Submitted by ICConline on
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article de World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne sur l’histoire de la lutte des classes en Amérique.
La naissance du prolétariat Américain
« La découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines et leur extermination, les commencements de conquête et de pillage aux Indes Orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation primitive qui signaient l’ère capitaliste à son aurore. »1
Dans la mythologie bourgeoise, les pionniers de l’Amérique étaient des hommes et des femmes libres qui construisirent une société démocratique et égalitaire à partir du surgissement du Nouveau Monde.
La réalité est que le prolétariat Américain est né dans les entraves du travail et de l’esclavage, confronté à la barbarie des châtiments s’il résistait, obligé de lutter pour la défense de ses droits de base contre un règne capitaliste brutal qui ressemblait davantage à une prison sans murs.
Les colonies du travail des esclaves du Capital
Avides de récolter leur part du gâteau, à la fin du XVI° siècle, les capitalistes mercantiles du quartier des affaires de Londres commencèrent à piller les ressources naturelles du Nouveau Monde. Les premières colonies Anglaises en Amérique du Nord étaient des entreprises, capitalistes dès le départ, dans lesquelles, même les pèlerins Puritains qui embarquèrent sur le Mayflower espéraient tirer un profit de leurs investissements prometteurs. Mais, pour exploiter ce Nouveau Monde, le capital avait besoin de bras.
En Amérique Centrale et en Amérique du Sud, les Espagnols avaient réduit en esclavage des millions de personnes pour satisfaire leur soif d’or. Ne trouvant pas les richesses minières escomptées, le capital Anglais a été obligé de se tourner vers la culture des plants de tabac et pour cela, il avait besoin d’une main d’œuvre docile et très disciplinée. Les indigènes étaient trop difficiles à asservir en nombre suffisant et ils résistaient à l’invasion violente de leur terre natale, mais heureusement pour les marchands aventuriers, une réserve de travailleurs existait encore plus près de chez eux ; pendant les siècles précédents, la paysannerie anglaise avait été chassée de sa terre et comme Marx le décrit : « a été violemment expropriée et réduite au vagabondage, a été rompue à la discipline qu’exige le système du salariat par des lois d’un terrorisme grotesque ».2
Ces lois inhumaines ont été utilisées pour exiler les « crapules incorrigibles » et les envoyer « de l’autre côté des mers ». Cela signifiait que des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, dont on considérait qu’ils constituaient une menace contre l’ordre social et un surplus par rapport aux besoins du capital local ont été simplement évacués et embarqués pour aller travailler dans les champs de tabac de Virginie ; là, beaucoup sont morts au travail ou ont été torturés s’ils essayaient de s’échapper. Parmi les premiers à avoir été envoyés, il y avait des enfants, dont la moitié mourut au cours de la première année. Le groupe le plus important était celui des repris de justice ; et, comme la pendaison était la sanction habituelle pour les plus petites offenses, il n’y avait pas de pénurie de criminels qui auraient pu bénéficier d’une grâce royale en échange de l’émigration vers les colonies –même si le taux de décès était si important que certains aimaient mieux être pendus tout de suite. D’autres étaient en réalité des prisonniers politiques de la bourgeoisie Anglaise dans son combat impitoyable pour la suprématie des Iles Britanniques. Dans une opération qui offre des similitudes avec le goulag stalinien du XX° siècle, on se débarrassait des prisonniers de guerre de la royauté : les Quakers, les rebelles Anglais, les « Covenantaires » Ecossais, les catholiques Irlandais, les Jacobites et des dissidents de toute sorte étaient obligés de se laisser transporter en Amérique pour s’y épuiser jusqu’à la mort dans le travail d’esclave. L’Irlande a été longtemps distinguée par la classe dominante Anglaise pour ce genre de traitement et un nombre infini d’hommes, de femmes et d’enfants Irlandais ont été vendus comme esclaves avant et après la conquête sanglante de l’Irlande par Cromwell et le nettoyage ethnique.
Environ les deux-tiers de tous les immigrants blancs vers les colonies Américaines de l’Angleterre-quelque 350-375000 personnes- arrivèrent comme domestiques engagés sous contrat non résiliable, requis pour travailler pendant 3 à 11 ans ou plus afin de payer leur passage et subvenir à leurs besoins.
