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Afghanistan : après les bombes, le chaos
Aujourd'hui, le régime des Talibans a basculé dans la défaite. C'est à peine en trois jours que les adeptes du mollah Omar et de Oussama Ben Laden se sont vus refoulés irrésistiblement de Mazar-I-Charif jusqu'au-delà de Kaboul. Pourtant, on nous avait annoncé que la bataille allait être longue et rude entre l'Alliance du Nord et les Talibans, en particulier pour la prise de la capitale afghane. Les Talibans ont reflué sans affrontement réel, écrasés sous les bombardements américains, tandis que les derniers combattants ont poursuivi une résistance sans trop d'espoir à Kunduz au nord et dans la région de Kandahar au sud.
Devant la rapidité des événements apparemment inattendue de la part des puissances occidentales, les ministres des affaires étrangères des pays membres de l'ONU déjà assemblés à New-York se réunissaient le 12 novembre en urgence pour "ralentir" l'action militaire et "accélérer" l'action politique ; tandis que parallèlement la pression américaine se faisait de plus en plus forte pour au contraire "aller vite, vite, vite" selon un diplomate américain. Et, devant la situation d'anarchie qui se profile, au lieu de voir la satisfaction s'étaler de la part de tous ces requins "vainqueurs" d'un des principaux foyers du terrorisme international, c'est un appel inquiet en direction de l'Alliance du Nord et des autres forces d'opposition antitalibanes qui émergeait du Conseil de Sécurité de l'ONU leur demandant de se mettre "devant leurs responsabilités en ce qui concerne le respect des droits de l'homme" et d'exercer le pouvoir "dans le respect des personnes et (de façon) à y assurer la paix civile". On ne peut que souligner une fois de plus ici l'hypocrisie écoeurante de ces criminels prêts à faire la leçon aux petits gangsters sanglants et autres cliques qu'ils excitent et soutiennent pour leurs propres intérêts, alors que ce sont eux les principaux fauteurs de guerre et que leurs rivalités sont les responsables directes des plus grands massacres de l'histoire.
Ce qui s'exprime une fois encore autour de la situation dramatique de l'Afghanistan, c'est la foire d'empoigne entre les grandes puissances. Il n'existe nul consensus entre elles pour éradiquer le terrorisme islamiste international, qui n'est pas de toutes façons le véritable enjeu, pas plus qu'elles ne sont intéressées à faire de "l'humanitaire", infâme prétexte pour venir régler leurs comptes sur le dos de populations de plus en plus exsangues.
La pression de la politique américaine
L'attentat contre les Twin Towers a été le prétexte rêvé (voir RI n° 317) pour appliquer une politique militaire dont les termes définis dès cet été par le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, consiste à présent à porter les priorités stratégiques "sur l'Asie, et non plus sur l'Europe et le Bassin méditerranéen" (citation du International Herald Tribune par Courrier International n°564 du 23 au 29 août 2001). Afin d'affirmer clairement leur autorité dans cette région du monde en faisant une démonstration de force, les Etats-Unis ont décidé seuls d'aller casser du Taliban en Afghanistan, avec leurs propres méthodes, ne laissant qu'un maigre strapontin à sa meilleure alliée, la Grande-Bretagne, et écartant les pays comme la France qui piaffait d'impatience pour prêter la main à l'Amérique, en fait pour placer leurs propres pions. Depuis le 11 septembre, Bush n'a pas cessé de répéter que cette guerre allait être longue, pas seulement contre les Talibans en Afghanistan mais dans le monde entier qui devient le théâtre véritable de la chasse aux terroristes : "Nous avons eu un bon début en Afghanisatan, mais beaucoup reste à faire (...) nous les traquerons jusqu'à la fin." a-t-il déclaré une semaine après la prise Kaboul. Les Etats-Unis peuvent aujourd'hui se vanter d'avoir acquis certains avantages, même s'ils ne sont que momentanés. Par la rapide victoire des "anti-Talibans", ils ont par exemple cloué le bec à ceux des pays européens, France en tête, qui critiquaient la validité des frappes aériennes et donc au-delà l'ensemble de la stratégie américaine. Par la même occasion, ils ont engrangé un certain succès auprès de leur propre "opinion publique" par la conduite d'une politique de "zéro mort" débouchant sur la défaite de "l'ennemi" taliban. Ceci permet à Washington de mieux justifier l'envoi de 3200 commandos de marine en plus des 500 hommes des "forces spéciales" officiellement sur place ainsi qu'une véritable armada militaire hautement sophistiquée et destructrice.
