'emploi, soit une limitation de l'emploi et une amélioration des salaires réels; il n'y a pas d'autres solutions". La classe ouvrière l'apprit à ses dépens et c'est une flambée inflationniste sans précédent doublée d'une pénurie alimentaire qui la poussa à s'attaquer en 1970 directement à l'Etat et aux syndicats.

La décadence du système impose à la classe capitaliste un gonflement démesuré des dépenses improductives; le secteur dit des "services" s'accroît sans cesse, la bureaucratie est pléthorique. Marx analysait lors des crises périodiques le phénomène du chômage; le mécanisme reste le même à l'époque de la crise permanente. "Marx déclare: "il y a périodiquement trop de capital et par conséquent trop d'ouvriers'.' Il pose en outre la question: "par rapport à quoi y-a-t-il trop de capital et trop d'ouvriers?" et il répond: "par rapport aux possibilités d'écoulement dans des conditions" normales" assurant le profit nécessaire. C'est parce que le marché se trouve périodiquement trop étroit pour les marchandises capitalistes, qu'une partie du capital doit être mise en sommeil, et du même fait, une partie de la main d'œuvre mise à pied". (R Luxembourg, L'Accumulation du Capital).

La Revue des Pays de l'Est (N°3, Janv.73) signale que "le chômage réapparaît de nouveau en tant que problème sérieux vers la moitié des années soixante". Dans la revue Kultura, (N°12/291, Déc.71), il est dit qu'"au lieu de croître, le niveau de vie des travailleurs a diminué de 2,5% par an". Evidemment pour le catéchisme de propagande qu'est Etudes Soviétiques, la vie est rose: "La plupart des denrées alimentaires depuis des années et même des décennies sont les mêmes en URSS"(sic). Pour étayer "scientifiquement" ce phénomène, un économiste soviétique déclarait en Août 1974: "Nous n'avons pas d'inflation, nous n'avons que des prix élevés". Etudes Soviétiques ajoute avec "humour": "...à la librairie, les livres sont relativement pas chers" alors que récemment une mesure préconisait de remettre à l'Etat 15Kg de vieux papiers pour l'achat d'un livre...

La tendance générale du système capitaliste mondial à l'étatisation est une nécessité pour la classe exploiteuse. La concurrence que se livrent les différents capitaux exige la mise en place de tout un appareil de domination politique et militaire pour faire face à deux obstacles fondamentaux et définitifs à la perpétuation du capitalisme: la saturation du marché mondial, la montée de la lutte de classe. La solution pour la bourgeoisie serait la guerre mondiale; la perspective est à la lutte du prolétariat. Les fractions de gauche de la bourgeoisie sont les plus aptes à diviser le prolétariat mondial sur les différences, les nuances qui peuvent exister entre les diverses variantes apparentes de l'exploitation capitaliste. Ultimes mystificateurs, les gauchistes apportent par leurs théories "critiques" un soutien non négligeable pour la déviation de la lutte de classe sur des objectifs capitalistes.

LES CONTORSIONS THEORIQUES

Les staliniens, peu nuancés, martèlent avec la carotte —on promet à la classe une exploitation sans douleur— ou avec le bâton —on envoie l'armée contre les ouvriers—, que le socialisme est en place et qu'à l'Ouest, seule une "caste étroite" de grands financiers et de méchants patrons est responsable du marasme dans lequel nous sommes plongés.

Les trotskystes quant à eux se proposent de ravaler la façade de la contre-révolution stalinienne, de corriger les déviations, les erreurs, les manœuvres contre-révolutionnaires d'une poignée de bureaucrates qui font "dégénérer", qui "déforment" les Etats...ouvriers. Le soubassement et les fondements matériels de la lutte de classe sont balayés pour faire place à un problème de direction de la société sans toucher ou si peu aux rapports de production. Selon les sectes et les chapelles on n'applique pas exactement les mêmes critères pour juger du degré "ouvrier" ou "petit- bourgeois"(?) de tel ou tel Etat. Pour évincer la "caste parasitaire", point n'est besoin de révolution prolétarienne mondiale mais d'une simple "révolution politique", un changement des mauvais dirigeants par les bons.