Le contrat « indenture » est souvent présenté comme un banal système contractuel équitable. En réalité, c’était une forme d’esclavage limité dans le temps, en même temps qu’une source de profits juteux pour les marchands concernés qui employaient des agents de recrutement pour débusquer, attirer ou enlever les personnes qui ne se doutaient de rien et les embarquer de force pour l’Amérique, où ils deviendraient le bien personnel de leur propriétaire et pourraient être achetés et vendus, punis pour toute désobéissance, fouettés et marqués au fer rouge s’ils s’enfuyaient. Beaucoup étaient des enfants. Même s’ils survivaient à la fin de leur contrat, ils étaient plus susceptibles de rejoindre les rangs du prolétariat que de devenir propriétaires d’un lopin de terre dans le Nouveau Monde.3
Dans son insatiable soif de profit, le capital a réduit en esclavage toute personne dont il pouvait s’emparer, sans discrimination : les Africains, les Indiens d’Amérique, les Anglais, les Écossais , les Irlandais, les Français, les Allemands, les Suisses… Les premiers esclaves Africains arrivèrent en 1619, mais jusqu’à la fin du XVIII° siècle, la majorité des esclaves en Amérique étaient Européens.
Tout d’abord, les esclaves Africains furent traités plutôt comme domestiques apprentis. Noirs et blancs travaillaient côte à côte dans les mêmes conditions. Il y avait une réelle tendance à la fraternisation entre les deux, confirmée par les premières lois passées pour l’interdire expressément. La classe dominante vivait dans la peur constante d’un soulèvement collectif de son armée d’esclaves, notamment dans les plantations de Virginie.
Malgré la dureté des punitions qu’ils ont dû affronter, les esclaves blancs et noirs ont montré leur refus de se soumettre en s’enfuyant ensemble, s’engageant dans des actes de sabotage, de grève, de diminution des cadences et autres formes de résistance, incluant des attaques contre leurs oppresseurs. Le mécontentement grandit. En 1663, les domestiques blancs et les esclaves noirs de Virginie fomentèrent une insurrection ayant pour objectif de renverser le gouverneur et d’instaurer une république indépendante.4 Cela se termina par un procès et l’exécution des dirigeants qui étaient d’anciens soldats de Cromwell tombés dans la servitude.
On a dit des vétérans de la « New Model Army » [armée instituée par Cromwell dans laquelle la priorité était donnée aux compétences et non à la naissance pour la nomination des officiers] qu’ils avaient été mêlés à tous les soulèvements de domestiques en Virginie5 et la persistance des idées radicales de la révolution Anglaise eut une influence importante sur les débuts de la lutte de classe en Amérique. « Le mot d’ordre d’Egalisation » (c’est-à-dire l’attaque contre la propriété des riches pour redistribuer aux pauvres) était derrière les actions spontanées des blancs pauvres contre les riches de toutes les colonies Anglaises, un siècle et demie avant la Révolution Américaine6. En 1644, par exemple, pendant une action commando dirigée par des Puritains dans le Maryland catholique, les maîtres et les esclaves, à la fois protestants et catholiques, saisirent l’opportunité d’exproprier les propriétaires fonciers et de se partager leurs propriétés pour leur propre usage7.
Insurrection et guerre civile en Virginie
L’influence de la révolution Anglaise se voit clairement dans l’insurrection de Virginie en 1676, connue sous le nom de « Révolte de Nathaniel Bacon ». Environ un millier de blancs pauvres vivant à la frontière furent rejoints par des esclaves et des domestiques blancs et noirs. Ils marchèrent sur la capitale Jamestown ; ils y mirent le feu, renversèrent le gouvernement colonial, dénonçant ses dirigeants comme « traîtres au peuple » et s’emparèrent de leurs propriétés. Ce fut de loin le combat le plus important et le plus significatif dans l’Amérique coloniale avant la révolution de 1776, avec la menace importante de devenir une guerre civile totale et de s’étendre à toute la région du Chesapeake. De plus, l’Angleterre perdit le contrôle de sa colonie et dut envoyer des bateaux et dix mille hommes de troupe pour réimposer son joug impérieux. En une démonstration de force, 23 dirigeants furent pendus.
La cause immédiate de ce conflit était le refus par le gouvernement colonial d’user de représailles contre les attaques indiennes qui avaient lieu à la frontière, où étaient installés les colons. Les insurgés lancèrent de violentes attaques contre les tribus indiennes, même celles qui étaient pacifiques. Nathaniel Bacon lui-même était un propriétaire terrien et membre du Conseil du Gouvernement et la rébellion était dirigée par les planteurs qui trouvaient que leur prospérité économique était entravée par la clique de propriétaires fonciers corrompue et incompétente entourant le gouverneur royaliste. D’autres récriminations concernaient les taxes lourdes et inappropriées, le bas prix du tabac et les restrictions anglaises sur le commerce colonial (les « Navigation Acts »).
