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Depuis la chute du président kirghize Kourmanbek Bakiev, évincé à la suite des émeutes du mois d’avril (voir RI no 412), la déstabilisation du pays s’est fortement accélérée, conduisant à de véritables scènes d’horreurs et de pogroms.
Une mécanique bien huilée exploitant la logique du bouc émissaire
Quelle a été la dynamique de cette effroyable opération sanglante ?
Si la masse des exécutants a pu se recruter au hasard parmi les éléments lumpenisés d’une population très pauvre contre un bouc émissaire désigné, la population d’origine ouzbek, le noyau de l’opération était mené par le corps discipliné de l’armée. Les ordres sont venus du sommet de l’appareil d’Etat, là où grenouillent les chefs de cliques mafieuses en guerre. Le terrain était balisé et préparé de longue date par ces sinistres personnages officiels, par une classe dominante gangstérisée aux discours nationalistes haineux, opposant artificiellement la majorité kirghize et la minorité ouzbèke entre elles, les poussant à se détester au point de s’affronter. Les masses ignorantes ayant subit une longue et infâme propagande afin de pouvoir se lancer dans un assaut sanglant allaient forcément être prêtes à l’emploi ! Dans une telle atmosphère viciée, “on aurait commencé, comme à Och, à marquer les habitations ‘sart’ (terme péjoratif signifiant non-kirghize)”1. Ensuite, sur fond de tensions politiques croissantes entre l’ancienne opposition au pouvoir et le clan Bakiev, “les horreurs commises par les groupes de provocateurs” auraient “transformé ces tensions en conflit interethnique”2. Le “feu vert” pour cette offensive sanglante serait venu d’hommes cagoulés, portant dans un premier temps des attaques ciblées et coordonnées, décidées bien évidemment en haut lieu ! Les maisons ouzbèkes préalablement marquées par des patrouilleurs zélés pouvaient alors être incendiées par une foule excitée, prête à tout. C’est bien grâce à cette haine savamment entretenue par les cliques bourgeoises que cette foule exaltée, devenue incontrôlable, a semblé croire que tout lui était permis, du simple pillage en passant par le viol, le meurtre pur et simple et les crimes les plus horribles. Un témoignage, parmi de nombreux autres, rappelle les terribles heures sombres du conflit des Balkans dans les années 1990 : “une amie Ouzbek m’a raconté qu’une fillette de 5 ans a été violée devant son père et sa sœur de 13 ans par un groupe de 15 hommes. Le père a supplié qu’on le tue. On l’a tué. La sœur a perdu la raison”3.
Malgré leurs barricades de fortune, les Ouzbeks ont été livrés à cette foule en furie et à une soldatesque revancharde ivre de haine. Comme le montre le témoignage ci-dessus, viols, meurtres d’enfants, de femmes enceintes, vieillards pris pour cibles, les Ouzbeks étaient massacrés ou brûlés dans leurs maisons incendiées. De nombreux corps ont été retrouvés calcinés dans les ruines.
Aujourd’hui, de nombreux Ouzbeks qui avaient fuit ces monstruosités sont de retour au pays du fait que l’Ouzbékistan les refuse et ferme ses frontières. Seules des femmes et des enfants avaient pu franchir en nombre limité la frontière, les hommes étant suspectés d’être des terroristes islamistes potentiels. Les plus “chanceux”, ne se sentant pas en sécurité pour revenir, croupissent toujours dans des camps où manquent la nourriture, l’eau potable, où les cas de diarrhées se multiplient. A n’en pas douter, cette situation chaotique ne fait que préparer de nouveaux affrontements sanglants et meurtriers, les traumatismes générés par la brutalité des opérations ne pouvant permettre d’évacuer les haines qui se sont accumulées brutalement. Après cette tragédie, il paraît en effet très difficile de pouvoir faire revivre ensemble Kirghizes et Ouzbeks !
Les populations victimes de la bourgeoisie et de son système
Quelle est l’origine véritable de ce déchaînement barbare ?
Au Kirghizistan, comme dans la plupart des pays de cette région d’Asie centrale, la bourgeoisie reste traversée par des affrontements entre clans mafieux. Animées de sordides intérêts, les cliques bourgeoises locales se sont en effet torpillées, n’hésitant pas un seul instant pour cela à déchaîner un pogrom anti-Ouzbeks. Le nouveau gouvernement provisoire issu de l’opposition, celui de madame Otounbaïeva, soucieux de maintenir l’ordre face à l’ancien président exilé et déchu4, ne pouvait que conduire son rival à agir au prix du sang des populations, d’une nouvelle épuration ethnique.
Et ces tensions déjà extrêmes, sont elles-mêmes attisées ou instrumentalisées en permanence par les grandes puissances qui s’affrontent avec une implacable logique de rapine impérialiste.
Loin de s’émouvoir d’une barbarie dont elles sont responsables, passant sous silence les événements, ces grandes puissances impérialistes laissent crever les victimes d’un véritable nettoyage ethnique : déjà plus de 2000 morts recensés officiellement. Un million de réfugiés sont actuellement répartis dans des camps à la frontière de l’Ouzbékistan ! Transformés parfois en chantres hypocrites de prétendus “droits de l’Homme”, non seulement les Etats les plus puissants ne peuvent venir en aide aux populations martyrisées, mais ils préparent en plus froidement les conditions de nouveaux massacres : “les troubles au Kirghizistan donnent lieu à une nouvelle partie d’échecs entre la Russie et les Etats-Unis. Cependant les deux camps ne sont pas passés à l’action immédiatement et attendent le moment opportun et les conditions adéquates pour s’immiscer dans cette affaire et marquer des points. (…) Pour la Chine, il est hors de question d’assister aux événements les bras croisés” (5).
Tout cela nous amène à mettre en évidence que les massacres et la barbarie sanglante qui se sont déchaînés au mois de juin, en particulier dans le sud du pays, sont bel et bien le produit de la guerre d’influence menée par tous ces impérialistes assassins.
Cette région chaotique du Kirghizistan, petit pays à la position géostratégique enclavée, montre que la situation politique reste explosive du fait des tensions qui s’exacerbent. De nouveaux massacres se profilent donc. La bourgeoisie, cette classe de gangsters qui ne connaît que la loi du capital et du profit, est prête à tout pour défendre le moindre de ses intérêts politiques et impérialistes. Elle a montré tout au cours de l’histoire que même sous les traits apparemment les plus civilisés, elle savait se vautrer dans le sang, en abaissant les hommes pour en faire des bêtes et de la chair à canon.
Tant que le capitalisme marquera son emprise sur le monde, nous sentirons en permanence le souffle barbare de sa décomposition. L’odeur pestilentielle des cadavres et des pogroms continuera à accompagner les nouveaux charniers.
WH (26 juin)
1) Courrier international no 1025.
2) Libération des 26 et 27 juin 2010.
3) Idem : propos d’Alain Deletroz.
4) Bakiev a trouvé refuge en Biélorussie.
5) A noter que la Russie et les États-Unis possèdent chacun une base militaire au Kirghizistan. Voir le dossier de Courrier international no 1025