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Excédés par des conditions de vie et de travail déplorables, par la hausse des prix des denrées de base (riz, etc.) et des salaires misérables, des milliers de travailleurs du textile ont été contraints de se lancer spontanément dans des luttes très dures au Bangladesh. Des affrontements sanglants avec les forces de l’ordre se sont produits, notamment au mois de juin dernier et au cours de cet été. Exprimant leur combativité, les ouvriers ont même refusé, dans un mouvement général, une hausse de 80 % d’un salaire restant toujours insupportablement bas, proposée par les patrons, le gouvernement et les syndicats. Le refus et la solidarité se sont manifestés spontanément. Les grèves se sont étendues aux usines avoisinant la périphérie de la capitale, et même au-delà, dans tout le pays, notamment pour faire face à la répression. La colère et l’indignation des travailleurs, faisant rapidement tache d’huile, se sont souvent traduites par des destructions de machines, véritables symboles de leur condition de forçats. Les dégradations occasionnées dans les usines témoignent d’ailleurs d’une rage cherchant à s’affranchir de la condition imposée par les bagnes du capital. Les ouvriers ont construit des barricades, bloqué les autoroutes, investi le centre de la capitale à plusieurs reprises pour se faire entendre et se défendre collectivement. En riposte à ces initiatives, des lock-out et fermetures d’usines ont été organisés par les patrons qui ont systématiquement appelé les forces de l’ordre à la rescousse. Face à la répression brutale, des ouvriers ont même perdu la vie au cours des multiples affrontements ! Plus de 300 ouvriers considérés comme des “meneurs” ont été arrêtés. Beaucoup sont actuellement encore en prison. Des milliers de prolétaires ont aussi été blessés. Exposés aux coups, aux bombes lacrymogènes, aux balles en caoutchouc et aux canons à eau, les ouvriers ont à chaque fois tenté de se défendre, jetant des pierres sur les forces de l’ordre et faute de mieux, leurs propres sandales à la figure des policiers.
Le Bangladesh connaît de plus en plus de grèves sauvages, souvent réprimées avec violence par l’Etat et ses sbires, notamment depuis l’explosion de colère des travailleurs du textile en 2006 (voir RI no 370). Ce pays, qui emploie 3,5 millions d’ouvriers dans le principal secteur du textile et de la confection, exporte 80 % de sa production en direction des grandes firmes et des marques occidentales. Ces dernières, malgré leurs grands discours moralisateurs sur le “salaire décent” et le “refus du travail des enfants”, sous-traitent les commandes de marchandises en exerçant des pressions énormes pour faire baisser les prix d’une force de travail pourtant la moins chère au monde. Dans un contexte de crise et de surproduction aiguë, même des salaires mensuels moyens de 19 euros deviennent trop chers aux yeux du capital et des patrons !
Les prolétaires du textile, souvent fraîchement issus des campagnes, ne peuvent survivre avec de tels salaires de misère, croupissant dans les bidonvilles régulièrement inondés de la capitale, Dacca. Leurs conditions de vie et de travail sont inhumaines, pire que celle des bagnes industriels des débuts de l’industrialisation en Europe. L’essentiel de cette main d’œuvre corvéable à merci est en plus constitué de femmes qui travaillent plus de dix heures par jour, d’autres la nuit, avec des rythmes effrénés, sous une chaleur souvent harassante. Victimes de brutalités de toutes sortes, elles endurent sous la contrainte quotidienne les menaces physiques et les abus sexuels des chefs. Un travailleur sur cinq a moins de 15 ans ! L’insécurité permanente, liée aux infrastructures archaïques du fait d’une volonté de rentabilisation maximale, multiplie les risques d’accidents. Ainsi, par exemple, suite à deux incendies d’usines, des centaines d’ouvriers ont été tués au cours de l’année 2009 !
Face à des explosions de colère de plus en plus visibles et violentes dans les pays pauvres, la bourgeoisie s’inquiète de l’inefficacité croissante de la répression comme réponse pour tenter d’enrayer le phénomène. C’est pour cela qu’émerge une préoccupation afin d’adapter les forces de répression jouant davantage sur le recours aux organes d’encadrement que sont les syndicats. Au Bangladesh, les principaux syndicats n’ont que très peu d’emprise directe sur les ouvriers. Ils sont perçus comme totalement inféodés aux partis politiques. C’est pour cela que les syndicats non officiels, reprennent à leur compte un discours critique dénonçant le “non respect du droit syndical”, en s’affirmant plus comme de réels opposants. Comme s’en émeut un syndicaliste au Bangladesh, “les recours légaux étant quasiment impossibles, la manifestation spontanée est souvent la seule solution” (http ://www.lemonde.fr). Avec le même souci, le syndicat local BGWUC, conscient de sa mission d’encadrement, souligne que “la moindre répression devrait donner aux leaders syndicaux la possibilité d’intervenir rapidement sur les lieux de travail pour que les conflits naissants ne dégénèrent pas dans les violences habituelles”. (http ://dndf.org/ ?p=2801) Autrement dit, les syndicats demandent qu’avant le recours à la matraque on fasse appel à leurs services pour étouffer la lutte de classe. C’est aussi pour cela que des syndicalistes occidentaux ont fait récemment le déplacement au Bangladesh, afin d’aider à mieux canaliser et encadrer la colère : des syndicalistes issus du syndicat britannique Unite et du syndicat américain United Steel Workers ont ainsi fait le voyage pour aider les syndicats locaux. En 1980 en Pologne, des syndicalistes français étaient venus pareillement prêter main forte au syndicat Solidarnosc pour l’aider à désamorcer et à saboter la grève.
Face à ces dispositifs de l’ennemi de classe, le prolétariat doit déjà et devra donc redoubler de vigilance au cours des nouvelles expériences de solidarité qui ne manqueront pas de venir. Les grèves et manifestations de rues, de plus en plus combatives, massives et incontrôlables, s’inscrivent en effet dans un vaste mouvement international qui a été initié en 2003 par les luttes du secteur public en France. Depuis, cette dynamique de lutte s’est confirmée partout, notamment dans les pays pauvre du sud, comme en témoignent les autres combats qui se sont déroulées en Algérie, en Turquie, ou plus récemment en Chine.
Alors qu’il y a quelques années les travailleurs de la périphérie étaient présentés par la propagande d’état comme des “concurrents et des ennemis avec lesquels on ne peut pas rivaliser”, ils apparaissent davantage aujourd’hui, par toutes ces luttes courageuses, comme des frères de classe victimes du capital et de sa crise. C’est pour cela, entre autres, que la bourgeoisie continue d’exercer un véritable black-out sur ces mêmes luttes, qu’elle cherche à masquer les ripostes, tout en essayant de continuer à pourrir la conscience ouvrière. Il lui faut surtout masquer la principale leçon de ces luttes : celle de la réalité d’un développement croissant de la solidarité dans les rangs ouvriers.
Dans ce processus de lutte international, il revient aux prolétaires des pays développés de prolonger ce même combat engagé, en montrant le chemin pour dégager à terme une perspective révolutionnaire. Il est en effet de son devoir de favoriser l’unité et la conscience du but, de faire de son expérience historique accumulée et irremplaçable, une véritable arme pour la révolution.
WH (24 août)