DEUX AVORTONS DE LA GAUCHE DU CAPITAL

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Pour les organisations politiques, la frontière de classe qui sépare le camp bourgeois du camp prolétarien constitue une sorte de "soupape" qui ne permet le passage que dans un seul sens : du terrain prolétarien à celui de la bourgeoisie, jamais dans le sens inverse.

La gauche du capital vient d’engendrer deux nouveaux avortons à prétention "révolutionnaire" : "Union ouvrière" et "Combat communiste", tous deux issus de l'organisation trotskyste "Lutte Ouvrière". A la lecture des premiers numéros de leurs publications, nous pouvons confirmer qu'une fois de plus la vieille loi de la soupape s'est révélée juste.

UNE ORGANISATION PROLETARIENNE NE PEUT PAS SURGIR DU SEIN D'UNE ORGANISATION BOURGEOISE.

L'histoire du mouvement ouvrier connaît des centaines de trahisons. Les exemples d'organisations politiques prolétariennes qui n'ont pu résister à la très puissante attraction du camp de la classe dominante sont malheureusement difficiles à compter. Parfois ces cas ont été de taille : la IIème Internationale avec la presque totalité de ses partis sociaux-démocrates, puis la IIIème Internationale avec le parti bolchevik en tête et tous les partis communistes à sa suite, ont pu, au jour de triomphe de la contre-révolution, abandonner en renégats le camp prolétarien. Et si les internationales n'ont pu survivre à leur trahison que formellement (car la bourgeoisie, de par son être même, ne peut être internationaliste), les partis nationaux sont par contre devenus de véritables bastions de la contre-révolution au sein des travailleurs.

La victoire de la bourgeoisie sur le prolétariat n'est pas seulement physique et économique : elle est aussi idéologique. Et dans le combat permanent des classes chaque trahison d'une fraction révolutionnaire s'est inscrite comme un puissant coup porté par la bourgeoisie contre son irréductible ennemi ouvrier. Pour le prolétariat, de tels coups sont aussi néfastes, et souvent plus, que les massacres et les écrasements physiques des luttes ouvrières. Le combat galvanise, la trahison démoralise. Or la conscience, la foi et la volonté révolutionnaires sont -avec sa capacité d'organisation-, les seules armes réelles dont dispose la classe ouvrière pour sa lutte révolutionnaire.

Mais si l'armée du prolétariat a cédé à la bourgeoisie des organisations précieuses, l'inverse n'a jamais été possible. On trouve dans les rangs du combat historique du prolétariat des militants qui sont passés auparavant par des organisations bourgeoises, ex : Plekhanov était au départ du parti populiste. Mais ce sont toujours des individus, jamais des organisations. L'histoire ne connaît aucun cas d'organisations bourgeoises qui soient devenues ultérieurement prolétariennes ; aucun exemple significatif d'organisation prolétarienne qui ait surgi de la scission d'une organisation bourgeoise.

Pourquoi en a-t-il toujours été ainsi ? Pourquoi n'a-t-on jamais vu une organisation prolétarienne surgir du sein d'une organisation bourgeoise, alors, que l'inverse a été si fréquent ?

Deux raisons majeures expliquent ce fait : 1° La différence de nature entre le programma prolétarien et les théories bourgeoises. 2° Les mécanismes mêmes qui caractérisent une scission organisée.

1° Théorie révolutionnaire et mystification bourgeoise

Le Programme communiste est cohérent ou il n'est rien. Pour l'abandonner, pour le trahir, il suffit de le rendre incohérent, d'abandonner une seule de ses positions fondamentales. Il est de ce point de vue opposé aux théories politiques bourgeoises.

La bourgeoisie ne fonde pas son pouvoir sur sa conscience, sur sa capacité à comprendre et à analyser le monde qui l'entoure. Tout comme l'esclavagisme et le féodalisme, le capitalisme est un résultat "aveugle" du développement des forces productives. "Dans la production sociale de leur existence, dit Marx, les hommes établissent entre eux des rapports de production indépendants de leur volonté." Le socialisme sera aussi un résultat du développement des forces productives. Mais, alors que la conscience était un élément absolument secondaire pour 1'instauration et le maintien des sociétés d'exploitation, elle constitue une condition nécessaire, INDISPENSABLE pour la destruction du capitalisme et l'instauration du communisme.

