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En France, berceau du rationalisme, le petit bourgeois se plaît à expliquer le monde par de grandiloquents concepts métaphysiques de Droit, de Justice, d'Egalite ou de Liberté. Pour lui, l'échange international sur la base de l'entente loyale réciproque est le plus sûr garant de la marche en avant du progrès. C'est aux nations privilégiées de rivaliser pacifiquement entre elles suit le terrain économique pour faire bénéficier l'humanité entière des bienfaits de leur industrie et hisser toutes les autres à leur niveau par la sainte émulation de la libre-circulation des personnes et des biens.
Se pouvait-il alors qu'un pays qui a légué au monde moderne l'impérissable testament de la bourgeoisie triomphante, la "Déclaration de l'Homme", essaimé sa brillante civilisation sur les Cinq Continents, la France qui a montré aux autres nations l'image de leur propre avenir, puisse connaître les affres de la crise comme le dernier pays colonial ou semi-colonial ? "Que diable ! s'écrie notre buveur de camomille, la Touraine n'est pas le Sahel. Le peuple français qui a émerveillé le monde par les constructions de son génie doit être payé en retour; la voix de la France continuera à tonner dans les instances internationales pour faire respecter l'esprit des accords mondiaux ou alors gare à notre armée."
Il était si convaincu de l'universelle confiance placée par les peuples civilisés dans l'idéal français, il avait tellement nourri ses pensées de cette creuse philosophie que la réalité lui apparaît comme un maléfice jeté dans le dos de la démocratie française par quelque puissance occulte, en occurrence l'arabe qui surenchérit le prix du brut. Il ne peut plus dès lors se mettre au lit sans entrevoir aussitôt des places noires de monde, des ouvriers qui disputent la rue aux forces de police, bref le spectre de la sociale. Et de s'assurer que le verrou de son huis le protège vraiment des "partageux".
Si notre petit bourgeois, qui n'habite pas forcément les beaux quartiers, se trouve être membre "d'un parti pas comme les autres", il verra dans les malheurs de sa patrie la main des multinationales, ces forces étrangères à la nation, et, auxquelles se trouvent honteusement subordonné le gouvernement. "Que la France commerce avec les pays socialistes ! Qu'elle resserre les liens d'amitié qui lient notre peuple aux nations progressistes ! Et nous pourrons repartir de l'avant d'un nouveau pas" sera son cri du cœur, sa charte économique du bon sens et de la bonne volonté.
Mais aucun de ces deux citoyens respectueux de l'ordre capitaliste ne veut savoir que la contradiction .entre le développement de la production et le rétrécissement des marchés, forment une chaîne indestructible qui ne trouvera pas son Pinel parce que cette fois elle n'attache plus quelques malheureuses victimes de l'ordre asilaire, mais des pays dépendants tous des conditions mondiales dominantes.
De "droite" ou de "gauche", c'est le dénominateur commun de la bourgeoisie de voir, impuissante, son organisation sociale partir à la dérive, et ce en dépit de toute sa formation technique et intellectuelle acquise au cours de plusieurs siècles de pouvoir politique imposé soit par le knout, soit par des lois démocratiques "d'avant-garde". Cette faillite idéologique s'exprime avec force dans la science économique par un retour stérile à l'école keynésienne ou à opposer à celle-ci la rivale monétariste, l'une et l'autre incapables de saisir, dans toute leur ampleur, les tenants et les aboutissants d'une crise qualifiée "de civilisation". Toute intelligence de ce qu'est vraiment l'économie politique abandonnée pour un empirisme vulgaire, la vénérable Académie Royale de Suède couronnera la recherche économique de deux parfaits imbéciles au lieu de leur remettre le bonnet d'âne mille fois mérité, le suédois Myrdal et l'autrichien Von Hayek.
La première de ces deux lumières a écrit une bibliothèque pour expliquer la chose suivante : "L'un des dangers de l'inflation vient de l'irritation qu'elle provoque entre le mari et la femme, le travailleur et l'employeur, les citoyens et le gouvernement". Le second expose, avec tout le sérieux requis par sa fonction sociale, les thèses qui lui ont valu de partager le prix Nobel d'économie avec la première cité. Elles ne sont pas moins grotesques : "À chaque époque, il existe une proportion idéale entre la valeur des biens de production investie et celle des biens de consommation. Cette proportion idéale dépendrait, dans un système d'épargne volontaire, de la seule abstinence des individus" pour conclure à l'impossibilité du socialisme car pour ce plumitif, les tendances socialisantes portent la responsabilité des fascismes que les politiciens auraient dû empêcher en organisant le système libéral".
