L’état de la classe ouvrière

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La classe ouvrière - la dernière roue du carrosse capitaliste - voit ses moyens se réduire de jour en jour. Voyons un peu la musique que fait la mouche du coche, c'est-à-dire voyons ce que les braves démagogues de "gauche" de tous les pays, enfourchant le dada des "nationalisations", offrent en réalité comme perspective à la roue, qui n'en peut plus et qui sent le poids de toute la charge de la société s'écrouler sur elle.

Après cette brève étude - disons ce coup d'oïl général - sur les différents États impérialistes, sur le problème des nationalisations et de l' État capitaliste sous sa forme actuelle, concluons en examinant rapidement, bien que cela sorte généralement du sujet, les contrastes qui minent la société capitaliste et dont les États ressentent jusque dans leur moelle les secousses de plus en plus terribles et tragiques.

I.URSS : Les regards de tous les communistes du monde entier, de tous les ouvriers et de tous les exploités, en octobre1917, se sont tournés vers la partie de cette Russie où se faisait la plus magnifique et la plus dynamique des révolutions prolétariennes. Pour des millions d'hommes dans la misère, exploités - qui avaient dû donner, pour leur bourgeoisie, non seulement leur travail, mais aussi leurs vies, celles de leurs enfants -, les noms de BOLCHEVIKS, SOVIETS brillaient comme autant de soleils et le nom de LENINE - leur chef, le chef de la révolution - devenait un espoir, le plus grand espoir que tous les opprimés aient eu jusque-là. La période révolutionnaire qui s'est ouverte en 1917 fut une vague extraordinaire où un très grand nombre de prolétaires de toutes nations et races déferlèrent, cherchant à abattre l'édifice de la société capitaliste pour se débarrasser une fois pour toutes de leurs bourreaux et maîtres. Pendant toute cette période, les yeux de tous étaient tournés vers "Vladimir Illitch" et ses camarades russes. Mais le programme de la IIIème Internationale n'était pas assez fort, la période révolutionnaire passa et il ne fut pas capable de mener le prolétariat vers la victoire. De ce fait il se produisit une situation extrêmement tragique:

  • d'une part le prolétariat livré, dans tous les pays, à l'assaut de la bourgeoisie et se livrant de plus en plus à elle dans l'effritement de plus en plus évident de tous les partis se réclamant de la IIIème Internationale - qui devaient d'ailleurs sombrer en 1934 dans une idéologie antifasciste devant irréductiblement entraîner le prolétariat dans la guerre ;
  • d'autre part l'URSS constituée sur les bases de la révolution d'Octobre et devenant isolée dans le monde capitaliste.

Que devait-il sortir de cette situation tragique ? Un fait plus tragique encore pour le prolétariat, à savoir : le socialisme ne pouvant se construire dans un seul pays, la révolution prolétarienne victorieuse dans un pays, si elle n'est pas suivie immédiatement par d'autres ou que ces autres révolutions ou insurrections sont vaincues, la défaite de la classe ouvrière ne revêt pas alors un simple caractère local. Pour préciser affirmativement : de même que la révolution victorieuse en Russie, en 1917, marque l'ouverture d'un cours révolutionnaire international, les défaites des prolétariats allemand, chinois et anglais signifièrent non pas des défaites locales de la révolution allemande, chinoise ou anglaise mais un cours de reflux de la classe sur l'échelle internationale, y compris du prolétariat russe.

En corrélation avec la situation internationale de défaite du prolétariat, la Russie va progressivement quitter son terrain de classe et s'intégrer dans la société capitaliste, dans le monde capitaliste dont elle fait irréductiblement partie, et enfin franchir le dernier pas - celui où personne ne peut plus se tromper - s'intégrer entièrement dans la guerre impérialiste.