Pour consommer les bénéfices de l'exploitation, pour les transformer en nouveaux moyens d'exploitation ou même pour remplacer le despote féodal par le despotisme des lois capitalistes, la bourgeoisie n'a pas besoin d'une conscience politique très approfondie. Elle en est d'ailleurs incapable. Son pouvoir dépend de la force brute de son Etat et de sa capacité à faire accepter le système par les exploités.

Par sa tâche mystificatrice, la bourgeoisie peut se servir de n'importe quelle aberration de la pensée, aussi éloignée soit—elle de la réalité (la religion par exemple). Du moment qu'elle lui permet de justifier son Oppression et d'inculquer la soumission et l'abnégation aux exploités. La pensée politique des classes exploiteuses n'est pas et ne peut être un instrument cohérent capable de rendre compte de la réalité concrète, parce qu'elle doit être d'abord un "OPIUM DU PEUPLE". Qu'importe la cohérence du moment qu'on a l'ivresse.

Le bourgeois n'a d'ailleurs même pas conscience de ce fait. Il est la première "victime" de son mensonge. La particularité c'est que pour lui, elle est une justification de ses privilèges, alors que pour les autres elle bat une consolation à leur souffrance.

Il en est tout autrement pour la théorie de la classe révolutionnaire exploitée : le prolétariat.

D'une part, du fait que le but de sa révolution n'est pas le remplacement d'une classe exploiteuse par une autre, mais la fin de l'exploitation. Le prolétariat est la première classe révolutionnaire de l'histoire qui n'a plus besoin d'idéologies mystificatrices. La pensée révolutionnaire prolétarienne est la première dans l'histoire qui a la possibilité d'être une pensée non-mystifiée capable d'envisager la réalité sans fard, de façon cohérente, scientifique.

Mais d'autre part, le prolétariat est aussi la première classe révolutionnaire pour qui la conscience objective est une NECESSITE, un impératif concret et matériel. Les autres classes, telle la bourgeoisie, ont pu développer leurs nouveaux rapports de production au sein même de l'ancienne société : bourgeois et seigneurs féodaux ont coexisté pendant des siècles en se partageant les masses à exploiter dans le cadre du pouvoir politique féodal. Lorsque la révolution politique est intervenue pour concentrer le pouvoir uniquement aux mains de la bourgeoisie (Révolution bourgeoise), il y avait déjà longtemps que les rapports de production bourgeois avaient commencé à dominer la société. Les "penseurs" bourgeois qui ont surgi pour créer la justification idéologique de ce changement politique pouvaient raconter des âneries aussi scientifiques que les théories du "despote éclairé" de Voltaire, sans que cela empêche la révolution d'avoir lieu : de toute façon l'essentiel, la transformation réelle des rapports de production, avait déjà été fait.

Rien de cela n'est possible pour la classe ouvrière. Lorsqu'elle prend le pouvoir politique, TOUT reste à faire sur le terrain de la production et, par ailleurs, ce qu'elle doit faire est radicalement opposé à tout ce qui a existé auparavant: le communisme ne sera pas un nouveau système de lois économiques, c'est-à-dire les hommes soumis aveuglément à des lois économiques stables, à des relations de production qui s'imposent à eux "indépendamment de leur volonté". C'est la fin de l'esclavage économique. La nouvelle société ne pourra être qu'une OEUVRE CONSCIENTE du prolétariat.

La théorie de la classe révolutionnaire ne peut donc plus se contenter de quelques approximations incohérentes tout justes bonnes à se justifier vis-à-vis des autres classes.

La conscience objective des buts réels et des moyens appropriés de la révolution est une FORCE MATERIELLE indispensable, dont l'existence conditionne matériellement la réussite de la transformation de la société.

Autant les théories fumeuses et incohérentes sont nécessaires pour les révolutions bourgeoises, autant une théorie juste, scientifique et cohérente, c'est-à-dire capable de rendre compte de la réalité et de constituer un moyen réel de la transformer est indispensable pour la révolution prolétarienne. Il ne s'agit pas d'un goût éthique pour la "vérité en soi", mais d'une nécessité matérielle concrète.

La nature des positions politiques du prolétariat, son programme historique, a donc comme caractéristique spécifique par rapport aux positions politiques bourgeoises d'être un CORPS COHERENT, UNIQUE, défini par la réalité même qu'il appréhende : la société capitaliste et l'expérience pratique de la lutte pour sa destruction.

