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« La France entre dans l’inconnu », titrait le journal britannique The Economist, au moment où le gouvernement Bayrou était nommé. On ne saurait mieux dire ! La bourgeoisie française se débat aujourd’hui dans une situation de plus en plus inextricable. Non contente de révéler, à des fins idéologiques, son abyssale dette et déficit budgétaire, elle se retrouve avec un nouveau gouvernement faiblard, que le Président Macron cherche déjà à entraver contre son mentor Bayrou, incapable d’impulser et d’imposer une direction claire à la politique de l’État.
L’instabilité de la vie politique de la bourgeoisie française se traduit assez simplement par le fait que l’année 2024 a vu passer quatre gouvernements différents. Au-delà des divisions de plus en plus profondes, et oppositions souvent frontales entre les diverses fractions bourgeoises, on assiste en permanence à des luttes intestines suicidaires : les dernières troupes des Républicains (LR) se sont déchirés de façon grotesque au sujet de l’alliance avec le Rassemblement national (RN). La France Insoumise (FI), tout comme les partis autour de Macron, voient s’affronter les ambitions pour 2027. Même le Parti socialiste (PS), l’une des formations les plus expérimentés et intelligentes de la bourgeoisie française, bien que contraint de maintenir le gouvernement en place en ne votant pas la censure, se divise de plus en plus en deux camps irréconciliables, entre ceux qui voudraient retourner aux affaires y compris avec les macronistes, et une fraction « de gauche » contrainte de faire alliance avec La France insoumise de Mélenchon.
Dans ce contexte, les fractions bourgeoises les plus responsables) peinent de plus en plus à endiguer la montée en puissance de forces populistes incapables d’assumer une orientation politique cohérente pour défendre au mieux les intérêts de l’État. Une partie de la bourgeoisie française semble d’ailleurs se résigner à envisager l’arrivée au pouvoir présidentiel du tandem Le Pen/Bardella, même si elle cherche, à empêcher cette issue potentiellement désastreuse pour le capital national, sans y parvenir pour l’instant. Tout cela montre l’incapacité de plus en plus grande de la bourgeoisie à maîtriser les processus électoraux et permettre une plus grande cohérence dans la conduite de l’État.
L’influence du vote populiste et l’affaiblissement des fractions « de gouvernement » de la bourgeoisie française aboutit aujourd’hui à une situation d’impasse, avec une absence de majorité parlementaire chronique. Toute alliance gouvernementale à droite mais surtout à gauche, pour le Nouveau Front populaire, ne peut aller que vers une décrédibilisation accélérée. Car face à la crise économique et politique, tout gouvernement, de droite comme de gauche, devra assurer les pires attaques contre la classe ouvrière sans assise parlementaire stable.
Une crise loin d’être française
On pourrait croire qu’on a, là, affaire à une crise spécifiquement française, une « crise de la Ve République » comme le répètent les partis de gauche. Or, dans la plupart des pays développés, le même processus se développe sous des formes parfois singulières, mais de nature similaire. L’expression la plus important et dangereuse de ce processus réside dans le retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis. (1) La crise politique en Allemagne et le développement de l’AfD et du mouvement autour de Sara Wagenknecht, le poids du populisme en Angleterre, en Hongrie, en Pologne, en Italie, aux Pays-Bas notamment, sans parler de fractions en embuscade comme celles de Bolsonaro au Brésil ou de Milei en Argentine, sont aussi l’expression des difficultés de toutes les bourgeoisies à maîtriser leur propre jeu politique et à empêcher l’émergence de groupes ou leaders politiques à l’égo démesuré, centrées sur leurs petits intérêts immédiats de cliques bourgeoises. Ces factions fonctionnent généralement comme des clans, voire de plus en plus comme des gangs, dont le but est d’utiliser l’État à leurs propres fins.
