Le Parti ou le problème de l'intervention du facteur conscience de classe

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

Le problème de l'organisation de classe, du parti politique du prolétariat, son programme et son rôle dans la lutte pour l'avènement d'une société nouvelle, la société communiste, a toujours été la préoccupation qui a dominé les cerveaux de tous les révolutionnaires prolétariens d'avant Marx jusqu'à nous. Il n'existe peut-être pas de problème qui ait été plus passionnément, plus âprement débattu parmi les révolutionnaires que celui-là. De la conspiration des Égaux de Babeuf à la Ligue des Communistes, du Chartisme au Blanquisme, de la 1ère à la 3ème Internationale, des marxistes aux anarchistes et opportunistes, tous les courants et tendances qui agissent au sein du prolétariat ont été amenés à poser et à se situer face à ce problème capital de la formation du parti. Les solutions diverses données à la nature et au rôle du parti par les différents courants idéologiques agissant dans le prolétariat à diverses époques historiques de sa lutte, l'obscurité, l'erroné, l'inachevé de ces solutions marquent la difficulté à laquelle s'est heurté le prolétariat pour solutionner ce problème qui, tout en n'étant engendré par la lutte de classes, est toutefois lié historiquement à cette lutte d'une manière étroite. La solution ne pouvait donc être donnée que parallèlement au développement de la lutte de classe dans la maturation objective des situations historiques.

L'expression la plus achevée de la solution au problème du rôle que l'élément conscient, le parti, est appelé à jouer pour la victoire du socialisme a été donnée par le groupe de marxistes russes de l'ancienne Iskra et tout particulièrement par Lénine qui, dès 1902, a donné une définition principielle du problème du parti dans son remarquable ouvrage Que faire ? La notion de parti de Lénine servira de colonne vertébrale au parti bolchevik et sera un des plus grands apports de ce parti dans la lutte internationale du prolétariat. Combattant non seulement les mencheviks et opportunistes du mouvement ouvrier international, mais aussi les courants de gauche et les groupes révolutionnaires, comme Trotsky et Luxemburg, qui défendaient des théories d' "organisation-processus" et de la spontanéité de la lutte révolutionnaire du prolétariat, Lénine démontrait que la conscience du socialisme n'est pas un produit engendré spontanément dans la lutte de classe mais qu'au contraire cette conscience doit être introduite, injectée du dehors dans la lutte du prolétariat et, d'autre part, si les mouvements de révolte du prolétariat sont dus à la maturation des conditions objectives, ces mouvements ne peuvent aboutir à la victoire qu'à la condition de l'existence préalable du parti de la classe, conscient et aguerri, qui, à la tête du prolétariat, le dirige à l'assaut de l'État capitaliste.

L'histoire devait magistralement confirmer la position de Lénine. Sans entrer dans l'examen d'autres et multiples facteurs de la situation russe, nous pouvons affirmer que, si en octobre 1917 la révolution prolétarienne a triomphé, cela est dû avant tout à la réalisation de cette condition décisive, à l'existence de ce parti que Lénine infatigablement a forgé pendant 20 ans. Par contre, 1918 en Allemagne devait apporter la défaite de la révolution, dont une des causes et non la moindre, malgré une magnifique et héroïque combativité des masses, dans la formation tardive du parti, partant dans son inexpérience, dans son hésitation et dans son incapacité de guider la révolution à sa victoire. C'était la rançon et l'infirmation expérimentale de la théorie de Rosa Luxemburg sur la spontanéité du mouvement révolutionnaire.

La fraction de gauche qui a donné naissance au parti communiste d'Italie a repris intégralement la notion du parti de Lénine et l'a approfondie. C'est à la lumière de cette notion, en rapport avec la nature du parti, de son programme et de ses principes, qu'elle a établi le critère des règles, de la tactique consignés dans les Thèses de Rome. Au cours de la dégénérescence de l'IC, c'est en partant de la notion du parti de Lénine qu'elle a pu dégager la notion fondamentale de la filiation historique qui existe au travers de la fraction, issue du parti en dégénérescence et évoluant vers la formation du nouveau parti de classe. La place occupée par les bolcheviks entre la 2ème et la 3ème Internationales sera désormais occupée, dans la situation historique actuelle, par les fractions de la Gauche communiste qui, en donnant naissance au nouveau parti, assurent la filiation de la 3ème à la 4ème Internationale.

Tout moment de la vie de la fraction est un moment du processus de la formation du parti. Il est naturel que toute activité théorique et politique de la fraction, ou de ses militants, soit examinée sous l'angle de ce processus. Le néo-antifascisme devait donc tenter de faire une place, dans ce processus de la formation du parti, à ses nouvelles théories et, du même coup, nous gratifier d'une nouvelle interprétation de ce processus. Fidèles à notre méthode, nous allons maintenant suivre pas à pas les développements théoriques et les explications historiques de Vercesi, en essayant de le comprendre d'abord (ce qui, comme on le verra, n'est pas toujours chose aisée) et de la combattre ensuite.

C'est en ces termes que commence la partie relative au problème du parti, qui lui servent en quelque sorte d'entrée en matière.

Lénine et Luxemburg

  • "Ajuster la fraction au point de vue programmatique et politique à la hauteur des tâches qui lui reviennent, c'est là le problème d'ordre programmatique et politique, non un accroissement numérique des effectifs."