Ces mêmes trotskystes, à l'heure où le prolétariat polonais s'affrontait à l'Etat capitaliste en 1970, bénissaient la nouvelle "révolution politique" de façon expéditive pour se consacrer et applaudir à tout rompre aux réactions nationalistes et terroristes d'une fraction de la bourgeoisie espagnole aux abois (Procès de Burgos). Aujourd'hui, on quête en milieu gauchiste pour Eva Forest, soupçonnée de complicité dans l'assassinat de Carrero Blanco; on parle peu ou pas des affrontements avec la police d'un prolétariat exaspéré qui a généralisé sa lutte au Nord de l'Espagne. ,

On justifiera toute cette confusion entretenue par des contorsions théoriques, des aberrations du genre : "Les principaux moyens de production, dépouillés de leur forme marchandise, sont directement produits comme valeur d'usage. (...) Tant qu'il y a pénurie, les biens de consommation demeurent des marchandises"(D. Bensaîd, Revue Critique de l'Economie Politique, La Nature des Pays de l'Est). Comme par hasard, les marchandises aux mains des bureaucrates sont "socialistes", celles destinées aux ouvriers ne le sont pas ! Et les implications politiques sont clairement développées longuement: dans les pays de l'Est, "les racines sociales de ces mobilisations (ouvrières) sont bien différentes de celles des mobilisations anti-capitalistes que nous connaissons" car elles ne "remettent pas en cause les rapports sociaux fondés sur l'appropriation collective des moyens de production!...) et portent tous leurs- efforts sur la confiscation du pouvoir politique". Pour que les pays de l'Est soient véritablement socialistes, il suffira alors à l'ouvrier d'aller vendre sa force de travail à l'Etat trotskyste aprî:3 qu'ait été confisqué le pouvoir politique des mains de la "caste parasitaire"... L’appropriation collective des moyens de production n'est ici que la capitalisme concentré dans les mains de l'Etat, cc capitaliste idéal dont parlait Engels, forme la plus achevée de la tendance générale depuis 1914.

L'histoire l'a prouvé, la pire des mystifications est celle qui s'orne des défaites de la classe ouvrière, embaume les révolutionnaires et les idéalise. Pour la défense de l'URSS, la pierre de touche, l'ultime argument c'est : "il y a eu 1917". Trouver dans un coin du monde un acquis matériel de la vague révolutionnaire mondiale des années 1917-20, c'est nier le caractère global du capitalisme à notre époque, c'est morceler la classe ouvrière en des tâches différentes selon le lieu, le moment, le sexe, la couleur, la langue, le climat... Et tel est le but de la bourgeoisie pour avoir les mains libres de gérer le capital.

Le degré de "socialisme", d'"ouvrier" se mesure également différemment selon la sophistication du thermomètre utilisé. Dans les rangs des "marxistes" aveuglés par l'attachement à une lueur d'espoir, par le goût de la nouveauté, on observe qu'"il existe une espèce de second marché mondial dans lequel l'exploitation des pays sous-développés par les pays les plus avancés est restreinte ou absente"(international Socialist Journal. Mattick).

La période de reconstruction pendant laquelle l'économie d'armements n'a pas cessé de s'accroître a été essentiellement marquée par la persistance et l'exacerbation des conflits inter-impérialistes où les plus puissants se sont affrontés par fractions des bourgeoisies nationales interposées; Indochine, Moyen-Orient, Bengale, Corée, Biafra, Kurdistan, Chypre, etc. par philanthropie peut-être?

Les bordiguistes y ont trouvé quelque chose de "progressiste", de positif dans la soi-disant apparition de capitalismes "juvéniles", dans des "révolutions par en-haut". Pourquoi pas par derrière?

Brejnev, toujours aussi peu nuancé, disait récemment à Schmidt : "Ni vous, ni nous ne sommes des institutions de bienfaisance”.

Le système économique mondial n'a pas de solution à la crise. La prolifération de conflits encore localisés, où chaque bloc y va de son soutien à l'un ou à l'autre est significative du seul cours que pourrait prendre le capitalisme à l'heure actuelle : la généralisation de la guerre. La résistance opiniâtre aux assauts du capital de la part d'une classe ouvrière mondiale qui, à l'Est comme à l'Ouest, émerge de 50 ans de contre-révolution ouvre la possibilité de la révolution mondiale comme première perspective. Aux tentatives de division et de mystification de la classe ouvrière par la bourgeoisie et notamment dans son acharnement à prouver l'existence du "socialisme" en "un seul pays", "ouvrier", le prolétariat répondra comme il l'a déjà ébauché en Pologne en 19/0, en Egypte en 1975.

M. G.



[1] L’Express du 13-19/1/75

[2] Le Monde du 14/1/75

[3] Décembre 1973

[4] L'Humanité du 7/12/74

[5] Notes et Etudes Documentaires d'Avril 1974

[6] Déclaration du Président de l'Office des Prix Tchécoslovaque dans Le Monde du 2/4/74

[7] Le Monde du 8/3/74

[8] Interviewé par L'Express en Juillet 1974

[9] L'Europe de l'Est en 1973, La Documentation Fr.