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Introduction
Le camarade Bergeron, dans l'article "Sur la nature des partis communistes" que nous avons publié, va en fait beaucoup plus loin que ne l'indique le titre.
Du reste, il le constate lui-même dans sa brève conclusion : "L'étude de la question particulière concernant la nature des PC m'a ainsi entraîné à discuter des problèmes fondamentaux posés par la révolution russe…"
Ainsi, peu nous importe à nous le titre de son article ; et son contenu l'ayant largement dépassé, c'est de celui-ci que nous voulons traiter ici.
Les grandes discussions qui ont lieu dans l'avant-garde dégénèrent toutes sans exception et amènent toutes à "discuter des problèmes fondamentaux posés par la révolution russe". C'est devenu, depuis qu'existe ce sujet, une telle obsession qu'on a fini par vouloir le bannir de toute discussion, ce qui revient à le retrouver en fait dans chacune, sous le couvert de sujets qui tentent d'apparaître comme différents. Notre habitude n'étant pas au camouflage et cela pour nous-même, c'est une fois de plus ce sujet que nous voulons traiter, sans penser pour cela oser prétendre l'épuiser.
Sous un titre de peu d'apparences, Bergeron attaque sur 4 questions qui sont d'une très grande importance et où nous pensons qu'il commet 4 erreurs fondamentales :
- Il affirme cette conception que la bourgeoisie détermine toujours consciemment SA politique et CRÉE des partis selon sa volonté.
- Il émet l'idée de partis internationaux de la bourgeoisie.
- Il émet également l'idée d'une société nouvelle : la bureaucratie ou la technocratie, le capitalisme d'État, comme produits directs de l'idéologie socialiste.
- Et, enfin, que la révolution d'Octobre en Russie, les bolcheviks et l'IC n'ont été que l'instrument de l'instauration de cette nouvelle société en Russie.
I – Les "marxistes" champion du capitalisme d’État
Il est un fait certain que le capitalisme moderne a subi dans son évolution toute une transformation, une mue depuis ce que l'on appelle le capitalisme classique. De toutes ces transformations, il faut dire cependant que le capitalisme, dans tous ses caractères fondamentaux, est resté le même. Dans l'idéologie maîtresse de la classe dominante, si cette classe a subi des modifications de forme, il est également indiscutable que l'idéologie a subi des transformations ainsi que la classe elle-même. Mais si l'on veut bien approfondir, on s'apercevra que, dans le fond et malgré toutes les transformations subies, la classe, le système, l'idéologie sont restés fondamentalement bourgeoises et capitalistes.
Il devient très important aujourd'hui de revenir sur certains faits déjà, à de nombreuses fois, démontrés. En effet, beaucoup de militants, devant les transformations de la société, finissent par prendre ces formes nouvelles comme ne faisant plus partie fondamentalement du capitalisme. Ils bâtissent une autre société qui aurait tout de même certaines caractéristiques du capitalisme mais qui en serait une nouvelle.
C'est aujourd'hui l'idée, qui domine chez de nombreux militants de l'avant-garde, que la société actuelle serait déjà arrivée au degré de transformation supérieur dont avaient rêvé les premiers socialistes (dont Marx et Engels) et que, somme toute, nous serions en ce moment en société bureaucratique socialiste. Cette société actuelle serait la forme réelle de ce que les théoriciens socialistes avaient rêvé. Elle serait, somme toute, une nouvelle société et le "socialisme" de Marx (par exemple) n'aurait été qu'une tendance d'une certaine couche de la société, de cette époque antérieure, pour la réalisation de ce qui existe aujourd'hui (par exemple en Russie).
Ces militants,
- se fixant sur l'idée que les philosophes - qui représentaient, sous le féodalisme, la tendance de la bourgeoisie pour l'établissement du capitalisme - se faisaient une idée toute différente du capitalisme que ce qu'il devait devenir par la suite ;
- se basant sur l'idéalisme de la bourgeoisie révolutionnaire qui rêvait de faire le bonheur de l'humanité en établissant SES droits et SES libertés, voient dans le socialisme scientifique la tendance idéaliste d'une nouvelle société de classe qui, comme la bourgeoisie, emploie la méthode révolutionnaire pour arriver au pouvoir. Cette nouvelle société de classe, vous l'avez deviné, pour certains c'est la bureaucratie, pour d'autres la technocratie…
Il serait relativement facile de faire, contre ces camarades, une polémique pour les détruire et les ridiculiser. Cependant l'idée a pris tant d'importance ; elle est à la mode depuis la 3ème Internationale et cette mode revient aujourd'hui avec plus de force : elle a ses théoriciens, ses économistes ; des romanciers en font le thème de leurs rêveries ; il n'est pas jusqu'au théâtre peut-être où l'on voit différentes élucubrations sur ce thème ; tous les chansonniers ont le mot à la bouche.