Mais la rébellion exprimait aussi le ressentiment des blancs pauvres de la frontière ; beaucoup d’entre eux étaient d’anciens serviteurs qui avaient été exclus de la distribution des terres riches par les gros propriétaires fermiers avides et avaient été obligés d’aller vers l’ouest, où ils entraient inévitablement en collision avec les Indiens. La peur profonde (et justifiée) de la faction dominante était que toute tentative de représailles risquait de provoquer un soulèvement armé des classes travailleuses qui, à cause d’une crise économique s’approfondissant, devaient faire face à la pauvreté et à la faim. Selon un membre de la classe dominante de cette époque : « la sympathie de la multitude » pour N. Bacon était due à « l’espoir de la répartition équitable des richesses ».
Les esclaves blancs et noirs, les domestiques, se joignirent à l’insurrection. Ils étaient parmi les derniers à tenir tête aux forces anglaises ; la reddition finale des rebelles eut lieu entre « quatre cents Anglais et Nègres armés » dans une garnison et trois cents « hommes libres et serviteurs sous contrat blancs et noirs » dans l’autre. Environ 80 esclaves noirs et 20 esclaves blancs refusèrent de rendre les armes.8 Mais il y eut aussi beaucoup de désertions dans les rangs des deux armées opposées, ce qui suggère que le prolétariat ne savait pas trop quel camp soutenir dans ce conflit.
Pour autant qu’elle ait eu une idéologie ou un programme cohérent, la direction de la « rébellion de N.Bacon » était très proche politiquement des Indépendants, l’aile gauche de la bourgeoisie dans la « Guerre Civile Anglaise »9 ; elle voyait l’insurrection comme une partie d’une attaque plus large contre la monarchie. N. Bacon lui-même semble avoir argumenté en faveur de l’expulsion des troupes anglaises, du renversement du gouvernement royal et de la fondation d’une république indépendante avec l’aide des Français et des Hollandais, rivaux de l’Angleterre.
Sans surprise, l’insurrection a été vue comme un élément précurseur de la Révolution Américaine et nous y reviendrons dans le prochain article. A l’époque, sa signification réelle était un signal d’alarme envers la classe dominante au sujet de la nécessité de tenir compte de la menace grandissante que constituait le prolétariat Américain. A cette fin, la faction dominante fut d’abord autorisée à porter sa vengeance sur les insurgés et à se permettre une orgie d’exécutions. Puis, une fois l’ordre rétabli et le prolétariat à nouveau réduit en esclavage, l’Etat Anglais l’exclut du pouvoir, réduisit l’autonomie politique de la colonie et imposa un gouvernement soutenu par l’armée directement contrôlé par Londres.
Le racisme – une stratégie délibérée pour diviser le prolétariat Américain
La classe dominante Américaine a été obligée de reconnaître que sa dépendance à l’égard du « travail forcé » [forme d’esclavage], combinée à l’avidité de la bourgeoisie foncière locale, assoiffée de bonnes terres, était en train de créer une classe toujours plus nombreuse et mécontente d’ouvriers agricoles sans terre, en Amérique. C’est pourquoi sa réponse à long-terme a consisté à instaurer une distance entre travailleurs blancs et noirs, en redéfinissant l’esclavage en des termes purement raciaux, établissant d’un point de vue juridique que les esclaves noirs étaient la propriété de leurs maîtres pour la vie, avec tout un attirail de châtiments barbares pour toute résistance ou tentative de fuite, incluant le fouet, les brûlures, la mutilation et le démembrement. Ayant institutionnalisé l’idée raciste que les blancs étaient supérieurs aux noirs, elle plaça les ouvriers dans une position de force vis-à-vis des noirs : des lois furent votées, donnant aux domestiques blancs sous contrat qui avaient fini leur engagement, le droit d’avoir une terre et des outils. Ces lois devaient encourager le développement d’une nouvelle classe moyenne de petits planteurs et de fermiers indépendants qui pourraient s’identifier sur un socle racial avec leurs exploiteurs. Cela constituerait un tampon contre les luttes des esclaves noirs, des Indiens de la frontière et des blancs très pauvres.
