La France : famine, crises, luttes impérialistes

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Dans les conditions actuelles de l'économie française, la tâche principale de tout gouvernement à la tête de l'État est de faire accepter au prolétariat, d'une façon ou d'une autre, la situation de misère croissante dans laquelle le capitalisme français, misérable, se trouve obligé de l'entretenir pour ralentir sa faillite.

Depuis la "libération", les gouvernements successifs ont abusé de la formule magique du "plan économique" devant agir sur la psychologie française, un peu selon le principe de la méthode Coué. En réalité, le "plan économique" est un simple dada qui agite quelques ministres et quelques parlementaires, et qui consiste à rejeter la responsabilité de la situation misérable soit sur l'absence de plan, soit sur le plan qui, quoique à l'état de mythe, est accusé de ne pas être bon ou mal réalisé. Certains diront que l'"on a saboté le plan", d'autres que si l'on avait accepté "leur" plan tout aurait mieux marché et autres "contes à endormir la classe ouvrière" et l'entraîner dans le sillage de la politique de misère des partis bourgeois.

Dans toute cette orgie de plans, il n'est personne, jusqu'aux trotskistes, qui n'a pas dressé et proposé un plan malgré le peu de chance d'être pris au sérieux par tous les comédiens de la planification. Mais là encore, quand tous les partis traîtres à la classe ouvrière et même les partis bourgeois font des plans pour obstruer la vue à la classe opprimée, les trotskistes se doivent de faire mieux que tous et de présenter le meilleur plan afin de participer, mieux que tous, à la démagogie et aux mensonges nécessaires pour faire accepter le capitalisme de misère au prolétariat exsangue.

En fait de "plans", la bourgeoisie française reste sur le terrain des palliatifs, pour les besoins d'un moment et d'une conjoncture d'ailleurs plus politique qu'économique. La fameuse baisse de 10 % avait surtout comme but d'arrêter momentanément la chute vertigineuse de l'économie et de créer un climat favorable psychologiquement, non pas à l'intérieur du pays mais pour un nouvel emprunt aux É-U.

La baisse était fictive dans le sens où elle se situait sur le terrain des marchandises taxées, laissant de côté plus de la moitié des marchandises sur le marché parallèle.

La baisse de 10 % a servi de transition à de nouvelles augmentations. Pendant qu'on faisait la baisse de 10 %, on baissait, sur le marché contrôlé, la quantité et la qualité de pain et de ravitaillement en général. Tout ne pouvait pas venir ensemble ; chaque chose en son temps en politique. Un tour de vis sur le ravitaillement et une démagogie déflationniste, puis un tour de vis sur les prix par des augmentations massives, en faisant la démagogie de la liberté du marché intérieur. Serrer toujours plus la vis, voilà le vrai et le seul plan possible du capitalisme français. Et c'est là qu'apparaît, sous son vrai jour, le "plan" Schumann : il n'a rien d'original, n'importe qui à sa place aurait pu le faire ; il s'agit tout simplement d'une nécessité de serrer la vis encore d'un tour.

Le degré de corruption atteint par le régime parlementaire est tel qu'aucun moyen n'est laissé dans l'ombre pour servir les buts politiques des partis intéressés.

Comme exemple, il suffit de citer tous les scandales : scandale du vin pour torpiller les socialistes, scandale Alamichel contre les staliniens, scandale Hardy contre la droite ; puis c'est de nouveau contre les staliniens, le scandale Roussy, au moment où ceux-ci entravent la politique du gouvernement par leurs grèves giratoires ; aujourd'hui, le Parti Socialiste - attaquant, sur tous les terrains, la droite et la gauche pour consolider la position du centre et la sienne propre -sort l'affaire du MAC- nouvelle "cagoule", qui se rapproche, en plus importante, de l'affaire du "complot des soutanes" - qui est dirigée contre la droite, de même que le dossier Clamamus du Parti Ouvrier Paysan Français est sorti pour "gêner" Cachin et derrière lui le parti stalinien.