Malheureusement, personne n'a encore établi solidement, dans les faits, une analyse de fond de la nouvelle société, de la société présente qui montre ses caractéristiques propres du point de vue économique, idéologique, etc.
Quand on a examiné un peu attentivement tout le torrent d'écriture qui a envahi ce sujet, on s'aperçoit qu'en fait leurs auteurs se perdent en analyses phénoménologiques, en peintures de la forme de la société présente, mais aucun ne plonge réellement dans la structure fondamentale de la société, aucun ne l'analyse en fonction du passé, etc.
Et pour le répéter une fois de plus : la société présente, malgré une transformation par rapport au capitalisme classique, n'en reste pas moins, en tant que fonction, en tant que fondements, une forme du capitalisme.
L'étude des sociétés, quoique étant une étude scientifique, doit se garder de trop schématiser et systématiser. Ce qui est nécessaire à l'analyse ne doit pas faire perdre de vue que la société humaine est une chose vivante extrêmement complexe ; et l'étude scientifique ne doit jamais faire perdre de vue l'ensemble de ce que l'on étudie. On ne doit jamais perdre de vue, même si l'on est neurologue, psychiatre, chirurgien, dentiste, pédicure ou opticien, que c'est à l'homme vivant que l'on a à faire et non à un œil, un estomac, un cerveau ou des pieds.
Dans ces conditions, il n'est pas permis à un homme sensé d'affirmer que la forme actuelle de la société capitaliste correspond au socialisme dont rêvait Marx et "quelques braves démocrates bourgeois du XIX° siècle…". Dans ces conditions, il n'est pas permis de prendre las bolcheviks pour les réalisateurs du socialisme bureaucratique en URSS. Ces affirmations toutes gratuites relèvent surtout, chez leurs auteurs, d'un manque de sérieux dans l'étude.
En effet, il est possible que Marx soit dépassé, que le rôle du bolchévisme n'ait pas été tout à fait celui que les bolcheviks s'étaient fixés et que nombre de socialistes et de communistes croient encore à une forme de socialisme et de communisme vétuste et imbue de démocratisme petit-bourgeois. Mais à qui en est la faute ? En est-elle à Marx et aux bolcheviks ? Ou est-elle à leurs continuateurs, dont les fameux "nouveaux critiques" étaient, il n'y a pas si longtemps encore, des plus ardents.
On pourrait, si on le voulait, faire l'analyse de la société féodale, la décomposer en plusieurs parties et, en poussant l'analyse de chacune des parties à fond, arriver à la conception que chacune formait une société à part. En effet, en partant de la genèse, en passant par le Moyen Age et en arrivant au féodalisme du XVI° et du XVII° siècles, on peut sans grande difficulté voire une différence de forme telle qu'une telle conception - qui fait des études et ces analyses approfondies de ces époques –arriverait à faire des séparations. Mais une fois le féodalisme divisé et subdivisé, et malgré tout la structure fondamentale en reste, à chaque époque, celle du féodalisme.
Et, cependant, quelles différences entre la constitution des fiefs seigneuriaux, les premiers propriétaires terriens, vrais paysans rudes et batailleurs et les nations, la monarchie absolue et l'aristocratie de robe, véritable bureaucratie !
Si l'on veut faire de même pour le capitalisme, c'est très facile ; quoique la différence soit relativement moins grande entre la société capitaliste de la grande époque colonisatrice, la société capitaliste à l'époque des trusts et des monopoles et la société capitaliste actuelle, le capitalisme bureaucratique étatique, que celle qui existe entre le féodalisme du début et celui de la fin. Tout cela parce qu'il n'y a pas de barrières formelles dans l'histoire et que c'est seulement avec une vue générale que peut être conçue toute analyse.
Après cela, il ne nous vient nullement à l'idée de nier l'évolution de la société capitaliste moderne, ni de nier même certaines modifications dans la classe dirigeante et dans son idéologie. Encore ne faut-il pas considérer cette classe comme une nouvelle classe. En effet, une erreur commise assez communément, et que je relève chez Bergeron, est de donner à une classe sociale une apparence physique, formelle immuable alors qu'elle est simple fonction dans la société et que cette fonction peut être remplie successivement par des êtres ayant physiquement une apparence et une constitution différentes. La fonction sera fondamentalement restée la même, ayant subi certaines modifications physiques, différentes couches sociales ayant pu être appelé à la remplir ou simplement la même classe sociale ayant pu elle-même subir ces transformations.
