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En juin 2010, le gouvernement Zapatero a réduit les salaires des fonctionnaires de 5%, et c’est maintenant le gouvernement régional de Murcie [Sud-est de l’Espagne] du Parti Populaire [droite] qui les réduit de 7%. Mais les fonctionnaires se sont refusés à avaler la pilule aussi facilement...
Nos camarades du CCI en Espagne ont fait cette prise de position.
Il ne se passe pas un jour sans qu’une nouvelle tuile ne tombe sur l’ensemble des travailleurs de toutes conditions :
Plus de 17 millions de foyers vont être frappés par l’augmentation du prix de l’électricité de 9,8% , ce qui représente une hausse de ces tarifs de 43% en 3 ans.
À Alboraia et Xátiva (Valence), les mairies ont ouvert un ERE1 de 44 et 60 licenciements, ce qui peut paraître un chiffre symbolique et « local », mais qui ouvre en fait la voie aux extensions des ERE à bien d’autres communes.2
Dans la région de Murcie, le gouvernement régional PP (droite) de Valcarcel annonce une loi, pompeusement dénommée « Mesures extraordinaires pour la 'soutenabilité'3 des Finances Publiques », ce qui veut dire concrètement une réduction mensuelle du salaire des fonctionnaires de 75 € (7% de réduction salariale qui vient s’ajouter à celle de 5% de juin) et une augmentation de l’horaire hebdomadaire de travail entre 3 et 5 heures.
Le contexte actuel dans lequel ces mesures sont prises est celui d’une aggravation de la crise mondiale et sa concrétisation en Espagne dans le contexte d'un déficit public effréné qui s’il est déjà très grave au niveau central, est encore plus dangereux au niveau des régions et des communes. C’est pour cela qu’un nouveau train de mesures de « réajustement » a été entamé dans les administrations régionales et locales. Ainsi, le gouvernement central avait interdit aux gouvernements régionaux de Murcie et de Castille-La Mancha de s’endetter davantage, ce qui a sans doute poussé la région de Murcie à prendre ces mesures.
Les protestations des travailleurs ne se sont pas faites attendre. « Mercredi soir, 10 000 personnes ont encerclé le domicile du président Valcárcel sur la Gran Vía [de la ville de Murcie], qui n’a pas pu assister à une commémoration. Ce même soir, trois dirigeants conservateurs du Parti Populaire furent bousculés et insultés et ont fini par se réfugier dans l’église de Santo Domingo, au centre ville. Les protestations ont continué devant le siège de l’Assemblée Régionale à Carthagène, où 5000 travailleurs ont lancé des œufs contre les députés qui entraient dans le bâtiment, en essayant par la suite d’y entrer aux cris de « Nous sommes la majorité, nous voulons y entrer ». Ils ont été repoussés par la Police nationale, qui a utilisé des matraques et des flash-ball pour empêcher l’assaut de la part des fonctionnaires. Les affrontements se sont soldés avec un travailleur blessé à la tête. La foule portait des pancartes où il était écrit des slogans comme : « Députés, baissez votre propre salaire ! » ou « Valcarcel, minable, baisse ton salaire à toi » (résumé d’agences).
Le 29 décembre, une nouvelle manifestation est partie de la place de la Fuensanta avec 15 000 travailleurs, selon les agences de presse. Les syndicats ont annoncé de nouvelles mobilisations.
Dans la manifestation, un travailleur de la Santé dénonçait le licenciement de 600 intérimaires. Sur une pancarte qu’il tournait vers le public qui regardait sur le trottoir, il avait ajouté : CECI VOUS CONCERNE !. Peut-être parce que c’est bien là un sentiment très répandu, un syndicat, le STERM [Syndicat de l’enseignement], faisait un appel aux « citoyens » pour qu’ils « se mobilisent aussi, parce ce que ce dont on parle c’est de la quantité et de la qualité de l’enseignement, de la santé, de la politique sociale et de l’ensemble du service public de la région de Murcie ».
Le piège de la lutte enfermée dans un secteur
Est-ce qu’il s’agit d’un problème limité à la région de Murcie ? Est-une affaire qui ne concerne que les fonctionnaires ?
