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Nos camarades d’Accion Proletaria (section du CCI en Espagne) diffusent depuis la mi-février le tract traduit ci-dessous.
Après les dures attaques du gouvernement du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), voici le Parti populaire (PP) de droite qui lance depuis deux mois les coups les plus mauvais de ces cinquante dernières années :
– forte augmentation des impôts qui va entraîner une perte de 3 à 5 % des revenus pour les salariés, les retraités et les chômeurs ;
– avalanche de coupes dans les budgets des régions surtout dans les secteurs de la santé, des services sociaux et de l’éducation ;
– réforme du code du travail qui réduit l’indemnisation pour cause de licenciement à 33 jours (au lieu de 45 jours jusqu’alors) pour une année de travail, et qui laisse la porte ouverte à la généralisation des licenciements avec seulement 20 jours d’indemnités. Cette réforme permet aussi aux entreprises les licenciements sans autorisation administrative, elle consolide et élargit la loi du gouvernement (socialiste !) précédent qui permet des contrats précaires (“contrats-poubelle” comme on dit en Espagne) d’une durée allant jusqu’à 3 ans et, ce qui est encore plus grave, elle autorise les entreprises à réduire les salaires sans aucune restriction.
Par ailleurs et en tant “que hors d’oeuvre” de cette réforme du code du travail, les syndicats et le patronat ont signé un pacte à peine quelques jours plus tôt pour le gel des salaires jusqu’en 2014, en donnant la possibilité aux entreprises de sortir de ce pacte selon leur bon vouloir.
Ces agressions ont lieu en pleine montée du chômage, avec une multiplication des licenciements (1) et une prolifération des impayés et des retards dans le payement des salaires allant jusqu’à 6 mois.
Il y a une forte indignation, la combativité et les initiatives de lutte “venant d’en bas” ont tendance à augmenter. Cependant, il est nécessaire de comprendre dans quelles conditions cela se produit. Aussi, il faut se poser quelques questions : Comment le gouvernement, l’opposition et les syndicats se situent face aux travailleurs ? Quelle est la conscience de ceux-ci ? Dans quelle mesure les graines plantées par le mouvement social du 15-Mai peuvent-elles favoriser aujourd’hui leur lutte ?
La région de Valence a vécu 2 grandes manifestations : le 21 janvier (pour le secteur de l’éducation) avec 80 000 personnes à Valence et 40 000 à Alicante et le 26 janvier (pour tout le secteur public) avec 100 000 à Valence, 50 000 à Alicante et 20 000 à Castellon. À la suite de ces manifestations, la mobilisation a continué dans des collèges, des lycées, des quartiers…
Et même si la région de Valence a été temporairement la cible principale des attaques, les luttes tendent à augmenter dans les autres régions. À Madrid : manifestation des pompiers, des fonctionnaires et rassemblements contre la réforme du code du travail le jour même de son adoption ; à Bilbao manifestation du secteur public ; 100 000 manifestants à Barcelone venant de tous les secteurs ; dans cette même ville, les travailleurs des écoles primaires se rassemblent, avec des parents et des enfants, devant le gouvernement régional ; il y a eu une manifestation massive du secteur public à Tolède ; 10 000 manifestants à Vigo en solidarité avec le chantier naval ; marche des travailleurs de Ferrol vers La Corogne…
Une confrontation soigneusement préparée
Contrairement à tout ce qu’on veut nous faire croire, nous ne sommes pas des citoyens égaux, la société est divisée entre une classe minoritaire qui possède non seulement les moyens de production mais aussi l’Etat (2), et une immense majorité qui ne peut compter qu’avec sa conscience, sa solidarité, son unité et la force du nombre.
Nous allons vers des affrontements dont l’importance est difficile à prédire, mais ce qui est évident c’est que la minorité – le Capital et son Etat – a préparé un piège politico-idéologique pour bloquer la mobilisation des travailleurs.