Tels sont les brevets de maîtrise intellectuelle décernés par les Harvard, Cambridge et les London School of Economies.
LA CRISE MONDIALE EN FRANCE
Chez certains "marxistes" à la vue basse, on en est encore à parler de crise de l'automobile, de crise de l'aéronautique, de crise du textile, de crise du bâtiment, de crise céréalière et, ainsi de suite jusqu'à l'infini. En outre, ce qu'ils ne peuvent comprendre, c'est l'impossibilité pour chaque fraction du capital de ' se détacher les unes des autres pour vivre une paisible robinsonnade autarcique.
Ainsi, le tassement intervenu dans la zone d'échanges commerciaux de la CEE au premier semestre de l'année 1974 était consécutif à la baisse prononcée de la production américaine et japonaise. Il faudrait que s'y produise le renversement d'un tel cours pour que la croissance française se ressaisisse. Et même si c'était le cas, le rythme de reprise s'élèverait tout au plus à 3,6% comme le prévoit le B.I.P.E.(Bureau d'information et de Prévisions Économiques). Mais en raison d'un chômage qui a crevé le plafond des 7% de la population active américaine, des 4 millions de chômeurs dans les pays de la CEE, cette perspective appartient au domaine des illusions.
Comment progresse la crise en France, pays membre de la CEE, nous le voyons au moyen de la bourse même si c'est au travers d'un prisme déformant. Depuis les huit premiers mois de l'année, l'hémorragie des valeurs continue sans qu'aucun garrot d'urgence n'ait pu arrêter le flot, et les observateurs boursiers notent un recul de l’indice général de 35%, au plus bas depuis une dizaine d'années. En raison des incertitudes générales planant sur les chances de reprise de la croissance "Industrielle, du progrès de l'inflation, des valeurs qui hier encore intéressaient d'éventuels investisseurs se raréfient. De cela ressort que le chancre inflationniste a entamé, en profondeur, des gains de productivité obtenus par une augmentation d'appropriation du surtravail. C'est pourquoi l'écroulement de la plupart des titres notamment ceux des sociétés Michelin, Moulinex, Poclain, auparavant vedettes du hit-parade boursier conduisent cambistes et actionnaires à multiplier les allusions à la crise de 1929. Lorsque l'ensemble des opérateurs en vient à parler de créer une "Croix Rouge" internationale des banques, c'est que le seuil de dislocation du marché mondial n'est pas loin.
Au Printemps "des barricades", à la grève généralisée du Mai 1968 avait succédé une vigoureuse reprise industrielle : les entreprises françaises se classaient parmi les quarante firmes européennes les plus rentables en 1972; sur les 105 entreprises mondiales réalisant un chiffre d’affaires au moins égal à deux milliards de Dollars, 9 étaient nationales, c'est-à-dire autant que le Japon et le Royaume-Uni. Durant une courte période au début de 1973, la France était parvenue à occuper le troisième rang mondial des pays exportateurs, derrière les Etats-Unis et l'Allemagne Fédérale, devant le Japon. Le taux de couverture des échanges passait de 100% en 1967 à- 104% en 1973. D'importantes restructurations opérées dans l'appareil de production, peu après la décolonisation, expliquerait en partie cette progression. (Péchiney-Ugine-Kulhman, Saint-Gobain-Pont-à-Mousson).
A présent, s'agit-il de crise de "reconversion", de "crise passagère", ainsi que quelques manitous de l'idéologie dominante s'efforcent de l'accréditer ? Aucune véritable comparaison ne peut être établie avec la récession passagère des années 1957-60, corollaire de l'inévitable décolonisation, récession qui devait provoquer la fermeture de mines, d'usines textiles, le marasme local ou même régional. Il s'agissait à cette époque d'une refonte de l’appareil reproductif décidée par les représentants de pointe du patronat et de la haute administration français. Sous le capitalisme dirigiste, où l'État se donne les- moyens d'exercer la planification, de la prévision, la restructuration ne constitue pas une raison de crise réelle. La bourgeoisie continue d'avoir bien en mains les secousses qui s'en dégagent.
