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Nous publions ci-dessous notre réponse à une note envoyée par un lecteur du Brésil (T), qui nous demande notre avis sur un article qu'il a reçu dont nous publions quelques extraits. Cet article traite des luttes et des mobilisations des ouvriers du pétrole contre l'entreprise d'État Petróleos de Venezuela (PDVSA) en septembre dernier, pour des revendications salariales et d'autres avantages contractuels. Ce camarade nous demande aussi notre avis sur la réduction de la journée de travail proposée par le président Chavez dans la révision de la Constitution qui devait être soumise à référendum le 2 décembre.
Note du camarade T : "Bonjour camarade... je te fais passer le message qu'un ami m'a envoyé sur ce qui s'est passé au Venezuela. Est-ce que tu pourrais m'en faire un petit commentaire ? Je voudrais aussi que tu me dises ce qu'il en est de la réduction de la journée de travail dont parle Chavez, car ceci a provoqué pas mal de discussions ici. Salutations, T."
L'article que T nous a renvoyé est écrit en anglais[1]. Nous en traduisons ci-dessous quelques extraits :
- "Des travailleurs du pétrole
affrontent la police pour le renouvellement de leurs conventions collectives.
30 septembre 2007 : le ministre de l'Énergie et président de la compagnie pétrolière d'État PDVSA, Rafael Ramirez, a affirmé que la convention collective des travailleurs du pétrole, en négociation depuis avril, pourrait être signée dans les deux prochaines semaines, à la suite d'affrontements, jeudi dernier, entre les ouvriers du pétrole et la police dans la province d'Anzoategui, qui se sont soldés par plusieurs personnes blessées.
150 ouvriers de la raffinerie de Puerto La Cruz, accompagnés des travailleurs du Complexe Pétrochimique Jose, se sont dirigés vers les bureaux de la Corporation Vénézuelienne du Pétrole (CVP) à Urbaneja, pour transmettre un document à Ramirez, qui était réuni avec la commission de négociation de la Fédération Unitaire des Travailleurs des Pétroles du Venezuela (FUTPV). Ils furent stoppés par le Groupe d'Intervention Immédiate de la police d'Anzoategui.
Lors de cet affrontement de trois heures, 40 ouvriers furent arrêtés, trois d'entre eux blessés, dont un qui reçut une balle dans le dos... Ayant eu connaissance de cette répression policière, 4000 travailleurs des entreprises Petroanzoátegui, Petrocedeño, et du Projet San Cristobal, ont immédiatement arrêté leur travail. ...dans une déclaration de solidarité avec les ouvriers du pétrole d'Anzoategui, dénonçant la violence policière, la Fédération UNT-Zulia a dit : "Nous pensons que cette situation a dégénéré à cause de l'intransigeance de PDVSA qui a laissé traîner les discussions sur la convention pendant des mois, en faisant des offres en dessous des attentes des travailleurs, en imposant arbitrairement une commission de négociation (de la FUTPV) pour discuter sur la convention alors qu'elle n'avait pas été élue par les travailleurs». C-CURA (Courant de Classe, Unitaire, Révolutionnaire et Autonome) a fait un appel pour qu'il y ait un changement dans la commission de négociation..., parce que, autrement, ils "radicaliseront" leurs actions. Mais, des appels similaires, faits par C-CURA et Fedepetrol, à des actions radicales et à des arrêts de travail généraux pour ‘paralyser' l'industrie pétrolière à ‘l'heure zéro' le 6 août, n'ont mobilisé que 1500 travailleurs au plus dans tout le pays. Après avoir proclamé et promu la dite ‘heure zéro' dans les médias privés, la controverse a pris une dimension politique lorsque d'autres secteurs d'ouvriers du pétrole et de secteurs pauvres de la population se sont unis en ‘défense' de PDVSA. Hier, la Fédération de Travailleurs de UNT -ZULIA, a déclaré : "Nous pensons que certaines situations [dans l'industrie pétrolière] sont le résultat des manœuvres des secteurs droitiers au sein du chavisme pour créer des conflits dans le pays et déstabiliser ainsi le processus de réforme constitutionnel». Mais les travailleurs d'Anzoategui ont rejeté ces accusations en brandissant une pancarte avec l'inscription : 'Nous ne sommes pas des guarimberos, nous sommes des travailleurs du pétrole' (la guarimba est une forme de protestation dont le seul but est de provoquer la violence pour atteindre des objectifs politiques). Les travailleurs du pétrole d'Anzoategui ont annoncé qu'ils continueront leurs manifestations de rue et qu'ils resteront vigilants, malgré les promesses de Ramirez sur une meilleure convention collective dans les deux prochaines semaines"
Notre réponse
Cher camarade T,
Nous voulons saluer l'envoi de ton courrier. Nous allons y répondre brièvement, en profitant de cette occasion pour évoquer la situation de la lutte de classe au Venezuela.