Nous n'avons pas grand-chose à répondre là-dessus sinon que cette entrée en matière ne veut absolument rien dire. Affirmer qu'un problème programmatique est un problème programmatique et non un problème d'accroissement numérique revient à dire qu'une table est une table et non une vache.

Passant ensuite au problème de la formation du parti, Vercesi affirme que c'est là un problème qui ne relève pas de la volonté mais des situations historiques. Cela est absolument juste. L'histoire nous fournit des exemples où, durant de longues périodes, l'existence des partis ou même la tendance à leur formation fut contraire par les situations données du moment, et cela en dépit du fait de la présence des hommes et des chefs tels que Marx et Engels. Ainsi l'organisation de la Ligue des communistes disparaît après la clôture des situations révolutionnaires en Europe après 1848, et ses militants se retrouvent 12 ans après, lors de sa fondation, dans la 1ère Internationale.

Mais ici également il ne faudrait pas pousser cette thèse à l'absurde, à une sorte d'automatisme fataliste qui consisterait à dire : tout ce qui existe ne peut pas ne pas exister et tout ce qui n'existe pas ne peut pas exister. Cela reviendrait à ramener à zéro l'action et les erreurs des hommes et à les considérer comme n'ayant aucune influence sur le déroulement des situations. Les hommes ne peuvent résoudre que les problèmes que l'histoire pose et dont elle contient la solution ; mais les hommes peuvent aussi, pour des raisons contingentes, ne pas être à même de les résoudre bien que les conditions objectives contiennent la solution.

"La théorie devient une force matérielle puissante dès qu'elle saisit les masses" écrivait Marx. Ceci est également vrai pour une théorie erronée qui, dans la pratique, devient aussi une force matérielle, un obstacle historique.

Les erreurs de l'IC, lors de sa fondation, concernant la formation des partis communistes par la fusion des courants centristes au sein des nouveaux partis et dans l'admission large dans la 3ème Internationale, ont indiscutablement contribué à rendre plus vulnérable l'IC à l'opportunisme et à affaiblir la résistance révolutionnaire en son sein contre la dégénérescence qui a suivi. La faiblesse numérique des fractions de la Gauche communiste n'est nullement une fatalité ; elle résulte entre autre de l'insuffisance théorique des militants des partis communistes, des erreurs politiques et organisationnelles des fractions elles-mêmes ainsi que des fautes terribles commises par Trotsky et qui ont pesé lourdement sur tous les militants et groupes révolutionnaires qui ont été exclus de l'IC et qui présentaient pourtant des éléments susceptibles de donner naissance à des fractions communistes.

En combattant le volontarisme dans la question du parti -qui s'est particulièrement manifesté, chez les trotskistes, dans les proclamations de temps à autre de nouveaux avortons de partis et des Internationales- il faut se garder de ne pas tomber dans un fatalisme impuissant et (…). Le marxisme s'oppose non seulement au volontarisme idéaliste qui croit pouvoir tout faire mais également à l'objectivisme fataliste qui aboutit à ne rien faire et à attendre. Également opposé à l'un et à l'autre, le marxisme enseigne que "les hommes font eux-mêmes leur histoire" dans la mesure où les hommes saisissent le déroulement objectif, les lois et le sens de ce déroulement. En agissant, en participant à ce déroulement, ils l'influencent par leur action, le modifient, accélèrent ou retardent son cours.

Toute autre est la méthode qui servira à Vercesi pour examiner les divergences qui opposèrent Lénine à Rosa sur le problème du parti. Partant d'une conception fataliste, Vercesi tentera de prouver que l'opposition Lénine-Rosa ne relevait pas des conceptions justes ou erronées que défendaient ces 2 chefs du prolétariat sur le problème du parti mais que chacun d'eux exprimait la situation particulière de son pays.

De ce point de vue il n'y a pas de position juste ou erronée mais des situations nationales différentes, entraînant des solutions différentes à un même problème.

D'après Vercesi il importe essentiellement, pour la compréhension de la divergence Rosa-Lénine, de mettre en lumière la différence des situations russe et allemande qui consisterait d'après lui à ceci :

  • En Russie, le pouvoir politique se trouvait entre les mains de la monarchie absolutiste qui représentait la domination des hobereaux féodaux réactionnaires. Face au régime monarchiste réactionnaire se dressait l'antithèse, la révolution bourgeoise, en même temps que surgissait historiquement et s'affirmait la classe prolétarienne. Pour Lénine, il s'agissait d'assurer "la faufilade (?) du prolétariat dans la révolution bourgeoise". À plusieurs reprises Vercesi reviendra à cette idée de la double antithèse, de la double négation qui s'est présentée en Russie en face de la thèse féodale et qui s'exprimait dans la bourgeoisie et dans le prolétariat. C'est cette situation particulière de l'existence d'une antithèse bourgeoise qui permettait et nécessitait, pour Lénine, l'inoculation du parti dans l'encastrement des contrastes sociaux de la succession féodalité-bourgeoisie afin de faire prévaloir l'antithèse prolétarienne.
  • La situation allemande était toute différente. Là, la bourgeoisie était au pouvoir et il n'existait historiquement qu'une seule antithèse, celle du prolétariat. De cette situation particulière différente il s'ensuivit que : "Cette possibilité de l'intervention de l'organisation aussi méthodique, aussi bien déterminée que celle se présentant dans le milieu russe n'existait pas, et ce pour la bonne raison que le capitalisme était au pouvoir en Allemagne… le prolétariat devait envahir la scène sociale… réclamant la réalisation du socialisme." Et c'est cette situation particulière de l'Allemagne qui expliquerait la thèse de Rosa sur la spontanéité.