On comprend dès lors aisément combien il est simple d'abandonner le programme prolétarien pour tomber dans l'incohérence et les fumisteries bourgeoises et combien, par contre, il est complexe de quitter le marais idéologique bourgeois pour s'élever à la cohérence théorique du prolétariat.

Le programme communiste n'est pas une somme de positions juxtaposées. Il contient une synthèse d'"acquis" donnés par l'expérience historique de la classe ouvrière, mais aucun de ces acquis n'a un sens en lui-même, par lui-même, isolé du reste des acquis. Une position politique particulière du programme communiste n'est, en fait qu'une manifestation, parmi d'autres, sur un problème concret précis, d'une vision générale, d'une cohérence globale.

C'est Pourquoi, on ne peut pas parvenir aux positions prolétariennes à partir de quelques idées à apparence révolutionnaire récupérées au sein d'une organisation bourgeoise, aussi radicale qu'elle se prétende

Il y a de moins en moins de partis bourgeois ayant le courage de se réclamer de leur classe. Pour pouvoir s'acquitter de leurs tâches spécifiques d'endormeurs des exploités, ils sont de plus en plus contraints d'emprunter un langage "ouvrier", si possible "révolutionnaire". Et ce phénomène ira en se développant au fur et à mesure qu'iront s'étendant les luttes de la classe. Pour cela, ils intégreront dans leurs programmes, du moins en paroles, des positions en apparence prolétariennes.

On "radicalise" son langage. Cependant, pour une organisation politique, deux ou plusieurs positions prolétariennes juxtaposées ne sont pas le Programme communiste, ni même un pas vers lui, du moment qu'elles sont accompagnées de positions bourgeoises. Une seule position bourgeoise suffit à Ôter tout caractère prolétarien à un parti prétendu ouvrier. La social-démocratie allemande a perdu toute nature ouvrière, malgré ses traditions, malgré sa formation, du fait d'avoir pris une seule position bourgeoise : la participation à la guerre impérialiste.

Celui qui, ayant adhéré à une organisation bourgeoise -croyant s'intégrer à la lutte prolétarienne, mystifié par le langage "ouvrier" de celle-ci- voudrait un jour rompre avec elle pour retrouver les positions de classe, ne peut en aucun cas se contenter de rejeter "les quelques positions fausses de cette organisation" et "les remplacer par de bonnes". C'est toute la vision d'ensemble qui doit être "remplacée".

C'est une illusion de croire qu'on peut "conserver" quelque chose des positions politiques d'une organisation bourgeoise. C’est s'imaginer que le Programme du prolétariat est un agrégat composé d'éléments divers qui peuvent être ajoutés ou soustraits au gré de sa conscience individuelle.

Le Programme prolétarien est le produit de la conception cohérente du monde, d'une classe dont les intérêts historiques sont clairement et objectivement définis dans la réalité sociale. Il n'accepte en son sein aucune position bourgeoise, parce que dans la réalité il n'y a rien de conciliable entre la classe révolutionnaire exploitée et la classe exploiteuse réactionnaire.

La rupture avec une organisation politique du capital doit Être -pour être réelle- une rupture avec TOUT ce qu'elle défend, car RIEN N'Y EST A CONSERVER. Autrement la rupture n'est pas un dégagement du bourbier réactionnaire mais un ré- enfoncement à un endroit différent.

UN INDIVIDU peut parfaitement parvenir à établir une telle rupture. Cela dépend de sa conscience et l'évolution de sa conscience politique n'est conditionnée -du point de vue organisationnel- que par sa capacité INDIVIDUELLE à se débarrasser de tout le fatras idéologique qu'il a ingurgité pendant son travail dans une organisation du capital.

Mais IL EN EST TOUT AUTREMENT POUR UN GROUPE POLITIQUE. Les "mécanismes" d'une scission imposent à un groupe d'individus (aussi restreint soit-il) des entraves insurmontables qui rendent pratiquement impossible le passage ORGANISE d'une organisation politique bourgeoise à une organisation prolétarienne.

