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Le 13 mai au soir, la Nouvelle-Calédonie s’est embrasée. Point de départ : la réforme constitutionnelle du corps électoral qui va affaiblir le poids électoral des forces politiques autochtones kanaks. La mobilisation d’une partie de la population, activement soutenue et même poussée par les organisations indépendantistes, s’est rapidement transformée en émeutes sanglantes où au moins sept personnes ont déjà perdu la vie.
Si la colère de la population exprime un véritable ras-le-bol face à l’exclusion sociale, à la misère, au racisme chronique et aux humiliations quotidiennes, le terrain nationaliste de « l’indépendance de la Kanaky » est une pure mystification, et même un piège pour la classe ouvrière en Nouvelle-Calédonie, comme en métropole. Il n’y a donc rien de hasardeux à voir les organisations bourgeoises de gauche et d’extrême-gauche soutenir l’indépendance au nom de leur idéologie frelatée du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » : il n’existe aucune perspective prolétarienne sur ce terrain nationaliste où se confrontent surtout les intérêts impérialistes dans cette région du monde.
Ni le nationalisme, ni les violences aveugles ne sont un terrain pour la lutte du prolétariat
Le mécontentement social en Nouvelle-Calédonie, immédiatement instrumentalisé sur le terrain du nationalisme, rappelle bien évidemment l’épisode sanglant de l’assaut de la grotte d’Ouvéa en 1988. En pleine campagne électorale présidentielle, les confrontations entre indépendantistes et forces de l’ordre avaient donné prétexte à une hystérie nationaliste et un brin raciste pour le maintien de l’ordre républicain suite à la « sauvagerie » de l’attaque d’un poste de gendarmerie et une prise d’otages par des militants indépendantistes. L’intérêt impérialiste français pour ces îles du Pacifique, même s’il n’était pas menacé ouvertement, ne pouvait être remis en cause ou affaibli. La bourgeoisie avait bien fait valoir l’ « honneur » du drapeau et l’élan « civilisateur » de l’État dans une répression sans filtre et sanglante.
Même si le vernis humaniste du PS de Mitterrand avait donné l’illusion, par la suite, de mieux tenir compte du « peuple kanak », bien évidemment, la plupart des « indigènes » ont continué à porter le fardeau de la misère. Depuis, l’aggravation phénoménale de leurs conditions de vie et leur haine pour l’État français n’ont cessé d’être instrumentalisé par la bourgeoisie kanake pour tenter d’avancer ses pions en direction de l’indépendance.
La violence de la crise actuelle est ainsi bien supérieure à celle de 1984-1988. Les affrontements de l’époque, déjà spectaculaires et sanglantes, s’étaient limités à des confrontations entre petits colons et clans kanaks, avec des attaques ciblées sur les gendarmeries. Nouméa avait été très peu touchée. Tel n’est pas le cas aujourd’hui : incendies de magasins, d’entreprises, d’écoles, de maisons, pillages au cœur des zones urbaines, barrages pour s’opposer aux forces de l’ordre dépêchées par centaines du continent, comme aux milices caldoches issues d’une petite-bourgeoisie néocoloniale, milices qui n’hésitent pas à tirer pour tuer.
Cette flambée de violence est clairement l’expression du chaos généré par une société capitaliste en putréfaction qui n’a plus rien à offrir à l’humanité. Mais ces explosions sociales ne constituent en rien le terreau d’une lutte prolétarienne avec des revendications de classe autonome offrant réflexion, perspective et dynamique de prise en main de la lutte. Face à la paupérisation extrême, face à l’absence de perspective, partout dans le monde, les violences aveugles se multiplient, souvent perpétrées par des jeunes qui n’ont plus aucune confiance en l’avenir, embourbés dans le désespoir et la marginalisation. Cela reste le terrain du nihilisme et d’émeutes désespérées largement instrumentalisée par toutes les forces bourgeoises pour nourrir leurs appétits impérialistes.
Derrière la mobilisation pour la kanaky, les impérialismes aiguisent leurs couteaux
Avec sa proposition de loi « consolidant » le corps électoral, l’État français a la volonté de resserrer les boulons et assurer une cohérence politique sur le territoire néo-calédonien, en limitant les velléités indépendantistes croissantes susceptibles de fragiliser sa stratégie impérialiste dans la région. Le Pacifique est en effet devenu une région stratégique majeure dans les rivalités croissantes entre les grandes puissances, particulièrement autour de la confrontation entre les États-Unis et la Chine. La France cherche ainsi à maintenir sa place sur l’échiquier indo-pacifique déjà mise à mal par les accords de coopération militaire AUKUS (Australie, Royaume-Uni et États-Unis) dont elle s’est fait piteusement éjecter. La Nouvelle-Calédonie demeurer à ce titre un atout impérialiste, et la perte de ce territoire serait un revers de premier ordre. Mais toute la politique du gouvernement Macron tend à balayer tout ce que la bourgeoisie avait patiemment mis en place depuis la fin des années 1980 pour apaiser les confrontations et les tensions sur ces territoires. Il ouvre à nouveau une boîte de Pandore où les factions bourgeoises, particulièrement celles de l’indépendantisme kanak, veulent à nouveau jouer leurs cartes.
