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1- Généralités
Pour dégager les traits saillants de la situation actuelle et en tirer les perspectives du prolétariat révolutionnaire, il faut en premier lieu, pour un marxiste, caractériser la période historique dans laquelle elle se situe.
Cette période historique est celle de la décadence du système capitaliste. Qu'est-ce que cela signifie ? La bourgeoisie -qui, avant la première guerre mondiale, vivait et ne peut vivre que dans une extension croissante de sa production- est arrivée à ce point de son histoire où elle ne peut plus dans son ensemble réaliser cette extension. Élargir toujours la production, cela signifie trouver toujours de nouveaux marchés pour le capitalisme qui exploite et qui vend mais qui ne produit pas pour les besoins des hommes. C'est pourquoi il est parti à la conquête du monde. Les nouveaux marchés, il les a trouvés dans des contrées qui ignoraient son mode de production, des pays extra-capitalistes. Il les a conquis, spoliés, prolétarisés, intégrés à son système. Ainsi il les a détruits en tant que marchés. Mais bien plus, sa course aux profits croissants l'a porté aux limites géographiques du monde exploitable par lui. Aujourd'hui, à part des contrées lointaines inutilisables, à part des débris dérisoires du monde non capitaliste, insuffisants pour absorber la production mondiale, il se trouve le maître du monde, il n'existe plus devant lui les pays extra-capitalistes qui pouvaient constituer pour son système des nouveaux marchés : ainsi son apogée est aussi le point où commence sa décadence.
Les conséquences de ce fait, du point de vue du prolétariat révolutionnaire, sont immenses. Dès 1914, c'est-à-dire le début de la décadence, Lénine dégageait celles-ci en caractérisant la période qui s'ouvrait alors comme "l'ère des guerres et des révolutions" et, plus tard, en posant comme perspective centrale la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
En effet la décadence du système capitaliste -en posant comme une nécessité l'instauration d'un système nouveau qui, en produisant pour les besoins des hommes, échappe à la contradiction entre la production et le marché, c'est-à-dire la nécessité de la révolution prolétarienne- posait en même temps la maturité, la possibilité historiques de cette révolution.
Ceci n'est plus à remettre aujourd'hui en question : la révolution russe de 1917, première révolution prolétarienne victorieuse de l'histoire, les vagues révolutionnaires qui à partir de 1917 déferlèrent sur l'Europe et jusqu'en Asie ont prouvé la maturité historique de la révolution, comme le prouve en marchant le mouvement.
Même la défaite finale du prolétariat dans cette période, si elle a clairement démontré que sans parti révolutionnaire le prolétariat est incapable de parvenir à la victoire, n'a en rien ébranlé les positions communistes de Lénine et de la 3ème Internationale. Car, en laissant momentanément la direction de la société aux mains criminelles de la classe exploiteuse, elle n'a pas ouvert une période de prospérité et de rajeunissement du système capitaliste mais une période de crise économique permanente, de destructions et de conflits qui ont finalement débouché, comme Lénine le prévoyait, dans la 2ème grande guerre impérialiste.
Les marxistes doivent donc affirmer, comme base d'une analyse révolutionnaire de la situation, que la guerre actuelle est non le produit de la volonté diabolique de telle ou telle race mais l'expression monstrueuse d'une société condamnée ; que la perspective qui s'ouvre est non pas la paix, la reconstruction, la stabilisation capitalistes mais la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, la crise économique insoluble pour le capitalisme, la lutte révolutionnaire du prolétariat mondial.
Tous ceux qui ont tu ou caché au prolétariat cette réalité l'ont trahi. Ils couronnent aujourd'hui leur trahison en lui taisant et en lui cachant que, dans cette guerre actuelle, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile a déjà commencé et qu'elle domine la situation actuelle.
2- La transformation de la guerre impérialiste en guerre civile : la situation en Italie
Au printemps de la quatrième année de guerre, en 1943, commence à se manifester un changement dans le déroulement monotone et étouffant des événements du conflit impérialiste.
On annonce des vastes grèves revendicatives en Amérique, en Angleterre, en Italie. Les premiers indices du mécontentement de la classe ouvrière viennent démentir les phrases menteuses d'Union sacrée des classes pour la guerre, témoigner aux transfuges du prolétariat qui l'ont oublié de la persistance irréductible du contraste de classe, aviver l'espoir des révolutionnaires cherchant avant tout à déceler dans les événements le réveil de la classe ouvrière.
La signification du mouvement se serait pourtant bornée à cela, s'il s'était limité à ces grèves. Mais si la bourgeoisie parvenait aisément dans ces bastions de résistance, en Amérique et en Angleterre, à juguler momentanément le contraste de classes, en Italie le mouvement revendicatif de mars 1943 allait aboutir quelques mois plus tard, en juillet, à une opposition ouverte de classe contre la guerre impérialiste et au déclenchement de la guerre civile dans ce pays.
L'Italie représente en effet dans cette guerre le secteur le plus faible de ce chaînon du capitalisme que constitue l'Europe, unifiée dans une certaine mesure par l'économie de guerre et minée de contrastes.
