Les révisions du PCI

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"Il n'est jamais trop tard pour bien faire" et "tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir", nous dit le "bon sens populaire". En général, les communistes dénoncent ce "bon sens" dans lequel ils voient essentiellement un condensé de tous les préjugés sur lesquels s'appuie l'idéologie de la classe dominante, mais, pour une fois, ces deux proverbes semblent pouvoir s 'appliquer au "Parti Communiste International" dont les analyses publiées dans le n° 77 de "Programme Communiste" et le "Prolétaire" nu 271 traduisent un net redressement par rapport aux aberrations qu'ils a pu produire ces dernières années sur trois points essentiels pour la lutte prolétarienne :

  • l’évaluation de la situation internationale et particulièrement la question des préparatifs vers une 3ème guerre mondiale;
  • la compréhension de la nature des luttes dites de "libération nationale";
  • les tâches actuelles du prolétariat mondial et plus particulièrement dans les pays "sous-développés".

Nous estimons très important ce redressement opéré par le PCI, nous espérons qu'il ne restera pas sans lendemain et permettra en particulier à cette organisation de reconsidérer un certain nombre de positions erronées qui, pour l'heure, lui interdisent une contribution réellement positive au processus de prise de conscience de la classe ouvrière.

Mais nous entendons déjà le militant bordiguiste crier à la "falsification" et déclarer : "Nous, changer de position ? Jamais ! Ne savez-vous pas que nos positions sont invariantes ?"

Bien, puisqu'il le faut, nous allons imposer au lecteur un certain nombre de citations de la presse du PCI pour faire apparaître que ces changements de positions sont bien réels et non le fruit de notre simple imagination torturée.

Une invariance à géométrie variable

Nous avons signalé trois points sur lesquels les positions du PCI ont évolué de façon positive. Le premier concerne l'évaluation de la situation internationale. Voici ce que le PCI écrivait en 1974 concernant les rapports entre les USA et l'URSS : "Nous proclamons depuis longtemps un certain nombre de vérités qui ne sont pas des découvertes de nos cervelles mais découlent d'une application élémentaire du marxisme à l'analyse et à l'appréciation des événements contemporains. Le prétendu "condominium américano-soviétique" sur le monde n'est en réalité qu'une domination du gendarme américain avec participation aux bénéfices du laquais russe. Tout pas en avant dans la détente, dans les "relations commerciales avantageuses", dans la coexistence pacifique... Tout cela signifie le feu vert pour le gendarme impérialiste international siégeant à Washington (mais, bien entendu... la succursale de Moscou, elle aussi en profite : celui qui tient le parapluie de son supérieur hiérarchique a quelque chance d'être à l'abri de la pluie...")...

En 1975, sous le titre "En Indochine, l'axe USA-URSS", on entendait le même son de cloche : "C'est là, dans le stalinisme, qu'est la racine de la capitulation devant l'impérialisme mondial et son pilier: les USA. C'est là aussi qu'est la clé pour comprendre par quel "mystère" la Russie et la Chine peuvent s'accuser réciproquement de révisionnisme et n'aspirer à rien d'autre qu'à de bons rapports et à une "collaboration avantageuse" avec l'empire de la bannière étoilée"...

"C'est en s'appuyant sur les centrales du "socialisme dans un seul pays" que Washington peut se sentir à l'abri aussi bien les jours de tempête que les jours de calme plat". ("Le Prolétaire", n°197 du 31 mai 1975).

Ainsi, à cette époque, le PCI développait la thèse d'un "impérialisme mondial" dirigé par les USA dont l'URSS n'était qu'un simple valet. Il s'agit là d'une position proche de celles des trotskystes pour qui il n'y a pas (comme les révolutionnaires et particulièrement Lénine l'ont toujours affirmé) des blocs impérialistes antagoniques mais une sorte de "super-impérialisme" tentant d'imposer ses conditions léonines à tous les autres pays du monde et contre lequel les "peuples" sont appelés à "s'émanciper". Certes, même à cette époque, il existait une différence fondamentale entre les positions bordiguistes et les positions trotskystes : les premières reconnaissent la nature capitaliste et impérialiste de l'URSS alors que les secondes considèrent ce pays comme un "État ouvrier" qu'il faut défendre. Cependant, cette conception d'un impérialisme mondial, non seulement tournait résolument le dos à la réalité (malgré la prétention de ses auteurs de procéder à "une application élémentaire du marxisme à l'analyse et l'appréciation des événements contemporains") mais, de plus, elle était extrêmement dangereuse et pernicieuse (c'est pour cela que Lénine la combattait très férocement chez Kautsky) : en niant l'existence d'antagonismes irréductibles entre blocs impérialistes, elle tend à accréditer l'idée que la guerre impérialiste mondiale n'est pas la conséquence inéluctable de la crise du capitalisme en l'absence de révolution prolétarienne. C'est, sur le plan théorique, la porte ouverte au pacifisme et à l'abandon des positions fondamentales autour desquelles les révolutionnaires se sont retrouvés pendant la 1ère guerre mondiale et sur lesquelles s'est fondée l'internationale Communiste. Rien de moins.

