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Le cours catastrophique et destructeur de la crise économique devient difficile à masquer, compte tenu des attaques massives que subissent les prolétaires et de l’environnement international chaotique.
Aujourd’hui, certains prétendent avoir trouvé le moyen de «combattre la crise». Leur grand cheval de bataille à la mode est la «taxe Tobin». Que racontent ses partisans qui vont d’un vice-président de la Banque Mondiale, J. Stiglitz, jusqu’à des associations spécifiques comme Attac[1] ?
La spéculation : une conséquence et non une cause de la crise capitaliste
Ils prétendent d’abord fournir une explication «scientifique» à la crise du capitalisme. D’après eux, les difficultés au niveau réel de la production (surproduction, chômage, faillites, etc.) ne sont les produits que «d’excès spéculatifs», du libéralisme économique et de la «liberté de circulation des capitaux». Si «la mondialisation» et les «progrès de l’informatique et de la communication» jouent un rôle dans la crise, en dernière instance, les vrais responsables de cette dernière sont la spéculation financière et les «spéculateurs» avides de profits auxquels les règles (ou plutôt l’absence de règles) de l’économie mondialisée et l’ultralibéralisme laissent le champ libre.
La fièvre de la spéculation est présentée par eux comme la cause essentielle des déstabilisations financières et économiques. Elle devient alors la source de tous les maux et des inégalités.
Il y a déjà près de 150 ans que Marx, dès le début de son étude scientifique du capitalisme, a balayé ce genre d’arguments sur la spéculation financière : «A l'observation superficielle, ce n ‘est pas la surproduction, mais la sur-spéculation -pourtant simple symptôme de la surproduction- qui paraît être la cause de la crise[2].» Autrement dit, la cause réelle de la crise, c’est la surproduction et non la spéculation, même si celle-ci se présente comme cause immédiate de la crise, alors que, dans la réalité, elle n’en est qu’un simple symptôme et un de ses résultats. Si cette spéculation a aujourd’hui envahi la sphère économique avec une ampleur inégalée, elle n’en reste pas moins un phénomène classique qui a toujours accompagné les crises du capitalisme. Elle se présente toujours d’une façon trompeuse depuis l’époque de Marx.
C’est face à la surproduction chronique, inhérente au déclin historique du système et à l’aggravation de la crise à la fin des années 90, que la bourgeoisie a favorisé le développement sans précédent de la spéculation tant décriée. Face à des marchés sursaturés, un nombre croissant de capitaux incapables de fructifier dans le produit des ventes de marchandises sont tentés de fuir la sphère de la production de moins en moins rentable pour trouver refuge dans la spéculation, afin de pouvoir en retirer des profits immédiats. Cette dernière n’est ainsi, démontrant la justesse et l’actualité des analyses rigoureuses de Marx, qu’une des conséquences directes de la crise et non sa cause.
Voilà qui dégonfle la baudruche du triomphalisme et de la suffisance affichés par cette pseudo- «explication scientifique» qui se borne à rester au niveau de «l’observation superficielle» de l’apparence des choses et réduit à néant la portée de cette «formidable découverte» sur la spéculation tenue comme responsable de toutes les avanies et de toutes les plaies du capitalisme «moderne». Cela en dit long sur les compétences scientifiques et le sérieux de nos économistes éclairés et patentés !
La «taxe Tobin» : une mystification anti-ouvrière
Mais, forts de leur «géniale hypothèse», nos «savants» pourfendeurs de la «bulle spéculative» ne s’en tiennent pas là, ils prétendent aussi apporter LA solution toute trouvée à la crise du capitalisme. Pour cela, il suffit -comment n’y avoir pas pensé plus tôt !- de s’attaquer à la spéculation. C’est pourquoi ils se proposent de la réduire et même- audace suprême- de la supprimer. Comment ? Pour cela, ils préconisent l’instauration d’une «taxe sur les transactions financières» dont le modèle a déjà été proposé dans les années 70 par l’économiste américain James Tobin. Cette proposition a été remise au goût du jour suite aux séismes financiers qui se sont manifestés dans les pays d’Asie en 1997 et dans les pays de l’Est et d’Amérique latine l’année suivante.