Le capitalisme italien, partageant dans le monde capitaliste la place désavantageuse dévolue aux capitalismes derniers- nés, pauvre en ressources naturelles nécessaires à la poursuite victorieuse d'une politique impérialiste, a engendré en même temps qu'une bourgeoisie vantarde et impuissante, vouée aux échecs militaires et aux expéditions et aux revendications coloniales sans issue, sa contradiction dans un prolétariat hautement conscient et combatif. C'est cette situation historique qui devait l'obliger à recourir la première - sur les défaites des puissants mouvements déclenchés par son prolétariat en réponse à la guerre 1915-18 - à la forme la plus brutale de son oppression de classe : le fascisme.
Mais, si le fascisme parvint à se maintenir pendant vingt ans, ce fut en muselant toute expression de classe et non pas en apportant une solution à la situation économique et sociale de l'Italie ; à elle seule, l'absurde guerre d'Abyssinie en 1935 prouve assez qu'il ne pouvait exister aucune solution impérialiste à celle-ci. L'entrée de l'Italie dans le conflit mondial actuel ne pouvait donc qu'aggraver la situation générale et faire resurgir avec violence le contraste de classe.
Le prolétariat italien est, dès le début, hostile à la guerre, comme il l'était en 1915. C'est pourquoi, une fois le mouvement prolétarien déclenché en mars 1943, ni la bourgeoisie italienne ni l'impérialisme allemand ne parviendront à l'empêcher d'évoluer en quelques mois du terrain des revendications économiques à une lutte de classe ouverte et généralisée pour la cessation de la guerre impérialiste, non plus que d'empêcher l'armée italienne de se décomposer.
Car si l'aggravation de la situation d'ensemble du pays au cours de la guerre se traduit pour la classe révolutionnaire en une montée, un assaut contre la guerre, c'est dans une crise qu'elle se reflète pour la classe exploiteuse en Italie. Celle-ci se trouve, au moment du déchaînement du mouvement, en proie à des dissensions qui vont atteindre jusqu'au parti fasciste et ses dirigeants ; non que devant la menace de classe et la perspective qui se dessine d'un effondrement de l'Allemagne impérialiste où elle serait entraînée, la bourgeoisie italienne, pas plus que la bourgeoisie russe en 1917, se rallie à un programme pacifique qui l'opposerait au fascisme, mais d'une part cette menace de classe lui impose un changement de méthodes dans l'oppression et le démagogie, d'autre part le déroulement du conflit impérialiste lui rend nécessaire un changement d'alliance. Les éléments de la crise interne de la bourgeoisie italienne seront aussi les éléments de la chute du fascisme qui advient en juillet sous la poussée du mouvement des masses prolétariennes contre la guerre.
Mais il faut essentiellement distinguer entre l'enjeu réel du mouvement et l'objectif que la bourgeoisie a prétendu lui assigner : le premier se relie à une profonde réalité historique, à la décadence du capitalisme telle qu'elle s'exprime en particulier dans la situation de l'Italie, le second ne peut qu'exploiter les apparences les plus superficielles pour masquer l'enjeu bourgeois de la situation, en contradiction avec l'histoire et la volonté des masses.
L'enjeu bourgeois de la situation de juillet 1943 en Italie c'est le maintien de la domination de classe du capitalisme et la poursuite de la guerre. C'est à cela que tous les partis s'emploient, démocrates, social-démocrates ou staliniens, en présentant au prolétariat, comme l'enjeu de son propre mouvement, le renversement et la destruction du fascisme. Derrière ce mot d'ordre ne se cache pourtant que la peur bourgeoise devant la menace ouvrière qui l'oblige à changer de masque, à utiliser d'autres formes politiques avec des démagogies différentes mais animées du même esprit bourgeois, pour désorienter les masses et repousser le spectre de la révolution, et aussi les intérêts impérialistes qui, en poussant le capitalisme italien à changer de camp, l'obligent à sacrifier en même temps la forme fasciste liée à la politique d'alliance avec l'Allemagne.
L'enjeu réel du mouvement était tout autre et c'est l'idéologie marxiste et communiste qui nous permet de le dégager. L'enjeu d'un mouvement c'est la solution des problèmes sociaux qu'il pose. En juillet 1943, les masses prolétariennes d'Italie ont laissé éclater la révolte accumulée par des années de misère, d'expéditions coloniales et d'oppression politique. Elles ont exprimé clairement leur volonté d'en finir avec la guerre impérialiste. Or ce n'est pas le fascisme mais le capitalisme qui a engendré la misère et la guerre. Le fascisme ne fut que la forme de domination la plus adaptée aux nécessités de classe du capitalisme italien ; et sa faillite c'est la faillite de la bourgeoisie décadente en Italie à résoudre les problèmes économiques et sociaux.
Ainsi l'enjeu de ce mouvement, qui fait en lui-même tout le procès du capitalisme, c'est le renversement du système bourgeois et la révolution prolétarienne, tout comme en Russie 1917 où le mouvement ne devait pas s'arrêter aux revendications démocratiques contre l'absolutisme tsariste mais aboutir à la révolution socialiste.