Ainsi, les divisions raciales entre noirs et blancs n’étaient pas basées sur de quelconques différences naturelles mais participèrent d’une stratégie délibérée mise en place par la classe dominante pour empêcher la menace réelle d’une lutte commune des ouvriers blancs et noirs contre leurs exploiteurs.
Le nombre d’esclaves africains grossit rapidement après 1680, stimulé par les énormes profits en perspective grâce au Commerce Triangulaire, le moindre coût pour les planteurs utilisant des esclaves noirs et la diminution du coût du travail sous contrat, dans un contexte où la révolution industrielle finissait d’absorber les travailleurs sans terre dans la production capitaliste locale. En 1750, les esclaves africains avaient quasiment remplacé les esclaves Européens. En fait, dans quelques colonies comme la Caroline du Sud, ils étaient plus nombreux que la population blanche et la classe dominante avait une conscience aigüe de sa situation précaire, qui requerrait non seulement la suppression impitoyable de tout signe de résistance mais aussi, un haut niveau de surveillance et de contrôle, avec l’aide de policiers désignés pour pérenniser la division de ses ennemis.
Les méthodes utilisées par la bourgeoisie pour contrôler son armée d’esclaves noirs ont été construites à partir des leçons tirées des précédentes vagues de luttes de serviteurs et d’esclaves. Ces leçons ont été affinées dans un système d’une barbarie toujours plus sophistiquée, élaboré pour aboutir à la destruction mentale et psychologique des esclaves, leur dégradation, leur humiliation de toutes les manières afin de les empêcher de reconnaître leurs propres intérêts contre leurs exploiteurs.
« On apprenait aux esclaves la discipline, on leur martelait l’idée de leur propre infériorité, d’ « où était leur place », à voir la négritude comme une marque de subordination, à être respectueux et craintifs vis-à-vis du pouvoir du maître, à confondre leur intérêt avec celui du maître, abolissant leurs propres besoins personnels. Pour accomplir ce dessein, il y avait la discipline du dur travail, la rupture des liens familiaux dans l’esclavage, les effets apaisants de la religion (qui parfois conduisaient à « une grande sottise » comme un propriétaire d’esclaves l’a rapporté), la création d’une désunion entre esclaves des champs et esclaves de maison privilégiés et finalement le pouvoir de la loi et le pouvoir direct du contremaître qui commandait le fouet, le feu, la mutilation et la mort. »10
Malgré tous ces obstacles à l’organisation de la résistance, il y a eu environ 250 soulèvements ou attentats incluant un minimum de dix mouvements d’esclaves africains avant la révolution Américaine. Ce n’étaient pas simplement des tentatives désespérées pour la liberté ; quelques-unes impliquaient également des travailleurs blancs et ont été rapportées comme ayant eu des buts politiques conscients comme la répartition équitable des richesses et le renversement de la classe des maîtres.11
Mais les efforts de la classe dirigeante pour diviser la classe ouvrière Américaine selon un axe racial a constitué un garde-fou : lorsqu’une vague de soulèvements d’esclaves noirs commença dans la première moitié du XVIII° siècle, elle a été effectivement isolée des luttes du reste du prolétariat et les petits colons blancs eux-mêmes étaient maintenant la cible de la colère noire.
Lors de la première révolte à grande échelle à New York en 1712, environ 25 à 30 esclaves armés firent feu sur un immeuble et tuèrent neuf blancs qui passaient par là. La plupart furent capturés par la troupe en moins de 24 heures et 21 furent brûlés vifs, pendus ou soumis au supplice de la roue ; un esclave fut suspendu vivant avec des chaînes pour servir de « châtiment exemplaire ».12
Des soulèvements organisés ou spontanés suivirent ultérieurement, particulièrement en Caroline du Sud et en Virginie, causés par la famine ou la dépression économique. Il y a aussi des récits de communautés issues d’esclaves Africains fugitifs et d'Indiens d’Amérique, établies dans des endroits reculés comme « Blue Ridge Mountain », qui ont été écrasées par la milice en 1729.
