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"Le mouvement social le plus important depuis mai 68", "une formidable mobilisation" : voilà en quels termes la presse et la télévision bourgeoises elles-mêmes célébraient, à grand renfort de publicité, les luttes dans la Fonction publique de novembre/décembre 1995 en France contre le plan Juppé. Et ce sont encore les médias qui, avec les syndicats, ont été les premiers, à l'issue du mouvement, à présenter celui-ci comme une "grande victoire ouvrière". Que ce soit ceux dont le rôle a toujours été au contraire de dénigrer, minimiser ou carrément passer sous silence, quand ils le pouvaient, les luttes ouvrières les plus significatives constitue déjà un sérieux indice du fait que la bourgeoisie a voulu mystifier les prolétaires. Cela doit les inciter à la plus vive méfiance et à la réflexion sur ce qu'a réellement été cette mobilisation.
En réalité, cette prétendue victoire de la classe ouvrière, loin de l'avoir renforcée dans sa capacité de résistance aux attaques de la bourgeoisie, l'a au contraire laissée encore plus vulnérable face à celles-ci. Ainsi, dans les mois qui suivirent décembre 95, c'est l'essentiel des mesures du plan Juppé qui sont passées, et d'autres encore. Loin d'avoir permis aux ouvriers de "relever la tête", "tous ensemble" dans la lutte, elle n'a fait qu'affaiblir leur conscience du rôle anti-ouvrier des syndicats. Tout ce que dans les années 80 ils avaient appris en confrontation à la politique de ces saboteurs de la lutte de classe, se trouve oublié momentanément.
Aujourd'hui, beaucoup d'ouvriers ont perdu des illusions sur les luttes de décembre 95. Néanmoins, rares sont ceux qui parviennent à la pleine conscience que la formidable mobilisation en question n'a été rien d'autre qu'une manoeuvre de la bourgeoisie destinée à renforcer la capacité d'encadrement de la classe ouvrière par les syndicats.
La manipulation bourgeoise à l'oeuvre dans les grèves et manifestations de décembre 95 ne peut se comprendre que dans le contexte du profond recul subi par l'ensemble du prolétariat au niveau de sa conscience, suite aux campagnes idéologiques sur l'effondrement du stalinisme en 1989 et au battage intense sur la "mort du communisme ", La profonde désorientation qui en a résulté dans les rangs ouvriers, si elle n'a pu aboutir à une résignation du prolétariat l'amenant à abandonner le terrain de sa défense contre les attaques du capital, a néanmoins rendu beaucoup plus difficiles les conditions de son combat. Elle s'est traduite en particulier à travers une perte de confiance importante de la classe ouvrière en ses propres forces et par un regain d'illusions en son sein sur la possibilité de s'aménager une place au sein du système.
Mais, face aux attaques brutales que le capitalisme en crise a déchaîné contre eux, et n'ayant d'autre issue que de se défendre dans la lutte, les prolétaires ne sont pas restés passifs. Dés 1992, en Italie, ils ont repris le chemin des luttes. Consciente du danger, la bourgeoisie ne pouvait rester sans réagir. Afin de pouvoir porter ses attaques au niveau requis par l'aggravation catastrophique de la crise économique mondiale, elle se devait absolument d'affaiblir le prolétariat en mettant à profit le recul en son sein avant qu'il ne soit surmonté.
C'est ainsi que, depuis 1993, alors que des mouvements de luttes, notamment dans la Ruhr, tendaient à nouveau à présenter des caractéristiques des années 80 (rejet des consignes syndicales, recherche de l'unité au-delà du secteur) elle développa au niveau international toute une stratégie dont l'objectif central était de re-crédibiliser les syndicats afin qu'ils soient à même de saboter efficacement les ripostes de la classe ouvrière.
Cette stratégie a commencé à porter ses fruits dès l'année 1994, à travers une tendance à la reprise en mains des luttes par les syndicats, en Allemagne et en Italie notamment, et a connu une totale réussite lors du mouvement de décembre 95 en France. Décidée a anticiper la remontée générale de la combativité dans la classe ouvrière, la bourgeoisie a poussé le plus possible d'ouvriers dans un combat prématuré alors qu'ils n'avaient, dans la plupart des secteurs, pas encore la force ni la détermination pour engager massivement la lutte. Grâce à la réelle provocation que constituait le plan Juppé pour certains secteurs, les syndicats lancèrent d'abord ceux-ci dans la lutte. Forts de leur nouvelle image au sein de la classe ouvrière, ils parvinrent à entraîner derrière ces secteurs des centaines de milliers d'ouvriers de la Fonction publique, tout en gardant un contrôle étroit et total sur la lutte, du début à la fin, sans qu'ils aient eu à craindre le moindre débordement.
Si, dans tous les pays du monde, la bourgeoisie a fait une publicité très importante au mouvement de décembre 95, c'est bien parce que cela servait ses intérêts. Non seulement l'exemple qu'il donnait ne constituait en rien une menace pour ses intérêts, mais encore représentait un excellent moyen de faire croire que les ouvriers en France avaient retrouvé toute leur force, leur capacité de lutte et leur confiance en eux mêmes ... grâce aux syndicats. Certaines bourgeoisies allèrent même jusqu'à reproduire dans leur propre pays une manoeuvre semblable destinée à améliorer l'image ouvrière et combative de leurs syndicats. Ce fut le cas en Allemagne et surtout en Belgique, où la manoeuvre revêtit la forme d'une quasi-réplique de ce qui venait de s'achever moins d'une semaine auparavant en France.
Si nous publions aujourd'hui cette brochure, constituée d'une sélection d'extraits d'articles et d'autres moyens de l'intervention du CCI, diffusés au sein des luttes elles-mêmes ou dans les mois qui suivirent, c'est pour contribuer à la nécessaire clarification dans la classe ouvrière sur les événements eux-mêmes, et plus généralement sur les leçons qu'il faut en tirer. Parmi celles-ci, il y a en premier lieu la nécessaire reconnaissance de la capacité qu'a la bourgeoisie d'agir de façon préventive en suscitant le déclenchement de mouvements sociaux que le prolétariat dans son ensemble n'est pas encore capable d'assumer et dont il ne peut sortir que vaincu. A une toute autre échelle, et avec alors des enjeux considérables, c'est une telle tactique que la bourgeoisie employa contre la montée de la révolution en Allemagne. Elle provoqua les ouvriers de Berlin qui se lancèrent en janvier 1919 dans l'insurrection et furent massacrés, alors que ceux de la province n'étaient pas prêts à se soulever.
Ainsi, s'il veut pouvoir développer sa lutte face à des attaques aux conséquences de plus en plus dramatiques pour ses conditions d'existence, le prolétariat ne pourra pas faire l'économie d'apprendre à déceler, analyser les pièges de son ennemi mortel afin de pouvoir le combattre et le vaincre. En particulier, dans ses luttes, la classe ouvrière ne pourra pas échapper à la nécessité de se confronter aux syndicats.
CCI (juillet 97).