La situation révolutionnaire était donc ouverte en Italie et, avec elle, la phase de transformation de la fraction en parti. Seul le Parti révolutionnaire aurait pu rendre le prolétariat conscient de cet enjeu de son mouvement et le guider dans sa réalisation, non seulement par la propagande mais par la participation active à tous les conflits en posant à ceux-ci des objectifs susceptibles de les canaliser en une lutte unifiée pour le renversement de l'Etat capitaliste, en un mot par une tactique étroitement liée à l'objectif final de la situation : la prise du pouvoir.
L'absence du parti a permis à la bourgeoisie internationale non pas d'intervenir mais d'intervenir avant que le prolétariat italien ait pu réaliser cette conscience et atteindre à des positions de classe supérieures, peut-être même jusqu'à des insurrections contre l'État bourgeois.
Ce fait ne peut manquer d'avoir eu et d'avoir encore des conséquences sur le terrain international où les événements d'Italie, défigurés par la bourgeoisie actuellement, auraient pu être un exemple pour la classe ouvrière de tous les pays et contribuer ainsi à accélérer le renversement du rapport des forces entre les classes ; en Italie même, en permettant à la démagogie des partis traîtres au prolétariat de rendre plus confuse la situation politique aux yeux des ouvriers, il rend aussi plus difficile l'édification du parti de classe.
Mais ce qui détermina la possibilité pour le capitalisme d'intervenir et, momentanément, d'écraser physiquement le mouvement fut que le mouvement des prolétaires italiens ne trouva pas une réponse et un soutien immédiats dans le prolétariat international. Dans l'état de délabrement de l'avant-garde, seuls cette réponse et ce soutien auraient pu lui donner la marge de temps suffisante pour regrouper ses forces révolutionnaires, qui s'exprimèrent isolément, pour former et développer le parti de classe, marcher organisés et encadrés à la prise du pouvoir et, en tous cas, seuls ils auraient pu leur donner la force de maintenir leurs conquêtes.
Devant le retard et la passivité du prolétariat international, le capitalisme intervint, après une brève période d'hésitation et de crainte, en se divisant le travail de répression : les Anglo-Américains suspendirent les opérations militaires pour laisser les allemands faire les gendarmes, mais de leur côté ils bombardèrent violemment les grands centres industriels pour en disperser le prolétariat. L'impérialisme allemand intervint dans le nord pour imposer le retour de Mussolini après la déclaration d'armistice de Badoglio, tandis que la bourgeoisie italienne, impuissante à réprimer, déployait avec sa démagogie antifasciste et "démocratique", la manœuvre classique de toute bourgeoisie qui se sent menacée et n'est pas encore assez forte pour étouffer la menace dans le sang.
Cette intervention devait aboutir à la situation actuelle d'une Italie partagée en deux zones. Le nord sous la domination de Mussolini, le sud gouverné "démocratiquement". Cette situation, issue de l'écrasement momentanée de la première vague révolutionnaire de juillet 1943, rend à son tour difficile l'évolution de la situation en isolant le cœur industriel du mouvement, c'est-à-dire le nord, du sud agricole.
C'est pourtant dans ces conditions que le prolétariat italien continue à prouver la profondeur des contrastes sociaux qui explosèrent en juillet et l'impossibilité de faire subir une défaite durable à un prolétariat dans une situation internationale qui évolue implacablement vers des explosions semblables et généralisées.
Du côté fasciste, comme du côté démocratique, la bourgeoisie est obligée de faire appel à toutes ses ressources de démagogie : Mussolini avec la proclamation de la "République sociale" et des "nationalisations", Badoglio avec la participation des "communistes"-staliniens au gouvernement. Mais ni d'un côté ni de l'autre, elle ne parvient à reconstituer l'armée, à réintégrer le prolétariat dans la guerre.
L'agitation reprend dans le nord après quelques semaines, sans que nous possédions jusqu'à présent assez d'éléments pour préciser quelles sont les positions prise par le prolétariat dans ce secteur depuis lors. Pourtant si la nouvelle situation n'exclut pas le danger de formation d'un certain mouvement nationaliste, de sabotages et même d'attentats et de maquis, qui rendraient confuse la situation politique, l'importance des mouvements sur les lieux de travail prouve que la bourgeoisie n'est pas parvenue à utiliser, pour ses intérêts impérialistes, la classe ouvrière et à canaliser dans ce sens son mécontentement.
Dans le sud, la situation est mieux connue. Successivement, la démission du roi, la chute de Badoglio, les crises du cabinet Bonomi viennent exprimer l'impossibilité à laquelle se heurte la bourgeoisie italienne pour apporter la moindre solution aux problèmes économiques et sociaux.
Le mouvement de prise des terres, à la fin de 1944, ainsi que les soi-disant mouvements séparatistes en Sicile qui surgissent en réalité du problème de la terre et de l'opposition des masses à la mobilisation pour la guerre sont la clé des avatars gouvernementaux ; après une longue agitation qui a provoqué le voyage de Churchill en Italie au printemps 1944 et sa fameuse déclaration : "Seuls seront libres les peuples qui le mériteront", et le discours du "communiste" stalinien Togliatti, ministre bourgeois, avouant "le mécontentement des masses contre le gouvernement démocratique", le prolétariat agricole et les paysans pauvres sont entrés en conflit direct avec les exploiteurs séculaires, les agrariens quasi féodaux, maîtres des grands latifundia du sud.
