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A l’heure où les spécialistes de l’environnement tirent la sonnette d’alarme, où les océans, pollués par toute sorte de produits chimiques, sont de plus en plus saturés de déchets plastiques, où boire l’eau du robinet prend une allure de roulette russe, la classe capitaliste et ses spécialistes à la solde des compagnies gazières nous annoncent fièrement qu’ils vont développer une nouvelle méthode de production gazière très rentable : l’extraction du gaz de schiste. Cette “alternative” énergétique permettrait entre autres à la France d’être autonome pour ses besoins en gaz pendant des décennies et ainsi de réduire le coût de ses dépenses en énergie. Bien des Etats se penchent donc sur cette nouvelle recette miracle. En France, le 21 avril dernier, une mission d’inspection des ministères de l’Industrie et de l’Ecologie a rendu un rapport très attendu au gouvernement pour présenter les enjeux des huiles et gaz de schiste dont les sous-sols semblent regorger. En vue de la grande mascarade démocratique de 2012, il faut reconnaître que tous les partis politiques semblent unanimes pour dénoncer le manque de recul et de réflexion pour accorder des permis d’exploration et d’exploitation. “En clair, le gouvernement n’est pas prêt à décider quoi que ce soit avant l’élection présidentielle de 2012, et d’ici là, la loi Jacob aura peut-être été adoptée” (le Monde du 23 avril 2011). Toutefois, il est à noter que ce rapport ne ferme pas la porte à une possible exploration des gaz de schiste : “Il serait dommageable pour l’économie nationale et pour l’emploi que notre pays aille jusqu’à s’interdire, sans pour autant préjuger des suites qu’il entend y donner, de disposer d’une évaluation approfondie de la richesse potentielle.”
De quoi s’agit-il ?
Pour ainsi dire, il n’y a rien de véritablement “révolutionnaire” dans cette production de gaz. Il s’agit de forer le sol à une certaine profondeur jusqu’à atteindre une couche de schiste ou plus précisément de roche sédimentaire argileuse (appelée “shale” par les géologues canadiens) et d’en extraire les hydrocarbures par pompage. Rien de bien nouveau depuis le premier puits de gaz foré en 1821 à Fredonia aux Etats-Unis, dans une formation de schiste du dévonien. Rapidement abandonnée au profit de l’exploitation des réservoirs de gaz conventionnel, cette méthode fait aujourd’hui son retour “en grandes pompes” avec quelques modifications tout à fait stupéfiantes !
La méthode traditionnelle d’extraction de gaz conventionnel consiste en un forage vertical au dessus de la poche de gaz à exploiter. Le nouveau procédé s’appuie sur le forage directionnel (souvent horizontal), associé à la fracturation hydraulique. Le forage directionnel consiste à forer non pas verticalement, mais à une profondeur et un angle qui permettent au puits de rester confiné dans une zones potentiellement productrices (1). La fracturation hydraulique consiste à provoquer un grand nombre de micro-fractures dans la roche contenant du gaz, permettant à celui-ci de se déplacer jusqu’au puits afin d’être récupéré en surface. La fracturation est obtenue par l’injection d’eau à haute pression dans la formation géologique. On injecte également du sable de granulométrie adapté qui va s’insinuer dans les micro-fractures et empêcher qu’elles ne se referment. Du point de vue technique, il faut reconnaître que ce procédé est très astucieux. Mais en y regardant de plus près… il s’avère être une menace immédiate sur le plan écologie et sanitaire. Outre la consommation en eau particulièrement vorace de ce procédé (2), on ajoute des additifs dans l’eau pour améliorer l’efficacité de la fracturation, parmi lesquels figurent :
– des lubrifiants, qui favorisent la pénétration du sable dans les micro-fractures ;
– des biocides destinés à réduire la prolifération bactérienne dans le fluide et dans le puits ;
– des détergents qui augmentent la déportation du gaz et donc la productivité des puits ;
– des produits pour gélifier l’eau et autres anti-corrosions…
La liste est encore longue. Selon le Centre Tyndall (université de Manchester), certains de ces additifs seraient toxiques et cancérigènes.
