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Le 20 décembre dernier, le gouvernement français faisait voter au Parlement une loi dite « immigration » dont le contenu est clairement une attaque contre les conditions de vie des prolétaires immigrés en France.
Une attaque contre le prolétariat
La durée de résidence minimale en France pour que les étrangers non européens en situation régulière touchent des prestations sociales, qui était de six mois, est portée à trente mois à condition de travailler, et à cinq ans pour ceux qui ne peuvent justifier d’un travail.
L’aide personnalisée au logement (APL), que l’on pouvait auparavant toucher immédiatement, demande maintenant un délai de carence de trois mois.
Le regroupement familial des immigrés en situation régulière était possible sans autre condition à partir de 18 mois de présence en France, il l’est maintenant à partir de 24 mois sous condition de ressources financières régulières. Il est également suspendu à l’obtention d’un examen de langue française pour les proches désireux de venir.
Le délit de séjour irrégulier en France, aboli en 2010, est rétabli, avec amende de 3750 € et une interdiction de territoire de trois ans à la clé.
Il n’est plus possible, pour un jeune d’obtenir automatiquement la nationalité française à ses 18 ans quand il est né en France.
Les étudiants étrangers désireux d’étudier en France sont maintenant astreints à déposer une caution, récupérable éventuellement à la fin des études.
La loi fait maintenant la distinction entre les immigrés travaillant dans les métiers dits « à tension », qui peuvent obtenir plus facilement un titre de séjour, et les autres.
Les infractions permettant l’expulsion d’immigrés délinquants sont plus nombreuses.
Il est clair que ces nouvelles dispositions légales ne menacent ni les bourgeois étrangers arrivant en France, ni les étudiants qui ont les moyens de se passer des prestations sociales. Ce n’est évidemment pas le cas du plus grand nombre des immigrés qui arrivent en général sans un sou (après avoir été rackettés par diverses mafias pendant leur voyage) et qui auraient besoin d’une aide financière dès le début de leur séjour. Quant aux étudiants étrangers pauvres, le gouvernement leur signifie clairement qu’il ne veut plus d’eux.
Non seulement la loi inscrit une discrimination et une division entre prolétaires français et étrangers immigrés, mais elle rend la régularisation encore plus compliquée. Sans couverture sociale, isolés et incapables de se défendre, les sans-papiers subissent toutes les avanies du capitalisme : salaires et heures supplémentaires non payés, rémunération en dessous des minimums légaux, horaires de travail à rallonge, absence de prestations sociales, difficultés à se soigner, à se loger, travaux dangereux… Le gouvernement a clairement mis en place une machine pour que cette situation perdure. La main-d’œuvre immigrée clandestine et sans-papiers représente une grande masse de « bouches inutiles » pour le capital, mais elle peut aussi constituer une source de profit indéniable, vu le flux constant de réfugiés qui cherchent à rentrer dans la « forteresse Europe ».
Une loi révélatrice d’une crise politique
Ceci dit, la mise en place de cette loi par le gouvernement a amené plusieurs secteurs de la bourgeoisie à questionner ce choix, indiquant d’abord qu’un certain nombre de dispositions étaient inconstitutionnelles. Le fait qu’une partie des députés du parti présidentiel a refusé de voter ce texte et que plusieurs ministres ont menacé de démissionner s’il était ratifié montre les dissensions importantes dans la bourgeoisie à son sujet.
De fait, pour obtenir le soutien de la droite « dure » autour des Républicains (LR), et pour empêcher le Rassemblement national (RN) de rester seuls sur le créneau du « contrôle de l’immigration », Macron et Borne n’ont pas hésité à fracturer leur propre majorité et à jouer une partition purement électoraliste, cherchant à limiter les déconvenues trop fortes lors des prochaines élections. La volonté affichée par Macron de réduire l’influence électorale du RN se heurte à la réalité politique d’une absence de majorité claire à l’Assemblée et de la nécessité de s’appuyer sur LR, un parti de plus en plus fracturé et gangrené par le populisme et prêt à toutes les manœuvres pour sauver sa peau. Nous voyons là les effets du chacun-pour-soi et la perte de vue par les fractions pourtant parmi les plus lucides de la bourgeoisie française de toute perspective à long terme.
De fait, Macron et sa fraction au pouvoir ont, à travers cette loi, légitimé les thèmes à coloration populiste et d’extrême-droite : la « lutte » contre l’immigré et le choix de la « préférence nationale ».
Une instrumentalisation idéologique
En même temps, à l’autre bout de l’échiquier politique, se développait un autre discours, celui de la gauche et des gauchistes : « Le texte est le fascisme en marche », selon Elisa Martin, députée de La France insoumise (LFI). « Ce soir vous avez un choix : la Collaboration, ou la République », a-t-elle même lancé aux parlementaires de la majorité.