Devant cette situation la bourgeoisie, avec en premier lieu l'aide des chefs staliniens, ne peut et ne sait plus opposer, à toutes les revendications et les problèmes sociaux impossibles à résoudre, que l'objectif de la participation active à la guerre qui fait ressurgir plus fort toutes les colères du prolétariat.
En conclusion, la situation révolutionnaire reste ouverte en Italie. Le capitalisme international semble observer jusqu'à aujourd'hui la plus grande prudence de classe vis-à-vis de cette situation. La lenteur des opérations militaires en Italie tend vraisemblablement à maintenir le plus longtemps possible la division de la péninsule en deux secteurs, qui est un obstacle à la liaison du prolétariat agricole et industriel, au développement des mouvements révolutionnaires et à la formation du parti de classe.
Mais la perspective est celle d'un rebondissement inévitable de cette situation avec le déclenchement des mouvements prolétariens dans les autres pays, principalement en Allemagne.
Ici apparaît toute l'importance de la formation du parti de classe au travers des mouvements actuels, de son organisation et de sa centralisation, de sa liaison avec les masses, dans le nord et dans le sud, par le travail illégal.
3- La situation internationale : le débarquement et la crise de la bourgeoisie allemande
Les événements d'Italie ont une signification internationale, non seulement parce qu'ils ont ouvert le chemin que doit inévitablement emprunter le prolétariat de tous les pays pour en finir avec la guerre impérialiste, parce qu'ils marquent ainsi le début de transformation de cette guerre en guerre civile dans le monde, mais parce que leur éclosion correspond à une situation nouvelle en Europe.
Celle-ci se caractérise par une modification du rapport de forces économiques et militaires entre l'Allemagne hégémonique et l'impérialisme allié. Dès la deuxième année de la campagne de Russie, le cours ascendant de guerre- éclair et de victoires allemandes fait place, en effet, à un piétinement et à un cours de défaites pour l'Allemagne.
Pourtant les événements d'Italie éclatent sans éveiller un écho direct et rapide dans le prolétariat international et principalement allemand et ceci en fonction du décalage qui subsiste encore aujourd'hui entre la situation plus avancée d'Italie et celle du reste de l'Europe.
La généralisation des mouvements révolutionnaires contre la guerre ne s'étant pas produite, celle-ci se poursuit et se développe. Le cours des défaites de l'Allemagne s'accentue, créant les conditions pour l'avance des Alliés aux deux confins de l'Europe, des Russes en Pologne, dans les Balkans et en Europe centrale, des Anglo-Américains en France et en Belgique au travers du grand débarquement sur le continent.
Mais la nouvelle situation, d'où sont surgis les mouvements révolutionnaires italiens et qui se précise avec la pression militaire des Alliés, présente pour la bourgeoisie allemande de graves difficultés économiques et militaires auxquelles se relie inévitablement, et bien qu'elle ne se soit pas encore nettement manifestée, la menace de classe de son prolétariat. La perspective de l'éclatement des mouvements prolétariens contre la guerre en Allemagne domine alors la situation en Europe ; et, de fait, l'avance impérialiste sur l'Allemagne revêt également le caractère politique d'une marche du capitalisme international contre la révolution allemande.
Onze mois après le déclenchement des mouvements italiens, cette situation d'ensemble se manifeste à son tour dans une grave crise de la bourgeoisie allemande. Crise politique de la bourgeoisie devant la perspective de la défaite et la menace de classe du prolétariat qu'elle voudrait prévenir avant qu'elle ne se concrétise dans des mouvements révolutionnaires, voilà ce que signifie l'attentat contre Hitler en juin 1944, quelque temps après le débarquement.
Cette nature bourgeoise du complot et la profondeur de la crise sont nettement indiquées par la compromission d'une importante partie des hauts cadres militaires et des personnalités rattachées à la grande industrie, comme Hugenberg (arrêté plus tard) ancien chef du parti nationaliste, des Casques d'acier et homme politique de la bourgeoisie.
La tendance qu'elle manifeste de sacrifier l'hitlérisme exécré des masses pour retarder l'explosion de la guerre civile et, du point de vue impérialiste, pour essayer d'obtenir certaines conditions de paix, est identique à celle qui se fit jour dans la bourgeoisie italienne à la veille de juillet 1943. La différence essentielle entre les deux situations est que le prolétariat, cette fois-ci, ne manifeste pas ouvertement son opposition à la guerre.
La bourgeoisie étant incapable d'arrêter la guerre en réalisant un compromis, seul le mouvement prolétarien aurait pu briser le cours du conflit et renverser l'hitlérisme. Le fait que celui-ci ne se déclencha pas devait forcément amener à l'échec du complot ou, tout au moins, au maintien de la forme national-socialiste.