Qu'il fasse de la "mono" ou de la polyculture, qu'il produise des biens de consommation ou des biens de production, le paysan et l'entrepreneur industriel sont également touchés par une crise qui tient en ceci : la fin de la période de reconstruction d'après-guerre. Face à elle, aucune couche sociale ne se trouve être immunisée, aucun secteur d'activité ne peut s'y soustraire. La crise est générale à tous les pays, et, de son caractère véritablement international dépend l'avenir de la société humaine : ou guerre ou révolution prolétarienne.
Les faciles rodomontades du genre : "La France n'a pas de problème d'emploi global et notre taux de chômage est l'un des plus faibles au monde" faites par Fourcade lors de la présentation du budget de l'État le 19 Septembre, ou encore celles de Poniatowski déclarant au journal "Newsweek" : "En 1969, nous sommes parvenus, et sur la base de prévisions, à rattraper l'Angleterre" ont la clarté du borgne en voyage au royaume des aveugles. La difficulté grandissante de la bourgeoisie à travestir les faits introduits dans la "vie économico-sociale pour la bouleverser, l'amène à parler un langage social différent. Ceux-là mêmes qui élevaient du plus profond de leur poitrine d'idéologues des alléluias pour célébrer le "miracle français", son cortège d'augmentations constantes de la production, des profits du capital, se mobilisent sur l'heure pour se faire les apôtres d'une nouvelle règle de vie à la Spartiate. Leur fonction d'endormeurs de la classe ouvrière demeure au-delà de leur spécialisation idéologique du moment. .
Une énième fois, la vision marxiste triomphe sur le cadavre de ses détracteurs et, pour les petits maîtres poussés sous la serre universitaire, la pilule est amère.
Autre tarte à la crème pour régaler les gogos : la hausse du prix du pétrole a entraîné une formidable poussée inflationniste. Or, l'incidence de cette hausse, qui somme toute ne représente qu'un épiphénomène du marché mondial est comprise entre 2 et 2,5% sur une augmentation générale des prix à la consommation de 16%. Il s'agit donc, à un moment où le taux de couverture est descendu à 90%., de rééquilibrer la balance commerciale. Certes, une économie de 10% de la consommation pétrolière épargnerait 5 milliards de Francs à l'économie française, mais désorganiserait la production industrielle et agricole à tel point que le capitalisme devrait retourner en arrière. Le fardeau de la politique énergétique malthusienne sera donc rejeté sur les épaules de la classe ouvrière.
Le gouvernement prépare l'opinion à un rationnement de la consommation énergétique par la généralisation d'un plan de répartition appliqué dans l'hiver 1973 un première fois à 73 départements métropolitains. Dans son discours devant l'association de presse anglo-américaine du 19 Septembre, M. Chirac a apporté d'utiles précisions quant aux intentions gouvernementales: "...Mobiliser l'opinion publique contre le gaspillage d'énergie de façon libérale ce qui est notre vocation, de façon autoritaire ce qui est notre devoir". La solidarité nationale, ce mot que la bourgeoisie ressort chaque fois qu'elle s'avère incapable de se maintenir solidement dans son rôle de classe dominante de la société et d'imposer les règles de l'accumulation, voudrait que la classe ouvrière s'adapte à des mesures dites "consignes de lutte contre le gaspillage" acceptant du coup de voir son standard de vie directement attaqué. Sinon, ce sera la matraque du flic qui s'abattra très démocratiquement sur elle.
Si en 1973, le solde de la balance commerciale faisait apparaître un gain de 1500 millions de Dollars (36000 et 34500), fin 1974 il y aura un déficit de l'ordre de 4050 millions de Dollars (44950 et 49000). C'est pourquoi les programmes de redressement économique portent en priorité sur l'effort à l'exportation. La bourgeoisie l'a annoncé par la voix de son actuel ministre des finances, M. Fourcade. Traduit en langage marxiste, cette invite plusieurs fois réitérée, est synonyme de "retroussez vos manches !" et du "serrez-vous la ceinture !", car, le rétablissement de l'équilibre implique l'exportation de toute augmentation de la production et non sa consommation pour satisfaire les besoins intérieurs. Comparativement avec' la stratégie de relance, espérée quelques semaines plus tôt dans une allocution présidentielle pour retourner la conjoncture le contraste est énorme. C'est le moins qu'on puisse dire.