Mais là où la tragédie est surtout la plus forte, c'est que le processus de dégénérescence de ce pays ex-révolutionnaire -sous la pression du capitalisme extérieur et des forces capitalistes à l'intérieur- va amener au pouvoir un groupe politique réactionnaire qui établit dans le pays un véritable Thermidor et qui se servira, pour sa politique intérieure et extérieure, d'une façon démagogique des plus repoussantes, du drapeau qui avait conduit à la révolution et des noms de ceux qui l'avaient dirigée. C'est ce qui a permis à l' État russe de tromper les masses ouvrières qui, elles, croient toujours en la révolution d'octobre 1917 et veulent toujours faire la révolution mondiale, alors que la politique de Staline est contre les intérêts du prolétariat russe et du prolétariat mondial, que tous les partis soi-disant communistes, minés par la police russe (GPU), ne font que défendre, dans les pays étrangers, la politique impérialiste de la Russie, en agitant le drapeau rouge, en prononçant à tout bout de champ le nom de LENINE. Ils proclament que défendre la Russie c'est défendre la révolution, alors qu'ils font tout, dans leur pays respectif, pour servir leur bourgeoisie et leur capitalisme et qu'ils sont les plus acharnés contre ceux qui luttent pour la révolution prolétarienne.

Le seul fait qui persistait avant la guerre malgré l'intégration de l'économie russe dans l'économie capitaliste mondiale, c'est l'inexistence de la propriété individuelle. Mais ce fait ne représente rien en lui-même si on assiste dans ce pays à l'extraction de plus en plus grande de plus-value sur le dos des ouvriers pour la faire absorber par la guerre, et si la bureaucratie dirigeante vit en parasite sur la production de cette même plus-value. Maintenant que la guerre est terminée, on voit le processus de recul se préciser encore plus et les premiers phénomènes de la propriété individuelle apparaître sous forme de participation dans les affaires de l' État (bons du trésor) ou même de simples actions sur des entreprises. C'est un début mais qui peut aller loin, et on peut dire d'ores et déjà qu'il ne s'arrêtera pas là.

Cependant quelles sont les perspectives actuelles de l' État capitaliste, de l' État patron et gendarme grand-russien ? Malgré tout le bluff et le tapage que celui-ci mène au travers des partis staliniens et des comités d'amitié avec l'URSS, il est certain que la Russie a été durement éprouvée par la guerre et que, malgré sa politique impérialiste de proie et son agitation politique dans les pays qu'elle veut soumettre, elle sera obligée de se plier aux volontés des Anglo-américains si elle veut que ceux-ci continuent à lui livrer les machines-outils nécessaires au commencement du relèvement de son économie ; et, de toutes façons, elle ne peut envisager immédiatement de participer victorieusement à une guerre contre les USA et la Grande-Bretagne parce que ceux-ci détiennent la plus grande force économique, ce facteur jouant toujours comme facteur principal dans une guerre inter-impérialiste.

Cette question paraîtra peut-être plus claire si on sait que "la Russie a reçu des approvisionnements pour une valeur totale de 2.102 millions de livres des USA seulement, comparés aux 3.194 millions de livres reçus par la Grande-Bretagne à la date du 31/3/45 (Tribune économique du 1/6/45 – "Que deviennent les accords prêt et bail avec la Russie ?) et que " les livraisons militaires effectuées à la Russie par l'entremise de l'United Kingdom Commercial Corporation ont compris notamment : alimentation 257.000 tonnes – caoutchouc 130.000 tonnes – jute et dérivées 105.000 tonnes – produits chimiques 48.000 tonnes – plomb 50.000 tonnes – cuivre 35.000 tonnes – sisol 22.000 tonnes – aluminium 37.000 tonnes – étain 32000 tonnes – laine 51000 tonnes – chaussures 32.500.000 paires – diamants industriels pour 5 millions de dollars – tissu kaki 3 millions de yards – machines-outils 12.000." (Tribune économique du 1/6/45 – "L'aide anglo-américaine à l'URSS")

II- ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE : Aux USA l'allure "démocratique" et libérale est un trompe-l’œil qu'il importe de démontrer, en même temps qu'il faut montrer que, du fait de la concentration formidable entre les mains de l' État grand-américain, la force de répression sera déchaînée demain contre les revendications ouvrières, contre les grèves et les manifestations de classe.