Le prolétariat d'aujourd'hui est-il comparable au "prolétariat" qui existait déjà sous forme embryonnaire pendant la révolution bourgeoise ?
Cependant, il faut dire encore à ces camarades qui bâtissent de nouvelles théories et voient tant dans les formes nouvelles de la société présente, s'ils regardent un peu plus la réalité, ils verraient que, même dans la forme de la société, il n'y a dans le fond pas tellement de choses de changées.
Dès la révolution de 1989, il y a eu des manufactures d'État. Et déjà il y avait des plaisantins pour affirmer que les socialistes étaient des capitalistes d'État.
Contrairement à ce que ces nouveaux théoriciens du socialisme bureaucratique veulent bien découvrir dans Marx et dans des socialistes comme Lénine et Rosa Luxemburg, ceux-ci ont très bien vu l'évolution de la société capitaliste vers une plus haute concentration pouvant aller jusqu'à une forme de capitalisme d'État très poussée et, que je sache, aucun, même Marx, n'a affirmé que cela devait être égal mathématiquement au socialisme. Engels lui-même parle du capitalisme d'État dans "L'anti-Dühring". Et la bureaucratie n'est pas une nouveauté ; les abus, le gonflement de l'appareil bureaucratique de l'État bourgeois n'est pas né en même temps que tous ces théoriciens, exprès pour eux. L'armée et la bureaucratie ne sont pas nos contemporains immédiats. Nos grands-pères ont déjà connu cela.
Au théâtre, les pièces célèbres de Courteline sont, sinon en théorie du moins dans la vie de notre époque, un signe indubitable de l'existence déjà, à cette époque d'avant la guerre de 1914, de cette tendance au capitalisme d'État et à un appareil bureaucratique hypertrophique.
De même, quand le camarade Bergeron relève une nouvelle idéologie dans la société présente : l'antifascisme, comme une idéologie internationaliste ou du moins supranationaliste de la bourgeoisie, on peut dire qu'il croit faire une découverte parce que né après une guerre qui avait eu comme caractéristique d'être une ligue de "nations libres" et "démocratiques" contre "la barbarie teutonique"(1914-18).
Mais aujourd'hui si ne faisant pas comme le fait Bergeron, si ne voulant pas absolument que les caractères, les sentiments de la classe bourgeoise soient complètement changés, que le nationalisme et le patriotisme ne soient même pas les idéologies maîtresses de la bourgeoisie, si l'on se contente en toute objectivité de voir, dans cette dernière guerre, quelle a été l'idéologie maîtresse qui a gangrené et broyé les cerveaux de l'humanité, on verra que c'est finalement le nationalisme, sous différentes formes certes, qui a été, comme dans toutes guerres de la bourgeoisie, son moteur idéologique.
II – l'IC et la Révolution Russe
Il ne faut jamais considérer l'histoire contemporaine du mouvement ouvrier en partant de la Révolution russe, en passant par l'IC et en arrivant au reste du mouvement ouvrier. Il faut au contraire commencer par considérer le mouvement ouvrier dans son ensemble à partir, par exemple, de la social-démocratie (pour l'époque contemporaine). Dans ce sens, et en donnant à chaque courant de gauche issu de la social-démocratie toute son importance, la valeur réelle de l'IC apparaîtra beaucoup plus clairement.
Une chose est certaine cependant, c'est que, pour nous qui jugeons aujourd'hui aussi objectivement que possible et avec le recul du temps, les courants de gauche de la social-démocratie nés dans les pays d'Europe occidentale au capitalisme plus avancé et les courants nés dans les pays d'Europe orientale au capitalisme extrêmement retardataire devaient dès le début avoir de profondes divergences.
La formation d'une Internationale partant d'un seul de ces courants, les autres devant prouver leur loyalisme envers le bolchévisme pour y entrer, a été le début des erreurs ou, si l'on veut, la condition de l'opportunisme de l'IC dès sa naissance. En fait, c'est là le point de départ de tout essai de poser un problème politique et non en partant de la Russie.
Politiquement deux grands courants se forment : la gauche russe et la gauche allemande ; d'autres courants politiques plus faibles hésiteront entre les deux : tels nous apparaîtront le courant appelé plus tard bordiguiste, le courant des syndicalistes révolutionnaires français, etc.
Mais il faut considérer un autre fait, celui de l'existence d'une large partie de l'Europe où la révolution bourgeoise n'avait pas poussé le capitalisme à une haute concentration industrielle et où subsistaient, à côté d'un jeune capitalisme industriel sous la dépendance presque totale du capitalisme financier anglo-américain, une autarcie médiévale, subsistance dernière du féodalisme dans un pays immense en étendue et dont les richesses du sol et du sous-sol, encore inexploitées à cette époque, faisaient la convoitise de tous les grands impérialismes (anglo-américain, japonais, allemand).