Sur la lutte des travailleurs du pétrole
L'article qu'on t'a envoyé décrit une partie de ce qui s'est passé lors d'une lutte menée en septembre-octobre dernier par les ouvriers du pétrole de l'entreprise d'État PDVSA, la plus importante du pays, qui s'est soldée par un certain nombre de travailleurs blessés, dont un grièvement, et plusieurs arrestations. La cause immédiate de la lutte a été le retard de plus de 8 mois dans la discussion de la convention collective qui régit les salaires et les conditions de travail des ouvriers de ce secteur. Ceux-ci ont réagi par des arrêts de travail et des manifestations dans les installations de PDVSA de l'Est du pays, dans la province d'Anzoategui, et de l'ouest, dans la province de Zulia, au sud du lac Maracaibo. L'entreprise, en accord avec les syndicats, la plupart contrôlés par des tendances favorables au chavisme, a retardé la discussion sur les salaires. La lutte des ouvriers a contraint plusieurs dirigeants syndicaux, ceux de C-CURA (Courant de Classe, Unitaire, Révolutionnaire et Autonome) appartenant à l'UNT (Union Unitaire des Travailleurs) ou ceux de FEDEPETROL (Fédération des Travailleurs du Pétrole, de la Chimie et Similaires du Venezuela), qui ont été ainsi contraints de se "radicaliser" contre la compagnie PDVSA et le gouvernement, pour ne pas être totalement discrédités face aux travailleurs.
En fin de compte, le syndicats et PDVSA ont fini par signer une misérable augmentation salariale de 12 000 bolivars par jour [3,8 euros], ce qui fut rejeté par les ouvriers qui exigeaient une augmentation de 30 000 bolivars. Il faut savoir que le salaire mensuel d'un ouvrier du pétrole est à peu près de 1 320 000 bolivars (autour de 420 euros ou 610 $US, selon le taux de change officiel, et, en fait, moins de 300 $US, définissant le prix réel de nombreux produits et services).
Ce salaire mensuel correspond à un peu plus du coût quotidien du panier de la ménagère avec les aliments de base pour une famille de 5 personnes (octobre 2007), qui tourne autour d'un million de bolivars. Même en additionnant les primes que reçoivent les travailleurs du pétrole, ceux-ci ne peuvent pas vivre dignement, parce que, en plus de ces bas salaires, les prix de la nourriture ne cesse d'augmenter (25% par an)[2] et la pénurie, selon les chiffres mêmes de la Banque Centrale du Venezuela, tourne autour de 30% sur les produits de base. Et pourtant, les ouvriers du pétrole sont une des catégories les mieux payées du pays !
Nous pensons, cependant, que cette lutte a représenté un gain politique et moral pour les ouvriers du pétrole et pour le prolétariat vénézuélien dans son ensemble :
- en premier lieu, les travailleurs du pétrole ont repris la lutte sur leur terrain de classe, après avoir été un des secteurs les plus frappés par les coups de la bourgeoisie, parce qu'il était au centre de la polarisation entre le chavisme et l'opposition, ce qui avait permit à l'État de licencier 20 000 employés de PDVSA en 2003 (dont au moins la moitié étaient des ouvriers et des employés de base), sans la moindre indemnisation. Cette lutte a eu une plus forte signification alors que les fractions chavistes et de l'opposition renforcent la polarisation politique pour ou contre la reforme de la constitution proposée par Chavez. Les ouvriers, du moins lors de ces mobilisations, ont réussi à se placer sur le terrain de leurs revendications, malgré le forcing permanent de la bourgeoisie pour mettre n'importe quelle lutte ouvrière ou sociale sur le terrain de cette polarisation.