Progressivement, cette conception absurde a disparu des colonnes de la presse bordiguiste et on a pu voir apparaître des références à l'aggravation des tensions entre les "deux grands blocs" : il est vrai qu'il fallait être aveugle pour ne pas s'en apercevoir. Cependant, même ces derniers mois, la sous-estimation du rôle de l'impérialisme russe dans le monde était de mise : ainsi, lors de l'intervention française au Zaïre, la prise de position du PCI "Impérialisme français hors d'Afrique et du Liban" ("Le Prolétaire", n° 267), ne disait pas un mot de l'existence -combien présente en Afrique !- de l'impérialisme russe. Et si les articles suivants du "Prolétaire" étaient un peu moins discrets sur cette existence (ils insistaient presque exclusivement sur un seul point : les intérêts spécifiques de la France en Afrique), ce n'est que dans "Programme Communiste" n°77 que l'impérialisme russe trouvait sa vraie place dans la tragédie africaine et que la véritable signification des événements était dégagée : "Avec la chute de l'empire colonial portugais, le vrai repartage du continent est désormais ouvert. Mais il démarre en grand précisément au moment où la crise économique mondiale... ramène avec elle le spectre d'une nouvelle guerre mondiale. De plus, la lutte titanesque pour la domination du monde que se livrent les deux super-monstres étatiques du capital, qui masquent leurs faces hideuses de marchands d'esclaves sous les plis des drapeaux d'une hypocrite défense des droits de l'homme d'un côté, d'un faux anti-impérialisme de l'autre, se répercute sur la scène de notre drame... On comprend alors que cette vaste aire géographique... devienne un terrain privilégié de la préparation d'un futur conflit impérialiste".

De même, cet article semblait répondre (est-ce une coïncidence ?) à celui publié dans "Révolution Internationale" n°51 intitulé : "Et si le PCI avait des militants en URSS ?" et dans lequel nous mettions en évidence "l'internationalisme" à usage uniquement occidental de cette organisation. Effectivement, le PCI écrit : "Par rapport à l'Afrique, la position est la même en Belgique contre les agressions belges, aux USA contre les menées américaines, en Russie contre les brigandages russes... car le prolétariat international n'a pas à choisir un camp impérialiste contre un autre".

Très bien ! Voilà qui ressemble plus à une position réellement internationaliste !

Le deuxième point sur lequel on peut noter une évolution de la part du PCI est directement rattaché au premier : la signification des prétendues luttes de "libération nationale". Dans "Le Prolétaire" n°271, le PCI nous en donne partiellement la clé : "Derrière les conflits locaux, rôle de spectre de la guerre mondiale". On peut lire dans l'article : "L'Afrique, en particulier, n'a cessé de prendre feu, dans sa corne orientale, au Sahara Occidental, au Tchad, et, enfin, au Zaïre. Les tensions nationales internes et les explosions sociales dans des pays dont l'indépendance est trop fragile pour ne pas se convertir en dépendance économique, financière, politique et militaire, ont été le prétexte d'interventions soi-disant philanthropiques des uns et des autres, créant une chaîne de heurts, d'antagonismes et de conflits sanglants qui n'est pas près de s'arrêter".

Voilà qui commence à ressembler à une appréciation correcte de ces luttes "nationales" dans lesquelles ce sont les blocs impérialistes qui sont maîtres du jeu, et absolument pas les "peuples". Toute cette théorie bordiguiste sur l'émancipation des "peuples de couleur" et que la simple constatation de la réalité oblige à remettre en cause, repose sur une thèse essentielle : celle de l'existence "d'aires" du capitalisme où les tâches du prolétariat seraient différentes. C'est justement sur ce 3ème point que l'article : "Sur la révolution en Amérique Latine" ("Programme Communiste" n°77) essaie de rétablir une position correcte. C'est explicitement que cet article rejette la thèse énoncée dans le n°75 de "Programme Communiste" et qui affirme : "La classe ouvrière doit lutter pour soulever et entraîner sous sa direction les masses travailleuses paysannes et urbaines dans la révolution agraire et anti-impérialiste, qui n'est pas sa propre révolution de classe, mais une condition nécessaire... sur la voie de son émancipation..."

Il n'a pas peur d'affirmer dans le rectificatif : "Il serait désastreux de s'enfermer dès à présent dans l'horizon soi-disant obligatoire d'une révolution bourgeoise radicale", et aussi: "c'est dans cette perspective, qui renverse le schéma esquissé dans (l'autre article), que nos camarades doivent travailler. Dans cette optique, la future révolution continentale prolétarienne, partie intégrante de la révolution prolétarienne mondiale, est la règle..."