2° Les mécanismes d'une scission

Une scission n'est pas la rupture d'une somme d'individus épars. Elle implique des individus plus ou moins fortement organisés au sein de l'organisation qu'ils s'apprêtent à quitter. C'est à dire, des individus qui possèdent, à côté des désaccords qui les conduisent à rompre (ou à être exclus), un certain nombre de positions communes avec l'organisation d'origine. Ces positions qui les lient à l'ancienne organisation peuvent être plus ou moins nombreuses, plus ou moins importantes. Mais elles existent toujours du moment qu'on parle de scission. Dans la "nouvelle" organisation subsistent en conséquence, immanquablement, toutes les positions considérées "non erronées" de l'ancienne. Une scission est toujours une "filiation", aussi "radicale" qu'ait pu être la rupture. Et la marque de cette filiation n'est autre que la continuité d'un certain nombre de positions.         .

Lorsqu'une organisation révolutionnaire rompt avec une organisation ouvrière qui vient de trahir en adoptant des positions bourgeoises, elle se réclame de la continuité de l'ancien corps. Elle dénonce la trahison, l'abandon des principes et s'affirme comme la continuité de la survivance des principes de départ.

C'est ainsi que la III internationale, par exemple, s'est fondée en dénonçant la trahison de la II, et le passage définitif de celle-ci date le camp de la bourgeoisie. Ce faisant, elle pouvait et devait se réclamer des principes prolétariens qui avaient présidé à l'existence de l'internationale Socialiste. L'Internationale Communiste pouvait être le fruit de différentes scissions de la II, et rester une organisation révolutionnaire, parce que la II était une véritable organisation ouvrière. Elle était le parti mondial du prolétariat pendant des décennies et comme telle elle avait à transmettre tout l'acquis théorique et organisationnel des luttes prolétariennes de son temps.

Cet acquis que les parlementaires social-démocrates venaient de fouler au pied en votant les crédite de guerre, dans les principaux pays belligérants, la gauche de l'internationale (et principalement les bolcheviks et les spartakistes) pouvaient et devaient le reprendre à leur compte et assurer la continuité vivante en rompant violemment pour former une nouvelle Internationale.

Mais de quelle continuité peut se réclamer une organisation qui rompt avec une organisation bourgeoise pour parvenir au Programme Communiste, c'est-à-dire au camp prolétarien ? Comme nous l'avons vu, du fait même de la nature cohérente du programme prolétarien, aucune position de la bourgeoisie ne peut être conservée, encore moins servir de base pour le ralliement au camp révolutionnaire.

La seule position qui peut être commune à des éléments qui rompent avec une organisation bourgeoise pour passer au prolétariat, c'est : nous avons tous été des aveugles. Mais on le comprend aisément, une telle position est une base peu flatteuse personnellement et politiquement plus qu'insuffisante, pour permettre la formation d'une organisation qui cherche en premier lieu à rejoindre la clairvoyance de la classe révolutionnaire. Sur la base de la seule dénonciation d'une organisation dans laquelle on a milité et qui faisait partie du camp du capital il est impossible de s'organiser. Sur cette base, il ne peut exister qu'une somme d'individus qui après avoir reconnu l'erreur bourgeoise qu'ils avaient commise, doivent reprendre individuellement le chemin du camp prolétarien. Individuellement, car la seule chose qui les lie entre eux est une participation effective au travail du capital.

Or, c'est précisément ce lien qu’il est indispensable de dissoudre en premier lieu. Chaque fois que cette dissolution n'a pas lieu, il y a inévitablement conservation des fondements politiques de l'organisation "mère". Il y a filiation avec les forces du capital.

Cette filiation peut prendre parfois la forme de la révolte infantile, du "contre-pied systématique". On croit alors rompre les liens avec l'organisation d'origine en s'efforçant de défendre "le contraire" de tout ce que pouvait défendre l'ancienne. Mais le critère d'orientation politique n'est pas pour autant l'expérience historique des luttes de la classe ouvrière. Lorsqu'on s'attache essentiellement à prendre le contre-pied d'une idéologie bourgeoise on ne peut aboutir qu'à un symétrique tout aussi bourgeois que la première. On demeure prisonnier de la même idéologie car on se détermine toujours par rapport aux idées politiques du capital et non en fonction de la lutte historique du prolétariat.

Ce genre de réaction est particulièrement fréquent en milieu "contestataire" étudiant. L'anarchisme, le "situationnisme" et autres apparentés du "cardanisme", se sont définis surtout en réaction au stalinisme et à son petit-fils, le trotskysme. Tout ce qui de loin ou de près ressemblait à un de ces derniers était réactionnaire et parallèlement était bon, "révolutionnaire", tout ce qui pouvait paraître être une critique de ces idéologies.