Des idéologues de la bourgeoisie en viennent à parler un langage typiquement maoïste : "Dans la période de transition qui s'imposerait, compter sur ses propres forces serait absolument essentiel" dixit C. Goux, ci-devant professeur à l'université de Paris-I et à qui le très sérieux "Monde Diplomatique" offrait l'hospitalité de ses colonnes dans son dernier numéro de Novembre 1974.
Comment l'intervention d'un Giscard d'Estaing pourrait-elle arrêter l'incendie dès lors que les conditions de fonctionnement antagoniques de la société renforcent leur caractère. La bourgeoisie française soumise à une rude loi économique dont elle reste l'objet, prend les dispositions rendues nécessaires par l'accentuation de la crise. Mais cette fuite en avant la conduit à une impasse : voulant chasser une inflation consécutive au lancement de travaux improductifs par la porte, elle fera rentrer le chômage par la fenêtre. ' Si besoin était, les compressions drastiques des dépenses courantes de l'Etat (1,6 milliards de Francs de crédit inscrits au Fonds d'Action Conjoncturelle et, 1 autre milliard de Francs sans étiquetée précise ne seront pas débloqués cette année), l'irréversible tendance à la stagnation démontre l'incapacité de la bourgeoisie à résoudre les contradictions immanentes au capitalisme et, dans lesquelles elle se débat en pure perte.
Il suffira que moins d'équipements soient réalisés par les grandes entreprises nationalisées, telles que la SNCF, les PTT, l'EDF..., que ce qui devait être renouvelé en temps utile serve jusqu'à la corde, pour que certains "marginaux" se croient autorisés à parler de succès des thèmes écologiques, de préservation des ressources de la nature, de sauvegarde de la qualité de la vie et autres bobards, de concert avec la bourgeoisie favorable à donner un tour de vis supplémentaire.
"De toute manière, la crise n'est pas de conjoncture. Elle constitue un avertissement: les ressources de la planète sont limitées. Il faut donc, de gré ou de force, réduire nos importations, c'est-à-dire renoncer au gaspillage. Cette nécessité économique rejoint les exigences de l'environnement puisque toute la dégradation du milieu de vie est finalement du gaspillage" (souligné par nous. N.d.R.) expliquera en substance M. Gruson, sous-fifre du Ministère de la Qualité de la Vie.
L'ACCROISSEMENT DU CHOMAGE EST UNE FATALITE DU CAPITALISME DECADENT
Dans la période ouverte avec l'irruption de la crise des débouchés, la bourgeoisie est contrainte de refuser de s'encombrer d'entreprises en difficulté. Que l'État modifie sa politique de subvention financière, qu'il brandisse ses foudres de guerre économique, à savoir la restriction du crédit et la fixation d'une taxe conjoncturelle, et c'est le surgissement en nombre des faillites. Pour en savoir plus long sur cette dernière décision qui a provoqué la levée de boucliers des PME, il faut écouter quelqu'un qui ne mâche pas ses mots, M. A. Roux, vice-président du CNPF : "On peut se demander si l'on ' n'a pas fait preuve d'une pudeur excessive à tourner autour du pot alors qu'on aurait pu envisager simplement une taxe sur les augmentations de salaires abusives."
Leur président, M. Gingembre a beau rappeler la tradition libérale de l'économie française, protester auprès des pouvoirs publics comme un diable trempé dans un bénitier, descendre dans la rue entourée de ses troupes, n'empêche, à brève échéance, les PME finiront dans l'étouffement d'un crédit toujours plus rarissime et plus cher. Le temps où celles-ci pouvaient faire appel au capital financier, au crédit-bail dont la formule connaissait le succès que l'on sait, est révolu. Quand bien même les dirigeants des PME menaceraient de fermer leurs entreprises le 25 Novembre, le gouvernement n'entend nullement relâcher son étreinte. Bloch-Lainé, PDG du "Crédit Lyonnais" ne vient-il pas d'être sanctionné pour s'être cru au-dessus de la solidarité gouvernementale ?