Les difficultés américaines et le chacun pour soi
Cependant, tout est loin d'être joué pour la Maison blanche. Contrairement à la guerre du Golfe où la puissance américaine avait pu imposer sa loi à l'Arabie Saoudite et faire rentrer dans le rang les puissances occidentales hostiles à cette intervention, les Etats-Unis ont visiblement décidés de n'agir que pour leur propre compte. Si l'on regarde les différentes démonstrations de force qu'ils ont effectuées depuis la guere du Golfe, qu'il s'agisse de la défaite spectaculaire qu'ils ont essuyée en Somalie en 1992, de leur tentative de faire régner l'ordre américain dans l'ex-Yougoslavie ou encore de la guerre massive menée contre la Serbie en 1999, au nom de la défense du peuple kosovar, ils se sont trouvés systématiquement en butte dans leurs tentatives d'avancées à l'opposition de la part de leurs anciens alliés du bloc de l'Ouest. C'est donc à l'égard de ces premiers bien plus encore que des forces "d'anarchie" afghanes qu'ils montrent une défiance active.
Dans un tel contexte, il est certain que dans la percée actuelle qu'ils font en Afghanistan, leur politique est de faire cavalier seul et de s'en donner les moyens. C'est dans le but de bloquer la poussée de ses "alliés" que l'on voit ainsi le gouvernement américain apporter un soutien momentané à l'Alliance du Nord jusqu'ici plutôt soutenue par la Russie, et que Washington n'avait à dessein pas armé, car non fiable, au bénéfice d'un appui plus important donné aux factions pachtounes plus proches du Pakistan.
Ainsi, alors que Bush avait officiellement demandé à l'Alliance du Nord le 10 novembre de ne pas entrer dans Kaboul, le secrétaire à la défense Rumsfeld lui disait de façon pernicieuse dans le même temps de faire ce qu'elle voulait, mais "sans commettre d'exactions" ! En clair, contre les rivales qui s'annoncent, l'Amérique jette de l'huile sur le feu d'une situation déjà ouverte sur un chaos difficilement contrôlable.
La bourgeoisie la plus empressée de toutes, la bourgeoisie française, s'était déjà vue évincée par le vote de la première résolution de l'ONU, et c'est après tout un forcing lors du 12 novembre à New-York qu'elle a pu justifier sa venue en Ouzbekistan, au nom de l'humanitaire. Ce n'est donc pas un hasard si Paris développe toute une campagne dans sa presse sur le danger d'anarchie, comme entre 1992 et 1996, que représente le retour au pouvoir des seigneurs de la guerre afghans. Védrine ne s'est pas gêné pour adresser une menace à "ceux qui vont exercer le pouvoir en Afghanistan", "désormais sous le regard vigilant de la communauté internationale". Et les médias français, comme d'ailleurs les médias de la plupart des pays occidentaux qui hier encore n'avaient pas assez de mots pour les dénoncer, de trouver soudainement des vertus bénéfiques aux Talibans qui avaient "au moins" su établir un Etat et une situation sociale stables. Encore un exemple de la crapulerie de cette classe bourgeoise dont les vérités varient en fonction de ses intérêts immédiats.
L'armée française, actuellement isolée et laissée pour compte par le meneur de jeu américain, se retrouve donc impuissante, gros jean comme devant, aux frontières de l'Ouzbekistan dont le chef d'Etat, soutenu par les Etats-Unis, fait traîner les choses en attendant de monnayer sa part du gâteau afghan.
Les perspectives tant d'apaisement de la situation dans le pays que de possible consensus entre les grandes puissances sont tellement incertaines que la Grande-Bretagne elle-même, pourtant en première ligne dès le premier jour du conflit, a décidé de ne pas "mettre des forces en place sans l'accord des Etats-Unis et d'une entente claire de ce que nos troupes feront dans le cadre de la coalition militaire", prévoyant carrément de retirer rapidement les troupes déjà en place. En fait, la bourgeoisie anglaise n'apprécie pas du tout que Bush ait clairement mis Blair de côté, malgré ses déclarations d'allégeance, dans toutes les décisions prises par rapport à l'Afghanistan depuis deux mois.