Les causes de ce phénomène sont à chercher, non en soi dans le personnel politique et ses chicaneries habituelles, qui ont toujours existé, mais dans des racines politiques que nous avions mis en avant il y a déjà 35 ans : « Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique. À la base de ce phénomène, on trouve évidemment la perte de contrôle toujours plus grande de la classe dominante sur son appareil économique, lequel constitue l’infrastructure de la société. L’impasse historique dans laquelle se trouve enfermé le mode de production capitaliste, les échecs successifs des différentes politiques menées par la bourgeoisie, la fuite en avant permanente dans l’endettement généralisé au moyen de laquelle se survit l’économie mondiale, tous ces éléments ne peuvent que se répercuter sur un appareil politique incapable, pour sa part, d’imposer à la société, et particulièrement à la classe ouvrière, la “discipline” et l’adhésion requises pour mobiliser toutes les forces et les énergies vers la guerre mondiale, seule “réponse” historique que la bourgeoisie puisse offrir ». (2)
Ce qui se développe sous nos yeux est la conséquence de l’incapacité de plus en plus grande de la bourgeoisie de contrôler son propre système politique, économique et social.
Pourtant les institutions de la Ve République ont été conçues pour assurer une stabilité politique qui manquait à la IVe République, mais aussi à d’autres pays comme la Belgique ou l’Italie… On avait déjà vu apparaître les premières difficultés lors des « cohabitations » entre un Président obligé de composer avec une Assemblée nationale d’un autre bord politique. Mais aujourd’hui, c’est bien autre chose : la bourgeoisie française, l’une des plus anciennes et expérimentées au monde, a d’immenses difficultés pour assurer le fonctionnement normal de l’État. La France a obtenu aux forceps le budget pour l’année 2025 et avait dû reconduire en catastrophe celui de 2024. Cette difficulté illustre certaines faiblesses qui ne peuvent qu’avoir un impact important sur l’Europe entière du fait du rôle moteur de la France sur le continent.
La mystification démocratiste bat son plein
En votant la censure du précédent gouvernement Barnier, la Gauche a poursuivi sa sale besogne idéologique contre la classe ouvrière, en mettant en avant toutes les mystifications démocratiques : de la dénonciation dénonçant l’article 49.3 de la Constitution (que le PS n’a pourtant jamais hésité à utiliser sous Mitterrand ou Hollande), à l’appel appelant à la démission de Macron, en passant par la proposition d’une VIe République, ou la revendication par LFI d’une meilleure « redistribution sociale » à travers une augmentation des impôts. Toutes les tromperies possibles autour du système électoral y sont passées ! La stratégie et le partage du travail sont clairs, même s’ils tendent à s’user : une partie de la Gauche va se présenter comme « responsable », capable de gérer l’État, tandis qu’une autre partie va jouer la radicalité pour mieux tromper la classe ouvrière, face au mécontentement ouvrier énorme qui s’annonce suite aux attaques en cours et à venir.
Des licenciements comme s’il en pleuvait…
La crise politique actuelle s’accompagne d’une vague de licenciements comme le pays n’en a pas connu depuis longtemps : au moins 180 plans de licenciements recensés entre septembre 2023 et octobre 2024 par les syndicats, et il n’y a aucune raison que cela s’arrête. Cela comme un peu partout en Europe et dans le monde.
Dans trois académies de l’Éducation nationale, les contrats de dizaines de contractuels n’ont pas été renouvelés en décembre pour « raisons budgétaires », contraignant le ministère à intervenir. La chaîne de télévision Canal+ a annoncé 250 licenciements. La Fonderie de Bretagne qui fournissait Renault va fermer définitivement. Michelin, Auchan, Casino, le chimiste Vencorex, Valéo, Arcelor-Mittal, General Electric, Airbus Defense and Space, Stellantis vont licencier voire fermer des sites. Les syndicats estiment au bas mot 150 000 suppressions d’emploi. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, car ces grands groupes font travailler des sous-traitants qui vont subir l’effet domino de ces plans sociaux et devoir licencier à leur tour.
Ces attaques contre le prolétariat, inévitables vu le développement de la crise capitaliste, pousseront les prolétaires à lutter et se confronter au piège corporatiste systématique des syndicats, à prendre conscience du lien entre les attaques qu’elle subit et la crise historique du capitalisme et ses guerres.
HD, 14 février 2025
1Cf. « Triomphe de Trump aux États-Unis : Un pas de géant dans la décomposition du capitalisme ! », publié sur le site web du CCI.
2« La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste », Revue internationale n° 62 (1990).