Il reste que seules les grandes entreprises placées en situation de force sur un marché mondial pris de convulsions continueront à recevoir des crédits en augmentation de façon à consolider leur capacité concurrentielle. Tout naturellement, les dépenses de l'État-patron iront vers les entreprises nationalisées et publiques. Une partie de leur financement sera assuré par la hausse de leurs propres tarifs et, par des emprunts sur le marché .financier international. D'ores et déjà, tout ce que le pays compte de politiciens en place ou y aspirant a entrepris de flatter l'instinct à l'épargne du petit bourgeois français à qui est promis un taux d'intérêt indexé sur l'inflation.
En conséquence, on est largement en droit de s'attendre à une rapide crue de l'armée des sans travail, forte aujourd'hui de 630.000 unités :
- de Juillet 1973 à Juillet 1974, le chômage s'est accru de 15%, les offres d'emploi ont diminué de 25% pour le seul mois de Septembre, 100.000 travailleurs ont été rejetés de la production parce que sans utilité pour l'appétit d'accumulation de la bourgeoisie.
- dans les PME, dont les carnets de commandes se situent au plancher, le dépôt semestriel de bilans aura été de 8000, soit 23% de plus que durant une même période l'an passé.
Qu'est devenue l'industrie de construction automobile longtemps considérée comme l'épine dorsale et l'ambassadeur de la croissance industrielle française avec ses deux millions de salariés et des centaines d'entreprises sous-traitantes si ce n'est le malade qui donne des signes de faiblesse les plus inquiétants. Citroën ne pourra survivre que dans une association de type holding avec Peugeot. A ce jour, 1'exportation d'automobiles françaises qui avait atteint son maximum au cours du premier semestre 1974 a commencé sa chute et, sur le marché national par rapport à L'an passé, les préfectures ont enregistré une baisse d'immatriculations de 25%.
L'agriculture, le secteur des biens de consommation, la petite mécanique sont les branches touchées de plein fouet par la crise. Non parce qu'il y aurait une faillite de gestion mais parce que les partenaires de la France doivent, pour faire solder la crise aux travailleurs qu'ils tiennent sous leur coupe, cesser d'importer ces marchandises dont la France est grande exportatrice. Dans la longue liste des entreprises en difficulté on trouvera encore l'aéronautique qui n'a pas ' su se tirer de sa mauvaise- passe malgré les faramineuses commandes passées par l'industrie d'armement. Là, le directoire de la SNIAS a eu recours à un véritable tour de prestidigitation : le transfert des activités traditionnelles dévolues aux usines de Tarbes et de Bourges à celles de Toulouse afin d'y maintenir le niveau de l'emploi.
Avec une rapidité ignorée depuis bien des lustres, le chômage partiel ou total, est en train d'étendre ses ravages sur l'économie française, inéluctabilité engendrée par le capitalisme à sa période de décadence. Ce qui est fondamental, c'est qu'en fonction du caractère non cyclique mais permanent de la crise, ces centaines de milliers de chômeurs ne forment pas une armée de réserve dont les éléments pourraient retrouver leur place à l'usine à la -suite d'un nouvel essor du capitalisme. L'incertitude et, l'instabilité auxquelles l'exploitation capitaliste soumet le travail vivant n'a pas cessé de se renforcer. Ce qui est véritablement à l'ordre du jour est bien : "le combat ou la mort; la lutte sanguinaire ou le néant. C'est ainsi que la question est véritablement posée;" (Marx) car le capitalisme a cessé d'être un mode de production progressif.
A-t-il raison, le patronat d'espérer venir à bout de la classe ouvrière en agitant sous ses yeux l'épouvantail de "la crise ? Si lors de la dépression mondiale des années - 30, il était possible à la bourgeoisie de diviser le prolétariat en profitant au maximum de sa faim, de désamorcer la bombe sociale en jouant sur le réflexe d'autoconservation individuelle, cette perspective est sans objet. Aujourd'hui, la période est à la reprise mondiale de la classe, le prolétariat européen a conservé intact son potentiel de lutte qui, à tout moment peut embraser l'ordre capitaliste.
