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Le premier tour des élections présidentielles a réactualisé
de façon spectaculaire et assourdissante le bourrage de crâne orchestré
par la bourgeoisie sur la "dangereuse montée de l'extrême-droite"
et sur le développement de la "gangrène fasciste". Le
"péril brun" serait en train de menacer la "civilisation"
et les "valeurs démocratiques" des grands Etats occidentaux,
et le retour de régimes fascistes et nazis qu'on a connu dans les années
1930 réprésenterait le principal danger planant sur le nouveau
siècle à venir.
Y a-t-il un "danger fasciste" aujourd'hui ? Le développement
électoral du Front National en France et la montée des idéologies
racistes et xénophobes en général annoncent-ils le retour
du fascisme du siècle dernier ? Quel est le but des campagnes de mobilisation
"antifascistes" actuelles ?
Le fascisme entre les deux guerres : défaite de la classe ouvrière et marche à la guerre
L'interprétation historique officielle bourgeoise, de la droite à
l'extrême- gauche, présente toujours le fascisme comme une espèce
d'aberration historique, comme une manifestation de forces obscurantistes complètement
étrangères au capitalisme et à son mode de vie "civilisé".
Selon elle, le fascisme aurait pris le pouvoir dans les années 1920 et
1930 contre la volonté de la bourgeoisie ou de ses secteurs les plus
progessistes. Cela permet à la classe dominante de se laver du péché
d'avoir engendré le fascisme et en même temps de cacher les véritables
conditions historiques dans lesquelles elle a effectivement eu recours à
lui, en tant que forme alors la mieux adaptée à ses besoins et
à ceux de l'Etat capitaliste.
Cela lui permet d'autant mieux de masquer le fondement historique réel
du fascisme.
Entre les deux guerres, les régimes fascistes ont été avant
tout l'expression fondamentale des besoins du capitalisme confronté à
la violence de sa crise. Les ravages de la crise économique, surtout
dans les pays vaincus et lésés par l'issue du premier conflit
mondial, vont placer la bourgeoisie de ces pays devant l'évidence : pour
survivre, il fallait redistribuer les parts du gâteau impérialiste
et la seule issue était de s'acheminer, et vite, vers une nouvelle guerre
mondiale. Pour cela, il fallait concentrer tous les pouvoirs au sein de l'Etat,
accélérer la mise en place de l'économie de guerre et de
la militarisation du travail, faire taire les conflits internes à la
bourgeoisie. Les régimes fascistes vont se constituer directement en
réponse à cette exigence du capital national. En cela, ils n'ont
été qu'une des expressions les plus brutales, comme l'a été
également le stalinisme, de la tendance générale au capitalisme
d'Etat qui est la caractéristique de la domination du capital dans sa
période historique de décadence, ouverte depuis 1914. Loin d'être
la manifestation de la petite bourgeoisie dépossédée et
aigrie par la crise, même si cette dernière lui a largement servi
de masse de manoeuvre, le fascisme a bel et bien constitué le programme
de la bourgeoisie et du capitalisme dans des conditions déterminées.
C'est bel et bien la grande bourgeoisie industrielle qui favorisa la montée
du fascisme et lui confia les rênes de l'Etat, en Allemagne comme en Italie.
Mais si la crise économique, la nécessité du capitalisme
d'Etat et la marche à la guerre constituent des conditions historiques
fondamentales du fascisme, elles sont loin d'être les seules. L'autre
condition préalable, majeure et incontournable, pour l'instauration du
fascisme, c'est la défaite du prolétariat. Jamais la bourgeoisie
n'a pu recourir au fascisme face à une classe ouvrière mobilisée
sur son terrain de classe. Que ce soit en Italie ou en Allemagne, pays où
la vague révolutionnaire ouverte par Octobre 17 s'était propagée
avec le plus d'ampleur, le fascisme n'a pu s'imposer avant que les forces "démocratiques",
et surtout la gauche de la bourgeoisie déguisée en faux amis des
ouvriers, ne se soient chargées d'écraser, physiquement et politiquement,
la flambée révolutionnaire. Les massacreurs de la révolution
allemande ne sont pas les nazis, mais les très socialistes Noske et Scheidemann,
qui, au nom du gouvernement social-démocrate, firent réprimer
dans le sang la mobilisation prolétarienne et assassinèrent sauvagement
Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, en se servant des corps francs, embryons
des futures milices nazies. En 1919-1920, l'Italie aussi s'embrase. La première
vague de répression sera l'oeuvre du très démocratique
gouvernement Nitti et de sa Garde Royale, mise en place pour réprimer
les grèves et qui fera plusieurs centaines de victimes ouvrières.
