Avant-propos au livre de J. Harpper* (I)

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Nous commençons dans ce numéro d'Internationalisme la publication de l'ouvrage de J. Harper : "Lénine en tant que philosophe".

Cette brochure de plus de 100 pages est parue en 1937 en allemand. De larges extraits ont été publiés dans plusieurs revues d'avant-garde en Amérique. Elle paraît aujourd'hui, pour la première fois, en France. Malheureusement nos faibles moyens ne peuvent assurer une grande diffusion, en une édition imprimée, comme nous aurions voulu le faire, de ces écrits en tous points remarquables.

J. Harper occupe, dans le mouvement révolutionnaire, une place prépondérante dans la lutte contre les déformations idéologiques et l'opportunisme politique. Dans cet ouvrage il aborde des problèmes fondamentaux du mouvement ouvrier et de l'idéologie marxiste. Que l'on soit d'accord ou non avec toutes les conclusions qu'il donne, personne ne saurait nier la valeur énorme de son travail qui fait de cet ouvrage au style simple et clair un des meilleurs écrits théoriques des dernières décades.

Dans "Lénine en tant que philosophe", J. Harper continue la voie de la pensée socialiste dans ce qu'elle a de plus scientifique et de plus dynamique. À ce titre, il apporte une contribution de premier ordre au mouvement révolutionnaire et à la cause de l'émancipation du prolétariat.

La dégénérescence de l'IC a entraîné un désintéressement inquiétant dans le milieu de l'avant-garde pour la recherche théorique et scientifique. À part la revue Bilan -publiée avant la guerre par la Fraction italienne de la Gauche Communiste- et les écrits des Communistes de conseils -dont fait partie le livre de J. Harper-, l'effort théorique du mouvement ouvrier européen est quasi inexistant. Et rien ne nous paraît plus redoutable, pour la cause du prolétariat, que l'engourdissement théorique dont font preuve ces militants.

Parlant du magnifique développement qu'a connu le mouvement socialiste en Allemagne, dans les années 1870, Engels explique qu'une des raisons, et non la moindre, de ce développement est le fait que les ouvriers d'Allemagne ont conservé ce sens de la théorie presque complètement perdu par les classes dites "éclairées" ; et il ajoute :

"Combien est immense cet avantage ; c'est ce que montrent, d'une part, l'indifférence à toute théorie qui est une des principales raisons pour lesquelles le mouvement ouvrier anglais progresse si lentement malgré la magnifique organisation des métiers et, d'autre part, le trouble et les hésitations qu'a provoqué le proudhonisme, sous sa forme primitive, chez les Français et les Belges et, sous sa forme caricaturale - que lui a donnée Bakounine -, chez les Espagnols et les Italiens."

Jamais encore le mouvement ouvrier n'a connu, plus qu'à l'heure actuelle, le trouble et les hésitations dont parle Engels. Cela est le produit, d'une part, de la longue chaîne de défaites terribles essuyées par le prolétariat dans tous les pays et, d'autre part, la conséquence de l'habitude prise par les militants révolutionnaires de substituer à l'étude des problèmes l'application des formules toutes faites.

Le marxisme a cessé d'être ce qu'il était pour Marx, Engels et leurs compagnons, c'est-à-dire une méthode d'investigation permettant de saisir la réalité sociale et d'intervenir. Il s'est transformé, entre les mains des adeptes bornés, en un catalogue de préceptes tout prêt à être appliqué aux maux sociaux. D'une méthode scientifique, ils ont fait du marxisme un système dogmatique. Et, plus que jamais, Marx aura eu raison de dire : "Moi, je ne suis pas marxiste."

Cette déformation du marxisme -que nous devons aux "marxistes" aussi empressées qu'ignorants- trouve son pendant dans ceux qui, non moins ignorants, font de l'anti-marxisme leur spécialité propre. L'anti-marxisme est devenu aujourd'hui l'apanage de toute une couche de semi-intellectuels petits-bourgeois déracinés, déclassés, aigris et désespérés qui, répugnant au monstrueux système russe issu de la révolution prolétarienne d'Octobre et au travail ingrat, dur de la recherche scientifique, s'en vont de par le monde, les cendres de deuil sur la tête, dans une "croisade sans croix" à la recherche de nouveaux idéaux non à comprendre mais à adorer.

Dans une période réactionnaire comme est la nôtre, la fuite et la désertion sont inévitables dans les rangs des révolutionnaires et les cris des sceptiques, devenus philosophie du désespoir, trouvent naturellement un certain écho parmi les militants.

Contre les apologistes ignorants et les non moins ignorants- destructeurs du marxisme, également nuisibles au mouvement d'émancipation de la classe ouvrière, les militants révolutionnaires ne sauraient réagir qu'en s'inspirant de ce conseil du vieil Engels :

"NE JAMAIS OUBLIER QUE LE SOCIALISME, DEPUIS QU'IL EST UNE SCIENCE, EXIGE DÊTRE TRAITÉ COMME UNE SCIENCE, C'EST-À-DIRE D'ÊTRE ÉTUDIÉ."

"Internationalisme"

(*) Pseudo d'Anton Pannekoek

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