Cette façon d'examiner les divergences qui existaient entre Lénine et Rosa est, comme nous le verrons plus loin, viciée dans le fond ; mais il n'est pas inutile en passant de souligner quelques erreurs contenues dans l'analyse que fait Vercesi des situations particulières de Russie et d'Allemagne.

Pour ce qui concerne la Russie, s'il est exact qu'elle n'avait pas encore accompli sa révolution bourgeoise et, de ce fait, n'avait pas réalisé tous les objectifs et réformes politiques et économiques nécessaires au plein épanouissement du capitalisme, il n'est pas exact de présenter la Russie comme une société féodale. Les grandes réformes agraires abolissant le servage, promulguées par Nicolas 1er, sont des réformes marquant la dislocation de la société féodale et ont un caractère nettement bourgeois. L'économie russe n'est plus une économie féodale ; c'est une société extrêmement complexe où subsistent des forces féodales aux côtés d'éléments capitalistes mais où la vie économique est dominée par l'élément capitaliste. C'est une légende de présenter unilatéralement l'économie russe comme une économie arriérée. Il ne faut pas oublier que la Russie a fait des pas de géant dans la voie du capitalisme moderne. Dès 1900, la Russie présentait dans les domaines industriel et bancaire le type de concentration capitaliste le plus avancé du monde. L'état retardataire de la Russie surtout dans l'agriculture se combinait avec une industrie qui, par sa technique et sa structure, se trouvait au niveau du capitalisme mondial et, sous certains rapports, le devançait.

Tandis qu'aux États-Unis 35% de l'effectif total des ouvriers industriels travaillaient dans les petites usines occupant jusqu'à 100 ouvriers contre 17,8% dans les usines occupant plus de 1000 ouvriers. En Russie le pourcentage s'établit respectivement à 17,8% dans les petites entreprises et à 41,4% dans les grandes usines. Dans les principaux centres industriels ce pourcentage était encore plus élevé : 44,4% pour Petrograd et allant jusqu'à 57,3% pour la région de Moscou.

La fusion du capital bancaire avec l'industrie a été certainement poussée plus loin que dans tout autre pays capitaliste. L'économie russe a été dominée et impulsée par le capitalisme international auprès de qui le capitalisme russe jouait en quelque sorte un rôle analogue aux compradores chinois. 40% de tous les capitaux investis dans l'économie russe étaient des capitaux étrangers et plus spécialement des capitaux français, anglais et belges.

Cette grande transformation de l'économie russe en une économie capitaliste moderne se faisait sous la pression du capitalisme international et de la bourgeoisie russe dictant ses volontés à l'État monarchiste absolutiste.

Il est parfaitement vrai que cet État monarchiste présentait une survivance féodale réactionnaire et une entrave politique supplémentaire au plein épanouissement du capitalisme. Toutefois, la bourgeoisie russe -tard venue dans l'histoire, au moment où le capitalisme, en tant que système mondial, rentrait dans sa phase ultime et finale, posant le problème de la révolution prolétarienne- ne pouvait plus représenter une classe révolutionnaire et prétendre jouer un rôle progressif. La bourgeoisie russe ne représentait pas une antithèse, une négation de l'absolutisme mais, au contraire, elle a rapidement manifesté sa sénilité en s'intégrant et en composant avec le régime monarchiste. Par des concessions réciproques, économiques et politiques, entre la bourgeoisie et les forces féodales, au travers du pouvoir de la monarchie et d'avorton de constitution qu'est la Douma, les intérêts des classes dominantes, y compris ceux de la classe bourgeoise, se sont assurés contre les masses travailleuses et pour l'exploitation du prolétariat. Il est erroné de présenter la situation russe comme contenant deux antithèses, celle de la bourgeoisie et celle du prolétariat. Outre que, dans l'époque du capitalisme évolué, l'antithèse sociale ne peut être conçue que sur le plan international et non relevant des particularités nationales, la situation russe, si elle présente une particularité c'est bien celle de la résorption de l'antithèse bourgeoise qui se fond et s'accommode avec l'ancien régime dès que surgit sur l'arène historique l'antithèse prolétarienne.

C'est essentiellement là que réside l'enseignement de la particularité de la situation russe et qui apparaît nettement dans la révolution de 1905 où toutes les forces du capitalisme bloquent et composent avec la monarchie face à la menace de la révolution du prolétariat. Cet enseignement nous permettra de comprendre que, dans les pays arriérés, coloniaux et semi-coloniaux, n'existe plus et ne peut plus exister, à l'époque du développement du capitalisme, une antithèse bourgeoise. Ces pays ne reproduiront pas l'évolution des pays avancés, en passant par tous les stades que ces derniers ont connus dès que surgirent des solutions historiques plus avancées ; c'est que les conditions des stades intermédiaires ont disparues et les forces sociales qui représentent ces stades cessent par là même de présenter une antithèse révolutionnaire pour se fondre dans la thèse et présenter avec elle un bloc social réactionnaire.