Le jeu des rivalités internationales, opposant depuis la fin de la guerre bloc russe et bloc américain, trouvait la bourgeoisie française affaiblie, divisée et en retard sur l'option pour tel ou tel bloc. Dans toute l'Europe, la situation politique intérieure des pays vis-à-vis de la compétition russo-américaine se résume ainsi : ils sont occupés militairement par les russes, par les anglais ou par les américains. Pour la France, on lui laisse la liberté parce qu'on a besoin de sa situation intérieure comme indicateur de la température de la classe ouvrière qui, dans le reste de l'Europe, est directement embrigadée, de gré ou de force, sous les drapeaux de tel ou tel bloc. On a aussi besoin du représentant de la bourgeoisie française comme "Fou" dans les conférences des grandes puissances.

Depuis la "libération", l'évolution de la situation politique intérieure de la France subit donc directement l'influence des rapports internationaux, avec même une précision quasi mathématique :

  • participation des staliniens au gouvernement tant que la situation internationale n'est pas mûre pour la rupture ;
  • rapprochement progressif et même hâtif de la majorité de la bourgeoisie française, par le truchement de Léon Blum, avec les É-U ;
  • décision d'une politique économique et politique de rapprochement avec les É-U, acceptée momentanément par les staliniens dont le regard est sans cesse tourné vers Moscou ;
  • • enfin, l'échec éclatant de la conférence de Moscou voit les staliniens quitter rapidement le gouvernement et entrer dans l'opposition.

 

Quand les staliniens participaient au gouvernement, ils étaient pour le relèvement rapide de la production par un effort stakhanoviste des masses. C'est à ce prix que la bourgeoisie les acceptait. Ils avaient donc, eux aussi, comme tout le monde, "leur plan". Tout ralentissement de la production et toute avarie dans le système de production -que la bourgeoisie avait remis, avec une joie cynique, entre leurs mains- faisaient hurler les staliniens que les sabotages étaient dus "aux trusts sans patrie", pour attaquer De Gaulle et le MRP, ou que l'effort de production n'était pas assez grand à cause du manque d'unité de la classe ouvrière, pour attaquer la SFIO et les "diviseurs" trotskistes ; et, quand un mécontentement même minime se faisait jour dans la classe ouvrière, ils n'avaient pas assez de colonnes dans leurs journaux pour contenir les injures et les attaques diffamatoires contre les "quelques agitateurs hitléro-trotskistes..." Pendant 2 ans, toute la presse stalinienne ne savait pas comment assaisonner toute cette salade de slogans participationnistes au gouvernement, de la même manière qu'aujourd'hui ils s'indignent de la misère de la classe ouvrière et de la politique "réactionnaire" d'un gouvernement auquel ils ne participent pas.

Dans la situation de misère et de décrépitude de la France, l'exploitation démagogique de la misère des masses est devenue une arme excellente entre les mains de politiciens tarés pour servir leurs buts politiques.

À l'époque de la participation des staliniens au gouvernement, la seule opposition conséquente était dirigée habilement par la SFIO, dont les rangs avaient besoin de se gonfler de clientèle ouvrière. C'est dans le sens de cette opposition - où il s'agissait pour la SFIO de faire baisser la presse, qu'avait acquise le PC après la "libération", dans la classe ouvrière - que des grèves, telle celle des PTT, ont été déclenchées par la minorité syndicaliste, réformiste de droite. La lourde machine syndicale bien sûr, même chez les "minoritaires" cégétistes, ne se mettait pas en branle comme cela ; il leur fallait, pour sanctionner une grève, même sous l'étiquette de lutte de la minorité "contre la direction", que cette grève leur tombe toute faite entre les mains. Il est aujourd'hui normal, pour les bureaucrates syndicaux, que les grèves se fassent "spontanément". Le temps où le syndicat travaillait dans les masses pour les rendre combatives et les éduquer est de l'histoire ancienne, d'un âge d'or du capitalisme. Maintenant, la situation de misère de la classe ouvrière crée un climat favorable à la démagogie sur "la grève spontanée". Cependant, il pourrait tout de même être dangereux pour l'État que des mouvements spontanés naissent et se placent spontanément, comme à Toulouse et à Lyon, sur le terrain même qui met l'État et sa politique de famine et de misère en difficulté.

