A Poitiers, comment la bourgeoisie prépare la répression policière

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Le samedi 10 octobre, les médias français étaient sous le choc : le centre-ville de Poitiers était “attaqué” par une horde d’environ 200 militants dits “d’ultra-gauche”.

Ce qui était annoncé comme un “Rassemblement festif” par le “Collectif contre la prison de Vivonne”, initialement prévu pour protester contre un transfert de détenus, prévu le lendemain, entre l’ancienne et la nouvelle prison de la ville, c’est-à-dire avec une tonalité plutôt bon enfant, rassemblement autorisé par la préfecture de la Vienne, se transformait brutalement en saccage ciblé de quelques vitrines de banques, d’assurances et d’une boutique Bouygues, et de plusieurs abribus, avec deux blessés très légers (dont un policier). Saccage certes, mais bien loin des descriptions apocalyptiques que nous ont faites à l’unisson les médias.

Selon ces derniers, qui nous ont quasiment présenté Poitiers à feu et à sang, il s’agissait de hordes de jeunes, grands, qui portaient des masques argentés en forme de flamme avec des grands bambous, des bâtons qu’ils ont balancés dans les vitrines. C’était de la violence pour la violence. (…) Ceux qui n’étaient pas masqués portaient des écharpes, des bonnets, on ne pouvait pas voir leurs visages (…) Le plus impressionnant, c’est la peur qui se lisait sur le visage des gens et des enfants qui sont rentrés se réfugier dans la pharmacie”, dit Sabrina. “Et ces bombes rouges, la fumée qu’il y avait, on a senti les gens très apeurés, c’était la panique” (la Nouvelle république du 11 octobre). Une cache d’armes avec des marteaux, des masses et des explosifs était même découverte par la police dans la ville, tandis que le maire PS de Poitiers, se prenant pour Charles Martel, renchérissait sur France 3 : “Nous avons évité une catastrophe.” Bagdad, Kaboul Beyrouth, de la gnognote à côté des ces événements, hypergonflés par la presse aux ordres, la police et le gouvernement !

Le collectif organisateur s’est immédiatement démarqué des ces “casseurs” tout en dénonçant l’exagération manifeste de ces événements, tendant forcément à le discréditer. Mais là n’est pas l’essentiel car ces prétendues émeutes ont toutes les caractéristiques de la manipulation policière. Ainsi, malgré l’autorisation de manifester, il est étrangement “interdit de prendre des photos”, précise une journaliste de une Coccinelle à Poitiers du 10 octobre, tout en ajoutant : “maintenant je comprends mieux pourquoi. Je ne suis pas extra lucide mais m’étant faite serrer pour que je ne prenne pas de photos, je comprends que des choses se préparent. J’ai déjà connu cela par le passé en région parisienne.”

Un membre du collectif raconte sur le site Le Post.fr : “Ça se passait bien jusqu’au départ du cortège. A 17 h 15, plein de gens qui n’étaient pas au départ de la manif’ sont arrivés en masse des rues adjacentes. Ils étaient cagoulés, équipés, très bien organisés. 10 minutes après, ça dégénérait et ça commençait à casser, les fumigènes sont sortis, etc. J’ai vite quitté la manif, la violence ne m’intéresse pas. Surtout en plein festival de théâtre de rue, avec des familles, des enfants...”

Un témoin qui a vu passer la vague de “casseurs” près de son domicile racontait sur Europe 1: “C’étaient des gens entraînés, cagoulés, avec des talkies-walkies… comme des militaires.” Eléments qui permettent au député-maire de Poitiers, aux côtés de Brice Hortefeux, de s’inquiéter encore de ce “groupe anarchiste très organisé qui a utilisé la prison comme prétexte à ses actions”.

La police réussissait au bout du compte un beau coup de filet : 18 personnes interpellées dont une gamine de 14 ans et bon nombre de SDF, tous probablement issus de cette “mouvance anarchiste insurrectionnelle” qui prône “la destruction du pouvoir par l’insurrection”. Tous les médias ont massivement diffusé le même message : les autorités et la police auraient été “surpris” par le caractère soudain et imprévisible de cette violence. Tu parles...