Un article d'un certain René Bertrand, dans la Revue Économique et Sociale, intitulé "Le capitalisme d'État aux États-Unis", très documenté, apporte la lumière sur c problème. Nous allons donc en citer les principaux passages qui suffisent à eux-seuls à éclairer la réalité du libéralisme américain. Il commence ainsi :

  • "Depuis plus de 30 ans, des secousses terribles ont ébranlé le vieil édifice libéral. Une crise d'une ampleur sans précédent s'est déroulée entre les deux guerres et jamais la vie économique n'a pu reprendre un rythme régulier. Les méthodes classiques se sont révélées partout insuffisantes pour redresser la situation. Avant 1939, des expériences aussi diverses que celles du "New-Deal" aux États-Unis, du communisme (?) en Russie soviétique, du national-socialisme en Allemagne avaient déjà été rentées pour y remédier. Puis, dans le cadre de la guerre totale, la plupart des pays ont été amenés à établir un contrôle sévère de la production, de toute l'activité nationale.

La situation est telle qu'il sera probablement très difficile de rétablir la liberté complète du commerce et de l'industrie après les hostilités...
... même en négligeant les motifs d'ordre politique ou moral que l'on pourrait invoquer, le retour au capitalisme libéral du 19ème siècle semble bien être une solution inopportune, quel que soit le désir de nombreux industriels ou commerçants de s'affranchir de la tutelle souvent gênante de l'État."

Après avoir dit la nécessité d'établir un nouveau régime économique, il dit que les "conceptions socialistes" ont la faveur des pays mais il souligne qu'à sa faveur une bureaucratie envahissante tendra à s'instaurer. Puis il ajoute que, sans aller aussi loin dans cette voie, on pense beaucoup à de simples nationalisations et au maintien d'un contrôle sévère sur l'activité économique du pays.

Puis il continue : "Toutes posent, pour les démocraties, un même problème sur lequel nous devrions attirer l'attention : COMMENT CONCILIER L'INTERVENTION DE L'ÉTAT OU D'UNE AUTORITÉ COLLECTIVE QUELCONQUE AVEC LA NOTION DE LIBERTÉ INDIVIDUELLE ?"

Ensuite il fait ressortir que, de tout temps, la politique intérieure des États-Unis a toujours tendu vers le libéralisme:

  • "Cependant les  États-Unis ne sont plus le pays aux possibilités illimitées, ajoute-t-il, ils ont traversé depuis 1929 une crise particulièrement grave qui n'était comparable ni par son ampleur, ni par sa durée à ces phénomènes cycliques que l'on enregistre normalement dans une économie capitaliste ; jamais la chute de la production nationale n'avait été aussi accusée ; alors qu'il existait en 1929 plus de 25000 banques commerciales, 10000 d'entre elles ont fait faillite en l'espace de quelques années ; enfin, le chômage avait pris des proportions gigantesques puisqu'en 1933 on comptait, d'après certaines estimations, 13 millions de travailleurs sans emploi."

Puis il explique que c'est ce qui fit le choix par le peuple américain de ROOSEVELT, qui avait un plan de réforme. Il montre la satisfaction qui est éprouvée d'abord aux premières réformes apportées par le "New-Deal". Les réticences se font ensuite sentir (...) la réaction libérale surtout. Cependant, malgré tout, le "New-Deal" survit et ROOSEVELT est réélu en 1936. ROOSEVELT adopte alors une méthode beaucoup plus souple que nous allons examiner avec l'auteur de l'article :

  • "Les principes de cette nouvelle méthode, le 'New-Deal' deuxième manière, ne se sont dégagés que lentement et d'une façon empirique. Il s'agit en définitive d'éviter toute contrainte apparente, et l'on peut même dire que les seuls moyens d'action employés par l' État sont des moyens financiers (?). Les organismes fédéraux chargés d'organiser des grands travaux pour lutter contre le chômage ont pris une extension considérable et sont devenus très puissants.
    Avec la guerre, le gouvernement fédéral a multiplié ses interventions et, s'il a dû parfois recourir à la contrainte (!), il a largement utilisé les procédés que nous venons de décrire. Pour que soient satisfaites les commandes d'armements, il a fait construire lui-même de nombreuses usines et ouvrir de nombreux chantiers ; il a constitué des stocks imposants de matières premières et a dépensé en fin de compte des sommes considérables pour l'équipement du pays."

La suite mérite l'attention particulière du lecteur :

  • "En fait l' État est devenu le plus grand banquier du pays ; il possède des milliers d'usines ; il achète et il vend de très importantes quantités de marchandises ; en particulier, il détient le quasi-monopole du commerce extérieur ; enfin, par suite des circonstances, il est le principal consommateur des États-Unis (les dépenses de l'État représentant près de la moitié de la production nationale).