En dehors de toutes considérations sur les bolcheviks, la Révolution russe a permis en fait à la Russie de devenir en moins de 20 ans un des plus puissants impérialismes, au point de devenir un rival sérieux aujourd'hui pour le bloc anglo-américain. Cette constatation de fait ne doit pas faire perdre de vue un seul instant qu'une transformation, comme celle que vient de subir la Russie en un temps relativement court, demande une telle accélération du processus historique que seule une classe révolutionnaire était capable de la mener à bien ; les autres classes de la société russe eussent été incapables de conserver à la Russie la grandeur qu'elle a gardé aujourd'hui dans le monde capitaliste.
Cela veut-il dire que les bolcheviks étaient des capitalistes d'État, le parti du capitalisme d'État ? Sûrement pas ! Même si cela facilite la discussion de l'affirmer, il ne s'agit pas pour nous, aussi bien d'ailleurs que pour la classe ouvrière, de se complaire aux simplifications qui n'expliquent rien.
Pour bien comprendre la période historique contemporaine, y compris la Révolution russe, il faut toujours partir du mouvement ouvrier en général.
La guerre de 1914-18 devait précipiter le processus de faillite de la social-démocratie et donner une impulsion à tous les courants de gauche issus d'elle. la préparation à cette guerre puis cette guerre elle-même voyaient naître, dans le prolétariat, d'abord un profond recul, une défaite en même temps que la trahison de la social-démocratie et la scission politique des courants de gauche. La rupture de la guerre correspondait au cours historique inverse, les courants de gauche prenant une forte influence dans la classe ouvrière et la classe ouvrière, dans le monde entier, prenant une volonté de combattre comme jamais encore le mouvement ouvrier n'en avait connu auparavant.
Ce fort courant révolutionnaire correspondait, d'après la thèse des socialistes telle Rosa Luxemburg, à l'ouverture de la crise permanente du capitalisme.
En réalité, quoiqu’en accord avec la théorie de Rosa Luxemburg, je veux ici, une fois de plus, m'élever contre ce schématisme qui veut appliquer une théorie économique ou historique à des dates fixes. Quand on veut appliquer la théorie de Rosa Luxemburg sur la décadence du capitalisme, on peut très bien dire que, dès avant la guerre de 1914-18 en effet, le capitalisme avait déjà de profondes caractéristiques de dégénérescence ; mais il est absolument impossible d'affirmer si effectivement la guerre de 1914-18 est la marque de cette dégénérescence ou si c'est cette guerre-ci qui est cette marque.
Il faut poser la question d'une manière différente et concevoir que la guerre de 1914 était un premier symptôme comme tant d'autres (par exemple le début de la bureaucratisation, de la haute concentration du capitalisme, le début du capitalisme d'État, du grand militarisme comme nous le connaissons aujourd'hui, etc.).
En réalité, dans la crise permanente du capitalisme, la guerre est aussi permanente. On peut parti d'avant 1914 pour ce qui est de la guerre permanente mais nous constaterons que c'est surtout notre époque qui correspond le plus avec cette caractéristique à l'état chronique dans notre société. Donc on peut très bien faire partir la crise permanente du capitalisme d'avant 1914, à la condition qu'on reconnaisse que c'est seulement après la Révolution russe que le capitalisme a envahi le monde entier et que le marché se trouve réellement obstrué.
La guerre de 1914 était un prélude ; le capitalisme sentait que prochainement le marché se trouverait obstrué et chaque grand impérialisme, se précipitant sur le marché pour sa conquête, en venait aux armes. Cependant, pendant les 21 ans qui se sont écoulés entre les deux guerres (celles de 14-18 et de 39-45), le capitalisme a pu d'abord vaincre et disperser le courant révolutionnaire issu de la 1ère guerre et donner l'apparence de résoudre sa crise. C'est seulement après 1929 puis dans cette guerre que la crise permanente est entrée dans sa phase décisive. Ici plus de stabilité, plus même d'apparence de stabilité, guerre permanente. Impossibilité pour le capitalisme de "reconstruire", de donner même l'illusion d'une résorption partielle de sa crise par l'abondance par exemple, etc.