Il existait une opposition d'intérêt et une lutte politique entre la bourgeoisie et la monarchie. On peut et on doit tenir compte de cette lutte quand on examine la situation. Mais on ne peut pas parler de la bourgeoisie russe comme une classe opprimée, comme une antithèse existant dans le milieu social russe parallèlement à l'antithèse prolétarienne sans tomber immédiatement dans la confusion et dans des contradictions inextricables. La Russie faisait partie intégrante du capitalisme mondial et c'est en tant qu'État capitaliste qu'elle acquiert tous les caractères du capitalisme moderne, c'est-à-dire le caractère impérialiste. C'est en tant que puissance impérialiste que la Russie fait la guerre contre le Japon en 1903 et c'est toujours en tant que telle, avec des visées exclusivement impérialistes, qu'elle participe à la première guerre impérialiste mondiale. La possession exclusive de la machine étatique par la bourgeoisie russe n'aurait pas modifié substantiellement la politique intérieure et extérieure de cet État. La continuation de la guerre jusqu'au bout pour les mêmes buts impérialistes, le maintien des mêmes traités secrets avec les impérialismes anglo-français faits par le tsarisme, par les partis bourgeois au pouvoir entre février et octobre 1917 le prouvent nettement. Sans vouloir faire une analogie entre la Russie et le Japon, nous pouvons toutefois remarquer, dans ces deux pays, une évolution semblable de transformation de la société féodale en société capitaliste, s'opérant avec la survivance d'un régime politique et la subsistance d'un État issu historiquement du féodalisme. En Russie avant 1917, la bourgeoisie assure sa domination et ses intérêts économiques au travers de la forme particulière de l'État existant issu des conditions historiques particulières au développement de la bourgeoisie dans ce pays. Dans ce pays ne se posait pas le problème de "faufiler le prolétariat" dans la révolution bourgeoise, comme le dit Vercesi, et cela pour la seule raison que la révolution devait être prolétarienne ou ne pas être. A ce sujet nous croyons pouvoir affirmer que la position de Lénine en 1905 sur l'étape intermédiaire de "la dictature démocratique des ouvriers et des paysans" entre le tsarisme et la dictature du prolétariat présentait des lacunes et des obscurités qu'il devait lui-même surmonter en 1917 contre les "vieux bolcheviks" lui reprochant de reprendre la vieille théorie de Trotsky et de Parvus, appuyée internationalement par Rosa et exprimée dans le mot d'ordre de la dictature du prolétariat.

Parler de l'antithèse bourgeoise existant en Russie c'est non seulement reprendre ce qu'il y avait d'inactivité chez Lénine en 1905 mais c'est nier l'expérience d'octobre 1917 qui a définitivement démontré qu'une seule antithèse pouvait exister à notre époque dans n'importe quel pays, celle du prolétariat. C'est par ricochet attribuer à Lénine une conception volontariste diabolique consistant à "faufiler" le prolétariat au travers de l'encastrement des contrastes sociaux de la succession féodalité-bourgeoisie.

En ce qui concerne l'Allemagne, la photographie de la situation que nous présente Vercesi a subi également de sa part de fortes retouches. Si, en Russie, il ne voit d'aucune façon la bourgeoisie associée au pouvoir, il exagère en présentant la bourgeoisie allemande complètement maîtresse du pouvoir et de l'État.

On sait que la révolution bourgeoise en Allemagne échoua en 1848 et, par la suite, il revenait à Bismarck, au travers de la subsistance de l'État des hobereaux prussiens, d'assurer l'évolution de la société allemande vers le capitalisme moderne. Les principales réformes économico-politiques de la bourgeoisie, l'unification de la monnaie, des poids et mesures, la formation de l'État moderne reviennent à l'État bismarckien.

Et encore l'unification complète de la nation allemande s'est accomplie partiellement par la constitution de Weimar et définitivement par le régime hitlérien qui a supprimé l'antagonisme et l'existence des États particuliers en Allemagne.

La domination absolue et exclusive de la bourgeoisie allemande est un fait tout récent et commence à la contre-révolution de Weimar. Cela ne signifie pas que la bourgeoisie n'était pas au pouvoir ou que l'Allemagne n'était pas un pays capitaliste, mais seulement qu'en Allemagne également la bourgeoisie dominait par l'intermédiaire de l'État bismarckien et en composant avec cet État.

En exagérant dans un sens pour la situation russe et dans l'autre sens pour la situation allemande, Vercesi veut trouver une "explication" (plutôt une justification) objective historique pour la conception du parti de Lénine et pour celle de Rosa et qui existerait dans la différenciation qualitative des deux situations dans ces deux pays.

Nous nous sommes arrêtés un peu longuement à l'examen de ces deux situations pour démontrer que dans les deux pays il s'agit de particularités, de variantes locales d'une situation générale mondiale unique. La différence entre les situations en Allemagne et en Russie n'était pas qualitative-historique mais quantitative-contingente. La solution du problème du parti ne relève pas d'une situation contingente particulière à un pays mais de la situation historique générale et valable pour tous les pays.

Ayant abandonné la méthode marxiste susceptible de donner une réponse correcte au problème du parti et lui préférant on ne sait quel "objectivisme" basé sur les particularités de chaque pays, Vercesi ne ferait que s'embourber dans des contradictions croissantes. Il ne sortirait d'une contradiction que pour tomber dans une nouvelle, plus grave et plus profonde que la précédente.