Nous parlons à ce sujet de capitalisme d' État parce que l' État agit comme le ferait un capitaliste particulier : il est tour à tour banquier, industriel, commerçant."

1. La suite de l'article est un long développement de ce qui est affirmé en dernier, avec forces statistiques et situations à l'appui. L'auteur est très bien renseigné et ses remarques sont de la plus haute valeur du point de vue du témoignage qu'il apporte. A la fin, il conclut :

  • "C'est l'opinion de M
    Henry Wallace, ancien président des États-Unis, quand il affirme que, si l'on voulait fournir après-guerre un emploi à 60 millions d'américains, il faudrait établir un 'budget national de production et d'emploi' dont l'équilibre (?) serait obtenu en agissant sur le montant des dépenses engagées par l' État.r

... Mr Roosevelt manifestait l'intention de poursuivre la politique de New-Deal, la politique de l' État financier et prometteur de grands travaux ; et pour bien marquer sa décision, le 20 janvier dernier, il nommait Ministre du commerce Mr Henry Wallace, dont les idées progressistes (!) sont bien connues..."

III-LA GRANDE-BRETAGNE : L'Angleterre a ceci de particulier c'est que, bien qu'ayant dans la métropole une situation très grave, elle a un empire colonial immense, le plus important de toutes les puissances impérialistes du globe.

L'empire colonial britannique contient à lui seul le quart de la population mondiale : environ 500 millions d'individus et aux Indes seules 350 millions.

Cet empire se compose :

1. Dominions – Dans beaucoup de Dominions, la Grande-Bretagne n'est plus la maîtresse économique incontestée.

Maintenant la situation peut se résumer ainsi :

  1. Capitaux et exploitation d'indigènes du Dominion ;
  2. Capitaux et exploitation des États-Unis ;
  3. Capitaux et exploitation anglais.

2. Colonies à gouvernement responsable (une partie de l'Inde – Terre-Neuve) ;

b. Colonies de la couronne (60 millions d'individus) ;

3. États protégés – Une partie de l'Inde également correspondant à environ 70 millions d'individus.

4. Mandats

5. États indépendants – Sous la tutelle anglaise (Égypte, Irak)

Il est inutile de souligner l'importance d'un tel empire colonial ; mais si la situation de la marine marchande anglaise n'est pas aussi critique que celle de la France, il n'empêche qu'elle a souffert terriblement de la guerre. Ce qui faisait la force de la Grande-Bretagne c'était, en plus de cet immense empire colonial, la possibilité avec cette flotte marchande très important d'importer à moindre frais, en payant le voyage à l'aller, vers le territoire d'importation, en exportant le charbon. Là était une force considérable de l'économie anglaise. Elle tirait un revenu annuel sur sa marine marchande d'environ 100 millions de livres sterling.

Or la marine marchande britannique avant la guerre de 1914 représentait la moitié environ du tonnage du monde entier et, avant celle de 1939, le tiers seulement ; donc baisse du tonnage en comparaison du total mondial progressif déjà entre les deux guerres. Depuis, la guerre a fait perdre à l'Angleterre un tonnage considérable. D'autre part, même si le tonnage anglais lui permettait d'assurer son trafic maritime, le charbon - qui payait ses frais de route en partie - commence à faire défaut à l'économie anglaise et l'on peut dire que la crise du charbon revêt en Grande-Bretagne une importance considérable si l'on s'attache au problème dans son entier : d'une part le charbon pour la métropole et son industrie et surtout le charbon pour l'exploitation.

On relève dans les statistiques officielles qu'en 1939 on extrayait environ 235 millions de tonnes de charbon. Actuellement l'extraction est tombée à 185 millions de tonnes environ. La situation du charbon en Grande-Bretagne revêt en plus un autre caractère de grande gravité si l'on considère que, dans les deux chiffres soumis, presque le même nombre d'ouvriers participent à l'extraction : avant 1939 765000 mineurs, actuellement 715000 mineurs. Le rendement individuel de 820 kgs par jour en 1939 est tombé à 739 kgs aujourd'hui.