Les syndicats limitent le problème aux gaspillages du dépensier gouvernement murcien qui a rempli la région de lotissements et de terrains de golf. Et c’est ainsi qu’ils ont limité les appels à la mobilisation aux seuls fonctionnaires, comme si les chômeurs, les retraités ou les étudiants n’étaient pas concernés. Cette façon de présenter les chosesr est typique de l’idéologie et de la pratique syndicale avec lesquelles nous devrons rompre.
Face à chaque attaque, les syndicats ne font que répéter que la faute en incombe à tel ou tel gouvernant, tel ou tel parti, telle ou telle région, tel ou tel patron. Ce serait toujours quelque chose de spécifique, de particulier et corporatif, qui n’aurait rien à voir avec l’ensemble des travailleurs et de la population exploitée. Il ne s’agirait pas d’une situation causée par le système capitaliste, mais d’une situation qui pourrait se résoudre à l’intérieur de ce système en changeant de politique ou de politiciens ou en mettant en avant la défense du service public face aux intérêts privés.
Les explications sont aussi fausses que les solutions ! On peut vérifier jour après jour que les problèmes concernent le monde entier et qu’ils ne sont pas la conséquence d’une politique économique donnée, mais qu’ils sont le résultat de toutes les politiques et de tous les gouvernements, ce qui ne peut que nous amener à en déduire qu’ils viennent du système capitaliste mondial lui-même.
De plus, ce raisonnement syndicaliste qui consiste à dire que le problème est celui d’un secteur ou d’une région ou qu’il est dû à tel ou tel personnage particulièrement « mauvais », « incompétent » ou « corrompu », a une conséquence pratique : celle de pousser à lutter dans l’isolement, enfermé dans les murs étanches du secteur ou de la corporation.
On se berce de l’illusion selon laquelle si les fonctionnaires font beaucoup de bruit, sont très radicaux dans leurs actions, s’ils paralysent les administrations, les hôpitaux et les écoles, ils vont obliger le gouvernement ou le patron en place à reculer.
Est-ce que nous avons face à nous seulement le patron X ou le gouvernement régional Y ? Non, absolument pas ! Le gouvernement « bleu » (conservateur) du PP dans la région de Murcie est soutenu par le gouvernement central « rose » (social-démocrate) du PSOE. La représentante du gouvernement central de Murcie, du PSOE, dans un bel étalage d’hypocrisie, s’est permis d’aller à la manifestation du 23 et de mettre la loi sur le dos du « gouvernement dépensier » de Valcarcel. Mais, en même temps, la police, qui dépend de cette déléguée du gouvernement, allait à la manifestation pour défendre le gouvernement régional en tapant brutalement sur les travailleurs. Au-delà des bonnes paroles ou des « critiques » plus ou moins bien ficelées, le gouvernement régional et le gouvernement central sont un seul et même ennemi contre les travailleurs, le PP et le PSOE savent très bien travailler ensemble sur des « affaires d’Etat ». Imposer l’austérité aux travailleurs et réprimer leur lutte est une « affaire d’État » par excellence.
Nous sommes tous touchés, nous avons tous besoin de la solidarité en tant que travailleurs
Mais, est-ce que les autres travailleurs vont rester les bras croisés, en regardant comment on impose les baisses de salarie à leurs camarades de Murcie ?
Ce que le gouvernement central ou les gouvernements régionaux imposent à un secteur isolé lui sert de précédent pour finir par l’imposer aux autres. En février, les contrôleurs aériens ont subi une baisse salariales de… 33% ! Cette attaque d'un secteur pointé du doigt et rendu « impopulaire » a servi de levier pour imposer en juin une baisse de 5% aux fonctionnaires et c’est maintenant le 7% imposé au secteur public de la région de Murcie. À la suite de ces expériences, peut-on être sûr que d’autres baisses ne vont pas tomber venant d’autres régions ou d’autres communes ? Est-ce qu’on peut considérer séparément ces baisses salariales et la suppression de l’allocation de 426 € aux chômeurs en fin de droits ?
Si, face à une attaque contre une partie des travailleurs, on se croit à l’abri en pensant « ça ne me concerne pas ! », on ne fait que laisser les mains encore plus libres aux gouvernements et au patronat pour imposer leurs mesures à tout un chacun.
D’abord les contrôleurs aériens, maintenant les fonctionnaires de Murcie, qui va être le suivant ?