Nous sommes loin des conceptions qui apparaissaient dans l'article dédié à Che Guevara (Le Prolétaire, n°253) qui se lamente que "le prolétariat... alors absent de la scène historique n'ait pas répondu à l'appel que lui lançaient, depuis La Havane, les représentants de la révolution paysanne" et qui prévoit: "L‘ appel, cependant, reste vivant, et la nouvelle vague révolutionnaire devra lui répondre".

C'est donc sur une position bien ancrée dans le PCI que l'article de "Programme Communiste" n°77 appelle à revenir et non sur une simple coquille malencontreusement apparue dans le n°75 de la même revue.

Et maintenant?

Si nous avons mis en évidence l'évolution subie dernièrement par certaines positions du PCI, ce n'est certainement pas pour le lui reprocher. Ces dernières années, ce n'est pas avec indifférence que nous avons constaté et signalé le processus d'involution de cette organisation qui se réclame de la Gauche Communiste, vers des positions de plus en plus proches de celles du trotskysme. Nous avons vu, au contraire, dans ce phénomène une dernière victoire de la contre-révolution qui entraînait de plus en plus à elle une organisation de la classe ouvrière. C'est pour cela que nous saluons les prises de position récentes du PCI. Nous y voyons une réaction contre cette involution et donc la possibilité d'un redressement politique. Cependant, nous estimons que cette réaction n'est pas suffisante et que c'est seulement en remettant explicitement en cause certaines des positions de Lénine et de l'internationale Communiste dont le PCI a fait un dogme, qu'il pourra se donner la capacité de résister efficacement contre la pression de l'idéologie bourgeoise ambiante (et dont sa phraséologie sur les "luttes héroïques" des peuples X ou Y et sur les exploits du "Che" était une des expressions les plus lamentables). Lénine était un grand révolutionnaire, sa contribution au combat de la classe ouvrière est énorme, mais, comme tous les révolutionnaires, il a commis des erreurs. En particulier, dans son débat avec Rosa Luxembourg, l'histoire a donné raison à cette dernière : "Les guerres nationales ne sont plus possibles à l'époque de l'impérialisme effréné. Les intérêts nationaux ne servent que comme instrument de duperie pour mettre les masses ouvrières au service de leur ennemi mortel, l'impérialisme"[1]. Plus d'un demi-siècle de massacres inter-impérialistes a tragiquement confirmé cette thèse. Ici, la fidélité à la lettre des positions de Lénine conduit à une trahison de toute sa démarche comme révolutionnaire et comme marxiste : se mettre à l'école de l'expérience ; critiquer, à la lumière de celle-ci, la moindre erreur programmatique ou d'analyse.

Implicitement, c'est ce qu'a fait le PCI en rejetant certaines de ses positions qui n'ont pas résisté à l'épreuve des faits. Mais, si, réellement, une vie révolutionnaire l'anime, il ne peut en rester là : il doit également tirer les conclusions de ce réalignement et jeter aux orties les dogmes absurdes et dérisoires de "l'invariance" et du "monolithisme". Le PCI n'est ni "invariant", comme on a pu le voir, ni monolithique : sinon, pourquoi le "centre" estime-t-il nécessaire d'indiquer la bonne direction dans laquelle les "camarades doivent travailler". Rien n'est plus étranger au marxisme que l'idée d'une pensée monolithique. Le marxisme est essentiellement critique et même s'il se conçoit comme une vision cohérente du monde, il n'a jamais exclu la possibilité de contradictions au sein de sa démarche, contradictions qui sont l'expression même de la vie.

Chacune des différentes organisations qui se réclament du bordiguisme se considèrent comme "le seul détenteur de la conscience révolutionnaire". Pauvre conscience qui est obligée de courir après l'événement et, incapable de tirer les enseignements d'un demi-siècle d'histoire, d'ajuster le tir au coup par coup. Comme toute pensée, elle aurait grandement gagné à la discussion et à la confrontation avec celle des autres groupes communistes existant à l'heure actuelle. Cela lui aurait peut-être évité certains des errements mencheviks et kautskystes que le PCI -bien que partiellement- vient de rejeter en catastrophe et que d'autres organisations dénonçaient depuis longtemps. Malheureusement, par leur refus récent de participer aux efforts de discussion entrepris avec "Battaglia Comunista" par le CCI, le CWO et autres, le PCI ("Programma"), comme le PCI ("Il Partito Comunista"), se refuse à une telle attitude. Décidément, il reste encore un long chemin à faire pour le bordiguisme !

F.M.


[1] Thèses de la social-démocratie révolutionnaire sur la guerre impérialiste (1915).

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