Et si l'on s'aperçoit finalement, au travers des statistiques, que la baisse progressive de l'extraction commencée dès 1913 a diminué de 1913 à 1943 de 71% et que, comme on l'indique ci-dessus, cette baisse s'accentue de plus en plus, on se rendra compte, en examinant le problème du charbon dans toute son ampleur, de la gravité qu'il représente pour la Grande-Bretagne. Mais ce n'est pas tout. L'Angleterre, malgré son aspect extérieur serein, connaît une crise encore plus grave. En effet, de tous temps la balance commerciale de la Grande-Bretagne a été déficitaire, c'est-à-dire qu'elle exportait moins qu'elle importait. Sans pouvoir nous appuyer sur des chiffres précis nous pouvons tout de même affirmer que, depuis 1920, le déficit s'est accentué dans des proportions inquiétantes. Mais ce qui permettra de faire ressortir le caractère d'extrême gravité de la situation c'est qu'en 1920 la Grande-Bretagne, qui a beaucoup de capitaux placés à l'étranger, pouvait se permettre de combler le déficit de sa balance commerciale et même d'arriver à un bénéfice de balance des capitaux d'environ 170 millions de livres sterling, alors qu'en 1939 la balance des capitaux était déficitaire de 55 millions de livres sterling et que cette tendance s'est accentuée du fait de la guerre, la Grande-Bretagne ayant fait de nombreux emprunts à l'étranger.

De l'ensemble de cette situation il ressort que l'Angleterre, après la guerre, va être obligée de réduire sa consommation, ses frais de production et de tendre à accentuer son exportation pour essayer de résoudre le problème. Or comment réduire la consommation sans un contrôle de fer sur l'économie du pays ? C'est ce qu'il ressort d'un article de Charles Hargrowe dans la Tribune Économique intitulé "Que donneraient les élections en Grande-Bretagne ?"

Le sujet n'intéresse pas directement la question traitée mais certains passages y sont significatifs. Il est d'abord question de la politique intérieure économique de l'Angleterre pendant la guerre ; puis l'auteur continue ainsi :

  • "La paix revenant, la question se pose dans quelle mesure cette discipline (il est question, plus haut dans l'article, d'une discipline de fer, la même que celle de Hitler et de Mussolini)
    doit être maintenue. Le parti conservateur voudrait en conserver le moins possible et le parti travailliste le plus possible. C'est là l'enjeu essentiel de la lutte...
    ... Mais leurs divergences ne sont pas aussi profondes qu'on pourrait le supposer. Il est permis de dire que chaque candidat accepte un certain degré d'économie dirigée et qu'aucun ne se cramponne aux doctrines, si chères aux économistes du XIXème siècle, de la concurrence illimitée et de l'initiative privée entièrement libre. Même Manchester, où cette doctrine est née, a vu sa principale industrie, celle du coton, demander à l'unanimité que le gouvernement la prenne sous son contrôle. La nationalisation des mines de charbon et des chemins de fer paraît une perspective si familière et si proche qu'elle n'effraie personne. Les grandes industries et les grandes organisations syndicales luttent à l'envi (!) à qui proposera des plans d'économie dirigée..."

IV-LA FRANCE – La France voit s'accentuer la catastrophe de jour en jour. Son empire colonial, miné par les capitaux anglo-saxons, lui échappe. Le commerce avec ses colonies éloignées telles que Madagascar lui est totalement impossible à cause de l'état totalement inexistant de sa marine marchande ; ce qui fait que, si un jour la marine marchande française arrivait à se remonter (ce qui est fort peu probable vu l'état des chantiers, le manque de matières premières etc.), les dites-colonies, obligées de vendre leurs marchandises, auront déjà des clients et des accords économiques passés avec d'autres pays plus proches ou ayant le fret, et la France se trouvera évincée.

Quant à l'économie française proprement dite, elle est bien malade : déjà terriblement en retard du point de vue technique et de l'organisation sur les grands pays industriels, son matériel désuet en majeure partie détruit par la guerre, elle est absolument inexistante devant ceux-ci. Les économistes bourgeois actuels assurent que, contrairement aux autres pays où le problème du chômage se posera et se pose déjà en pleine recrudescence, la France aura une grande pénurie de main d'œuvre. Il faut préciser que c'est surtout de main d'œuvre spécialisée que la France peut manquer. Lesdits économistes postulent sur une reprise de l'activité économique du pays. Mais avec quelles matières premières ? Celles que les alliés philanthropes lui livreront sachant très bien qu'elle ne pourra jamais payer ? La France ne recevra des alliés qu'une aide parcimonieuse et en rapport avec un certain chantage politique ; et sa reprise économique ne se fera pas d'une manière saine mais, au contraire, éphémère.