Mais le syndicat peut dormir sur ses deux oreilles, les grèves "spontanées" - que des ouvriers, dans un état de misère et de famine croissantes, pourraient porter sur le terrain même de la famine et de la misère - sont ramenées, par les artisans de "la grève pour la grève" - anarchistes et trotskistes -, sur le terrain, sur le plan rêvé des syndicats étatisés : les revendications économiques dans le cadre corporatiste.

C'est ainsi que les grèves "spontanées" économiques sont servies toutes chaudes par les redresseurs de syndicats trotskistes et par la CNT anarchiste jusqu'aux oppositionnels socialistes ou autres (quand les staliniens détiennent les postes gouvernementaux dédiés à la production), et aux oppositionnels staliniens d'aujourd'hui avec leurs grèves "giratoires" contre le "glissement" par trop net... de la France vers le bloc américain.

De tout temps, la démagogie "gauchiste" a servi de soupape au mécontentement ouvrier, ce qui apporte à la bourgeoisie une aide féconde. C'est, dans ce sens, la seule utilité que les "oppositionnels-gauchistes" du PS et du PC peuvent avoir dans la société. Chacun de ces groupes joue un rôle politique bien déterminé et partage assidument le travail avec les autres, que ce soit les pivertistes de "Masses", avec leur 3ème front, dont le but est de venir en aide à l'impérialisme américain dans sa lutte idéologique contre le bloc russe, ou les trotskistes avec leur "échelle mobile" de revendications économiques et de "plans" qui les conduisent directement à la défense de l'URSS et à la lutte, par tous les moyens, contre son "encerclement" par l'impérialisme américain. La politique du moindre mal -qui permet de justifier, aujourd'hui comme hier, la lutte pour une fraction du capitalisme contre une autre et dans laquelle les anarchistes, comme les autres, ont trempé- les verra probablement, quoiqu'ils soient des pacifistes invétérés quand il n'y a pas de guerre, du côté de l'impérialisme américain, par haine du marxisme, du bolchevisme et du stalinisme ; tout cela, sous un vernis de mots, sous des torrents de verbalisme et de phraséologie révolutionnaires, comme jamais littérature révolutionnaire n'en a contenu.

Il est normal que le Parti Socialiste -qui paie un cher tribut en soutenant sans cesse l'État avec sa participation active aux gouvernements successifs et à la politique de rapprochement avec le bloc américain- ait besoin d'une gauche, comme celle de Pivert dans la Seine ou comme celle des JS, pour redorer son blason qui se ternit au gouvernement. Il est beaucoup moins conséquent pour les trotskistes de faire tant d'efforts pour noyauter cette "gauche" qui, à tout prendre, est aussi à gauche qu'eux.

Mais ici la lutte est âpre ; il s'agit de démontrer aux éléments combatifs que, dans la conjoncture internationale présente, il faut défendre l'impérialisme russe plutôt que l'impérialisme américain. Tout un tas de jeunes chefaillons, venus au mouvement ouvrier dans sa période de décomposition, font un marchandage honteux autour de quelques brins de "masses" qu'ils peuvent "remuer" ou "agiter", s'entre-noyautant pour finir par recruter quelques soldats de plus pour la cause de l'impérialisme que leur idéologie rejoint et défend.

La FFGC est à la remorque des trotskistes sur le programme des revendications économiques. Certes, on ne parle plus de montée révolutionnaire mais on vit d'espoir en ces grèves et en celles de demain ; et, pour les besoins d'un activisme qui n'est pas en rapport avec les forces réelles et qui cache un abandon du travail théorique des révolutionnaires marxistes tout en restant "en soi" et "pour soi" des révolutionnaires authentiques, on fait de la grève à la petite semaine.

Cependant, la situation internationale est suffisamment claire : le bloc américain et ses hommes, Trumann, Marshall, Attlee et Bevin, veulent acculer le bloc russe au pied du mur, en lui assenant des coups de plus en plus rapprochés, surtout depuis la conférence de Moscou. Aussitôt après le plan Marshall, destiné à acculer les russes dans leur véritable isolationnisme, c'est la formation du "Front de la liberté" ; et quand on parle de Front on sait ce que cela veut dire : le FRONT militaire n'est pas loin. En France, le bloc américain a ses hommes solidement assis au gouvernement et soutenus par l'ensemble de la bourgeoisie française : Bidault d'une part et le Parti Socialiste de l'autre - pilier (comme en Angleterre) de la politique américaine.

