Après la "paix" au Kosovo, une accélération des tensions guerrières dans le monde

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Après la fin des bombardements de l'OTAN dans l'ex-Yougoslavie et après l'installation des forces de la KFOR au Kosovo, les tensions impérialistes, loin de s'atténuer, n'ont cessé de se multiplier et de s'intensifier aux quatre coins de la planète.

La course aux armements en Asie, facteur dynamique de l'accumulation des tensions impérialistes

Cette recrudescence des conflits dans le monde est la répercussion directe de l'onde de choc, provoquée par l'intervention des grandes puissances dans l'ex-Yougoslavie. Elle s'est d'abord traduite par une formidable accélération de la course aux armements, notamment en Asie. Les affrontements entre l'Inde et le Pakistan ont spectaculairement repris, avec des avions abattus de part et d'autre, alors que depuis 1998, ces deux pays se livraient déjà à une course effrénée aux armements nucléaires. Leurs relations avaient déjà pris une tournure alarmante en juin dernier avec l'invasion de troupes pakistanaises en territoire indien pour "aider" les séparatistes du Cachemire. Celle-ci n'avait cessé qu'avec l'injonction des Etats-Unis au Pakistan pour qu'il retire ses troupes. Plus que jamais, aujourd'hui, dans ce conflit, l'une et l'autre de ces puissances continuent à faire planer la menace de l'usage de leurs armes nucléaires mutuelles.

Simultanément, les rivalités à coups de missiles entre les deux Corées, l'une soutenue par la Chine, l'autre par le Japon, sont tout aussi inquiétantes. Cela illustre pleinement les déclarations d'un spécialiste américain de la politique asiatique au Los Angeles Times : "La victoire des forces de la coalition derrière les Etats-Unis au Kosovo renforcera la diffusion des missiles et des armes de destruction massive en Asie. Pour la simple raison que les pays de la région ne veulent pas devenir un Kosovo, c’est-à-dire la cible d'une éventuelle attaque de l'Occident, sans avoir les moyens de riposter. Il est impératif maintenant que les nations aient la meilleure technologie militaire (pour se défendre/' (cité aussi par Le Monde du 28 juillet). C'est d'ailleurs cet argument développé jusque dans la presse occidentale : "nous ne voulons pas que notre pays devienne une autre Yougoslavie" (Ibid.) qui sert à la Corée du Nord et surtout à son alliée, la Chine, pour justifier la fabrication de nouveaux missiles terrestres à longue portée et de la bombe à neutrons mise au point par Pékin. C'est aussi ce surarmement nucléaire qui pousse la Corée du Sud et surtout le Japon à s'associer aux Etats-Unis, pour renforcer leur programme commun antimissiles tandis que le gouvernement de Taïwan qui craint de se faire "avaler" par la Chine est incité à adopter une attitude de plus en plus belliqueuse envers cette dernière. Le continent asiatique qui abrite désormais plus de la moitié de l'humanité est ainsi devenu une gigantesque poudrière. Tous les ingrédients sont réunis pour une explosion difficilement contrôlable de cette partie du monde dans les mois à venir.

Vers un éclatement des restes de la fédération yougoslave

En même temps, dans les Balkans, la situation n'est nullement réglée. Au contraire. La présence des grandes puissances sur le terrain ne fait qu'attiser le déchaînement des haines entre communautés ethniques, chacune soutenue plus ou moins ouvertement par l'un ou l'autre de ces vautours impérialistes (voir article de première page). Et surtout, la situation menace de dégénérer au coeur même de ce qui reste de la fédération yougoslave. Deux enjeux de taille émergent aujourd'hui. Comment va s'orienter le Monténégro qui manifeste de plus en plus de velléités d'autonomie par rapport au pouvoir de Belgrade ? S'il se séparait de la Serbie, celle-ci perdrait tout accès à la mer et une course de vitesse est déjà engagée avec pour enjeu : vers quelle grande puissance le Monténégro se tournerait pour "assurer sa protection" ? Si ce contrôle était assuré par l'Allemagne, celle-ci s'ouvrirait une voie royale pour réaliser son rêve d'accès aux mers chaudes, via la Slovénie, la Croatie et le Monténégro. Quant à l'avenir de la Serbie elle-même, noyau de la RFY, il est tout aussi incertain. Si celui de Milosevic, discrédité et contesté de toutes parts est des plus précaire, qui peut lui succéder ? Les manifestations récentes ont mis en lumière l'ampleur des divisions entre les opposants. Derrière la vieille rivalité entre les prétendants les plus ambitieux, Vuk Draskovic (soutenu par la France) et Zoran Djadjik, se pose la question : sous quelle influence impérialiste va tomber la Serbie ? A ces deux niveaux, se joue une partie d'une importance cruciale qui va déterminer une évolution profonde du rapport de forces entre les grandes puissances dans les Balkans tout en risquant d'impliquer et d'entraîner dans une spirale meurtrière un plus grand nombre de puissances régionales, des Etats riverains du Danube comme la Hongrie et la Bulgarie jusqu'à la Turquie ou la Grèce. C'est un nouveau risque majeur de dégénérer vers davantage de chaos et de tensions guerrières qui est contenu dans une telle situation.