Malgré tout, le coq gaulois dresse hardiment la tête et lance ses "cocoricos" dans sa presse bourgeoise et au travers des déclarations gouvernementales. Mais le plus abject est surtout la crête rouge du coq, nos communistes, grands patriotes défenseurs jusqu'au bout de la patrie française, qui, au travers du mot d'ordre de la Renaissance française, ne font encore et toujours que tromper la classe ouvrière avec leur démagogie, en lui cachant la vérité et en l'entraînant vers une politique de renforcement du pouvoir de l' État.

Les nationalisations, incapables de sauver l'économie délabrée, concentrant entre les mains de l' État toutes les forces économiques et politiques du pays, lui livrent le prolétariat pieds et poings liés. Au lieu de conduire les ouvriers vers la révolution, seul départ pour la classe ouvrière pour une solution positive, ils l'entraînent vers la participation à bloc de la défense de la bourgeoisie française et, par le fait même, à renforcer les positions de cette dernière contre elle-même.

La production française avant la guerre se composait de trois branches :

  1. Industries de luxe
  2. Industrie lourde
  3. Production agricole – (qui ne satisfait qu'incomplètement les besoins du pays, environ 87%)

L'industrie lourde - à laquelle les économistes prévoyaient, après la guerre, un "important développement" -, quoique importante pour un petit pays comme la France, est restée stationnaire depuis 1929-1930, alors qu'en comparaison celle des autres pays gros industriels a augmenté dans des proportions incomparables.

La France avait d'autre part une grande quantité de capitaux placés à l'étranger. C'est sur les revenus de ces capitaux et en partie sur ces capitaux que la France compte pour essayer de ralentir la chute vertigineuse qui va se produire. Là aussi, la France joue une carte dépréciée ; en effet, de ces capitaux investis à l'étranger ou aux colonies, beaucoup ont été perdus pendant la guerre. Il est certain que ces espoirs seront largement déçus si l'on étudie de près la situation en Syrie où la France avait placé de nombreux capitaux, et la situation en Indochine qui n'est pas encore résolue mais qui d'ores et déjà ne semble pas très bonne pour la France.

V-YOUGOSLAVIE – (La Tribune Économique 1/6/45) "Belgrade – Le gouvernement central yougoslave a publié un décret plaçant sous le contrôle de l' État le commerce en gros et en détail des produits agricoles, du bois, des textiles ,des cuirs et les exploitations minières ainsi que la vente du bétail."

VI-POLOGNE – On peut lire dans le revue soviétique "La guerre et la classe ouvrière" n° 8 du 15 avril 1945 : "Le gouvernement provisoire de la République polonaise a publié un décret établissant le service général du travail."

Ce simple entrefilet en dit long sur la manière "démocratique" avec laquelle le gouvernement polonais envisage la reprise de l'activité économique du pays. Cela ressemble fort à une simple politique dictatoriale.

VII-GRECE – Dans l'article "Les difficultés économiques en Grèce" de la Tribune Économique du 1/6/45, on peut lire notamment : "Un nouveau texte de lui place la production industrielle sous le contrôle de l'État qui fournira les matières premières (?). Toute production de luxe est interdite."

VIII-TCHÉCOSLOVAQUIE – Toujours dans la Tribune Économique on peut lire dans l'article "Un vaste contrôle de l'État (en Tchécoslovaquie)" : "Un communiqué du Ministre de l'économie et de l'industrie montre que le programme gouvernemental prévoit une transformation révolutionnaire (?!) du pays. Toutes la banques et compagnies d'assurance passeront sous le contrôle de l'État, tandis que 70% de toutes les entreprises seront nationalisées."

IX-BELGIQUE – "Mobilisation civile et interdiction de grève". C'est ce que chaque État, devenu patron et s'ingérant dans l'économie du pays ou la dirigeant directement, fera demain là où la situation le demandera. L'État patron devient inévitablement le gendarme.