Mais, bien plus que la répression directe, ce qui brisera l'élan
prolétarien, c'est son enfermement, grâce aux syndicats et au PSI,
dans les fameuses occupations d'usines et dans l'illusoire gestion ouvrière
de la production. Le mouvement des occupations était voué à
l'échec, et ce n'est qu'après sa défaite à l'automne
1920 que la répression massive s'abat sur la classe ouvrière,
répression qui est menée conjointement, et par les forces légalement
constituées de l'Etat démocratiques et par les escadrons fascistes.
C'est seulement après la défaite de la classe ouvrière
que les "faisceaux" de Mussolini vont se développer pleinement,
avec l'aide du patronat qui les finance et de l'Etat qui les encourage. Là
comme ailleurs, c'est l'étouffement de la vague révolutionnaire
internationale qui permettra au fascisme de prendre le pouvoir.
Dans les autres pays d'Europe, pays vainqueurs de la Première Guerre
mondiale, l'économie de guerre, le renforcement du capitalisme d'Etat
et les préparatifs de la Seconde Guerre mondiale, n'ont pas été
moins présents. Cependant, le prolétariat, moins engagé
dans la vague révolutionnaire que ses frères de classe d'Allemagne
et d'Italie, n'y avait pas connu de défaite physique. La bourgeoisie
avait besoin de la mystification démocratique pour obtenir la soumission
politique de la classe ouvrière et l'amener à la guerre. Ainsi,
dans ces années 1930, alors que les effets de la grande dépression
poussaient des millions de prolétaires à réagir contre
la misère capitaliste, ce sont les "Fronts populaires" qui
vont se charger, tant de mettre en place l'économie de guerre que d'embrigader
le prolétariat pour la boucherie mondiale derrière l'idéologie
antifasciste.
La montée de l'extrême-droite aujourd'hui : décomposition capitaliste et manipulations idéologiques
Il est tout à fait vrai que l'actuelle plongée de la société
capitaliste dans la décomposition nourrit le développement de
toutes sortes d'idéologies cherchant des boucs émissaires à
la faillite générale de la société et compensant
l'absence de perspective par des programmes populistes et ouvertement xénophobes
et racistes. A ce niveau, Le Pen ou les groupuscules néo-nazis en Allemagne
font pleinement partie de ces autres manifestations de la décomposition
que sont la drogue ou les sectes, expressions d'une société capitaliste
sans avenir, qui pourrit littéralement sur pied.
Pour autant, cela ne suffit pas à expliquer ce fameux "phénomène
Le Pen". Il est désormais admis, y compris dans les discours bourgeois,
que le FN ne serait jamais arrivé là sans la volonté délibérée
de la bourgeoisie française qui, de scrutin proportionnel en coups de
pouce répétés dans les médias, a fait d'un pantin
inconsistant une véritable vedette nationale.
D'autre part et surtout, même avec son succès populaire et la publicité
médiatique qui lui est faite, ce n'est pas cela qui fait de Le Pen un
nouvel Hitler, pas plus que le "désespoir populaire" n'explique
la prise du pouvoir par ce dernier en 1933.
Contrairement au parti nazi à l'époque, le FN, et les autres partis
d'extrême-droite existant en Europe, sont loin d'être les représentants
d'un quelconque programme de sortie de la crise pour le capital national. Si
Hitler et son parti ont pris le pouvoir, c'est bien parce que leur programme
de capitalisme d'Etat et de fuite en avant vers la guerre, constituait la seule
issue possible pour le capital allemand et qu'il a effectivement résorbé
en quelques années le chômage à travers sa politique de
grands travaux et d'économie de guerre. Aujourd'hui, outre le fait que
la bourgeoisie n'a pas actuellement les moyens de s'engager vers une nouvelle
guerre mondiale face à une classe ouvrière qui n'est pas défaite,
les politiques de grands travaux, de commandes publiques basées sur un
endettement gigantesque des finances publiques sont DEJA derrière nous.