D'après Vercesi, la particularité de la situation russe consistait dans la non-existence exclusive de l'antithèse prolétarienne, c'est-à-dire de la révolution socialiste, et dans l'existence simultanée de l'antithèse bourgeoise, c'est-à-dire de la révolution bourgeoise. C'est ce qui a permis, toujours d'après Vercesi, la conception de Lénine de l'intervention volontariste du parti. Ainsi le prolétariat russe pouvait se "faufiler" parce que la situation n'était pas révolutionnaire dans le sens prolétarien. Résultat : victoire.

Mais la conception de Lénine[1], nous dit Vercesi, pouvait s'appliquer en dehors de la Russie, dans tous les pays d'Europe où l'antithèse bourgeoise n'existait pas. En Allemagne se posait pour le prolétariat la révolution socialiste ; en conséquence de quoi, Rosa devait attendre que le prolétariat aille spontanément au pouvoir et non agir comme pouvait le faire Lénine en Russie. Résultat : échec.

Après nous avoir promené au travers des particularités des situations et nous avoir conduit de Russie en Allemagne et d'Allemagne en Russie pour nous expliquer la position de Rosa traduisant la situation allemande, Vercesi aboutit à ce résultat surprenant de la victoire de la révolution d'Octobre en Russie et de la défaite de 1919 en Allemagne.

A moins de renverser tout et d'attribuer ce résultat à la maturation objective en Russie et à la non-maturation en Allemagne, on ne voit pas comment expliquer et interpréter ce résultat ; mais du coup, cela serait renverser tout l'échafaudage, si péniblement construit par Vercesi, sur la double antithèse en Russie et l'unique antithèse (celle du socialisme) existant en Allemagne. La corde au cou, Vercesi est obligé de reconnaître dans ce résultat la confirmation de la thèse de Lénine et l'infirmation de celle de Rosa.

Tout en continuant à proclamer que la conception de Lénine sur la nécessité de la formation du parti au travers de la succession fraction-parti ne pouvait être appliquée en Allemagne parce que se posait spontanément la volonté du prolétariat de réaliser le socialisme, Vercesi dit que Rosa était à son tour dans l'erreur "de penser que le processus de formation du parti pouvait se faire en dehors de la succession fraction-parti", ce qui revient à dire que Rosa s'est trompée dans la spontanéité et dans la conception "organisation-processus". Mais dire cela c'est revenir tout simplement à la thèse de Lénine. À quoi donc servaient tous les détours de Vercesi ? Il aurait bien mieux valu nous épargner les élucubrations sur les situations particulières et les faufilades, et définir la Russie comme faisant partie d'une situation générale posant à l'ordre du jour le problème de la révolution prolétarienne, d'où nécessité de la formation du parti en Russie au travers de la succession fraction-parti. En Allemagne, plus nettement, la situation évoluait vers la révolution prolétarienne dont existait la nécessité de la formation du parti par succession de la fraction. Les deux facteurs de la succession sont la maturation objective des conditions et la volonté agissante subjective (si nous ne voulons pas la révolution, elle ne viendra pas). L'erreur de Rosa consistait dans la négation du 2ème facteur et non dans la différenciation qualitative des deux situations qui, remarquable conclusion de Vercesi, devait engendrer cette fatalité : Rosa s'est trompée parce qu'elle ne pouvait que se tromper.

Vercesi ne nous dit toujours pas en quoi consistait l'erreur de Rosa. D'après lui, Rosa s'est trompée dans la spontanéité parce qu'en Russie ne pouvait se poser que la solution qu'il attribue à Lénine (inoculation du parti dans l'encastrement des contrastes sociaux de la succession féodalité-bourgeoisie, OUF !) ; mais en Allemagne où ne se posait pas le problème de cette inoculation, pourquoi Rosa s'est-elle trompée ? Là-dessus Vercesi reste muet comme une tombe. Cela n'empêchera pas Vercesi d'écrire d'un côté : "Lénine, en 1903 (pourquoi pas en 1902 dans Que faire ?, ou encore en se référant à des écrits antérieurs de Kautsky ?), prouvera que la conscience est importée dans le mouvement", tout en se contredisant par ailleurs : Cette possibilité (importation de la conscience) de l'intervention de l'organisation, aussi méthodique et aussi bien déterminée que celle se présentant dans le milieu russe, n'existait pas et ce pour la bonne raison que, le capitalisme étant au pouvoir en Allemagne, le prolétariat devait envahir l'arène sociale… réclamant la réalisation du socialisme." Après tout, on n'est pas à une contradiction près[2].

Le plus drôle, dans les explications de Vercesi sur les divergences qui opposèrent Lénine et Rosa sur la question du parti, se trouve dans le fait suivant : pour Vercesi, chacun traduisait une situation particulière de son milieu ou, si l'on veut, Lénine parlait "russe" tandis que Rosa parlait "allemand" (nous laissons de côté ce qu'il y a de bouffon dans cette distinction d'un Lénine "russe" et d'une Rosa "allemande"). Or, justement à propos du problème du parti, Lénine – polémiquant violemment contre tous les mencheviks russes – se référait surtout à l'expérience du prolétariat allemand et à l'autorité de Kautsky. Rosa, elle, s'appuiera essentiellement sur l'expérience du mouvement révolutionnaire du prolétariat russe pour défendre la théorie de la spontanéité[3].