Les staliniens français se mettent, eux, en branle pour la riposte : c'est, au congrès de Strasbourg, les appels de Thorez dénonçant "le tournant à droite" du gouvernement et sa politique de vassalisation vis-à-vis du bloc américain, se posant en champion de l'indépendance française. Molotov -étant venu à la conférence de Paris sur le plan Marshall, au moment même du congrès stalinien, et laissant, pendant plusieurs jours, l'attitude de la Russie dans l'incertitude- fit faire au PC et à Thorez une gymnastique maladroite que la presse anti-stalinienne et anti-russe s'empressa de ridiculiser. Mais, aujourd'hui, le congrès est terminé, tout est rentré dans l'ordre. Les staliniens revendiquent une place plus grande au gouvernement que celle qui leur avait été accordée jusqu'ici. Ils veulent que la politique de la France soit indépendante et ne s'avilisse pas dans la participation à un bloc anti-russe ; et ils sont décidés à poursuivre leurs attaques contre le gouvernement.

Le Parti Socialiste, lui, consolide ses positions, comme nous l'avons vu, et se déclare prêt à la lutte après s'être assuré de l'appui de l'assemblée.

Cependant, dans la situation de misère généralisée et de famine grandissante en Europe, dans une situation internationale qui vient brusquement de s'éclaircir et de s'engager un peu plus, et cette fois définitivement, dans l'antagonisme russo-américain, la seule chance du prolétariat est de lutter contre cette famine et contre l'État capitaliste qui la perpétue, en se dégageant des contingences politiques et des pièges tendus par les bourgeoisies, leurs partis et sous-partis. Ceci n'est pas un programme révolutionnaire mais un terrain d'intérêts commun à tous les travailleurs et sans-travail, en dehors des frontières nationales, situant ces intérêts directement contre le capitalisme et son État ; c'est le seul terrain commun à toute la classe, sur lequel la bourgeoisie ne peut marchander, tergiverser, donner d'une main et reprendre deux fois plus de l'autre.

Les grèves économiques déclenchées de toute part, ces derniers temps en France, par les trotskistes, les anarchistes ou tout simplement par les staliniens eux-mêmes ont montré, avec suffisamment d'éclat, à quelles fins elles étaient utilisées. Les staliniens en font une arme d'intimidation contre le gouvernement ; le mécontentement dû à la misère et à la famine y trouve une soupape ; le gouvernement ne réagit pas, laisse trainer, tergiverse et finalement sanctionne une augmentation relative des salaires, ce qui lui permet de changer son fusil d'épaule et de passer de la politique de "baisse" à la politique de hausse des prix, c'est-à-dire de passer d'une manière de serrer la vis à une autre supérieure.

La victime éternelle, la classe ouvrière, use ses forces physiques et morales, ce qui permet à la bourgeoisie de préparer la 3ème tuerie mondiale en toute quiétude.

La situation dans laquelle se trouve le monde actuellement (et, en son sein, la situation de la France elle-même) ressemble, sur plus d'un point, à la situation de 1936-38 : une course vers la guerre et des grèves économiques au travers desquelles on use la classe ouvrière ; on l'entraîne progressivement et on la prépare à la guerre.

La seule différence réside dans l'état de famine et de misère dans lequel le capitalisme décadent doit maintenir les masses ouvrières de toute l'Europe, situation qui, sous ce rapport, est bien inférieure à celle de 1936-38. Et c'est de là seulement que peut surgir un sursaut de la classe ouvrière contre la guerre.

Mais c'est, déjà maintenant, bien tard et la situation internationale est bien engagée sans que nous ayons eu des mouvements sérieux en Allemagne, en Italie et en France. Il n'y a cependant pas de fatalisme dans l'Histoire ; il faut aussi bien se garder de verser dans un optimisme de commande que dans un pessimisme que la situation actuelle pourrait cependant justifier.

PHILIPPE

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