Les réajustements se mènent d’une manière échelonnée, région par région, paquet par paquet : en janvier 2011, c’est la région de Murcie qui a commencé ; depuis juin c’est la Catalogne ; en septembre la région de Madrid et maintenant c’est le tour de la région de Valence ; plus tard ce sera, sans doute, le tour de l’Andalousie. Autrement dit, c’est une attaque générale qui apparaît comme une succession d’attaques régionales sans rapports entre elles, en faisant en sorte que les travailleurs luttent bien enfermés chacun dans leur région (3).
Par ailleurs, on manipule la division “traditionnelle” entre les travailleurs du secteur public et du secteur privé. On présente les premiers comme des privilégiés et on essaye de leur faire gober une telle propagande, et c’est ainsi que les syndicats leurs disent, pour se faire “pardonner” en quelque sorte, qu’ils devraient renoncer aux revendications sur leurs salaires et leurs conditions de vie pour ne se concentrer que sur la défense du service public dans l’éducation ou dans la santé.
Cette différence entre travailleurs du public et ceux du privé est totalement battue en brèche par la réalité elle-même : 40 % des travailleurs du public sont des intérimaires, à telle enseigne qu’il y a davantage de précarité dans le secteur public que dans le privé. Les travailleurs du privé par le biais de la réforme du code du travail et les travailleurs du public par celui des coupes et des réductions en tout genre partagent la même réduction de salaires, la même menace généralisée de chômage (4), la même dégradation des conditions de travail. Les coupes sont comme un couteau à double tranchant : avec un coté on taillade les salaires et les conditions de travail des travailleurs du public ; avec l’autre on réduit les services indispensables en les dégradant aux niveaux les plus bas. Les coupes et la réforme du travail ne sont pas des faits reliés à des réalités différentes, mais elles font partie d’une ATTAQUE GLOBALE contre TOUS LES TRAVAILLEURS.
Les syndicats ne nous représentent pas
Lors du mouvement du 15-Mai des critiques très dures se sont exprimées vis-à-vis des syndicats, surtout contre le tandem Commissions ouvrières -Union générale des travailleurs (CO-UGT).
Ce n’est pas pour rien ! D’un coté ces syndicats signent tout ce que le patronat et le gouvernement leur mettent sur la table, mais de l’autre coté, et c’est là le pire de leur boulot, ils organisent des luttes factices qui engendrent la démobilisation et la division au sein des travailleurs, en les amenant à la défaite.
Le capital et son État emploient leurs deux mains contre les ouvriers : avec la droite, gouvernement et patronat abattent des coups de hache, tandis qu’avec la gauche, syndicats et opposition les poussent à mettre la tête sur le billot.
À Madrid, de la main droite, la présidente de la région, Aguirre, a attaqué les travailleurs de l’enseignement avec 3000 licenciements et un allongement du temps de travail, alors que de la main gauche, l’alliance entre 5 syndicats (qui va des CO-UGT jusqu’aux syndicats de droite tels que CSIF ou AMPE) a fait l’impossible pour boycotter les assemblées de base, en contrariant par tous les moyens leur coordination, et, enfin, en dévoyant et en épuisant la lutte vers la fausse dichotomie public-privé, ce qui a permis de faire passer tout ce que le gouvernement régional voulait.
Maintenant, avec les mobilisations à Valence, on nous ressert le même plat : de la main droite, le gouvernement du PP impose des coupes très dures tandis que, de la main gauche, on nous parle de corruption et de gaspillage, en occultant le fait que la crise est globale et mondiale. Avec cela, on essaye de nous isoler entre les quatre murs de chaque région, en demandant de renoncer aux revendications “égoïstes”.
Il est significatif que, face à la prétendue réforme du travail, les syndicats adoptent un profil bas, en essayant d’éviter par tous les moyens que la nécessité d’une lutte vraiment unitaire ne devienne une évidence. Leur politique consiste à échelonner leurs “réponses” pour qu’elles soient le plus fragmentées possibles, pour qu’on ne voit pas le lien entre les coupes sociales et la réforme du travail, entre tout cela et le chômage déchaîné, pour qu’on ne comprenne pas que nous nous trouvons face à des manifestations d’une même et unique crise du système.
