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Maintenant que toutes les élections (fédérales, régionales, locales) sont passées, les nationalistes flamands de la NVA et les libéraux francophones du MR, respectivement les plus grands partis politiques de Flandre et de Wallonie, ainsi que les démocrates-chrétiens (CD&V et ‘Les Engagés’) et les socialistes flamands de ‘Vooruit’, poursuivent les négociations en vue de former un gouvernement fédéral dont l’objectif principal sera de « remettre de l’ordre dans les finances de l’État ». Avant même que le nouveau gouvernement ne soit formé, ses projets pour les années à venir ont déjà fait l’objet de nombreuses « fuites ». Ceux-ci montrent que la classe ouvrière belge peut se préparer à une nouvelle attaque frontale contre ses revenus et ses conditions de travail. Alors que, d’un côté, les travailleurs sont licenciés en masse, de l’autre côté, le nouveau gouvernement "Arizona" veut faire des coupes sombres dans les dépenses de sécurité sociale, y compris dans les retraites. Quant aux salariés, ils voient leur travail devenir encore plus précaire et flexible afin que les patrons puissent tirer d’avantage de profit de leur force de travail.
Les conséquences de la crise du capitalisme sont reportées sur les travailleurs
Pour comprendre ce qui pousse la bourgeoisie à se lancer dans une telle offensive, il faut examiner en particulier les effets de la crise internationale et des guerres sur l'économie belge.
De par la concurrence acharnée sur le marché mondial, l’industrie chimique anversoise, fleuron des exportations belges, subit de plein fouet la pression asiatique. En 2023, les exportations ont chuté de 18 % et les ventes de 14 %. Cette pression concurrentielle entraîne aussi dès à présent des conséquences considérables sur les secteurs de l’ automobile et des autocars.
Des pays comme la Belgique sont de plus en plus impliqués dans la guerre en Ukraine, ce qui oblige à renforcer l’arsenal militaire. En outre, l’OTAN demande que la Belgique consacre non pas 1,1 %, mais au moins 2 % de son PIB à l’armement.
Enfin, les derniers chiffres dressent un tableau extrêmement inquiétant de l’économie européenne, ce qui entraîne une stagnation des exportations belges. En particulier, la récession persistante en Allemagne, principal partenaire commercial de la Belgique, pèse sur l’économie belge.
Les conséquences se font déjà clairement sentir. Au printemps, 1 600 travailleurs ont été licenciés chez Van Hool (autocars) à Lierre. En septembre, 440 travailleurs ont perdu leur emploi chez le fabricant de puces Belgan à Audenarde. Chez Audi à Bruxelles, 1400 travailleurs seront licenciés, et les 1600 restants le seront probablement en avril 2025. Cette situation a évidemment des conséquences directes sur l’emploi chez les sous-traitants et les fournisseurs. 2024 est déjà l’année où le nombre de licenciements collectifs sera le plus élevé de la décennie.
Un deuxième élément qui a un impact important sur la politique de la bourgeoisie belge est la décision de la Commission européenne de resserrer les cordons de la bourse des États membres.[1] Les pays dont la dette est supérieure à 90 % du PNB et/ou dont le déficit budgétaire annuel est supérieur à 3 % seront contraints par l'UE de réduire fortement les dépenses. La Belgique, avec une dette publique de 105 % et un déficit budgétaire de 4,6 %, fait également partie de ces pays. La nécessité de combler un déficit de 27 milliards d'euros au cours des 5 à 7 prochaines années représente pour le nouveau gouvernement belge le défi le plus important à relever depuis des décennies.
Pour relever ce double défi, la bourgeoisie belge veut déclencher une vague de coupes dans les dépenses et de rationalisations, qui affecteront l’ensemble de la classe ouvrière. Ainsi, la coalition « Arizona » envisage une attaque frontale contre la sécurité sociale et les services sociaux :
- Forte réduction des dépenses sur les pensions par l’abolition de toutes les formes de retraite anticipée, par l’octroi de prestations de retraite complètes uniquement en cas de « travail effectif » pendant au moins 35 ans, et par une limitation drastique de toute période « assimilée » à du travail ;
- Réduction considérable des allocations de chômage, en limitant leur durée dans le temps à deux ans ;
- Réduction des dépenses pour les malades de longue durée : toute personne qui retombe malade moins de 12 semaines après avoir repris le travail n’aurait désormais plus droit à un salaire garanti ;
- Arrêt de l’augmentation sytématique des allocations en parallèle avec celle des salaires des travailleurs ;
- Mise en œuvre d’une réduction de 2 % de l’ensemble des fonctionnaires et des coûts de fonctionnement des administrations publiques.