Nous sommes tous attaqués : la reforme du code du Travail, les baisses de salaires des fonctionnaires, la suppression des 426 € pour les chômeurs, la prochaine reforme de la retraite et des négociations collectives, les « politiques actives de l’emploi » qui menacent les chômeurs, l’augmentation de l’électricité…
Ce sont là les seules branches mortes qui peuvent sortir d’un tronc pourri : la crise du capitalisme. La seule « solution » pour celui-ci c’est d’essayer de soutirer le maximum en faisant peser sa crise le dos de tous les exploités.
Nous avons besoin de développer un fort et profond sentiment de solidarité : si un secteur ouvrier est attaqué, tous les autres doivent se sentir attaqués. Lorsqu’un secteur est attaqué, nous devons tous développer toutes les actions de lutte à notre portée pour exprimer cette solidarité.
Le gouvernement et ses médias de désinformation racontent toujours la même histoire : il s’agirait de réduire tel ou tel « privilège » de telle ou telle catégorie de travailleurs. Les médias, à plat ventre devant le pouvoir, ne peuvent que nous présenter le monde à l’envers. Rendre encore plus intenables les conditions de travail, rendre les conditions de vie encore plus précaires, moins sures, plus misérables pour tous les travailleurs, ces misérables paillassons appellent ça « réduire les privilèges ». Lorsque le ministre de l’industrie présente l’augmentation de l’électricité comme « renoncer au simple privilège de prendre un café », il ne fait pas seulement acte de démagogie insultante, mais il essaye de cacher la simple et dure réalité : l’augmentation de l’électricité va obliger beaucoup de foyers qui ont déjà des problèmes jusqu’au cou, à renoncer à un repas. Et ces carpettes de la « communication » de « le courage » dudit ministre, comme ils ont salué la virile détermination de Zapatero et de son vice-président pour mater ces « privilégiés » de contrôleurs du ciel.4
Face à de tels tirs de barrage de mesures accompagnées chaque fois d’une campagne médiatique écrasante, chaque lutte des travailleurs doit s’organiser en assemblées ouvertes où puissent participer des travailleurs d’autres secteurs, des chômeurs, des étudiants, des retraités. Des assemblées ouvertes et unitaires pour suivre l’exemple d’autres qui ont pu se dérouler en France ou en Grande-Bretagne.
Chaque manifestation doit s’ouvrir à l’ensemble de la population exploité, doit devenir une tribune où les chômeurs, les immigrés, les étudiants, les retraités et les ouvriers des autres secteurs puissent aussi exprimer leur mécontentement, puissent rechercher et construire leur unité, puissent s’affirmer comme une force sociale d'ensemble face à la déferlante de misère que les gouvernements de toute couleur et quelle que soit son étiquette ont lancé contre tous.
CCI, 31-12-10
1 ERE : « Expediente de Regulación de Empleo », Plan social de restructuration de l’emploi, ou autrement dit en termes moins bureaucratiques « charrette de licenciements »
2 Il y a 17 régions en Espagne (dont Murcie), qui ont plus « d’autonomie » qu’ailleurs et qui se sont surtout endettées sans compter, par le biais, entre autres, d’un réseau insensé de Caisses d’Épargne de toutes sortes, vérolées par les dettes immobilières. Quand aux communes, pour comprendre l’importance de ces « charrettes », il faut savoir qu’elles ont en Espagne plus de poids et sont bien plus étendues qu’en France.
3 Nous nous permettons ce néologisme pour essayer de traduire le jargon administratif.
4 À coté de ceux qui saluent « l’épique présidentialiste » du chef Zapatero, quelqu’un de « capable de prendre des mesures risquées et impopulaires », il arrive que des éditorialistes trouvent que « ça va trop loin », qui « s’indignent » des « exigences des marchés » et du fait que tout tombe sur les mêmes. Il y a même des responsables du PSOE qui « ont des états d’âme », qui se voient en « prostitués » face aux « marchés », parce que, autrement, « ils disparaitraient » (déclarations d’Ibarra, représentant de l’aile gauche du PSOE). On peut rassurer Ibarra : ils ne disparaitront pas tant que le capital aura besoin d’eux, en tant que prostitués ou en tant que chef maquerelle.