Vercesi termine, pour démontrer l'erreur de Rosa, en confondant les deux situations (russe et allemande) qu'il avait précédemment différenciées et opposées. De plus, il posera du même coup pour tous les pays capitalistes la solution (qu'il avait qualifiée faussement auparavant de volontariste) de Lénine qu'il avait précédemment condamnée comme ne pouvant pas se poser pour les pays capitalistes.

'Elle (l'impossibilité de la spontanéité) se trouve dans le processus dialectique lui-même ; et dans ce processus nous voyons que la condition d'un retournement de l'antithèse prolétarienne contre la thèse bourgeoise doit être retournée." (souligné par nous). "L'antithèse prolétarienne, au lieu d'être spontanée, est l'intervention de la conscience dans un milieu qui, laissé à lui-même, retombe dans la thèse capitaliste."

La géniale "synthèse" de Vercesi

"Procédons maintenant, dit Vercesi, à la synthèse de Rosa et de Lénine qui est imposée par les événements actuels. Lénine a donné une solution absolument correcte à l'encastrement social russe en mettant l'accent sur l'intervention de l'organisation et sur le despotisme (?) des règles de celle-ci et ce parce qu'il devait éviter que l'une des deux antithèses provenant de la thèse tsariste, c'est-à-dire l'antithèse bourgeoise, puisse éliminer la thèse prolétarienne. Luxemburg ne pouvait que donner une solution incorrecte au problème de l'intervention de l'organisation et de sa technique parce que, avant les révolutions occasionnées par la guerre de 1914-18 qui posèrent l'inévitabilité de la formation non spontanée des partis communistes, la projection spontanée du prolétariat pouvait être considérée comme résultante de la réalité sociale, ne contenant aucune autre thèse possible que la prolétarienne. Elle ne pouvait que ne pas comprendre que la thèse bourgeoise -et ceci parce que le passé ne peut pas mourir spontanément et ne peut se survivre qu'en pénétrant dans ce qui représente l'avenir et en le désarticulant- n'en pénètre pas moins dans tous les filaments du parti de classe?"

Cette grande tirade en code secret signifie en langage clair : le capitalisme ne peut pas mourir spontanément, d'où nécessité de l'intervention du parti. Lénine, au travers de la double antithèse à la thèse féodale russe, pouvait saisir la nécessité de cette intervention. Tandis que Rosa, avant les révolutions occasionnées par la guerre, devant la seule antithèse possible à la thèse capitaliste, ne pouvait pas comprendre la nécessité de l'intervention du parti et était forcée de faire jouer un certain fatalisme. Voilà ce que dit Vercesi.

La révolution allemande de 1918 infirmait la position fataliste et spontanée de Rosa en prouvant que, quel que soit le nombre d'antithèses, l'intervention du parti est une nécessité historique indispensable pour imposer l'antithèse prolétarienne.

Ce que Lénine posait dès 1902 dans son Que faire ? s'est avéré valable pour tous les pays. Toute la rhétorique ambiguë de Vercesi ne sert qu'à justifier "l'inévitabilité" historique de l'erreur de Rosa.

En fait de synthèse des positions de Lénine et de Rosa, Vercesi nous apporte dans un jargon pédantesque la théorie de Lénine. L'apport de Vercesi consiste uniquement, au travers de la justification qu'il veut historique de l'erreur de Rosa, à se trouver une issue, lui permettant demain de poser comme inévitable la reproduction de certaines erreurs ayant déjà été résolues par l'avant-garde.

Plus loin Vercesi, qui veut s'attribuer la découverte du principe de l'intervention de Lénine, présente ce dernier comme un interventionniste à la façon de la 3ème période de l'IC stalinienne. Cette caricature donquichottesque de la théorie de Lénine lui permet d'opposer "le rachitisme idéologique (!) de l'ensemble de la construction de la théorie marxiste de Lénine appliquée aux pays capitalistes" à la génialité du "modeste" militant" militant qui, 43 ans après Lénine, redécouvre que l'intervention du parti "ne fait que pressentir dans le temps et l'espace, qu'établir au moment du départ d'un événement donné ce que l'événement contient déjà en lui-même, et que cet événement ne pourrait toutefois procréer sans l'intervention du parti de classe."

Singulière application du principe de l'intervention de la conscience

On aurait pu croire qu'une fois redécouvert le principe de l'intervention du parti de Lénine, Vercesi s'en tiendrait là et nous aurions été quittes d'avoir tourné quelques temps dans le labyrinthe de sa pensée. Mais ce serait mal le connaître. Vercesi se chargera vite de nous détromper de nos illusions en faisant quelques sorties ahurissantes dont nous allons reproduire ici quelques extraits :

"Mais il nous appartient… d'intervenir, en tant que fraction, chaque fois que la forme spécifique du capitalisme est éliminée ; dans n'importe quel domaine de la vie sociale, quand la forme spécifique de la vie du capitalisme est balayée, quand la condition politique de ce balayement a été donné par l'inexistence de l'État capitaliste qui personnifie la société, la fraction a le devoir d'intervenir."

Autant de mots, autant d'énigmes et de contradictions. Qu'est-ce encore que cette "forme spécifique de la vie du capitalisme" ? L'État capitaliste probablement. Qu'est-ce alors "la condition politique de ce balayement "qui est donné (la condition) par l'inexistence du capitalisme" ? C'est un jeu de mot ou une façon à la Vercesi de tourner en rond : la condition de la disparition de l'État est donnée par la disparition de l'État !