Ils ont choisi la tactique de l’usure dans l’isolement pour les employés publics de la région de Valence (comme ça a été fait pour leurs camarades de Murcie, Madrid et Barcelone), ils misent sur leur défaite et alors ils lanceront “une mobilisation générale” contre la réforme du code du travail qui traînera comme un boulet cette défaite préalable.
Les travailleurs peuvent-ils briser cette stratégie hostile qui leur est imposée ?
Après 5 ans de crise, les souffrances sont de plus en plus grandes et la seule chose qu’on voit à l’horizon c’est encore plus de “réajustements”, encore plus de chômage, encore plus de misère... La droite promet – comme le PSOE l’avait fait auparavant – une “sortie de la crise” si on consent à de durs sacrifices, la gauche et les syndicats parlent “d’une issue possible” si l’État mettait son veto “pouvoir démesuré des financiers” et s’il “libérait des ressources budgétaires” pour les créations d’emploi, etc. Mais, est-ce qu’on peut croire en de telles “issues” quand on voit qu’après les “réajustements” arrivent les coupes et après les coupes, les coups de ciseaux dans une chaîne sans fin ? Est-ce qu’il est réaliste de rechercher des “issues” à l’intérieur d’un système qui n’en offre pas ?
Que faire ? Les luttes, même les plus massives, ne réussissent pas à rendre plus vivable la situation. Mais ne pas lutter est encore pire parce que nous perdons notre dignité, nous sommes humiliés en permanence.
Nous devons lutter ! L’acquis principal de la lutte est la lutte elle-même. La lutte est une école où nous prenons conscience des moyens dont nous disposons, de qui sont nos ennemis et nos faux amis, des pièges qu’ils utilisent contre nous. La lutte, si elle est capable de s’auto-organiser à travers des assemblées massives et ouvertes aux autres prolétaires, permet de développer la communication, l’empathie, la discussion et une prise de décisions basée sur la responsabilité et l’engagement de tous. Face à une société qui nous inocule le poison de la concurrence entre nous, les assemblées nous fournissent l’antidote : apprendre à agir ensemble, à prendre nos affaires en mains.
La lutte fait que des foules investissent les rues et les places, nous fait découvrir la possibilité d’AGIR ENSEMBLE et si nous arrivions à le faire à une échelle internationale, nous pourrions réaliser que nous sommes une force capable de transformer le monde, qu’un autre monde différent du capitalisme est possible, parce que, même s’ils sont très puissants et disposent de moyens terrifiants, ils ne sont qu’une minorité parasite dont l’existence dépend entièrement de notre travail collectif et associé.
Avec les luttes qui se déroulent en Italie, en Grèce et ailleurs nous avons pu voir des initiatives, encore minoritaires, qui vont dans cette direction.
À Alicante, plusieurs collèges d’enseignement ont décidé de s’unir en assemblées regroupées à l’échelle géographique, d’organiser des cortèges de rue pour mobiliser tout le monde et marcher ensemble avec une pancarte commune lors des manifestations ; ça fonctionne comme une assemblée ouverte qui, périodiquement, organise des réunions où se rejoignent des travailleurs des services socio-sanitaires, de l’enseignement, du gaz, du nettoyage, etc. À Castellón, le mouvement du 15-Mai a convoqué une assemblée sur la place centrale pour lutter contre les coupes budgétaires. Des travailleurs des crèches et des écoles primaires de Valence ont fait un rassemblement avec les parents et les enfants devant le gouvernement régional. Des assemblées du 15-Mai des cités-dortoirs du sud de la ville de Valence appellent à une manifestation conjointe pour le 18 février contre les coupes et contre la montée des taxes municipales. Dans plusieurs quartiers et villes de la banlieue de Valence, des assemblées de zone se sont organisées qui coordonnent des écoles et des lycées. Appelée “lundis au soleil” (5), c’est une initiative de regroupement de chômeurs qui s’est concrétisée à Valence – et ailleurs en Espagne –, encore très minoritaire. Dans plusieurs villes d’Espagne, il y a aussi eu des rassemblements en solidarité avec les travailleurs grecs.