Contre l'attente de l'État, loin d'avoir levé un vent de panique chez les travailleurs, les menaces de licenciement, les réductions d'horaires sans compensation de salaire ont, au rebours, déclenché le regroupement combatif de leurs forces. Les risques de réaction brutale de la classe ouvrière demeurent trop réels pour que l'État se heurte de front à ses conditions d'existence. Jusqu'ici, la tactique de la bourgeoisie a été de procéder par petits paquets, et promettre des allocations de secours aux ouvriers chassés des usines.
Une chose est certaine : le refus de l'État à entretenir une force de travail désormais superflue puisqu'il n'y trouve plus le profit es- compté. Ce qui était possible de faire avec deux cents ou trois cents mille chômeurs ne l'est plus une fois franchi le cap des deux millions. Alors que, le triomphe facile, les syndicats claironnaient "victoire" (!) sur l'accord du 14 Octobre, le gouvernement n'a pas tardé à préciser qu'il laisserait presque entièrement à la charge des employeurs et des salariés le financement de la garantie des ressources aux chômeurs. L'allocation ne serait pas relevée de 10 à 16 Francs pour qu'elle soit au même niveau que l'allocation minimale de 1'UNEDIC.
Avant même d'avoir, pu chloroformer les travailleurs, le sens réel des accords patronat- syndicats relatifs à l'assistance apportée aux chômeurs s'est dissipé en fumée, ne pouvant plus cacher l'abandon de centaines de milliers de travailleurs, de femmes sans emploi, de jeunes à la recherche pour la première fois d'un travail. Qu'ils se fassent une raison eux pour qui les causes de leur souffrance sont d'ordre "démographique", "sociologique", comme l'a souligné Monsieur Durafour, Ministre du Travail, devant la sénile Assemblée Nationale.
Le capitalisme qui, sans lésiner, accorde droit d'asile, droit à la contraception, droit de vote à dix-huit ans a fait de toutes ces catégories de prolétaires de véritables parias. Ils ne recevront d'aide matérielle de personne si ce n'est de leurs familles, ceci parce que pour le prolétariat, seule classe non exploiteuse de la société, la fraternité n'est pas un mot creux et sournois mais sa véritable forme d'existence sociale.
LA POLITIQUE CAPITALISTE DU "PROGRAMME COMMUN"
On - aurait tort de croire qu'en décidant les grèves pour la défense de l'emploi -ou en les prenant en marche- les syndicats cégétistes et cédétistes luttent pour le maintien du niveau de vie de la classe laborieuse. Sous le leitmotiv d'empêcher "le démantèlement des établissements nationalisés", de fait ils veillent en cerbères à la défense de la Nation, de son économie, de son capital. Le sentiment que la défense des intérêts des travailleurs passe par celle de l'économie nationale est un poison que les staliniens distillent dans la classe ouvrière pour la river plus solidement à la galère capitaliste battue en brèche.
Toute la gauche mène campagne contre la "braderie" de l'économie nationale, contre la dépendance française à l'égard de la puissance américaine qui, après la disparition de De Gaulle, a pu augmenter ses apports de capitaux, ses prises de participation dans l'industrie hexagonale : 4 milliards de Francs de 1969 à 1971. N'est-il pas dans l'ordre des choses que l'autre grande famille de patriotes français, le gaullisme, lui emboite le pas ? Que Marchais se découvre devant la mémoire du général dont le nom reste attaché "à la fierté nationale recouvrée" ?
Qui analyse la politique du parti soi-disant communiste y verra une volonté forcenée de maintenir la classe des esclaves salariés sous la domination du capital, quel qu'en soit le prix payé par le prolétariat : "Après beaucoup de misères, souffrances et cadavres abandonnés sur le champ de bataille de 1'industrie"(Marx). Pour ces modernes marchands de chair humaine, il faut prouver, chiffres en main, la rentabilité des entreprises depuis les usines Coder jusque et y compris aux plus infâmes boyaux de mines lorrains. Des mains sclérosées d'une autre fraction de la bourgeoisie, ils ont recueilli le credo de la religion du capital : stimuler l'appétit d'accumulation en flétrissant toute consommation individuelle ne venant pas renforcer l'appareil de guerre économique. Et devant les travailleurs, ils exalteront l'idéal de la canaille : selon lequel plus le maître est gras, mieux se porte l'esclave. Si l'ouvrier ne trouve plus dans la classe ennemie l'acheteur de sa force de travail, son existence toute entière subordonnée au rapport salarial se trouve compromise. Le capitalisme, comme puissance sociale déterminée et non comme force personnelle, disparaît de la scène s'il ne fonctionne plus en tant que processus d'accumulation.
