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Voici un extrait de l’ouvrage de Trotski, 1905 (1), qui montre qu’il y a toujours eu le même caractère manipulateur et intentionnel dans la préparation et la réalisation des pogroms. La bourgeoisie utilise chaque fois ses forces de l’ordre et le lumpen pour créer une atmosphère de lynchage et de pillage au sein de toute la population.
Ces mots de Trotski sur les événements de la Russie du début du xxe siècle pourraient avoir été écrits tout autant sur l’Allemagne des années 1930-1940, le Rwanda ou la Yougoslavie des années 1990 et le Kirghizistan d’aujourd’hui.
“Si la masse des fauteurs de pogroms – pour autant que l’on peut ici parler de “masse” – se recrute à peu près au hasard, le noyau de cette armée est toujours discipliné et organisé sur le pied militaire. Il reçoit d’en haut et transmet en bas le mot d’ordre, il fixe l’heure de la manifestation et la mesure des atrocités à commettre. “On peut organiser un pogrom à vos souhaits, déclarait un certain Kommissarov, fonctionnaire du département de la police, nous aurons dix hommes si vous voulez et dix mille si cela vous arrange” (…) Lorsque le terrain a été préparé, on voit venir les spécialistes de ce genre d’affaires, comme des acteurs en tournée. Ils répandent des rumeurs sinistres parmi les masses ignorantes (…). Ces étranges nouvelles sont transmises d’un bout à l’autre du pays par le télégraphe, et contresignées parfois par des personnages officiels. Parallèlement on poursuit les préparatifs : on rédige des listes de proscription dans lesquelles sont mentionnés les appartements et les personnes que les bandits doivent attaquer en premier lieu ; on élabore un plan général ; on fait venir des faubourgs, pour une date déterminée, des miséreux, des affamés. (…) Dans la foule sont disséminés des instructeurs spéciaux, venus d’ailleurs, et des gens de la police locale, en civil, mais qui parfois, faute de temps, ont gardé leur pantalon d’uniforme. Ils suivent attentivement tout ce qui se passe, émoustillent, exaltent la foule, lui font comprendre que tout est permis et cherchent l’occasion d’ouvrir le feu. Au début, on casse des carreaux, on maltraite des passants, on s’engouffre dans les cabarets et l’on boit à la régalade. (…) Si l’occasion se fait trop attendre, on y supplée : quelqu’un grimpe dans un grenier et, de là-haut, tire sur la foule, le plus souvent à blanc. Les bandes armées de revolvers par la police veillent à ce que la fureur de la foule ne soit pas paralysée par l’épouvante. Au coup de feu du provocateur, elles répondent par une salve dirigée sur les fenêtres d’un logement désigné d’avance. On brise tout dans les boutiques et on étend devant le cortège des pièces de drap et de soie qui proviennent d’un pillage. Si l’on se heurte à des mesures de défense, les troupes régulières viennent à l’aide des bandits. Il suffit de deux ou trois salves pour réduire à l’impuissance ou massacrer ceux qui résistent”.
1) Chapitre “Les sicaires de Sa Majesté”, p120-122, Ed. de Minuit.