Cette absence du prolétariat s'explique par divers éléments. Éléments historiques de la tradition politique de la classe ouvrière allemande, l'histoire de sa lutte de l'après-guerre jusqu'en 1933, les conditions d'avènement du fascisme. Cette histoire est dominée par les erreurs d'un parti communiste sans homogénéité politique et bientôt corrompu par le centrisme stalinien. Les directives de lutte contre le traité de Versailles livrant idéologiquement le prolétariat allemand à la propagande revancharde des nationaux-socialistes, le blocage avec ceux-ci contre la social-démocratie le livrant physiquement à l'assaut hitlérien devaient se couronner par la trahison de 1933 où le prolétariat, devant la passivité du parti communiste (comptant encore 600.000 membres et 6 millions de voix aux élections), faute de directives, dût subir la défaite et l'avènement d'Hitler et sa "peste brune". Éléments économiques de la situation du capitalisme allemand qui lui permirent, contrairement à ce qui se passa en Italie, de mener avec succès, avant le conflit mondial, une politique d'annexions en Europe. Tout cela explique l'emprise de la démagogie nazie déployée onze années durant sur un prolétariat privé de toute organisation, de toute possibilité d'expression de classe.
Mais c'est surtout la situation politique sous l'occupation allemande qui retarde l'explosion du mouvement de classe en Allemagne et aida le capitalisme, non seulement allemand mais international, à sortir du mauvais pas que constituait pour lui la crise de juin 1944. Cette situation politique avait été créée par le rôle de l'impérialisme allemand en Europe, rôle d'oppression et d'exploitation économique que la politique des "démocrates" de toutes nuances exploita pour détourner le mécontentement de la classe ouvrière de ses origines réelles : la guerre impérialiste et son propre capitalisme, pour le faire servir, au travers des mouvements de maquis, pour la défense des intérêts de sa bourgeoisie spoliée.
Menant une propagande haineuse où les dirigeants russes excellèrent, elle représentait l'Allemagne comme la seule responsable de tous les maux engendrés par le régime capitaliste, confondait volontairement l'impérialisme et les nazis allemands avec le prolétariat, faisait partagé à celui-ci - trahi par les mêmes démocrates, chefs socialistes et staliniens en 1933 - la responsabilité des massacres commis par les SS sous les ordres des chefs militaires (dont les Alliés "apprécient hautement la valeur") et de la bourgeoisie impérialiste : elle menaçait l'ensemble de la population allemande des pires souffrances et châtiments.
Ainsi elle renforçait le nationalisme dans le prolétariat allemand et empêchait la classe ouvrière européenne de prendre le chemin de la lutte de classes, complétant la politique nazi qu'elle prétendait combattre pour la prolongation de la guerre impérialiste, se révélant une fois de plus comme l'ennemie jurée du prolétariat international.
Les conséquences de cette politique de la bourgeoisie et le retard du prolétariat européen devaient se manifester par le maintien du front intérieur allemand jusqu'à aujourd'hui. Bien que la pression militaire des Alliés approfondit la crise de la bourgeoisie allemande, qui se traduit par des luttes opposant une partie des chefs militaires à la Gestapo et aux nazis, dont l'exemple le plus frappant est celui d'un officier supérieur refusant d'obéir à "une politique criminelle menant à la guerre civile" et essayant d'entraîner les autres chefs militaires sur le front de l'ouest, du fait que les défaites répétées ne font pas jaillir encore des grands mouvements de classe, que la démoralisation de l'armée ne se transforme pas en fermentation révolutionnaire, la bourgeoisie allemande parvient, au travers de Himmler et de la répression féroce des premières manifestations de mécontentement dans les usines et dans l'armée, à reprendre momentanément la situation en main. C'est cette stabilisation momentanée - qui ne peut être que très brève - que permet un raidissement de la défense militaire sur certains secteurs.
Cette neutralisation du prolétariat allemand réagit à son tour sur le terrain international en permettant, lors de l'arrivée des Anglo-Américains, l'épanouissement des mouvements nationalistes contre-révolutionnaires opposant des fractions très larges des ouvriers des pays occupés aux soldats - dont la plus grande partie des ouvriers aussi - de l'armée allemande, revêtant très souvent le caractère de "pogrom" et de massacre aveugle. L'exemple le plus frappant est celui de Varsovie où la bourgeoisie polonaise parvient à entraîner, sous la direction d'officiers réactionnaires et semi-Internationalisme, organe théorique de la Fraction française de la Gauche Communiste, année 1945 fascistes, l'ensemble de la population dans sa croisade anti-allemande se terminant par l'anéantissement de dizaines de milliers d'hommes et de femmes dont la majorité des ouvriers allemands en uniforme et des ouvriers polonais.
Unis aux bombardements terroristes massifs des Anglo-Américains et des Russes sur les villes industrielles de l'Allemagne entraînant la mort de centaines de milliers de prolétaires - surtout des femmes et des enfants -, ils n'ont pu que contribuer à maintenir cette neutralisation et à prolonger la guerre.
4- Crise économique et réintégration des pays "libérés" à la guerre
La libération des pays occupés par l'Allemagne, en modifiant la situation économique et politique en Europe, va aussi agir puissamment pour la modification du rapport de forces de classe qui correspondait aux mouvements nationalistes.
La première phase de la période qu'elle a ouverte s'est caractérisée par l'arrêt de la production de guerre des industries nationales "libérées", du fait de leur désintégration de l'économie allemande et de leur non intégration à l'économie anglo-américaine.