En outre, les partis de la coalition prévoient également d’accroître considérablement l’exploitation de la main-d’œuvre en rendant le marché du travail encore plus flexible. Les entreprises auront davantage de possibilités d’employer des travailleurs sans contrat de travail fixe, avec des horaires irréguliers, pour des travaux de courte durée, etc. En outre, l’interdiction du travail le dimanche, du travail de nuit et lors des jours fériés sera supprimée dans tous les secteurs. Les heures supplémentaires ne seront rémunérées qu’à partir de minuit et non plus à partir de 20h. Enfin, les travailleurs verront leurs revenus fondre car le pécule de vacances, la prime de fin d’année, les bonus, etc. seront désormais exclus de l’indexation des salaires, c’est-à-dire de l’adaptation automatique, bien que partielle, des salaires à l’augmentation du coût de la vie.
Bref, des milliers de travailleurs sont licenciés, mais, selon les plans des partenaires de l’ « Arizona », le nombre d’exclus des allocations de chômage va augmenter. Le rythme de travail dans les entreprises détruit la santé des travailleurs, mais le nouveau gouvernement veut obliger les malades à reprendre le travail ! La hausse des prix réduit notre pouvoir d’achat, mais les salaires pour le travail de nuit et de week-end sont réduits. Il est temps pour les travailleurs d’arrêter cette orientation : « ça suffit »
Les syndicats et la gauche se préparent à désamorcer toute résistance contre ces mesures
La bourgeoisie est bien consciente de ce que ces plans pourraient déclencher au sein de la classe ouvrière, à un moment où celle-ci a déjà montré sur le plan international qu'elle reprenait le chemin de la lutte après des décennies de déclin.[2] Lors de la vague de luttes en Grande-Bretagne de 2022, l'été de la colère, la bourgeoisie savait déjà parfaitement que l'aggravation de la crise et les conséquences de la guerre allaient s’approfondir et que, dans ce contexte, elle devait inévitablement déclencher de nouvelles attaques. Le fait qu'un mouvement massif s’est développé à l’époque face aux premières attaques, fondamentalement similaires pour toutes les secteurs du prolétariat, non seulement en Grande-Bretagne mais dans toute l'Europe et même dans d’autres parties du monde, a beaucoup inquiété la bourgeoisie. C'est pourquoi celle-ci attache de l'importance à bien se préparer et à déployer les forces nécessaires pour encadrer et détourner la résistance attendue.
Ainsi, les syndicats affirment aujourd’hui sans équivoque que les attaques contre la classe ouvrière seront générales et étendues. Comme l’a récemment déclaré Miranda Ulens du syndicat socialiste FGTB, « cela constitue un démembrement gigantesque de notre État-providence ». Ce syndicat semble donc vouloir organiser la résistance, mais, en réalité, il ne fait qu'exprimer son mécontentement face au caractère unilatéral des mesures d’austérité proposées, dans le cadre desquelles les travailleurs seraient « utilisés pour augmenter les profits des actionnaires » et devraient payer la facture. En réalité, la FGTB ne s'oppose nullement à la nécessité de l'austérité, car elle estime elle aussi que tout le monde doit se serrer la ceinture pour défendre l'économie nationale contre la concurrence internationale acharnée. Donc, quand les syndicats appellent à des manifestations et à des grèves, ce n'est pas pour lutter contre l'austérité et les rationalisations, mais pour lutter pour une « répartition plus équitable » des charges et, surtout, pour éviter ainsi que les travailleurs engagent une lutte intransigeante, sur leur propre terrain de classe, contre les attaques du gouvernement et du patronat.