Quand, relayé par son réseau complexe d'organisations syndicales, culturelles, municipales, sportives, le PCF explique que "le petit et moyen capital non monopolistique est à son tour pillé par le grand capital", quand devant son XXI° Congrès Extraordinaire de Vitry il conclut à une solidarité entre travailleurs et petits patrons qui battent de l'aile, quand l'"Humanité",, son organe central, ironise dans ses colonnes que "si la gauche était arrivée au pouvoir, les PME seraient aujourd'hui en bien meilleure posture car le Programme Commun n'est pas un programme de collectivisme", c'est cette communauté d'intérêts qui est proclama entre le maître et l'esclave. Hier, les Pères de 1'Eglise glorifiaient le servage médiéval, aujourd'hui les sycophantes staliniens de l'économie politique se prosternent devant le Veau d'Or.
Qu'attend donc le gouvernement pour exploiter "des centaines de millions de tonnes de charbon (qui) dorment sous, le sol de la France, condamnés"? De faire fabriquer pour son compte : "l'industrie française est obligée d'acheter pour un milliard à l'étranger les machines dont elle a besoin et, qui pourraient être fabriquées ici". ' ("L'Humanité. 9/11/74). L'autre aile marchante de la contre-révolution, la CFDT, ne tient pas un langage différent; elle-même s'est livrée à une étude sur les prix à la production. Cela donne; par exemple : "la compétitivité du charbon national est donc indiscutable. Si l'on valorisait le prix du charbon national, compte tenu du coût de la thermie fuel, les charbonnages de France pourraient être une entreprise bénéficiaire" ("Le Monde" 14/11/74).
En dénonçant le mauvais coup de mise en chômage technique à Rhône-Poulenc ou à Citroën, le stalinisme tire très habilement profit de la situation de crise pour renouveler sa candidature au pouvoir, afin de gérer les intérêts capitalistes. Il a donc besoin du soutien indéfectible de la classe ouvrière, cette "grande force tranquille" qui- "luttant pour ses salaires a la conviction qu'elle défend l'intérêt national et l'avenir de notre pays, que la politique gouvernementale compromet gravement" ("L'Humanité" 9/11/74).
Réellement, il s'agira pour l'ennemi recouvert d'un masque "ouvrier" de prêcher la pratique du baise-main au patron, d'encenser la soumission aux intérêts suprêmes de la nation. Avec l'aide consciente des gauchistes qui après leur petit score au premier tour des législatives partielles d'Octobre se sont désistés par "discipline prolétarienne" au profit du candidat unique de la gauche, on tentera d'annihiler la combativité de la classe sur le terrain des mystifications électorales, syndicales et autogestionnaires. Dans un autre moment, si les travailleurs ne se sont pas laissés épuiser par des balades, on essaiera d'écraser sous une pierre tombale la saine réaction de classe, devenue pour les chiens de garde un crime pour la France républicaine.
Le prolétariat n'est pas un peu contre le régime de la libre concurrence et beaucoup contre les monopoles. Pas plus qu'il n'est contre les différentes formes revêtues par son exploitation, il n'est contre tel ou tel gouvernement qui y correspond et l'assume. Son opposition à la société qui fait de son travail, un article de commerce est irrépressible. Pour cette même raison, et parce qu'il "refuse de se laisser traiter en canaille" (Marx), le prolétariat est le seul sujet révolutionnaire conscient de la nécessaire transformation du monde, l'agent qui assurera "le passage du règne de la nécessité au règne de la liberté". Liberté qui ne commencera que là où le travail salarié aura cessé de s'imposer aux hommes.
R. C.