Elle nous a ainsi donné une image de ce que sera la situation économique du capitalisme une fois que le mouvement révolutionnaire lui aura imposé l'arrêt de la production de la guerre.
En effet, loin de parvenir à rétablir une production normale et à hausser le niveau de vie des ouvriers, la bourgeoisie voit son industrie tomber dans le marasme et la crise économique.
Tous les partis s'emploient à masquer cette expression de la faillite du capitalisme en attribuant la responsabilité de la situation de chômage et de misère aux sabotages des collaborateurs de la 5ème colonne ou à la forme capitalistes des trusts.
C'est le contenu capitaliste de classe de toute la campagne de l'épuration et des nationalisations.
Les événements de Belgique et de Grèce, qui correspondent à cette phase en même temps qu'ils expriment une première réaction du prolétariat au chômage et au manque de ravitaillement, prouvent la réussite de cette manœuvre dans une situation intermédiaire où la classe ouvrière ne se trouve pas engagée directement dans la guerre et ne peut, comme en Italie, relier directement ses revendications à l'arrêt de celle-ci.
On voit, en effet, dans ces événements se croiser le mouvement bourgeois de la Résistance, derrière lequel agissent des contrastes et des intérêts impérialistes (les partis staliniens par leur politique ne représentent que l'impérialisme russe opposé à l'impérialisme anglo-américain), avec un mouvement revendicatif proprement prolétarien.
Toutefois, ce dernier ne dépasse pas dans son expression politique les cadres bourgeois de la Résistance puisqu'il se débat dans le dilemme d'un gouvernement plus ou moins démocratique.
L'objectif à présenter au prolétariat dans cette situation par les communistes ne pouvait pas être celui d'un changement de gouvernement, ni de maintien des Milices Patriotiques ou autres organisations similaires, pas plus qu'il ne pouvait lui être opposé celui de la prise du pouvoir.
L'action des communistes ne pouvait être que de s'efforcer de détacher les revendications économiques ouvrières des revendications politiques bourgeoises en les reliant à la perspective de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
C'est là la grande différence avec le mouvement prolétarien en Italie qui, en posant le problème insoluble de la cessation de la guerre et en commençant à le résoudre par la guerre civile, ouvrait la crise de pouvoir de la bourgeoisie dont la seule solution était le renversement de l'État bourgeois.
Mais si les mouvements belge et grec n'ont pas marqué l'ouverture d'une situation révolutionnaire, ils contiennent en eux-mêmes leur contradiction car, tout en liant le prolétariat aux nationalistes anti-allemands, ils l'ont mis pour la première fois en contact avec la répression du capitalisme allié et, d'autre part, leur échec a ouvert au point de vue international -la situation de la Grèce qui ne possède pas d'industrie lourde reste particulière- la deuxième phase de la situation.
En l'absence de mouvements révolutionnaires, celle-ci va voir comme seule solution à la crise économique la réintégration des capitalismes libérés, en particulier la France et la Belgique, dans la guerre.
La pression des bourgeoisies nationales, à la pointe desquelles se plaçait la Résistance, et l'expérience belge et grecque ont posé la nécessité pour le capitalisme anglo-américain d'apporter rapidement une aide économique permettant aux pays "libérés" de recommencer une production de guerre.
Si, pour ces bourgeoisies, cette question de reconstruction et d'effort de guerre est liée à la volonté impérialiste de reconquérir leurs positions internationales, l'attitude du capitalisme anglo-américain s'exprimant par la bouche de Roosevelt a bien marqué la signification politique bourgeoise de cette réintégration en déclarant nettement qu'il ne suffisait pas de former une armée dans ces pays, mais qu'il fallait aussi remettre en marche les industries "afin d'éviter les désordres graves", c'est-à-dire les troubles sociaux.
L'attaque allemande en Belgique et en Alsace vient fort à propos, dans cette situation, en permettant le battage démagogique destiné à mobiliser idéologiquement et physiquement les prolétaires qui répugnent à la guerre.
5- Les perspectives
La perspective générale de cette situation est, comme nous l'avons vu, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
Le mouvement du prolétariat allemand se trouve au centre de cette perspective. En effet, le rôle de l'Allemagne dans cette guerre ayant été la base objective de la mobilisation du prolétariat européen sur des positions nationalistes et contre-révolutionnaires, la rupture entre les deux classes en Allemagne est le principal facteur de l'évolution du rapport des forces en Europe.
D'autre part, la haute concentration industrielle de l'Allemagne, la gravité de la situation dans le pays et la dureté de vie de ce prolétariat -qui a plus que tout payé son tribut à la guerre- en font une lourde et terrible menace pour le capitalisme international.
La politique des bourgeoisies alliées devant cette menace a tendu et tendra à mobiliser les ouvriers de tous les pays, principalement européens, contre leurs frères allemands et à établir un cordon sanitaire pour les "protéger" du danger de contagion révolutionnaire qu'entraîneront les futurs mouvements révolutionnaires dans ce pays, autour de l'Allemagne.
Ses plans d'après-guerre prévoient une division de l'Allemagne en zones différentes d'occupation et des vastes déportations d'ouvriers allemands sous prétexte de reconstruire dans les autres pays mais en réalité pour disperser ce prolétariat et en briser la force révolutionnaire.