Mais la perle est dans le devoir de la fraction d'intervenir après que tout cela ait été réalisé. Nous pouvons comprendre Internationalisme, organe théorique de la Fraction française de la Gauche Communiste, année 1945 qu'après avoir parlé pendant plusieurs heures durant, la langue de Vercesi ait fourché.

Si la fraction n'intervient qu'après l'inexistence de l'État capitaliste, il est à croire que la formation du parti par la succession fraction-parti s'effectuera au moment du passage de la société socialiste au communisme. Enfin, il n'est jamais trop tard pour bien faire !

Vercesi continue à insister sur sa nouvelle trouvaille (sa fameuse synthèse est complètement… oubliée) :

  • "Je répète donc, il faut que la fraction intervienne chaque fois que le capitalisme est balayé" (souligné par nous).

En fin de compte, on aimerait être fixé sur le moment où l'intervention devient un devoir car, pour la nouvelle théorie "synthétique", il existe une distinction entre les moments où le devoir est de ne pas intervenir et d'autres où le devoir est d'intervenir. Ainsi, pendant la guerre impérialiste pour prendre un exemple, le devoir bien compris était la dissolution de la fraction car on n'intervient qu'après la disparition de l'État. Par contre la fraction doit intervenir dans les comités antifascistes considérés, bien entendu, comme étant un domaine d'où le capitalisme a été balayé.

Un peu plus loin, Vercesi nous dit que la condition première pour que le prolétariat puisse se retrouver est représentée par l'exclusion des manifestations de l'État capitaliste. Donc, d'après Vercesi, jusqu'à la prise du pouvoir le prolétariat ne se retrouve pas. On se demande comment le prolétariat, sous la direction du parti, peut prendre le pouvoir sans se retrouver ; à moins que le capitalisme et son État ne disparaissent d'eux-mêmes, et cela pour ne pas contrarier la loi historique et pour permettre ainsi au prolétariat de se retrouver. C'est vraiment trop gentil de la part du capitalisme et nous sommes très touchés de cette noble intention.

Mais voilà que le camarade Vercesi découvre du nouveau et va plus loin : la condition première, c'est-à-dire l'exclusion des manifestations de l'État capitaliste est réalisée par… la fraction !!!

Pour que l'on ne nous accuse pas de mal interpréter, nous reproduisons le passage en entier :

  • "Je répète donc, il faut que la fraction intervienne chaque fois que le capitalisme est balayé ; elle doit avoir la force d'intervenir pour réaliser la condition première pour que le prolétariat puisse se retrouver. Cette condition est représentée par l'exclusion des manifestations de l'État capitaliste. La fraction, qu'elle soit une minorité ou même une individualité, c'est elle qui a réalisé cette condition historique et politique, représentant la condition fondamentale pour que les masses prennent le départ."

On ne peut retirer comme impression de ce passage que celle d'un verbiage et de contradictions prélogiques.

Et voilà, un peu plus loin, un autre passage dans ce genre :

  • "Sans ce départ (dont la condition est réalisée par la fraction), pas de possibilité d'intervention consciente du prolétariat ; et ce problème se reposera sur toute l'échelle des situations imposées actuellement à la situation de la classe ouvrière sur la question de l'économie de guerre."

Comprenne qui voudra et ce qu'il voudra. Nous, nous y renonçons.

Négation de la fraction

D'un côté, Vercesi dit : "Au point de vue politique et organisationnel, personnifier le prolétariat n'est possible qu'à la condition de rester fidèle au programme de la fraction et à l'ensemble des documents politiques de la fraction elle-même."

D'un autre côté, il dit : "Pour reprendre la petite expérience du Comité de coalition, il nous revenait le devoir de nous situer au sein de ce milieu qui se présentait devant nous et de déterminer la condition fondamentale pour que la fraction puisse personnifier la situation nouvelle."

Nos camarades lecteurs sont déjà familiarisés avec le raisonnement "dialectique" propre à Vercesi. Nous avons ici un spécimen de ce raisonnement. Dans le premier passage il est dit que la condition pour personnifier le prolétariat est donnée par la fidélité au programme de la fraction ; dans le 2ème passage ce n'est plus dans la fidélité au programme mais dans la participation au comité de coalition qu'on "détermine la condition fondamentale" de la personnification.

Nous pensons, quant à nous, que la fraction devait se situer en dehors de ce milieu, face au prolétariat et ne pas présenter la plus petite communauté d'idée avec ce milieu qui exprime un contenu capitaliste. C'est ainsi seulement qu'on peut personnifier non pas la situation nouvelle mais le prolétariat dans la situation nouvelle, et cela, comme le dit Vercesi plus haut, en restant fidèle au programme de la fraction. La confusion qu'on fait ici entre la personnification de la situation avec la personnification du prolétariat dans la situation ne sert qu'à cacher l'abandon du programme de la fraction et sa propre infidélité à ce programme. Ce n'est pas pour rien que Vercesi a tant tourné autour de la théorie des situations particulières à propos de Rosa. À chaque abandon qu'il fera , il fera appel à la situation particulière nouvelle.