Lors d’une assemblée de professeurs de Valence dont le présidium était occupé par les syndicats, il y a eu une forte tension entre ceux-ci et les travailleurs. Une intervention a mis clairement en avant la nécessité de s’organiser en assemblées horizontales. Plusieurs interventions ont “mis en garde” les syndicats contre “toute trahison” et contre “toute signature comme ils en ont l’habitude”.
Pour le 20 février, ont été programmées des occupations dans les centres d’enseignement, les délégués de deux lycées ont proposé de faire “une seule occupation centrale” dans le lycée Luis-Vives (en plein centre ville de Valence) où tout le monde pouvait se rendre, autant les travailleurs de l’enseignement que ceux de la santé, les chômeurs etc. On y a proposé que ce soit une occupation pour créer un espace de débats, de rencontres et d’unité qui pourra continuer pendant quelques jours. Les syndicats ont tout fait pour freiner une telle initiative, mais elle a fini par être approuvé… après deux votes !
On voit bien comment les syndicats essayent d’occuper le terrain social, mais on voit aussi, simultanément, un élan, un développement d’initiatives de la part des travailleurs qui essayent de mener une lutte efficace, tout en essayant de la prendre en main. Il y a une forte aspiration à LUTTER ENSEMBLE. Nous avons besoin d’une même lutte contre les coupes sociales, contre le chômage et la prétendue réforme du travail ; une même lutte pour une santé, une éducation et des services sociaux vraiment humains et de qualité.
Notre mouvement est à la fois ancré dans le présent et dans le futur. Il est du présent pour résister aux coupes et autres réformes. Il est du futur pour répondre à des questions dont dépend l’avenir : de quelle société avons-nous besoin comme alternative à celle que nous subissons actuellement ? Comment pouvons-nous y arriver ? Comment pourrons nous faire fonctionner l’éducation, la santé, les services sociaux, les services culturels, etc. ?
CCI (15 février)
1) Spanair et Air Nostrum (deux compagnies aériennes low-cost) ont licencié quelques 5000 travailleurs ; les chantiers navals de Ferrol sont menacés de fermeture avec 6000 travailleurs concernés directement et 10 000 en sous-traitance.
2) L’État n’est pas “à tous”, et il n’est pas non plus neutre. C’est une machine bureaucratique et répressive au service de la minorité dominante qui prend sa légitimité tous les quatre ans par le biais de la farce électorale. Comme cela était scandé dans le mouvement du 15-Mai “on l’appelle démocratie et ce n’est pas le cas”, “c’est une dictature et on ne le voit pas”.
3) Prenons l’exemple de la Région de Valence. Il est vrai que le gouvernement régional est très corrompu, mais comme le disait un tract d’un Collectif de travailleurs de Valence “Il est plus que clair qu’une grosse partie de la classe politique est une bande grotesque de profiteurs du genre coq vaniteux comme de nouveaux riches (Gürtel, Emarsa, Brugal, Aerocas, le scandale des ERE en Andalousie...). Mais ces abus sont la conséquence d’un système social qui prend l’eau partout dans le monde. Les coupes sont générales : en Catalogne, à Madrid, en Castille-La Manche, partout en Espagne !, mais aussi au Portugal, en Grèce, aux USA, en Grande-Bretagne ! La crise de la dette a mis à nu l’échec d’un système dont le seul but est le profit, ce qui favorise la spéculation et l’investissement dans les secteurs financiers et immobiliers, ce qui a fini par créer une bulle qui au moment d’éclater nous a tous éclaboussé”.
4) En Grèce, on a déjà commencé à licencier les fonctionnaires avec un poste de travail sûr.
5) Ce nom est sans doute emprunté au titre d’un film qui racontait les luttes et la vie des chômeurs à Vigo, à la suite d’une gigantesque vague de licenciements dans les chantiers navals [NdT].