S'il y a quelque chose d'utilisable dans le programme de Le Pen, c'est la politique
de limitation de l'immigration et d'utilisation des travailleurs immigrés
comme boucs émissaires, et cela, la bourgeoisie française, de
droite comme de gauche, n'a pas eu besoin de nommer un président ou un
ministre FN pour le mettre en place.
Mais, surtout, la bourgeoisie a bien trop besoin aujourd'hui de son paravant
démocratique pour affronter la classe ouvrière. Nous ne sommes
pas dans les années 30, années où le prolétariat
payait le prix de la terrible défaite de la vague révolutionnaire.
Quelles que soient les difficultés actuelles de la classe ouvrière,
c'est une classe qui n'a pas connu la défaite et dont la capacité
de résistance sur son terrain de classe aux attaques du capital n'est
pas entamée. Un pantin comme Le Pen au pouvoir serait bien incapable
de contrôler la situation sociale, alors que le mode "démocratique"
de domination du capital, avec ses syndicats divers et variés, son parlement,
son jeu opposition-gouvernement et ses médias "libres" est
d'une bien plus terrible efficacité pour conserver le contrôle
social, pour assurer un encadrement serré des luttes ouvrières
et pour mener à bien les manipulations idéologiques. Et c'est
bien là la seule raison pour laquelle Le Pen existe et qui fait que la
bourgeoisie a besoin de lui : il sert de faire valoir à l'Etat démocratique.
L'idéologie bourgeoise fait de la lutte entre la "démocratie" et le "fascisme", ou entre la "démocratie" et le "totalitarisme", la clé de voûte de l'histoire du 20e siècle. C'est un pur mensonge, car c'est bien la même bourgeoisie, le même Etat capitaliste qui se pare de l'un ou l'autre de ces oripeaux, en fonction des nécessités et des possibilités historiques.
Cette prétendue opposition a toujours servi de justification mensongère à la barbarie de la Seconde Guerre mondiale, qu'on nous présente comme le juste combat des "bons" démocrates contre les "méchants" fascistes et non pour ce qu'elle a été réellement : l'affrontement meurtrier et barbare entre requins impérialistes. Toujours selon l'idéologie dominante, c'est le fascisme qui serait la cause de la Seconde Guerre mondiale, alors que c'est le contraire qui est vrai : c'est la marche vers la guerre, véritable mode de vie du capitalisme décadent, qui a engendré le fascisme. C'est encore le fascisme, ce "mal absolu", qui serait l'unique responsable, avec le stalinisme, des horreurs et de la barbarie dont la planète a été le théâtre depuis un siècle, alors qu'en vérité le "camp d'en face" n'a rien eu à lui envier sur le chapitre de la boucherie et des bains de sang, de Dresde à Hiroshima, de Hamburg à Sétif, de la guerre du Vietnam à la guerre du Golfe. Enfin, si on en croit la gauche et surtout ses fidèles rabatteurs gauchistes, "le fascisme" serait la pire chose pour le mouvement ouvrier, parce que synonyme de répression féroce, d'interdiction des grèves et de déportation des militants. Mais là encore, la "démocratie" n'a rien à lui envier. L'avenir de l'humanité est entre les mains du prolétariat et de lui seul. C'est bien pour faire obstacle à cette réponse prolétarienne et à la menace bien réelle qu'elle représente contre son ordre, que la classe dominante déploie ses campagnes idéologiques de défense de l'Etat démocratique et ses mobilisations antifascistes. C'est la conscience et la perspective révolutionnaire de la classe ouvrière qu'elle cherche à attaquer en proposant de fausses réponses à la faillite ouverte de son système. Aujourd'hui que les mythes de la "paix" et de la prospérité ont fait long feu, la classe dominante essaie d'entretenir et de faire adhérer les prolétaires à celui qui lui reste : l'illusion de la "démocratie", ce prétendu rempart à la barbarie qui n'est en réalité qu'un poison anti-ouvrier qui n'a toujours servi qu'à désarmer les prolétaires.
Si une menace pèse aujourd'hui sur l'humanité, c'est celle que fait peser sur son existence le maintien en vie de ce système de misère et de barbarie. Et le danger le plus grand pour la lutte de la classe ouvrière aujourd'hui et pour sa capacité à mener à bien sa tâche de destruction du capitalisme, ce ne sont pas "les fascistes", réels ou supposés, mais bien les pièges "démocratiques" de la classe dominante.
PE
(D'après RI n°267, avril 1997)