Toute la mouvance gauchiste s’est mise en mouvement, du Monde Libertaire à l’Union Communiste Libertaire, de la CNT-f à ATTAC, de Lutte Ouvrière à Révolution Permanente et au NPA, et tout ce beau monde rivalise de volonté de « faire barrage au Rassemblement national » et à « la montée des idées réactionnaires et fasciste ».
Pour cela, comme l’exprime clairement Révolution Permanente, « le mouvement ouvrier a un rôle central à jouer, aux côtés des organisations du mouvement social, notamment anti-racistes et antifascistes, pour structurer une réponse par en bas qui permette d’imposer un autre agenda, de mettre en déroute l’extrême-droite et de faire le lien entre la bataille contre les lois antisociales et xénophobes, nos salaires et la situation à Gaza ».
Ces mots ne servent qu’à masquer que « les organisations du mouvement social », c’est-à-dire les partis de gauche et les syndicats, sont les principaux outils de la bourgeoisie pour détourner le prolétariat de ses véritables luttes. Ces discours ne font que désarmer la classe ouvrière en masquant que la bourgeoisie, c’est autant la gauche que la droite, et qu’en matière d’attaques anti-ouvrières, et notamment contre les immigrés, il n’y a jamais eu la moindre différence.
Le PCF a ainsi mené nombre de campagnes xénophobes dans les années 1980, alors même qu’entre 1981 et 1984 il avait des ministres au gouvernement ! Il suffit de se souvenir du bulldozer envoyé en décembre 1980 par la municipalité stalinienne de Vitry contre un foyer SONACOTRA occupé par des immigrés maliens, ou de la déclaration de Georges Marchais, premier secrétaire du PCF, qui en 1983 disait que « notre position, depuis qu’il y a le chômage, est simple : il faut arrêter la venue des travailleurs immigrés en France ».
Le racisme et la xénophobie ne sont pas une particularité de l’extrême-droite. Ils sont le produit de la division du monde en nations, en classes sociales, de la concurrence entre nations, ils sont les enfants du nationalisme, qui est l’idéologie que toute la bourgeoisie partage, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche : une idéologie du capitalisme !
La classe ouvrière est une classe d’immigrés
« L’exode massif de leurs terres d’origine de centaines de milliers d’êtres humains fuyant la famine et la misère n’est pas un phénomène nouveau. Il n’est pas non plus un fléau spécifique aux pays sous-développés. L’immigration appartient au système capitaliste lui-même et remonte aux origines de ce mode de production fondé sur l’exploitation du travail salarié ». (1) La classe ouvrière a toujours été une classe d’immigrés depuis les paysans affamés arrachés à leur campagne, par l’exode de la révolution industrielle.
Les guerres plus ou moins étendues ont elles aussi entraîné des déplacements de population parfois colossaux : Allemands chassés d’Europe centrale en 1945, Juifs rescapés des camps de la mort expédiés en Palestine, Espagnols fuyant la guerre entre 1936 et 1939… Partout la classe ouvrière a fait les frais des soubresauts du développement du capitalisme, avec ses corollaires : guerres, famines, misère, recherche à tout prix d’un moyen de subsistance, sans parler des déportations organisées.
La bourgeoisie cherche aujourd’hui, comme elle l’a toujours fait, à reporter sur les « étrangers » les problèmes générés par son propre système. Il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » loi sur l’immigration. Partout, toujours, la concurrence et la xénophobie qui en découle poussera la bourgeoisie à criminaliser les migrants. Et plus le pourrissement sur pied du système capitaliste poussera de miséreux sur les routes pour aller chercher ailleurs de quoi survivre, comme on le voit déjà massivement en Afrique et en Amérique Latine, plus ces politiques xénophobes, racistes, anti-immigrés proliféreront.
La seule issue et véritable perspective ne pourra venir que du développement des luttes ouvrières basées sur la solidarité entre frères de classe qui amènera les migrants les plus récents à s’intégrer aux luttes prolétariennes. La bourgeoisie aura beau chercher à diviser les ouvriers entre immigrés et « autochtones », elle ne pourra pas empêcher la crise historique de son système, ni les attaques toujours plus féroces sur les conditions de vie de tous les prolétaires, quelles que soient leurs origines et leur culture, les forçant même à combattre dans l’unité pour défendre leurs conditions d’existence. Alors le mot d’ordre lancé par le Manifeste du Parti communiste sera à nouveau le point de ralliement de tous les ouvriers : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
HG, 10 janvier 2024
1 « Le prolétariat : une classe d’immigrés ! », Révolution internationale n° 206 (1991).