Pour les organisations indépendantistes kanakes, les appels à la mobilisation n’ont absolument pas pour objectif de défendre les intérêts ouvriers, mais faire valoir leurs propres intérêts nationalistes en surffant sur la fragilisation de l’impérialisme français dans la région. Et pour ce faire, la bourgeoisie kanake n’a aucun scrupule à s’acoquiner avec les multiples concurrents impérialistes de la France : l’impérialisme russe, d’abord, via ses offensives numériques, notamment sur les réseaux sociaux, pour faire payer à la France son rôle en Ukraine ; mais aussi la Chine impliquée dans la déstabilisation de la position de la France dans une région clé du Pacifique Sud ainsi que par ses mines de nickel... En accueillant les dirigeants indépendantistes kanakes et de Polynésie française pour une conférence sur le « droit à la décolonisation », même l’Azerbaïdjan s’est invitée dans la crise en Nouvelle-Calédonie : une manière de faire payer à la France son positionnement pro-arménien lors de la reprise du Haut-Karabakh.
La bourgeoisie française s’inquiète d’ailleurs de l’onde de choc qui pourrait toucher la Polynésie, Mayotte ou la Réunion, zones excentrées du territoire français, en proie à des situations similaires. Face à ce risque, elle ne peut qu’affirmer avec la pire brutalité que l’impérialisme tricolore ne tergiversera pas en Nouvelle-Calédonie comme ailleurs.
Le « droit des peuples », une arnaque idéologique qui n’a rien à voir avec le marxisme
Avec ses forces politiques de gauche et d’extrême gauche, la bourgeoisie, hypocrite au possible, entretient cependant des illusions indépendantistes. Face au gouvernement garant de « l’unité nationale », la gauche promeut la « conciliation » et l’extrême-gauche applaudit une mobilisation soi-disant « révolutionnaire ». Sous toutes leurs variantes plus ou moins radicales, les partis de gauche multiplient les appels à la solidarité, à la mobilisation sur le terrain pourri du nationalisme et du « droit des peuples » pour pousser des milliers de prolétaires à s’entre-déchirer au seul profit des factions bourgeoises. Mais leurs mots d’ordre mensongers ne s’adressent pas qu’à la population locale, il s’agit surtout faire de « l’indépendance de la Kanaky » (comme de la « résistance palestinienne ») une arme idéologique contre la conscience de l’ensemble de la classe ouvrière.
Pour l’organisation trotskiste Révolution Permanente, le terrain nationaliste est ouvertement assumé et devient un drapeau pour la lutte : « Plus que jamais, la lutte et les revendications du peuple kanak doivent résonner jusque dans l’hexagone, où ces derniers jours ont vu un véritable sursaut dans la mobilisation contre la complicité de l’impérialisme français avec le génocide commis par Israël en Palestine. Cette lutte doit s’allier à la lutte contre la situation coloniale en Kanaky. La lutte pour une véritable auto-détermination doit aussi passer par la dénonciation de cette répression coloniale ».
Pour le NPA-l’Anticapitaliste, même revendication nationaliste : « Le droit international pose clairement le droit à l’auto-détemination du peuple kanak, et l’ONU, sur la base de l’article XI de sa Charte, rappelle chaque année que la Kanaky est classé comme territoire à décoloniser. L’enjeu est plus fort que jamais d’exprimer en France notre solidarité avec le peuple de Kanaky, c’est-à-dire la reprise du processus de décolonisation ». Outre défendre bec et ongles cette revendication bourgeoise du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », le NPA n’hésite même pas, encore une fois, à en appeler au « droit » bourgeois du panier de crabes de l’ONU, pour faire valoir des revendications nationales.
Pour l’organisation trotskiste Lutte Ouvrière et ses appels plus subtils à « renverser l’ordre capitaliste et l’impérialisme », la logique reste au bout du compte la même : s’indigner comme les autres forces gauchistes face à « cette réforme, votée par un parlement réuni à plus de 17 000 kilomètres des premiers concernés, [qui] vise à rendre les Kanaks minoritaires dans leur propre pays ». Comme le signale le NPA, le nationalisme de l’extrême gauche n’est en aucun cas une nouveauté : « Les militantEs de notre courant ont largement porté la solidarité anticoloniale auprès des Kanak, notamment dans les années 1980, au point que Jean-Marie Tjibaou, en visite à Paris en 1987, rencontre le bureau politique de la LCR et intervient lors la fête de Lutte Ouvrière à notre initiative ».
Toutes ces organisations d’extrême gauche sont ainsi depuis longtemps déjà, les rabatteurs les plus radicaux de la bourgeoisie pour dévoyer la colère et la réflexion ouvrières sur le terrain nationaliste. Pour ces faux-amis de la classe ouvrière, il s’agit systématiquement de choisir un camp impérialiste contre un autre. En aucun cas, ce choix ne doit être celui de la classe ouvrière, ni en Nouvelle-Calédonie ni ailleurs ! Aujourd’hui, se battre sur le terrain « indépendantiste », c’est prendre le risque de crever sous les balles des flics, celles de milices « citoyennes », sans renforcer d’un iota la perspective de la lutte prolétarienne internationale, seule à même d’en finir avec la barbarie capitaliste.
Stopio, 30 mai 2024