Pour le forage des douze puits d’une plate-forme, c’est au total jusqu’à 7000 tonnes d’additifs toxiques qui peuvent être déversés dans les sous-sols, risquant ainsi de contaminer l’eau contenue dans les nappes phréatiques environnantes. Si, pour certains spécialistes comme Didier Bonijoly, chef du bureau des recherches géologiques et minières, ce risque serait minime du fait qu’“en général, les couches de schiste visées par les explorations en France sont bien trop profondes pour que les fissures puissent atteindre les nappes phréatiques proches de la surface”, son homologue Bernard Collot, un géologue ancien d’Exxon, a la lucidité de reconnaître : “dans nos régions géologiquement agitées, les couches de schistes sont plissées et fracturées, si bien qu’on peut imaginer une migration verticale des additifs par les failles de schiste”. En France, le risque de pollution à grande échelle est bien réel.
Une nouvelle pollution planétaire à venir
Le film documentaire de Josh Fox intitulé “Gasland”, diffusé sur Canal + en avril dernier, est très explicite et démonstratif. On y voit des familles américaines, vivant à proximité des fameuses plate-formes de forage, condamnées à souffrir des conséquences de cette exploitation sauvage. Par les robinets des maisons, de l’eau pétillante contaminée par les hydrocarbures se déverse devant les yeux pleins de colère des habitants impuissants. Un homme approche une flammèche du filet d’eau trouble… et tout l’évier est envahi de flammes ! Plus tard, on apprend qu’une famille aura bu cette eau contaminée pendant plusieurs années avant de se rendre compte de sa toxicité. Il faut également remarquer que le procédé de fracturation peut entraîner la migration de certains éléments radioactifs contenus dans les sous-sols vers, entre autres, des nappes phréatiques !
Et ce n’est là qu’un début. La société norvégienne Statoil, impliquée dans une coentreprise avec Chesapeake Energy pour produire le gaz de schiste du Marcellus Shale dans le nord-est des Etats-Unis, veut profiter de son “expérience” pour développer le gaz de schiste en Europe. La société russe Gazprom a annoncé en octobre 2009 qu’elle envisageait l’achat d’un producteur américain de gaz de schiste afin d’acquérir une expertise qu’elle pourrait utiliser pour développer le potentiel de la Russie. Dans le Barnett Shale au Texas, la compagnie pétrolière française Total SA participe à une coentreprise avec Chesapeake Energy, alors que la société italienne ENI a acquis une participation dans Quicksilver Resources. En Autriche, l’exploration est en cours. OMV travaille sur un bassin prometteur, près de Vienne. En Allemagne, Exxon Mobil détient des baux sur 750 000 hectares dans le bassin inférieur de la Saxe, où elle projetait de forer dix puits de gaz de schiste en 2009. Cette même compagnie a foré le premier puits de gaz de schiste en Hongrie dans la fosse Mako, en 2009. En Angleterre, Eurenergy Resource Corporation a annoncé son intention de forer pour du gaz de schiste dans le bassin Weald, situé dans le sud du pays. La Royal Dutch Shell évalue la viabilité des schistes d’Alum, dans le sud de la Suède, comme source de gaz de schiste. Beach Petroleum Limited a annoncé son intention de forer pour du gaz de schiste dans le bassin de Cooper, en Australie-Méridionale. La Chine s’est fixé un objectif de production de 30 milliards de mètres cubes par an à partir des schistes…
Voilà se dessiner une fois encore l’avenir glorieux que nous annonce cette société décadente, pourrie jusqu’à la moelle ! Les contraintes économiques qui poussent ces grandes compagnies à développer des méthodes d’extraction toujours plus complexes, profondes et… risquées, rappellent étrangement la catastrophe de la plate-forme Deapwater survenue dans le golfe du Mexique il y a tout juste un an.
Le capitalisme ne s’arrêtera jamais de détruire la planète.
Maxime (26 avril)
1) “Selon Total, dix à quinze puits peuvent être installés sur une même plate-forme de forage, afin de rayonner dans toutes les directions. Le forage horizontal peut aller jusqu’à trois kilomètres” (le Point, 11.04.2011).
2) “Compte tenu du recyclage possible d’une partie de cette eau (entre 20 et 80 %), il faut prévoir 200 000 mètres cubes pour forer les douze puits d’une plate-forme” (idem).