Le résultat était, entre autres, le rejet de la révolution russe, la plus grande expérience de la classe ouvrière, le rejet du marxisme et, sous une forme plus ou moins nette, le rejet de toute l'expérience historique de la classe considérée comme "vieille chose". Quant aux positions sur les problèmes fondamentaux de la lutte de classe, il est frappant de constater combien elles finissaient souvent par retrouver le "concret" de celles des groupes trotskystes et staliniens tant abhorrés.

Les organisations politiques de la bourgeoisie, aussi "radicales" et "révolutionnaires" se prétendent-elles, jouent -consciemment ou non, cela est secondaire- une fonction précise au service du capital. L'exercice de cette fonction crée des liens puissants qui les rattachent au capital au point d'y empêcher toute scission révolutionnaire, tout enfantement organisé au profit du prolétariat.

La lutte du prolétariat n'a pas commencé aujourd'hui. Il y a plus d'un siècle de combats ouvriers au cours desquels se sont définis les fondements concrets de cette lutte historique. Rejoindre le camp révolutionnaire aujourd'hui, ce n'est pas se définir par rapport à telle ou telle organisation de la gauche du capital, mais s'approprier des résultats de cette expérience. Or, cela ne peut être fait sans avoir auparavant rompu tout lien avec la politique du capital.   

C'est ce que n'ont pu faire ni "Union Ouvrière", ni "Combat Communiste" en scissionnant de façon organisée de "Lutte Ouvrière".

DEUX AVORTONS DE LA GAUCHE DU CAPITAL

Fruits de la crise politique du capitalisme.

La crise économique du capital entraine des secousses croissantes dans sa sphère politique. Et,..."lorsque le bateau coule, les rats quittent le navire". Le navire de la bourgeoisie fait de l'eau par toutes ses organisations politiques. . "Lutte Ouvrière", une des organisations gauchistes les plus connues (grâce notamment à la candidature d'A. Laguiller au poste de chef de toutes les polices, de toutes les armées et tribunaux du capital français) n'échappe pas à ce phénomène.

La "rupture" d'"Union Ouvrière" et 1'"exclusion" de "Combat Communiste" sont une manifestation, minuscule certes, mais authentique, de cette crise politique qui secoue le capital dans le monde entier.

Pour le cas du "gauchisme" -mouvement à base estudiantine depuis 1968- il faut ajouter qu’il subit aussi actuellement les conséquences de la fin du mouvement étudiant, lycéen, enterré par le début des luttes ouvrières ouvertes. Ce que nous avions écrit en 1969 (RI N°3, Ancienne Série) se vérifie avec une implacable irréversibilité : "Il n'y aura plus mouvement étudiant, parce qu'il y aura mouvement ouvrier".

Une filiation revendiquée.
Pourquoi "Union Ouvrière" et "Combat Communiste" ont-ils rompu avec "Lutte-Ouvrière" ? Pourquoi ont-ils cru nécessaire de créer deux nouvelles organisations politiques ?

Ils n'invoquent aucune raison sérieuse dans les premiers numéros de leur presse... et ils n'en invoqueront jamais aucune. Car, du point de vue du prolétariat, la seule raison valable pour rompre avec le trotskysme et le gauchisme, c'est le fait qu'ils constituent des courants politiques du capital. Or, non seulement l'idée’ n'est même pas insinuée, mais au contraire on se revendique de cette filiation.

  • "Combat Communiste" n'a pas estimé nécessaire de dédier plus de cinq petits paragraphes à la question.(Le papier est surtout rempli par des commentaires, style "nouvel Observateur" sur l'avortement, l'automobile, le logement et quelques notes sur des entreprises pour nous dire qu'elles n'ont pas été conçues "pour accomplir un travail efficace dans de bonnes conditions (?), mais pour permettre à quelques centaines de parasites de faire marner 2000 travailleurs". (Qui l'eût cru !)).

Ce qui est dit dans les cinq paragraphes sur la rupture se résume à deux idées : Io "Notre tendance rejette le dogme selon lequel l'URSS serait aujourd'hui un Etat "ouvrier", même "dégénéré" comme l'affirme "L.O." et 2° "Renouer avec le véritable programme communiste est essentiel pour le mouvement ouvrier. Il ne nous a pas été possible de continuer à exprimer ces idées au sein de Lutte Ouvrière. C'est donc devant l’ensemble des travailleurs que nous les défendrons désormais, avec une vigueur renforcée, en tant que fraction (?) indépendante (??) du mouvement ouvrier révolutionnaire (???)".