A la tête de la grande manœuvre bourgeoise se trouve l'URSS, soi-disant État ouvrier et souffleur en chef des partis nationaux-"communistes".
Entrée dans la guerre avec derrière elle de nombreuses années d'une économie essentiellement orientée en vue du conflit impérialiste, la Russie d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celle de la révolution d'Octobre 1917, celle du pouvoir ouvrier des soviets, de Lénine et du parti bolchevik. Toutes les conquêtes d'Octobre ont été abolies, les communistes fusillés et remplacés par des arrivistes, des bureaucrates et des nouveaux bourgeois. Au nom de cette nouvelle bourgeoisie, l'État gère l'économie et la production ; la plus grande partie est absorbée par le développement de l'industrie de guerre et par les nouveaux bourgeois. Elle a bâti sa puissance militaire et économique sur la grande défaite de la vague révolutionnaire d'après-guerre, sur la trahison et l'abandon des prolétariats révolutionnaires en échange d'avantages économiques obtenus de leurs bourreaux capitalistes, et sur l'exploitation intensive et barbare de la classe ouvrière russe.
Ce visage capitaliste de la Russie des maréchaux, des popes et des nouveaux bourgeois d'aujourd'hui est le résultat de l'évolution qui, issue de l'isolement où elle s'est trouvée par suite des défaites du prolétariat dans l'immédiat après- guerre et des erreurs de l'IC, l'a intégré au capitalisme mondial en s'accompagnant d'une altération complète de la nature et la fonction de l'État. Comme Lénine l'avait prévu, la bourgeoisie a pu vaincre et s'intégrer l'État ouvrier grâce à la politique des accords économiques.
Aujourd'hui elle joue le rôle de grande puissance parmi les autres pays capitalistes et c'est en grande partie dans l'économie et dans la guerre elle-même, qui n'apportait au prolétariat russe et international que misère et mort, que l'État russe, lui, a puisé cette puissance.
Il est devenu ainsi un chaînon du monde capitaliste et le pire ennemi des nouvelles révolutions prolétariennes qui, en balayant l'économie capitaliste de destruction et la guerre, créeront aussi des conditions pour le réveil de la classe ouvrière russe et pour l'écroulement de la nouvelle bourgeoisie et de ses serviteurs : Staline et ses maréchaux.
En occupant des pays européens, l'État russe ne lutte donc pas seulement pour ses intérêts impérialistes mais aussi pour prévenir et étouffer les mouvements révolutionnaires.
Avant 1939 déjà, au travers des partis "communistes" des différents pays, bureaucratisés et devenus des simples annexes des Ambassades russes, l'URSS parvenait à polariser autour d'elle, en exploitant le souvenir d'Octobre 1917 et le passé révolutionnaire de l'IC des premières années de l'après-guerre, une grande partie du mouvement ouvrier dont les directives n'obéirent pourtant plus à des intérêts de classe mais aux nécessités de la politique extérieure de cet État.
Antimilitaristes encore en 1933, le rapprochement de l'URSS avec les capitalismes "démocratiques", rivaux de l'Allemagne, a comme effet de convertir les partis "communistes" en défenseurs de "la patrie" contre "le boche" et en partisans de la guerre et de l'union sacrée avec la bourgeoisie. En 1939, le pacte germano-soviétique les reconvertit au défaitisme et à la lutte contre l'impérialisme anglais, "le plus fort de tous". La déclaration de guerre entre la Russie et l'Allemagne en juillet 1941 en fait de nouveau des patriotes et des résistants.
Mais c'est aujourd'hui que la menace révolutionnaire devient le premier souci de la bourgeoisie en guerre, que la Russie de Staline démasque son vrai visage d'impérialisme et de gendarme du capitalisme en Europe devant le prolétariat international longtemps dupé.
Nous l'avons vu conclure une paix impérialiste avec la Finlande. Ou bien ce traité était-il dans l'intérêt du prolétariat finlandais ? Il oblige la Finlande à céder des bases militaires et à faire des concessions économiques : c'est à son prolétariat que la bourgeoisie finlandaise, soigneusement épargnée par la Russie, fera payer les frais de cette paix.
Elle a occupé la Bulgarie et, tout en respectant scrupuleusement les intérêts sacro-saints des agrariens et des bourgeois bulgares, a obligé ce pays à entrer en guerre contre l'Allemagne, livrant ainsi son prolétariat au massacre.
Nous l'avons vu laisser périr le mouvement nationaliste de Varsovie, permettant ainsi l'anéantissement de 200.000 polonais, pour la plupart des ouvriers (après avoir encouragé ce mouvement dans la mesure où il servait ses propres intérêts impérialistes) le jour où, dirigé par Londres, il présentait le danger de reconstituer un État polonais sous l'influence d'un autre impérialisme non-russe.
En Hongrie, elle forme un gouvernement présidé par le général Miklos - décoré par Hitler en 1941, nazi hongrois converti, une sorte de Darlan hongrois - où les représentants des grands agrariens coudoient ceux du parti "communiste" et les "collaborateurs" d'hier avec Hitler et les valets de Horthy -le bourreau de la Commune hongroise de 1919- sont les bienvenus chez les maréchaux de Staline.
