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La conférence de Moscou s'est terminée sans que les 4 ministres des Affaires étrangères aient pu rédiger le traité de paix avec l'Autriche et, encore moins, le traité de paix avec l'Allemagne. Il est vrai que le problème était ardu car il ne s'agissait pas simplement d'un pillage de l'économie allemande pour payer, sur le dos du vaincu, les frais de la guerre. En effet, si les réparations étaient le seul enjeu des 2 traités, la politique de la division de l'Allemagne en zones aurait pu être la base d'un accord lequel, tout en n'étant pas favorable équitablement aux quatre grands, leur donnait quand même les moyens de récupérer les dépenses de cette guerre. Des contestations de zones de pillage n'auraient pu retarder la conclusion du traité, au moins avec l'Autriche si ce n'est avec l'Allemagne aussi.
Mais nous pensons réellement, et sans aucun machiavélisme, que la partie qui se jouait à Moscou était surtout d'un ordre politique. Le problème de la reconstitution de l'État allemand, de sa force, de sa concentration, de son rôle dans la politique mondiale ne relève pas d'une crainte de voir à nouveau l'Allemagne menaçante. La querelle entre Marshall et Molotov au sujet des différents projets de traité ou de pacte à 4 n'est pas axée sur un problème de démocratisation comme on voudrait le faire croire. L'influence que l'un quelconque des 2 blocs pourra prendre en Allemagne est étudiée de très près par chaque bloc. Au travers des différents partis bourgeois allemands, tel le SED pour les russes, les partis social-patriotes et social-chrétiens pour les anglo-américains, les deux clans impérialistes se livrent une guerre d'influence et de chantage dont les répercussions se font sentir dans le comité de contrôle inter-allié à Berlin, et par la politique du rideau de fer qui se relève et s'abaisse alternativement de quelque côté que l'on se trouve.
Comme les allemands votent pour ceux qui les dominent, les 2 blocs cherchent, au travers de projets et contre-projets, à s'assurer le maximum de possibilités de s'étendre sur l'Allemagne tout en limitant les possibilités du bloc adverse. La Russie soulève le problème du contrôle international de la Ruhr, les anglo-américains celui de la Silésie. Et chacun fait la sourde oreille aux propositions des autres. Cet acharnement à ne pas vouloir partager l'Allemagne prouve l'importance de ce secteur, pas seulement pour l'équilibre de l'économie mondiale mais, en plus, comme point stratégique et politique dont la possession assure un avantage dans la lutte entre les clans impérialistes, lutte qui ne peut aboutir qu'à une compétition armée.
La lutte entre les pays de l'Axe et les alliés anglo-américano-russe s'est déroulée pacifiquement pendant près de 6 ans sur les plans économique et diplomatique, avec des tentatives d'accommodements dont Munich fut le point culminant ; cette lutte pacifique ne pouvait finir que dans la guerre, de même que l'antagonisme américano-russe ne peut se résoudre que dans une 3ème guerre mondiale. Le pacte à 4 de Marshall rappelle singulièrement le pacte à 4 de Chamberlain avant 1939 et ne peut avoir que la même issue.
Ceux qui, dans l'avant-garde révolutionnaire, voyaient en Munich et dans le pacte germano-russe un arrangement effectif, écartant la menace de guerre généralisée inter-impérialiste pour ne voir que l'expression de la solidarité capitaliste contre le prolétariat, considèrent aujourd'hui la conférence de Moscou comme une étape vers un arrangement et un compromis impérialiste. Il semble donc que la guerre de 1939-45 ne leur a rien appris. Mais, à l'encontre de Munich, Moscou n'a même pas enregistré le plus petit accord possible. Marshall a raison de déclarer que le seul fait positif de la conférence a été de faire ressortir clairement les divergences d'intérêts impérialistes des 2 blocs.
Cependant cela n'est pas tout à fait exact. Il y a d'abord l'intégration de la France dans la zone d'influence américaine avec l'accord tripartite sur la Sarre et la Ruhr ; ensuite le refus des anglais de réviser le pacte anglo-russe, le rendant ainsi caduc. Un fait anecdotique mais symptomatique a surgi au lendemain de la conférence : les correspondants étrangers, entre autres Rosenfeld, n'ont pu dicter la fin de leur article par téléphone, la censure ayant été rétablie aussitôt après la fin de la conférence -mouvement d'humeur des russes.
La Russie sort isolée de cette conférence et, ce qui est pire, le déficit économique de ce pays ne trouvera pas l'aide de l'Amérique qui se gardera bien de le combler. Aussi voit-on déjà les partis staliniens des différents pays sous influence américaine réagir par un certain mouvement d'opposition qui prend prétexte de tout. En Belgique, les staliniens, bien que n'étant pas au gouvernement, sortent de leur réserve pour se jeter dans l'opposition. En France, les débats sur le problème malgache font ressortir encore plus clairement cette nouvelle politique d'opposition des staliniens. De leur côté, les EU répliquent par des enquêtes sur le PC américain et par des interdictions de s'organiser dans l'État de New-York.
Enfin, dans ces deux galères américaine et russe, que l'on veut présenter comme étant un dilemme pour le prolétariat, les trotskistes impénitents se font remarquer, avec acharnement, dans les petits milieux qu'ils touchent. Sans rien comprendre aux événements passés et à l'expérience russe, ils reprennent leur vieux slogan de défense inconditionnée de la Russie "dégénérée" mais prolétarienne.
La "Vérité" de ces dernières semaines publie des articles alarmistes avec forces cartes géographiques à l'appui. Elle dénonce l'encerclement de "la Russie des soviets" par l'impérialisme américain. Pour les trotskistes, il ne fait aucun doute que, sous couvert de l'antagonisme anti-russe et des mesures prises contre les partis staliniens, les E-U ne visent personne d'autre que la révolution d'Octobre et le prolétariat mondial. Aussi se mettent-ils à mobiliser les ouvriers pour la défense du stalinisme et de l'État russe.
L'enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions ; mais les intentions des trotskistes ne peuvent les empêcher d'être un rouage -tout petit il est vrai- de l'enfer capitaliste et de la prochaine boucherie généralisée du prolétariat.
Sadi