La seule condition posée est qu’elle soit décidée par les gouvernements et qu’elle s’applique à «l’échelle mondiale», notamment grâce à une «fiscalité au service de l'économie» et à des mesures spectaculaires comme «l’élimination des paradis fiscaux». Bref, il s’agirait simplement d’instaurer une «économie solidaire», c’est-à- dire de pousser les États à instituer des «normes» et des «principes» qui seraient le reflet et la manifestation d’une «volonté politique» générale de ces Etats et des «citoyens» de se mobiliser contre ces « excès » spéculatifs[3]. Écoutons-les vanter leur recette : «Même fixée à un taux particulièrement bas de 0,1%, la taxe Tobin rapporterait près de 100 milliards de dollars par an. Collectée, pour l’essentiel, dans les pays industrialisés, où sont localisées les grandes places financières, cette somme pourrait être utilisée pour des actions de lutte contre toutes les inégalités entre sexes, pour la promotion de l’éducation et de la santé publique dans les pays pauvres, pour la sécurité alimentaire et le développement durable[4]».
Non seulement la spéculation n’est nullement la racine de la crise du capitalisme, comme nous venons de le voir, mais l’affirmation qu’il existe des moyens de lutter contre elle dans le cadre du système est une pure illusion mystificatrice. Cette pseudo- «solution» ne peut être vraie, pour la bonne raison qu’elle présente l’État à la fois comme instrument et comme garant de la lutte contre la spéculation. Or, ce recours à faire corps avec l’État n’est pas crédible, dans la mesure où «ce sont les États eux-mêmes et les institutions financières les plus respectables qui impulsent une spéculation effrénée, non seulement pour éviter l’explosion de cette gigantesque bulle de capital fictif mais aussi pour alléger les charges de (leurs) dettes toujours croissantes[5]». Poussés par la concurrence de la guerre commerciale qu’ils se livrent entre eux dans le cadre d’un marché sursaturé et par les contradictions aiguës de la crise mondiale qui les assaillent et les menacent en permanence de les livrer à la banqueroute, ce sont les États eux-mêmes qui sont devenus, dans la spirale infernale de la crise, les plus gros tricheurs avec la loi de la valeur et les spéculateurs sans scrupules les plus puissants.
La solution miracle et paradisiaque que nous livrent «clés en mains» ces pseudo-détracteurs du fonctionnement actuel du capitalisme n’est donc qu’une fausse réponse à la crise du capitalisme. Ce système décadent ne pourra jamais surmonter les contradictions qui l’assaillent.
Quand ils défendent l’idée que leur taxe représente «une alternative au capitalisme pur et dur», cette proposition sert uniquement à accréditer le mensonge selon lequel il serait possible de réformer le capitalisme, de l’aménager pour le rendre plus «vivable». Ils colportent la mystification d’une autre gestion possible du capitalisme, ils distillent des illusions sur un «capitalisme plus humain ». Leurs recettes idéologiques ne sont d’ailleurs qu’une variante «new-look» du vieux poison réformiste usé jusqu’à la corde par le PC et les gauchistes, mais au lieu de pousser les ouvriers de s’en remettre à l’État pour «faire payer les riches», ils y substituent simplement le mot d’ordre «faire payer les spéculateurs». Lorsqu’ils dénoncent la spéculation, ce n’est que pour mieux défendre et protéger le système qui l’engendre. La défense de la «taxe Tobin » n’a pas d’autre fonction que celle de détourner les consciences de la nécessité du combat de classe.
Car, de fait, à quoi servent ces gens-là et qui explique toute la publicité qui est désormais assurée périodiquement à leurs «idées» ? A une seule chose : semer des illusions dans les rangs de ceux qui sont poussés à remettre en cause le capitalisme, en leur faisant croire qu’on peut mettre fin au chômage et à la misère en faisant l’économie de la destruction du système capitaliste de fond en comble, sans passer par la nécessité d’une révolution prolétarienne mondiale.
A l’inverse, la seule perspective du combat contre la crise reste celle de la classe ouvrière.
W
[1] Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens. Née en 1998, cette association regroupe des économistes, des syndicalistes, des lecteurs de publications diverses (comme les Amis du Monde Diplomatique), etc.
[2] Ecrits critiques de mai à octobre 1850, publiés par M. Rubel.
[3] Le Monde Diplomatique, juillet 1999.
[4] F Chesnais, Tobin or not Tobin, l’Esprit Frappeur, p 59.
[5] «Trente ans de crise ouverte du capitalisme» dans notre Revue Internationale n°98, 3e trimestre 1999.