Pendant que cela s'accomplit et qu'au cours de son avance militaire elle assure aux bourgeoisies des pays qu'elle occupe le respect et le maintien de leur système d'exploitation économique, frère du sien propre, le maréchal allemand prisonnier Paulus parle à Radio Moscou, au nom du Comité de l'Allemagne libre, pour préparer le nouveau gouvernement bourgeois et pro-soviétique qui succédera à Hitler. Car le plus grand danger qui menace la bourgeoisie est la révolution allemande et c'est en vue de réprimer ce danger que l'État russe réclame l'anéantissement de l'Allemagne- tout en utilisant Paulus, car il faut beaucoup de cartes pour gagner -c'est-à-dire de son prolétariat, la déportation de millions d'ouvriers allemands en Russie.
Son avance militaire actuelle contre l'Allemagne, l'occupation qui va suivre, sauront dessiller les yeux du prolétariat mondial : il verra que ce que l'URSS apporte avec son armée dite "rouge" et sa GPU c'est une force de police dans les mains de la bourgeoisie internationale, la plus sauvage répression contre le prolétariat révolutionnaire, l'oppression politique et économique.
Mais les possibilités répressives de l'impérialisme russe, comme celles de toute la bourgeoisie internationale, seront en rapport avec la situation d'ensemble de l'Europe et dépendront de la plus ou moins grande rapidité du prolétariat international, principalement européen, à reprendre sa lutte de classe révolutionnaire.
Si, au moment de la libération, la bourgeoisie a pu réussir dans sa manœuvre de mobilisation du prolétariat contre l'Allemagne et pour des intérêts purement bourgeois, la réintégration de la classe ouvrière des pays "libérés" dans la guerre, en exacerbant les contrastes de classe qui commencent déjà à se faire jour dans le mécontentement du prolétariat et en donnant une base commune à la lutte de la classe ouvrière d'Europe, diminue le danger de mobilisation chauvine de celle-ci contre les mouvements révolutionnaires d'Allemagne.
Cela est vrai même pour la France que le capitalisme international a choisi comme gendarme de demain en Europe, en lui offrant pour cela une place aux Conférences internationales réglant le sort de l'Allemagne.
La guerre, qui ne laisse subsister que quelques grandes puissances capitalistes et réduit les autres au rang de vassales, mûrit en même temps un prolétariat révolutionnaire ; malgré les efforts de tous les partis et tendances, servant la bourgeoisie et continuant jusqu'au bout et à rebours de l'histoire de la politique nationaliste et réformiste, l'éclatement de puissants mouvements prolétariens dans toute l'Europe est inévitable.
Mais c'est seulement par la formation d'une avant-garde internationale, rompant avec la guerre et l'illusion de l'URSS comme État ouvrier, luttant pour le renversement du système capitaliste et pour l'établissement de la dictature du prolétariat, que la classe ouvrière internationale pourra se dégager de l'idéologie bourgeoise et entraînant à sa suite les autres couches exploitées de la société, transformer ces mouvements révolutionnaires en insurrections organisées et généralisées pour la prise du pouvoir.
Si cette avant-garde ne parvient pas à se dégager de la première vague révolutionnaire rompant avec la guerre, celle-ci sera inévitablement écrasée.
Mais les communistes savent que les contrastes de classe n'en surgiront plus tard qu'avec plus de force. La situation économique du capitalisme sera en effet plus désespérée qu'avant le déclenchement de la guerre.
Pour les pays vaincus, un appareil industriel démantelé par les destructions, la ruine de toutes les couches moyennes dont la prolétarisation s'accentue rapidement dès le début de la guerre, de la classe capitaliste même spoliée par les concurrents impérialistes, sans pouvoir d'achat, sans marchés et impuissante à faire marcher la production ; pour le prolétariat, la famine et le chômage.
Pour les pays vainqueurs, avec un appareil productif de guerre hypertrophié mais ne correspondant plus à la demande d'un marché réduit encore par les années de guerre et par la diminution du pouvoir d'achat des masses en chômage et des couches ruinées, l'alternative sera : surproduction ou inutilisation et la marge pour les manœuvres de renflouage économique extrêmement réduite. La seule solution possible serait dans la continuation de la guerre impérialiste dans d'autres secteurs. Mais cela comporte la mobilisation idéologique et physique des prolétariats sortant à peine de la guerre. Malgré l'écrasement momentané des mouvements, il est certain que cette tentative ne ferait que faire rebondir la situation révolutionnaire. D'autre part, la bourgeoisie ne pouvant plus faire une production normale de consommation et l'exacerbation des contrastes inter-impérialistes étant poussée au maximum par suite du rétrécissement des marchés, la poursuite de la guerre apparaît comme la seule voie possible pour le capitalisme en décomposition.
C'est sur cette impossibilité de reconstruction et de stabilisation capitaliste, et l'incapacité de la bourgeoisie à gérer plus longtemps la société, sur la force révolutionnaire du prolétariat et la solidité de l'idéologie communiste que les communistes fondent leur certitude de la victoire finale de la classe prolétarienne.