Le plus grand soulèvement d’esclaves noirs en Amérique avant la révolution de 1776 fut celui de Stono en 1739. Environ 20 esclaves armés, peut-être d’anciens soldats, rejoints par une centaine d’autres « appelèrent à la liberté, marchèrent avec les Couleurs affichées et deux tambours battants », se dirigeant vers la Floride Espagnole, jusqu’à ce qu’ils soient interceptés par la milice. Environ 25 blancs et 50 esclaves furent tués et les têtes des rebelles décapités furent piquées sur des poteaux le long des routes en guise d’avertissement.13
La classe dominante a délibérément provoqué une atmosphère de suspicion et de peur afin d’empêcher la fraternisation entre les prolétaires blancs et noirs, à tel point que, encore aujourd’hui, on ne sait pas quelles « conspirations » d’esclaves étaient réelles ou non. La répression, elle, était bien réelle :
« A New York en 1741, il y avait dix mille blancs dans la ville et deux mille esclaves noirs. L’hiver avait été rude et les pauvres – esclaves et hommes libres- avaient beaucoup souffert. Quand de mystérieux incendies éclatèrent, les blancs et les noirs furent accusés de conspirer. Une hystérie de masse se développa contre les accusés. Après un procès rempli d’accusations affreuses lancées par des indicateurs et de confessions forcées, deux hommes blancs et deux femmes blanches furent exécutés, 18 esclaves pendus et 13 esclaves furent brûlés vifs. »14
Il y eut ultérieurement d’autres rébellions d’esclaves organisées pendant les années 1740, mais un essoufflement se fit sentir, dû à la combinaison entre l’épuisement après l’échec des premières luttes et l’efficacité impitoyable de la classe dominante dans la répression et le contrôle de son armée toujours grossissante d’esclaves Africains.
Bien sûr, certains sont aussi allés en Amérique de leur propre volonté. A cause de la rareté de l’offre de travail, particulièrement le travail qualifié, les ouvriers pouvaient demander des salaires de 30 à 100% plus élevés qu’en Angleterre. Cela signifiait qu’il était souvent possible pour eux de demander et obtenir une paye plus élevée et de meilleures conditions. Et, s’ils ne les obtenaient pas, ils partaient chercher du travail ailleurs. Mais la peur de la révolte, les tentatives de la bourgeoisie de contrôler la classe ouvrière et d’imposer des bas salaires impliquaient que, surtout dans les villes, les travailleurs en lutte s’affrontaient rapidement à l’état :
« Dès 1636, un employeur de la côte du Maine rapporta que ses employés et ses pêcheurs avaient « déclenché une mutinerie » parce qu’il avait retenu leurs salaires. Ils avaient abandonné leur poste en masse. Cinq ans plus tard, des charpentiers du Maine, protestant contre une nourriture insuffisante, diminuèrent les cadences. Aux chantiers navals de Gloucester dans les années 1640, (…) les patrons empêchèrent les ouvriers d’entrer sur le chantier pour la première fois dans l’histoire du mouvement ouvrier Américain, quand les autorités dirent à un groupe de charpentiers de navires gêneurs qu’ils ne pouvaient pas « faire une grève de plus »
« Il y eut des grèves précoces de tonneliers, de bouchers, boulangers, protestant contre le contrôle du gouvernement sur les prix qu’ils pratiquaient. A New York dans les années 1650, les porteurs refusèrent de transporter le sel et les intermédiaires (les routiers, les équipiers, les transporteurs) qui se mirent en grève furent poursuivis pour n’avoir pas « respecté l’Ordre et fait leur Devoir comme il leur revenait de le faire pour rester à leur place ».
Les seules tentatives de mettre en place des organisations permanentes à cette époque furent les « sociétés amicales » fondées selon les métiers, comprenant souvent des employeurs aussi bien que des ouvriers. Cependant, la classe dominante les regardait avec beaucoup de suspicion et, dès 1680, une association de tonneliers de New York City fut poursuivie pénalement en tant qu’organisation criminelle.15
Avec l’émergence de la classe ouvrière urbaine dans les villes qui croissaient rapidement, la bourgeoisie déploya de manière toujours plus forte sa stratégie pour renforcer les divisions entre les ouvriers noirs et blancs, cultivant le soutien aux ouvriers blancs qualifiés en les protégeant de la compétition :
« Dès 1686, le Conseil de New York statua qu’ « aucun Nègre ou esclave n’est autorisé à travailler sur le pont en tant que porteur de marchandises importées ou exportées à l’extérieur ou dans cette ville. » Dans les villes du Sud, également, les artisans et les commerçants blancs étaient protégés de la concurrence nègre. En 1764, la législation de Caroline du Sud défendit aux maîtres de Charleston d’employer des nègres ou autres esclaves aux travaux de mécanique ou de commerce d’objets artisanaux. »16
En agissant ainsi, la bourgeoisie espérait développer une nouvelle classe moyenne blanche, à partir d’ouvriers qualifiés qui viendraient grossir la classe des petits planteurs et des fermiers indépendants, afin d’empêcher une lutte généralisée au-delà des barrières raciales.