X-L'ITALIE – On peut lire dans les Nouvelles Économiques du 8 juin, dans un article intitulé "L'Italie fief économique des États-Unis" : "Des premiers contacts établis entre commerçants italiens et financiers américains, il résulte que les grandes industries américaines ont l'intention de transformer l'industrie italienne et de l'harmoniser avec la production américaine. L'industrie italienne deviendrait ainsi une dépendance européenne de l'Amérique. Pour citer un exemple, elle serait chargée de la finition des produits américains et plus particulièrement des châssis des carrosseries automobiles, des machines destinées à l'industrie textile et de tout ce qui touche à l'industrie électrique. La conséquence inéluctable de la direction économique de l'Italie par les financiers américains sera l'ingérence de ces derniers dans le domaine politique du pays qu'ils exploitent... Le drame économique italien ne sera pas le seul de son genre dans l'Europe ravagée par la guerre..."

XI-ALLEMAGNE – La période révolutionnaire -qui a marqué la clôture de la guerre 1914-18 et qui, successivement a déferlé en Russie, en Allemagne, en Chine et dans les autres pays de l'Europe- a été victorieuse en Russie en octobre1917 puis elle a été écrasée en Allemagne par le militarisme prussien au service du gouvernement social-démocrate de NOSKE er SHEIDEMANN[1]. La révolution du prolétariat chinois fut écrasée par CHANG-KAÏ-CHEK représentant de la bourgeoisie nationale chinoise[2].

Pour l'Allemagne, la dégénérescence de l'IC et de ses partis communistes marque le point capital de la défaite du prolétariat allemand. La contre-révolution national-socialiste hitlérienne, soutenue par le capitalisme international (surtout anglo-saxon), est chargé de marquer le point final de l'activité révolutionnaire de l'IC. La venue au pouvoir de la clique nazie en Allemagne, en 1934, marque sa mort. Le national-socialisme est la forme la plus avancée de la domination de l'État et de la bourgeoisie sur la classe ouvrière. Le prolétariat allemand, une fois encadré par toute la petite-bourgeoisie allemande contre-révolutionnaire, ne pourra plus se dégager. L'État est maître. Toute la bourgeoisie (et la petite-bourgeoisie) va rentrer dans le cadre de la police, à son service ; et, pour maintenir sa domination, l'État capitaliste va amener la répression à un degré jamais atteint ; il va "industrialiser" la mort de tous ceux qui s'opposent à sa domination sous cette forme et va montrer jusqu'à quel point l'État gendarme peut aller pour conserver les privilèges de classe du capitalisme.

Il y a un siècle, Engels avait prévu la dernière forme de la société capitaliste en décomposition quand il écrivait dans L'Anti-Dühring :

  • "L'État moderne n'est que l'organisation que se donne la société bourgeoise pour maintenir les conditions générales extérieures du mode de production capitaliste en face des empiètements tant des travailleurs que des capitalistes individuels. L'État moderne, quelle qu'en soit sa forme, est une machine essentiellement capitaliste, l'État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal.
    Plus il s'approprie de forces productives, plus il devient un véritable capitaliste collectif, plus il exploite les citoyens. Les travailleurs restent des salariés, des prolétaires. Le capitalisme n'est pas supprimé, IL EST AU CONTRAIRE POUSSÉ À L'EXTRÈME. L'État propriétaire des forces productives n'est pas la solution du conflit mais il renferme le moyen formel, l'anse par où peut être saisie la solution."

Rosa Luxemburg a bien complété cela quand elle prévoyait ce qui allait se passer dans cette période dernière de la société capitaliste :

  • "La classe capitaliste impérialiste, en sa qualité de dernier rejeton de la classe des exploiteurs, dépasse tous ses prédécesseurs en brutalité et en bassesse. Elle défendra son saint des saints, ses bénéfices et ses privilèges d'exploitation du bec et des ongles, par toutes les méthodes de froide cruauté dont elle a fait preuve dans toute l'histoire de sa politique coloniale et de la dernière guerre mondiale.
    Elle mettra en branle ciel et enfer contre le prolétariat, elle mobilisera les campagnes contre les villes, elle excitera les couches retardées des ouvriers contre l'avant-garde socialiste, elle organisera des massacres avec l'aide des officiers, elle cherchera à paralyser toutes les mesures socialistes par mille moyens de résistance passive, elle soulèvera contre la révolution une vingtaine de Vendées, elle invoquera pour son salut l'invasion étrangère, le fer exterminateur de Clémenceau, de Lloyd Georges et de Wilson, elle préférera transformer le pays en montagne de ruines fumantes plutôt que de renoncer de bon gré à l'esclavage salarié."