Le mouvement international ouvrier, pour vaincre, doit être absolument indépendant de toute idéologie étrangère à sa classe quelle qu'elle soit. Il doit donner à chaque courant politique la facilité de s'exprimer et la création d'une Internationale sur le modèle de l'IC et de la 4ème trotskiste ne doit plus se faire. Le mouvement ouvrier n'a pas besoin de drapeau, ni de chefs, ni d'une Internationale à l'image de la 3ème ou de la soi-disant 4ème. Il doit tendre vers le but révolutionnaire en même que vers celui de la vraie démocratie ouvrière. La condition de la Révolution socialiste c'est d'abord la création d'un foyer permanent de discussion de plus en plus large et la volonté de lutte de la classe ouvrière pour soutenir ce foyer, le sien.
La 3ème Internationale a été une Internationale factice d'où on a voulu exclure toute une partie des courants de gauche du prolétariat, représentants effectifs de la partie la plus avancée du prolétariat. C'est là la condition première de la défaite de l'IC. L'IC a représenté incontestablement un moment dans la lutte révolutionnaire du prolétariat mais, coupée des éléments les plus avancés, elle devait s'appuyer sur des éléments de plus en plus retardataires et dégénérer rapidement. L'IC est opportuniste dès sa constitution mais on est obligé de la considérer comme faisant partie du mouvement ouvrier tant qu'elle lutte effectivement pour la prise du pouvoir révolutionnaire et tant qu'elle lie cette conception à celle d'une lutte internationale dans ce but. Quand l'IC dégénérescente cesse toute politique prolétarienne pour pratiquer une politique nettement bourgeoise menant à la participation à la guerre, on peut seulement dire qu'elle n'appartient plus au mouvement ouvrier. C'est le cas seulement dans sa prise de position sur la question de l'Antifascisme.
En Russie, la question se présente d'une manière toute différente.
Ce n'est pas parce qu'une équipe de révolutionnaires quelconque prend le pouvoir dans un secteur capitaliste donné (que cette équipe soit marxiste ou anarchiste) que ce secteur cesse d'avoir, du jour au lendemain, une fonction et des caractéristiques capitalistes.
Mais ceci, Lénine (le contre-révolutionnaire au couteau entre les dents), malgré toutes ses erreurs, son opportunisme et ses positions retardataires démocratiques bourgeoise, ne l'a jamais dit. Il a même affirmé le contraire jusqu'à sa mort. Lénine savait très bien que ce que l'équipe bolchévique faisait en Russie n'était rien d'autre que du capitalisme.
La condition de la défaite ou de la victoire de la Révolution russe comme victoire pour le mouvement ouvrier n'est pas placée sur le plan russe mais sur le plan du mouvement ouvrier international. La victoire du mouvement ouvrier international aurait seule permis de juger si l'équipe bolchévique était si profondément opportuniste et retardataire, en permettant aux ouvriers russes de se dégager de son emprise par la suite le cas échéant.
La défaite du mouvement ouvrier international non seulement devait consolider la position opportuniste de la 3ème Internationale et des bolcheviks à la tête de l'État russe mais devait conduire le Parti bolchevik et la 3ème Internationale là où ils sont allés.
Le rapport de Lénine à Staline n'est sûrement pas celui de l'être à la conscience. Chez Lénine lui-même individuellement, il y a toute une évolution. Le Lénine social-démocrate de gauche et le Lénine d'après la prise du pouvoir, d'après la révolution n'est pas le même. On ne peut juger des individus qu'en rapport avec leur époque historique. Or, il est incontestable que, dès qu'il devient un des administrateurs de l'État russe, Lénine subit la pression des conditions extérieures à sa propre volonté et qu'il doit sans cesse leur céder.
Il n'y avait pour les bolcheviks que trois solutions : vaincre avec le prolétariat ou succomber avec lui ; ils ont tenté une troisième solution qui a été l'administration malgré tout de l'État russe. Dans ces conditions, le parti en tant que tel a dû plier aux conditions du pouvoir, éliminer l'un après l'autre les éléments réellement révolutionnaires, soit individuellement soit organisationnellement, au fur et à mesure de la pression de ces conditions extérieures.
Le processus a été le même que dans toutes les révolutions bourgeoises mais, au lieu d'un changement successif d'équipes politiques, l'apparence a voulu que la même reste ; elle a en réalité successivement dû procéder à la même évolution. Les bolcheviks révolutionnaires prolétariens n'ont pas pu faire autre chose que ce que Cromwell et Robespierre avaient fait avant eux (en tenant compte de la différence des conjonctures historiques).
Il est très possible que Lénine, s'il avait vécu, s'il avait voulu rester au pouvoir en Russie aurait dû passer par où Staline est passé ; il est possible qu'il aurait été éliminé.
Là n'est pas l'important ; les individus ne comptent pas, ce sont leurs actes et leur politique qui compte.