Mais ce qui est plus grave c'est qu'il accepte de nier la vie organisationnelle de la fraction sous le prétexte fallacieux de ne pas être exclu comme traître à la classe ouvrière par un milieu représentant les intérêts capitalistes. Nous reproduisons textuellement le passage en question :

  • "Au point de vue de l'organisation, si nous avions suivi les règles précédentes, le climat politique antérieur, l'engrenage politique qui préexistait, il est absolument certain que nous n'aurions pas pu mener le travail qui a été fait (Quel travail ? L'épuration ? Les dénonciations ?), nous aurions été exclus comme traîtres à la classe ouvrière qui prônaient une politique tout à fait contraire aux intérêts du prolétariat et de la fraction."

Ceci est vraiment remarquable. Si nous étions restés fidèles au programme de la fraction (à son climat politique antérieur, comme dit Vercesi dans son langage recherché), nous n'aurions pu faire le travail que nous avons fait[4] 4.

De deux choses l'une : ou bien notre programme, nos positions politiques, nos règles sont justes et permettent d'agir dans l'intérêt du prolétariat, ou bien pour faire ce "travail" nous devons les abandonner et elles sont donc fausses. Proclamer la fidélité aux documents de la fraction mais les écarter, les mettre au rancart pour pouvoir faire du travail, c'est le coup de chapeau classique, respectable devant un convoi funèbre. Il ne faudrait tout de même pas que Vercesi assimile la fraction à lui-même.

Le 2ème argument, celui d'être exclu comme traître à la classe ouvrière, n'est pas nouveau ; ce qui est nouveau c'est que Vercesi partage cet avis.

Kerenski employait cet argument contre Lénine, Staline l'emploie contre l'avant-garde révolutionnaire. Qui fait-il suivre, Lénine ou Vercesi ? Est-ce le fait d'être taxé de traître ou est-ce le fait d'être exclu de ce milieu anti-prolétarien ou est-ce les deux choses qui ont persuadé Vercesi que notre politique constitue "une politique tout à fait contraire aux intérêts du prolétariat et de la fraction" ? Vercesi semble craindre bien plus d'être exclu de ce milieu du Comité de coalition que de la fraction, et entre les deux il a choisi.

Et voilà en quelque sorte le testament politique de Vercesi en guise de conclusion :

  • "Mais, pour que le prolétariat puisse comprendre son avenir, il lui faut des hommes qui cherchent à comprendre le présent et qui savent d'avance que, pour comprendre le présent, il faut S'EXTRAIRE de son passé, que toutes les portes doivent être ouvertes pour déterminer l'attitude politique que nous devons avoir."

On sera vraiment de mauvaise foi d'accuser Vercesi de na pas être clair pour une fois. Il revendique le droit de s'extraire de son passé. Oui, c'est bien cela que Vercesi fait depuis quelques temps. Et nous rappelant de la réponse de Lénine -faite il y a un demi-siècle à ceux qui se plaignirent du despotisme de l'orthodoxie marxiste et qui revendiquèrent aussi la liberté de s'extraire de leur passé-, nous disons à Vercesi :

"Vous êtes libre de vous extraire de votre passé, vous êtes libre, absolument libre d'aller où bon vous semble, même dans le Comité de coalition antifasciste où cohabitent fraternellement toutes les forces du capitalisme ; au besoin nous vous aiderons à transporter vos pénates dans ce nouveau milieu qui est le vôtre mais lâchez nous la main, Monsieur, car nous aussi nous sommes libres de rester fidèles au prolétariat, à la fraction, à notre passé, libres de vous combattre impitoyablement et de vous dénoncer au prolétariat."

----------------------------------------------------------

Nota bene. L'écriture automatique a pu donner des chefs-d’œuvre en littérature, la politique est plus exigeante. "Les types", "les pontifes", "les sacristains" préfèrent s'en rapporter à Marx et l'expérience passée du prolétariat révolutionnaire pour s'aider dans la compréhension de la situation présente plutôt que de suivre l'élaboration imaginative du Picasso de la révolution.


[1] Note de l'éditeur : La cohérence politique du texte nous amène à penser qu'il y a ici, dans le texte original, une erreur de frappe : c'est à l'évidence de "la conception de Rosa" dont il s'agit ici.

[2] On connaît la théorie professée par Vercesi selon laquelle l'économie de guerre fait disparaître les conditions de l'existence sociale de la classe, théorie qui lui a servi à nier la possibilité d'exprimer le prolétariat pendant la guerre. Cela ne l'empêche pas d'affirmer aujourd'hui : "L'antithèse prolétarienne étant donnée par l'existence même de la thèse, la condition est établie pour qu'elle puisse se cristalliser autour de la formation du parti de classe."

[3] Il faut d'ailleurs remarquer que Rosa était de la Pologne russe, qu'elle s'est formée en tant que militante en Russie où elle a fondé le parti social-démocrate de Pologne, et que toute sa vie elle suivra de très près toute la vie politique et le mouvement ouvrier russe. Lénine, de son côté, vivra en Europe et se formera en assimilant mieux que personne l'expérience du mouvement ouvrier européen.

[4] Une mise au point s'impose. Quand Vercesi parle de "nous", ce n'est qu'une façon de parler. Ce "nous" ne signifie nullement et n'engage en rien la Fraction italienne qui, elle, a condamné et ce travail et son auteur.

Conscience et organisation: 

Personnages: 

Courants politiques: 

Questions théoriques: 

Heritage de la Gauche Communiste: 

Rubrique: 

Polémique