"Union Ouvrière" est plus prolixe sur la question, mais c'est la même plaisanterie : "Une année de débat au sein de ce groupe (L.O.), et l'impossibilité pratique (?) qu'il y a à le transformer, nous ont à la fois appris la profondeur du mal (sic) dont il est atteint (et, par-delà lui, la quasi-totalité de l'actuel Mouvement "gauchiste") et la nécessité qu'il y a d'engager, en direction des exploités et des révolutionnaires, une entreprise radicale de rétablissement des principes révolutionnaires et d’intervention communiste directe au sein du Mouvement dans son ensemble".

Quant à la divergence principale elle semble bien se situer aussi sur la question des "Etats ouvriers dégénérés".

  • "Sur toute la planète, et à Moscou comme à Washington, à Pékin, à Paris, à Alger ou à Barcelone (...) les travailleurs sont réduits à* 1'ESCLAVAGE dans tous les aspects de leur existence". Nous parlerons plus loin de ce que ces courants disent des pays dits "socialistes".

Quant aux rapports avec leur organisation mère, on nous dit donc qu'ils ont dû rompre ou être exclus parce que "Combat Communiste" ne pouvait pas "exprimer au sein de L.O." ses idées sur les "Etats ouvriers dégénérés", parce qu'il y avait pour "Union Ouvrière" "impossibilité pratique à le transformer", parce que L.O. et "la quasi-totalité" du gauchisme sont atteints d'un "mal" mystérieux...?

Qu'est-ce qu'ils appellent le mouvement révolutionnaire ? Quel est ce mal ? Pourquoi ces impossibilités d’expression sur les pays dits "socialistes" dans L.O.? En quoi "Union Ouvrière" voulait transformer L.O.?

Les deux avortons restent muets sur ces questions ou se perdent, tel "Union Ouvrière", dans des dissertations larmoyantes sur "la sectarisation extrême de la quasi-totalité des composantes du mouvement" ("sa première maladie") et sur la nécessité d'une "recomposition unitaire du mouvement prolétarien".

"Union Ouvrière" et "Combat Communiste" ne parviennent pas à donner d'explication à leur rupture avec le trotskysme tout simplement parce qu'en fait ils n'ont pas rompu avec lui.

Si on ne trouve nulle part dans leurs publications une dénonciation du trotskysme et du gauchisme en tant qu'éléments de la bourgeoisie, c'est parce qu'en fait aucune des deux "scissions" n'est sortie de ce camp.

En ne dénonçant pas la nature bourgeoise du gauchisme et du trotskysme, les deux avortons revendiquent en fait leur filiation bourgeoise. Et il ne pouvait en être autrement. .

La seule chose qui lie de telles organisations au moment de leur formation c'est leur origine commune. Dénoncer cette origine comme bourgeoise aurait été la première condition (nécessaire même si elle n'est pas suffisante) pour pouvoir tenter de "renouer avec le véritable programme communiste" (comme le veut "Combat Communiste"), ou pour "s'engager dans une entreprise radicale de rétablissement des principes révolutionnaires" (comme l'affirme "Union Ouvrière").

Mais si cette condition avait été remplie, il n'y aurait pas eu d'"Union Ouvrière" ni de "Combat Communiste"; les "scissionnistes" et les "exclus" auraient dû renoncer au délicieux caprice de faire leur propre petit torchon gauchiste. Et ça...

"Union Ouvrière", plagiant une formulation de Marx à propos de la dialectique de Hegel, écrit qu'il faut "dégager le noyau rationnel du gauchisme contemporain de sa gangue mystique". (Grands dieux!!). Que d'honneur pour ce détritus de l'idéologie bourgeoise en décomposition qu'est le "gauchisme". Le noyau du gauchisme n'est pas plus "rationnel" que la décomposition de la petite bourgeoisie dans le capitalisme décadent. Sa "gangue" n'est pas plus mystique que les fusils de la contre-révolution dont il est la dernière expression.

Ceux pour qui la pourriture du gauchisme n'est pas suffisamment avancée pour trouver la force de rompre avec lui, peuvent y rester; mais qu'ils n'aient aucune illusion sur le sort que leur réserve la révolution prolétarienne.