Qui a parlé ainsi ? Le chef de la révolution allemande. Rosa se doutait-elle déjà que c'est dans ce pays, où elle était la tête de la révolution, que la bourgeoisie sanguinaire, en premier, amoncellerait ces "montagnes de ruines fumantes" dont elle parle.

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Le bref coup d'œil que nous venons de jeter ensemble sur quelques grandes nations du monde va nous permettre d'apporter les conclusions qui s'imposent.

Au fur et à mesure que la société capitaliste revêt le "caractère avancé" dont parle Engels, elle remet dans les mains de l'État toutes les forces de production. Les capitalistes privés forment un capitaliste collectif idéal. Mais en même temps tout le contrôle, l'organisation de cette nouvelle société "État et Cie" est concentrée entre les mains d'un bureaucratisme tout puissant. A l'exemple de l'armée; forme bureaucratique par excellence, l'État "mobilise" les ouvriers et les encadre par des fonctionnaires, véritables officiers civils. Le chef de chantier, les contremaîtres, les chefs d'équipe, nouveaux cadres civils, copient sur leurs sosies de l'armée un régime de punitions établies tout d'abord (amendes, mises à pied etc.). En Belgique, en Pologne cette mobilisation civile devient effective. Le droit de grève, dernière arme du prolétariat, lui est enlevée. Demain ce sera, comme dans l'armée, la peine de mort pour le "déserteur" ou pour "l'agitateur", le "défaitiste" civil.

En même temps que l'État concentre en lui toutes les forces économiques, il concentre aussi les forces politiques contre l'action de classe du prolétariat.

Mais en même temps que l'État mobilise les soldats contre les ouvriers, qu'il mobilise les ouvriers et leur enlève tout droit d'exprimer les revendications, les transformant en esclaves modernes, il mobilise aussi les consciences.

Là il emploiera tous les moyens dont il dispose : presse, radio, cinéma. Il achètera les hommes, leur donnera les postes avancés dans la société pour maintenir sa domination.

Selon la nécessité, il fera tantôt couler l'encre, tantôt et surtout il fera couler le sang. Il se servira de tous les moyens, de la force, de la ruse, du fer et du feu ou du papier et de la parole - tantôt mielleuse, tantôt flamboyante - de ses hommes à son service.

Et ceux qui lui serviront le plus pour cette dernière mobilisation des consciences seront nos démagogues de "gauche" qui mettront le drapeau rouge et "la voix de Lénine" au service de la bourgeoisie et de la société capitaliste en putréfaction.

C'est ainsi qu'ils lancent, en leur nom, les mots d'ordre de "nationalisation", de "Renaissance française", qu'ils dressent les bonzes syndicaux en briseurs de grève, en délateurs contre les ouvriers conscients, en policiers politiques au service de l'État maître, gendarme et bourreau d'hier en Allemagne et en Russie, d'aujourd'hui en Belgique et en Pologne, de demain en France et en Angleterre.

Marat


[1] On remarquera en passant que, chaque fois qu'il s'agit de liquider une situation de tourmente du genre de celle de l'après-guerre en Allemagne, on trouve toujours représentés les "socialistes" au gouvernement.

[2] Faisons encore une petite remarque en passant : cette défaite du prolétariat chinois est due en grande partie à l'impréparation et aux erreurs politiques de l'Internationale Communiste qui n'a pas su lui donner des directives et des mots d'ordre révolutionnaires mais, au contraire, a donné le mot d'ordre d'union avec la bourgeoisie nationale en rapport avec l'idéologie de l'IC qui défendait les révolutions "nationales" des pays coloniaux et semi-coloniaux. On a vu le résultat. Cela n'empêche pas les trotskistes de défendre aujourd'hui, encore plus à bloc, les nations "opprimées", se mettant ainsi au service de la bourgeoisie.

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Travaux de la conférence 1945