La déconvenue de la France et de la Grande-Bretagne est significative de la politique des Etats-Unis dans ce conflit : susciter la "solidarité" de ses anc iens alliés du temps de la guerre froide autour de ses propres visées stratégiques mais les priver de toute contrepartie qu"ils pourraient espérer de cette solidarité. Il est clair que les puissances européennes qui ont annoncé leur soutien à l'opération "Liberté immuable" ne l'ont pas fait pour les beaux yeux de Bush mais parce que c'était le seul moyen de ne pas être écartées du partage du gâteau le moment venu. La petite part de ce gâteau qu'espérait Blair ou Chirac, c'est de pouvoir disposer certaines de leurs troupes ssur place pour ne pas laisser au parrain américain le moopole d'une présence militaire dans cette partie du monde qui lui laisserait les mains entièrement libres pour mener sa politique en conformité avec ses intérêts exclusifs. Et c'est même ces quelques miettes que Bush ne paraît pas décidé à leur accorder : la seule "solidarité" que le brigand américain apprécie de la part de ses seconds couteaux, c'est l'obéissance.
Voilà qui en dit long sur la volonté de tous de venir à la rescousse des populations affamées et victimes de la guerre, qu'il s'agisse de celle qui s'achève comme de celle à bien plus long terme qui se prépare.
La seule perspective, c'est le chaos
La conférence de Bonn prévue le 26 novembre entre l'Europe et les différentes factions afghanes pour chercher à établir un régime "multi-ethnique représentatif de la diversité du pays", ne va être qu'un épisode de la foire d'empoigne qui s'annonce en Afghanistan. Par exemple, les Pachtounes n'en font pas partie, refusant catégoriquement toute "ingérence étrangère" et menaçant de protéger les derniers Talibans comme moyen de chantage pour leurs propres intérêts. Mais cette conférence va surtout être un moment de l'affrontement et du chacun pour soi des grandes puissances qui prétendent "régler" le problème et apporter une solution politique en Afghanistan. Les clivages vont apparaître de plus en plus au grand jour, derrière les grands discours sur l'humanitaire, et montrer le vrai visage de ces crapules aux prises les uns avec les autres.
Il est d'ailleurs significatif que cette conférence s etienne en Allemagne et non pas en Grande-Bretagne ou en France qui ont jusqu'à présent été plus active dans l'opération militaire (même si modestement). En laissant à l'Allemagne le prestige diplomatique de l'organisation de cette conférence, la puissance essaie d'enfoncer un coin dans la "solidarité" des différents pays européens.
Aussi, non seulement la poudrière afghane devient une des nouvelles zones d'affrontement entre les grandes puissances, un enjeu majeur du rapport des forces impérialistes dans la période à venir, mais elle ccontient au-delà d'elle-même l'extension du chaos capitaliste plus loin vers l'Orient. Car si l'Afghanistan a toujours représenté une région clé entre le Moyen et l'Extrême-Orient, de même qu'entrte trois grands pays, la Russie, la Chine et l'Inde, une région qui a toujours été un enjeu entre les blocs de l'Est et de l'Ouest à l'époque de la guerre froide, la bataille qui s'y mène est pleine de conflits qui vont se déporter vers les région savoisinantes. Ainsi, les pays du nord du pays, Ouzbekistan et Tadjikistan qui vont chercher à tirer leur épingle du jeu, en jouant par exemple les différents entre la Russie et les Etats-Unis. Ainsi la Russie qui ne pourra pas voir s'installer ces derniers sans leur mettre des bâtons dans les roues. Mais il s'agit encore du Pakistan dont les fractions rivales, déjà fortement aiguisées dans la période précédent l'intervention américaine, vont se déchirer plus violemment que jamais. Et, derrière l'instabilité du Pakistan pris entre les pressions des Etats-Unis mais aussi de la Chine qui lui a fourni généreusement l'arme atomique, se joue également celle de l'Inde dont les prétentions impérialistes ne pourront que la pousser à s'opposer à une présence américaine directe dans une région où elle prétend être une des puissances prépondérantes.
L'avenir qui s'annonce avec l'arrivée de tous ces rapaces qui se déchirent avant même de se trouver les uns en face des autres sur le terrain est bien sombre. Une fois de plus, ils vont semer la mort et le chaos, au nom de la paix, au nom de l'humanitaire, de la civilisation, etc., pour le compte du capitalisme décadent et moribond.
KW (24 novembre)