Une extension générale du chaos et de la barbarie guerrière

De plus, l'enfoncement toujours plus vertigineux de la Russie dans les miasmes de la décomposition et les "scandales" quasi-quotidiens au sein d'un pouvoir mafieux discrédité provoquent une fuite en avant de l'État russe dans de nouvelles aventures guerrières au Daghestan, qui s'annoncent, quatre ans après, pires que le bourbier précédent en Tchétchénie. Ce qui constitue plus que jamais une menace d'extension du chaos comme une traînée de poudre à travers tout le Caucase et même au- delà, avec les rébellions de fractions islamistes qui viennent ébranler les fragiles républiques d'Asie centrale, risquant de remettre à feu et à sang l'ex-URSS, y compris avec les dangers liés à l'arsenal nucléaire disséminé dans tous ces territoires.

Non seulement les grandes puissances entretiennent les foyers d'incendie qu'elles ont elles-mêmes allumés au gré de leurs propres intérêts, comme l'atteste le pilonnage méthodique, intensif et sans relâche depuis des mois par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sur l'Irak, mais elles n'hésitent pas à ranimer d'autres brasiers qui semblaient en voie d'extinction. C'est le cas en Afghanistan, où se développe une nouvelle offensive menée par les rebelles pachtouns du commandant Massoud, appuyée par la France contre le gouvernement des talibans, toujours soutenu par les Etats-Unis.

Même quand une grande puissance parvient à imposer une stabilisation relative de la situation dans une région du monde pour préserver son pré carré, ces tentatives se heurtent à un écheveau d'intérêts particuliers contradictoires, en général utilisées par leurs principaux concurrents impérialistes. Ainsi, alors qu'au Moyen-Orient, les États-Unis ont réussi à remplacer à la tête de l'État d'Israël Netanyahou par le plus docile Barak dans la perspective de faire enfin appliquer les accords de Wye Plantation et le retrait israélien du Sud-Liban, ce dernier, tout autant que son prédécesseur, se voit contraint de composer, au sein de la coalition qu'il a formée, avec des fractions violemment hostiles à cet accord. Et, pendant ce temps, les affrontements meurtriers continuent dans les territoires occupés. De même, alors que la France a signifié sa volonté de resserrer son contrôle sur le nouveau régime du président algérien Bouteflika qui a multiplié les déclarations "d'ouverture" à la "réconciliation nationale", les attentats sanglants s'intensifient de plus belle à travers tout le pays. Malgré le dernier sommet africain de l'OUA à Lomé et la tournée africaine de Chirac en juillet dans quatre pays pour soutenir des pouvoirs vacillants, ce continent s'enfonce d'un bout à l'autre dans un état de barbarie et de chaos endémiques. Il en va ainsi de l'Afrique occidentale (rébellion au Sierra Leone entretenue par le Sénégal) à la région des Grands Lacs avec la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) qui est à nouveau le théâtre de tueries entre fractions directement manipulées par les puissances rivales voisines (Ouganda et Rwanda), contaminant au passage d'autres États comme le Centrafrique. Ce sont aussi les massacres de l'interminable guerre entre Éthiopie et Érythrée, la guérilla permanente entretenue au Soudan ou l'enlisement dans la guerre civile en Angola.

Toute stabilisation, y compris sur le sol européen, comme en témoigne le fait qu'un an après, le mythe de la paix en Irlande du Nord vole en éclats dans des affrontements meurtriers, ne peut être que très précaire, tandis qu'en contrepartie, les affrontements impérialistes repartent de plus belle, dans un autre coin. Cela ne signifie pas que les grandes puissances impérialistes aient perdu tous leurs moyens de contrôle sur les autres mais qu'elles sont devenues incapables de faire face aux dérapages sur tous les fronts, de parer à tous les dangers et qu'elles sont contraintes de choisir leurs objectifs principaux. Par contre, le fait que des parties de plus en plus larges du globe sont en proie à la folie et à la barbarie guerrières est de plus en plus révélateur de l'impasse historique du capitalisme.

CB (24 août)

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Rubrique: 

Tensions impérialistes