- la lutte a mis à nu le caractère bourgeois et anti-ouvrier du gouvernement Chavez : comme les gouvernements qui l'on précédé (que le chavisme accuse de tous les maux sociaux), celui de Chavez riposte de la même manière : répression, bombes lacrymogènes, plomb et prison contre les ouvriers qui "osent" lutter pour une vie plus digne.
Un fait important : les ouvriers du pétrole de Puerto La Cruz, à l'Est du pays, dont une majeure partie sympathisent avec le chavisme, ont dénoncé les salaires mirobolants des hiérarques "socialistes" de PDVSA dont les salaires mensuels sont 50 fois supérieurs à celui des salariés de base (bien plus élevés que ceux des administrateurs de l'industrie des gouvernements précédents), alors que, concernant les ouvriers, on leur refuse des augmentations qui puissent leur permettre au minimum de se nourrir décemment, et qui plus est, ajoutons nous, quand c'est la force de travail des travailleurs qui est la source principale des salaires mirobolants et des privilèges de la haute bureaucratie de l'État et des bénéfices de plusieurs secteurs de la bourgeoisie nationale.
- ces luttes ont été précédées par d'autres en mai dernier, qui ont mobilisé les ouvriers du pétrole pour la réintégration de plus de 1000 ouvriers des entreprises pétrolières récemment nationalisées, que le gouvernement "socialiste" de Chavez voulait jeter à la rue : voilà une expression authentique et importante de la solidarité ouvrière à laquelle ont aussi participé les familles des ouvriers.
- comme nous l'avons dit, les travailleurs sont restés insatisfaits de cet accord. Le mécontentement est toujours latent et il peut se réveiller à tout moment.
Il est important d'ajouter que la même réaction que celle qui a eu lieu chez les ouvriers du pétrole, commence à se développer avec une certaine force dans d'autres secteurs. Les médecins, les instituteurs et des travailleurs dans d'autres secteurs publics ont commencé à se mobiliser pour des revendications salariales ; ils ont organisé des assemblées où, en plus d'exiger une augmentation des salaires, ils ont dénoncé la constante détérioration des services publics. Lors d'une récente assemblée des médecins à Caracas, travaillant pour le ministère de la Santé, ceux-ci se sont déclarés "prolétaires de la santé".
Il est important de dire que les gouvernants et les opposants ont tout essayé pour diviser et polariser le mouvement, en réussissant leur coup dans pas mal de cas. Et, en plus, le gouvernement mobilise ses organisations (cercles bolivariens, conseils communaux, service de contrôle social, et même, quand il leur semble nécessaire, ses bandes armées) pour intimider et même agresser physiquement les travailleurs.
Un autre aspect, non moins important, c'est que, presque quotidiennement, apparaissent des expressions d'indignation des masses paupérisées (en grande partie sympathisantes ou soumises au clientélisme gouvernemental), qui protestent contre le manque de logements, la criminalité, le manque de services sociaux, etc., et dernièrement à cause de la rareté des produits tel que le lait, le sucre, l'huile, etc. Dans certains cas, elles ont été réprimées. Voilà bien une situation qui apparaît clairement à l'opposé de celle des hauts pontes du régime (de ceux qu'on appelle la "bolibourgeoisie", ou bourgeoisie bolivarienne), qui étalent leur opulence[3] ; ils font des grands investissements en armements qui vont tomber nécessairement sur le dos des prolétaires et les masses paupérisées ; et ils investissent les ressources de la rente pétrolière pour déployer la politique impérialiste de l'État vénézuélien dans la région.
Voilà le véritable visage du "socialisme du 21e siècle" promu par Chavez et acclamé par la gauche, les gauchistes et les alter mondialistes qui se pâment en regardant ses discours dans Tele Sur[4] : comme tout régime bourgeois, il est bâti sur l'exploitation des masses ouvrières. La seule différence, c'est la logorrhée "révolutionnaire" pour essayer de mystifier les prolétaires à l'intérieur et à l'extérieur du pays.