UNE FAUSSE RUPTURE

Révolte petite-bourgeoise oblige. "Union Ouvrière" teinte son langage d'une résonance "situationnisante" : "l'agitation spectaculaire des groupuscules", "la subversion radicale de toute la société de classes", "la révolution radicale qui est l'affaire des générations qui viennent", "les curés en tous genres", "réactiver les IDEES de la subversion radicale". "La subversion communiste du vieux monde", etc...

Les trotskystes honteux veulent probablement exorciser avec des mots les fantômes qui hantent la vie des militants de Lutte Ouvrière : le militantisme érigé en apostolat religieux, l'ouvriérisme, le vocabulaire populiste "pour ne pas effrayer les prolos", etc.

Peine perdue. Les avortons sont "trotskystes" dans l'âme. Trotskystes, entre guillemets, parce qu'en fait le trotskysme n'existe pas, il existe le stalinisme et il existe les divers "appuis critiques" au stalinisme. Ces critiques peuvent se réclamer de Trotsky, de Mao ou de Guevara. Mais objectivement ils ont tous la même caractéristique : la défense "critique" de la perspective stalinienne. Parasites des P.C., ils en sont les meilleurs appuis, ceux des heures critiques, des moments difficiles. Ils ne dénoncent le bureaucratisme des staliniens que pour mieux défendre leurs positions politiques contre-révolutionnaires au sein de la classe avec verbiage soi-disant plus radical .

"Union Ouvrière" et "Combat Communiste" rejettent aujourd'hui (cinquante ans après la Gauche Communiste) l'idée qu'il n'y a pas d'exploitation dans les pays soi-disant communistes. (Mais qui croit encore aujourd'hui à ce mensonge stalinien ?). Peut-être pourrait-on dire : mieux vaut tard que jamais. Même pas.

Pour le prolétariat, la dénonciation des pays dits "communistes" (ou "en voie" de le devenir) en tant que pays de capitalisme d'Etat, n'est qu'un aspect de la dénonciation de la TENDANCE GENERALE DU CAPITALISME DECADENT VERS SA FORME ETATISEE[1]. Tous les Etats du monde subissent cette tendance, TOUS LES ASPECTS DE LA VIE DU CAPITALISME sont marqués par cette évolution. Et principalement les rapports entre capital et force de travail, entre bourgeoisie et prolétariat.

Dans ce domaine, 50 ans d'encadrement et de "trahisons" syndicales, 50 ans de planification et d'exploitation avec la collaboration des appareils syndicaux, 50 ans d'intensification de l'exploitation et de désillusions sur toute possibilité d'obtenir de véritables réformes du capitalisme en faveur de la condition ouvrière, 50 ans enfin de massacré des insurrections ouvrières avec la participation active des syndicats , ont tracé avec du sang une frontière de classe entre le prolétariat et tous ceux qui d'une façon ou d'une autre se font les défenseurs (aussi "critiques" soient-ils) de ces institutions du capital. Dans le capitalisme décadent, la tendance mondiale au capitalisme d'Etat s’est manifestée en premier lieu par la transformation des syndicats en organes de l’Etat capitaliste. Dénoncer le capitalisme d'Etat, c'est d'abord dénoncer ces institutions comme organes de l'Etat

Or, non seulement "U.O " et "C.C." ne voient aucun lien entre le capitalisme d'Etat et les "trahisons" des syndicats, mais en outre ils ne font une critique de ces appareils que pour dénoncer les dirigeants, Séguy et Maire, "chiens de garde du capital dans les rangs de la classe ouvrière" ("Union Ouvrière"), "agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier" ("Combat Communiste"), et, pour expliquer qu'afin de ne pas "se couper des exploités"  il faut "développer dans les syndicats même (...) un travail d’opposition COMMUNISTE" ("Union Ouvrière").

Certes, "Union Ouvrière" dit bien qu'il faut "systématiquement mettre en évidence aux yeux des exploités la FONCTION SOCIALE d'encadrement du prolétariat des actuelles machines syndicales et pas seulement les "atermoiements des chefs"", mais il ne s'agit que d'une phrase démentie tout au long du reste du journal par la "critique des dirigeants" et l'appel à travailler au sein de cette police de l'Etat. Bref, à répéter en termes à peine plus "radicaux" ce que clament les "trotskystes" et autres "critiques" du stalinisme depuis des décades.