Tout cela n’est pas sans nous rappeler de récents coups bas de la police française en matière de provocation. Le 1er mai dernier par exemple, à la fin du défilé, un employé de la Protection judiciaire à la jeunesse et sa compagne “remarquent un curieux manège : une dizaine d’hommes en civil sort d’un car de CRS. Crânes rasés, foulards, capuches, autocollants CGT ou “Rêve générale” – la panoplie complète du manifestant (…) les hommes se dispersent par groupe de deux ou trois et déboulent place de la Bastille” puis provoquent des gardes mobiles, en train de déloger de jeunes “punks”, à coups de “Police partout, justice nulle part”, “Casse-toi pauv’ con”. Certains des jeunes seront arrêtés, pas les flics, bien sûr ; et surtout le témoin gênant sera lui aussi arrêté. (https://www.liberation.fr/societe/0101577634-1er-mai-un-proces-pour-avoir-denonce-des-policiers-deguises).

Ces policiers n’agissent pas en free-lance. Ils font partie d’une “compagnie de sécurisation” officiellement créée en 2005 par Sarkozy au moment des manifestations lycéennes contre la loi Fillon au nom du “provoquer plus pour coffrer plus” (le Canard enchaîné du 6 mai 2009) et sous prétexte de “protéger les manifestants” contre les provocateurs, les casseurs, les voleurs, etc. On verrait cela dans un film, on aurait du mal à y croire.

De tous temps, les classes dirigeantes ont utilisé des agents provocateurs pour attirer les masses en révolte dans des guets-apens et finalement les réduire à leur merci. La bourgeoisie est passée maîtresse dans cet art de la provocation policière destinée à justifier le renforcement de sa surveillance policière en poussant des éléments confus à la baston stérile avec ses flics, à entraîner les manifestations dans des violences inutiles, à faire passer les expressions de la lutte de la classe ouvrière pour de la violence gratuite et salir les groupes politiques prolétariens en les amalgamant à des sortes de débiles primaires à l’assaut de la méchante flicaille : en résumé pour détruire la réflexion et la prise de conscience au sein du prolétariat que la violence nécessaire contre la bourgeoisie et le capitalisme ne se résume pas et n’est pas un affrontement physique mais essentiellement d’abord politique. Et que, dans cet affrontement, les organisations politiques ont une place prépondérante qu’il s’agit pour la bourgeoisie de dénigrer autant que faire se peut.

Elément significatif : alors que tout le monde avait oublié l’épisode poitevin, le journal le Monde du 21 octobre publiait la revendication des violences du 10 octobre, intitulée “Coucou, c’est nous” d’un groupe “insurrectionnaliste” signant “quelques casseurs”, et dont un mot d’ordre est : “La destruction est source de joie”. Tout aussi significatif est le fait que cet article paraît au moment même où commence le procès de Julien Coupat et de ses amis, qualifiés eux aussi d’éléments de “la mouvance ultra-gauche”, éléments probablement sincères mais tout aussi probablement manipulés, pour des sabotages de caténaires du TGV l’an dernier (1).

Et la bourgeoisie, quant à elle, n’aura jamais de cesse tant qu’elle survivra d’attaquer la conscience de son fossoyeur potentiel, le prolétariat, et de tenter de l’effrayer ou de l’intimider en faisant l’amalgame entre les organisations politiques prolétariennes et toute une frange désespérée de la classe ouvrière, se réclamant de façon erronée et confuse du prolétariat et de sa lutte, par là même offerte aux crapuleries et autres manipulations policières. D’ailleurs, quelques jours plus tard, le ministre de l’Intérieur Hortefeux profitait de ces “événements” pour justifier la proposition d’une nouvelle mouture du très controversé fichier Edvige, nettement orienté contre les “agitateurs” d’extrême-gauche qui “fomentent des troubles à l’ordre public” et qui, lors des futures luttes ouvrières, pourra être utilisé contre les éléments prolétariens les plus combatifs et les organisations révolutionnaires.


Wilma (23 octobre)

1)  A moins qu’ils ne soient innocents et faussement accusés, ce qui est tout à fait possible, et que les véritables auteurs de ces sabotages soient là aussi des flics.

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