Sur la "réduction" de la journée de travail
La "réduction" de la journée de travail de 8 à 6 heures par jour est prévue dans la réforme constitutionnelle proposée par Chavez, de même que les autres "avantages" du travail, tels que la sécurité sociale pour les travailleurs de l'économie souterraine qui, comme dans le reste de l'Amérique Latine, occupe 50% ou plus de la force de travail. Ces propositions, loin de chercher une amélioration véritable des conditions de vie des travailleurs, sont de la fumisterie, c'est le grand mensonge avec lequel essayer de gagner le soutien des travailleurs à la proposition gouvernementale de réforme de la constitution.
Les forces progouvernementales ne disent pas comment va se concrétiser cette réduction de la journée de travail ; mais on évoque la possibilité d'utiliser ces heures non travaillées à la "formation" politique (autrement dit, à l'endoctrinement) ou, aussi, à la prétendue "émulation socialiste" inventée par la bourgeoisie cubaine castriste pour que les travailleurs soient exploités par l'État sans débourser un centime. Par ailleurs, un des objectifs de la bourgeoisie (chaviste ou pas) est d'essayer de faire payer des impôts aux travailleurs de l'économie souterraine ; en leur offrant les bénéfices de la sécurité sociale (qui n'offrira la moindre protection réelle aux travailleurs), l'État aura un plus grand contrôle sur eux et pourra les obliger à payer des impôts et autres taxes.
L'objectif principal de la réforme constitutionnelle (avec toute sa charge d'hypocrisie comme toutes les constitutions du monde), est celui de renforcer le cadre juridique pour un contrôle plus grand de l'État sur la société, une plus grande militarisation, pour une justification légale de la répression des mouvements sociaux et permettre aussi, entre autres choses, la réélection indéfinie de Chavez à la présidence de la République.
Nous ne pouvons pas nous laisser berner : le gouvernement de Chavez est un gouvernement bourgeois, dans lequel ce qui domine ce sont les nécessités et les priorité du capital ; nous ne devons pas être naïfs (nous ne pensons pas que ce soit ton cas) par rapport à l'affirmation du régime chaviste que chercherait "le plus grand bonheur social", comme l'affirme le texte réformé de la constitution. Le chavisme lance cette propagande mensongère à travers ses campagnes au niveau national et international pour que les travailleurs du Venezuela et des autres pays finissent par croire qu'au Venezuela il y aurait une véritable amélioration des conditions de vie des travailleurs et de la population pauvre ; ce n'est qu'une grosse mystification de la propagande chaviste.
La crise capitaliste oblige chaque bourgeoisie, de droite, du centre ou de gauche, à attaquer les conditions de vie de la classe ouvrière. Dans aucun des pays où la journée de travail a été réduite par l'État (France, Allemagne, etc.; et aussi le Venezuela, où, au début des années 90, la journée de travail fut réduite de 44 à 40 heures hebdomadaires) cette mesure n'a représenté une véritable amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière ; bien au contraire : les salaires et les avantages sociaux n'ont fait que diminuer et le travail précaire n'a fait qu'augmenter.
L'aggravation de la crise capitaliste obligera la classe ouvrière du Venezuela à lutter contre l'État tel que les ouvriers du pétrole, de la santé et de l'éducation l'ont fait. C'est ainsi, sur son terrain de classe, que le prolétariat pourra sortir du piège de la polarisation politique qui l'entrave, en s'intégrant dans la lutte du prolétariat mondial pour la construction du véritable socialisme.
Nous espérons avoir répondu à tes questions.
CCI. (19-11-07)
[1] Venezuelanalysis.com
[2] Le Venezuela a le taux d'inflation le plus élevé de la région, avec une moyenne de 20% par an ces trois dernières années.
[3] Lors d'un récent "Allo, Président", show TV dominical animé par Chavez lui-même, celui-ci n'a pas pu faire autrement que de critiquer les "révolutionnaires" dorés paradant en 4x4 tous terrains (qui dépassent les 100 millions de $), et qui boivent du whisky de 18 ans d'âge... Ce que Chavez ne dit pas, c'est qu'il tire bien profit, pour lui, sa famille et son clan, des recettes pétrolières. La "révolution bolivarienne", qui avait levé le drapeau de la lutte contre la corruption, aime bien barboter dans ses eaux croupies.
[4] Tele Sur est une chaîne de télévision récemment créée par le chavisme qui s'adresse à tous les pays de la région avec la volonté de faire pièce à l'influence politique et culturelle des États-Unis.