Les "atermoiements" et la confusion qui caractérisent les deux nouveaux journaux sur la question syndicale sont tels qu’ils pourraient peut-être laisser à certains des doutes sur leur incapacité à se dégager du trotskysme. Nous serions trop exigeants, trop intransigeants, trop sectaires... Leur position sur un autre problème que 60 ans de décadence capitaliste ont tranché en creusant une autre frontière de classe, les questions des "libérations nationales", Ôtent toute hésitation sur leur attachement au camp du capital.

Alors que depuis la première Guerre Mondiale, toutes les "luttes de libération nationale" n’ont servi qu’à fournir de la chair à canon ouvrière et paysanne sur l’autel des conflits entre grandes puissances impérialistes, alors que des centaines  de mouvements nationalistes, ont démontré dans le sang une et mille fois que la voie nationaliste, dans les pays industrialisés comme dans les autres, est celle du renforcement du capitalisme d’Etat et de la marche aux boucheries capitalistes, alors que les travailleurs des pays coloniaux ou semi-coloniaux ont été utilisés systématiquement comme "pions" des grandes puissances sous prétexte de les rendre "Indépendants" (c’est-à-dire libres d’être exploités par leurs propres bourreaux nationaux, libres de mourir sous les bombes russes ou américaines, anglaises ou chinoises), "Combat Communiste" pousse sans gêne le cri de guerre confusionniste qui a permis tant de fois d’aboutir à ces opérations de mystification : "A bas le colonialisme. Vive la lutte des travailleurs antillais pour l’indépendance... et (il faut bien se draper du chapeau ouvrier) pour le socialisme".

Plus "pudique", "Union Ouvrière" fait de même, mais du bout des lèvres (pour qu’on entende moins ?): "flétrissure de l’oppression sous toutes ses formes (...). Le mouvement de destruction communiste de toutes les sociétés de classes (...) ne peut être indifférent à aucune des formes d’oppression que le développement du capital a répandues par toute la terre, et notamment au martyr colonial ou semi-colonial des masses paysannes et prolétariennes des deux tiers de la planète".

On se mouille le moins possible mais on défend la même écœurants marchandise nationaliste sous prétexte de "non indifférence" à "toutes les formes d’oppression". .

Dans le capitalisme décadent, il y a une oppression fondamentale qui SEULE commande à toutes les autres : celle du capital sur le prolétariat.

Le combat contre le capital est un combat contre l’oppression impérialiste, mais le soi-disant combat contre l’oppression impérialiste n’est plus aujourd'hui un combat contre le capital. Des millions de prolétaires et de paysans morts sous les drapeaux de l'"anti-impérialisme" sont là pour en témoigner.

L’indifférence, ce n'est pas la dénonciation des mystifications nationalistes, mais la crainte de le faire parce qu'on se sent "solidaires" de sa propre bourgeoisie de pays industrialisé.

"L'indifférence" et le crime contre-révolutionnaire c'est croire que le combat contre le capital et contre son cadre politique, la nation, est valable uniquement dans une partie du monde, l'autre étant condamnée à mourir pour l'indépendance de SA bourgeoisie nationale et pour les intérêts de SA puissance impérialiste tutrice.

Un seul combat est à l'ordre du jour dans tous les pays : la révolution prolétarienne. Dans tous les pays, chez les yankees comme chez les zoulous, chez les moscovites comme chez les patagons, intérêt national égal intérêt du capital.

Non, on ne "renoue" pas "avec le véritable programme communiste" à partir d'une organisation issue du camp politique de la bourgeoisie. "Combat Communiste" et "Union Ouvrière" viennent de le confirmer une nouvelle fois.

A leurs militants qui croient avoir franchi un pas vers le prolétariat, qui ont peut-être décelé un instant l'immensité du mensonge stalinien et trotskyste, nous ne pouvons souhaiter, pour leur bien, qu'une chose : que leurs nouvelles organisations meurent.

R. Victor


[1] D'ailleurs, ni "Union Ouvrière", ni "Combat Communiste" ne se risquent à prononcer le mot de "capitalisme d'Etat". Us préfèrent parler d’"esclavage salarié" (Engels rejetait explicitement ce terme qu'il considérait servir surtout à faire un amalgame confusionniste qui escamotait la véritable réalité du capitalisme.)

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