Conclusions
Les premières colonies américaines de l’Angleterre ont été établies sur des bases capitalistes ; certainement, dans la vision de Marx, une société comme celle d’Amérique du Nord se développa dès le départ à un plus haut niveau et grandit plus vite qu’en Europe, où la montée du capitalisme était entravée par les liens sociaux de la féodalité sur le déclin17 (19). Que le prolétariat Américain fût né dans l’asservissement et soumis au travail forcé et aux traitements barbares n’avait rien d’exceptionnel au moment de l’aube rosée du mode de production capitaliste décrit d’une manière si vivante par Marx. Le capitalisme, à ses débuts en Amérique du Nord, était basé fermement sur le régime de contrôle du prolétariat naissant, déjà existant dans l’Angleterre des Tudor ; si Marx a passé tant de temps à rédiger le Volume I du Capital, faisant l’inventaire des « lois terrorisantes » qui accompagnaient l’expropriation de la paysannerie Anglaise et sa préparation au monde du travail salarié, c’est parce que l’Angleterre offrait le premier et le meilleur exemple de la genèse du capitalisme industriel. Pour le capital, l’usage systématique des méthodes les plus barbares était absolument nécessaire à sa survie en Amérique, compte-tenu de l’âpreté des conditions, de la pénurie chronique de travail et des menaces extérieures contre son existence.
Ce qui distingue la lutte de la classe ouvrière à ses débuts en Amérique, bien que ce ne soit pas la seule distinction, est l’institutionnalisation de l’esclavage noir Africain, qui a conduit à la division de la classe ouvrière naissante selon un axe racial et l’isolement de ses luttes qui en a été la conséquence. Cette division raciale est demeurée comme une barrière immensément efficace contre l’unification du prolétariat Américain et contre sa capacité à imposer ses intérêts communs de classe dans la société capitaliste.
Cependant, depuis sa naissance, le prolétariat Américain a montré sa volonté de se battre contre ce régime capitaliste de terreur. Il a affiché d’une part un courage parfois désespéré contre tous les abus ; d’autre part, il a montré une réelle solidarité, au-delà des barrières raciales, face à l’exploitation et à l’oppression partagées. Enfin, il a développé une conscience politique de soi et des buts ultimes pour son combat – ce qui est précisément la raison pour laquelle la classe dominante a été obligée d’adopter des stratégies et des tactiques sophistiquées pour diviser et régner.
Le prochain article examinera la lutte de classe en Amérique pendant la période conduisant à la Déclaration de l’Indépendance et la création des Etats-Unis d’Amérique.
MH (14 janvier 2013)
1 Le Capital Economie I, page 1212 la Pléiade
2 Chapitre XXVIII Economie I, page 1195 la Pléiade-
3 See D. Jordan & M. Walsh, White Cargo. The forgotten history of Britain’s white slaves in America, Mainstream, 2007.
4 Richard B. Morris, Government and Labor in Early America, Harper Torchbook edition, 1965, p.173.
5 Ibid., p.206.
6 Howard Zinn, A People’s History of the United States, Harper Perennial edition, 2005, p.42.
7 Edward Toby Terrar, “Gentry Royalists or Independent Diggers? The Nature of the English and Maryland Catholic Community in the Civil War Period of the 1640s,” Science and Society (New York), vol. 57, no. 3 (1993), pp. 313-348, www.angelfire.com/un/tob-art/art-html/18c-ar10.html.
8 Quoted in Zinn, Op. Cit., p.55
9 See the articles on the “Lessons of the English revolution” in World Revolution nos. 325 and 329.
10 Zinn, Op. Cit., p.35.
11 Herbert Aptheker, American Negro Slave Revolts, International Publishers edition, 1993, pp.162-163.
12 Ibid., pp.172-173.
13 Ibid., pp.187-189.
14 Zinn, Op. Cit., p.37.
15 Morris, Op. Cit., p.159.
16 Zinn, Op. Cit., p.57.
17 The German Ideology, Part I: Feuerbach. Opposition of the Materialist and Idealist Outlook. D. Proletarians and Communism, https://www.marxists.org/archive/marx/works/1845/german-ideology/ch01d.htm).