Le 16 septembre, les syndicats ont déjà organisé une manifestation commune sous le slogan : « L'industrie est à nous » .[3] Cette manifestation a été présentée comme un moyen de pression sur le gouvernement, les syndicats défendant la position selon laquelle « l’industrie doit rester ici », comme l’a déclaré la présidente de l’ACV, Ann Vermorgen, dans son discours du 16 septembre. Toute cette manifestation était, bien entendu, un acte de tromperie grossière à l’égard des travailleurs. Tout d’abord, le point de vue selon lequel « l’ndustrie est à nous » est un mensonge. Après tout, nous ne vivons pas dans une société communiste avec une propriété commune des moyens de production, mais dans une société capitaliste avec une propriété privée, et dans laquelle les patrons possèdent les usines. En outre, le mot d’ordre selon lequel « l’industrie doit rester ici [en Belgique] » est une position nationaliste pur jus, qui n’a rien à voir avec les intérêts des travailleurs. La crise économique est mondiale et les travailleurs n’ont aucun intérêt à se ranger sous la bannière de bourgeoisies nationales et à se quereller entre eux pour savoir dans quel pays les emplois devraient disparaître. En fait, la manifestation syndicale n’avait d’autre but que de présenter aux travailleurs une fausse perspective et ainsi de détourner leur lutte vers une impasse.
Les syndicats sont soutenus par les gauchistes dans cette politique insidieuse. Ainsi, le Parti Socialiste de Lutte (PSL) écrit : « La manifestation du 16 septembre peut être le début d›une lutte pour préserver les moyens de production, les emplois et le savoir-faire de l'entreprise ». Le groupe « Vonk » rejoint ce chœur : « La bonne initiative des syndicats du constructeur automobile Audi à Bruxelles, visant à organiser une manifestation nationale « pour l›avenir de l›industrie », est un premier pas ». Selon le PVDA/PTB, les manifestations syndicales sont tout à fait justifiées car« Au cours des deux dernières années, le groupe Audi a réalisé les plus gros bénéfices de son histoire, grâce au travail acharné de la main-d'œuvre ».
Et dans le cas où les travailleurs refuseraient de continuer à suivre les syndicats, mais voudraient se battre pour des alternatives qui ouvrent de véritables perspectives, à contre-courant de la logique de la crise, ces organisations gauchistes sont prêtes à encadrer cette résistance, pour ensuite ramener les travailleurs dans le sillage des syndicats. Et pour cela, aucune conception n›est trop radicale. Ainsi, une de ces organisations gauchistes appelle à lutter pour l›expropriation de l›usine Audi à Forest, à élargir la lutte des travailleurs d›Audi en les invitant à des réunions syndicales dans d›autres entreprises, et si nécessaire, dans une approche syndicaliste de base, à lancer des actions sans les dirigeants syndicaux. Mais aucune de ces actions proposées ne devrait, bien sûr, selon cette organisation bourgeoise, se dérouler en dehors du cadre syndical existant.
Sous la pression des travailleurs, les syndicats ont récemment été amenés à reconnaître plusieurs grèves, comme à la compagnie des transports intercommunaux « De Lijn » les 10 et 11 septembre, chez le personnel au sol de l›aéroport de Charleroi les 12 et 13 septembre, chez Ontex à Eeklo le 13 septembre, de nouveau chez « De Lijn » le lundi 23 septembre, chez le personnel de sécurité de l›aéroport de Bruxelles le 1er octobre et à nouveau « De Lijn » le 11 octobre. Sous le thème « On ne peut plus attendre », le syndicat chrétien ACV a annoncé une grève nationale dans le secteur du non-marchand pour le jeudi 7 novembre. Le développement de la combativité parmi les travailleurs s’était déjà manifesté le 23 avril dernier lorsque le personnel enseignant de Wallonie et de Flandre avait manifesté ensemble à Bruxelles pour la première fois depuis des décennies. Cela est aussi apparu à travers les messages de solidarité que les travailleurs d'Audi ont reçus d'anciens travailleurs du constructeur d’autocars Van Hool et de travailleurs de l'éducation. Pour faire barrage contre l'attaque généralisée que prépare la coalition « Arizona », ces noyaux de combativité croissante devront s'étendre et s'unir en un vaste mouvement de résistance ouvrière.
Dennis/ octobre 2024.
[1] La Commission européenne tente de maintenir la valeur de l’euro. Au deuxième trimestre 2022, l’euro a atteint son plus bas niveau historique par rapport au dollar américain. Il s’est depuis quelque peu redressé, mais la pression sur l’euro reste forte.
[2] Voir aussi : Après la rupture de la lutte des classes, la nécessité de la politisation
[3] On pouvait également lire sur une banderole « Audi est à nous » lors de la manifestation du 16 septembre.