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Dans toutes les guerres, les armes classiques et incontournables des États sont celles de la propagande de masse, de la manipulation et de la désinformation. Les grandes puissances démocratiques ont, depuis la Première Guerre mondiale, été un véritable creuset pour le contrôle des esprits, un laboratoire permettant d’imposer l’« union sacrée », d’obtenir l’adhésion de la population, en particulier le prolétariat, à la guerre et un « consentement » aux sacrifices. Manipuler l’opinion reste l’objectif central de la classe dominante pour masquer ses crimes et en préparer de nouveau.
La guerre impérialiste en Ukraine ne déroge en rien à ces ignobles entreprises de manipulation et de propagande. Les puissances démocratiques, notamment de l’Europe occidentale, sont celles qui doivent assurer la propagande la plus subtile et élaborée pour tenter de légitimer leurs entreprises sanguinaires auprès d’un prolétariat qui possède la plus grande expérience de lutte et un niveau d’éducation parmi les plus élevés au monde. (1)
Manipulation et propagande autour du conflit en Ukraine
À la veille du conflit en Ukraine, comme toujours, les chefs d’État et les gouvernements se défendaient, la main sur le cœur, de tout faire pour « préserver la paix ». Au moment où les troupes russes se sont massées à la frontière de l’Ukraine, Poutine prétendait n’avoir aucune intention belliqueuse et parlait de simples « manœuvres militaires ». Il avait d’ailleurs engagé un retrait partiel de ses troupes avant sa rencontre avec le chancelier allemand, Olaf Scholz, qui s’était dit « ravi » de la nouvelle. Même après le début de l’invasion, jamais il n’a été question pour Poutine de parler de « guerre », mot totalement prohibé, mais d’une « opération spéciale ».
Quant à Joe Biden, qui annonçait à l’avance les plans de Poutine, précisant que les États-Unis n’interviendraient pas en cas de conflit, donnant ainsi le feu vert au maître du Kremlin pour lancer ses troupes et son pays dans un piège, il apparaissait aux yeux du monde comme un homme de paix, souhaitant selon ses dires « donner toutes ses chances à la diplomatie ».
Zelensky était d’emblée, lui aussi, le chantre de la paix, « victime pacifique », courageuse, déterminée et « pleine d’héroïsme ». Ainsi, par exemple, lors de son discours du 23 mars dernier face à l’Assemblée nationale en France, il s’exprimait devant des députés conquis et séduits d’avance : « […] Comment arrêter cette guerre ? Comment instaurer la paix en Ukraine ? […] Nous devons agir ensemble, faire pression sur la Russie ensemble pour chercher la paix ».
Derrière les discours de paix, la thèse du petit pays victime et envahi, poussait l’émotion et la volonté de combattre l’ineffable Poutine. Le piège d’une « guerre défensive » était tendu dès le départ. Zelensky pouvait alors mobiliser de force sur le sol ukrainien la chair à canon, les hommes de 18 à 60 ans, pour « défendre la patrie », quémandant sans cesse « des armes pour l’Ukraine » aux occidentaux « solidaires », instrumentalisant de manière ignoble la détresse des réfugiés à des fins purement politiques et guerrières.
En 1914, une exploitation idéologique du même type avait déjà été utilisée par le bloc de l’Entente face aux puissances de la Triple alliance. L’Allemagne était alors considérée comme l’unique « responsable » de la guerre par son invasion de la petite Belgique, pays désormais livré aux « boches », à une « horde de barbares ». Le Président français Poincaré qui avait frénétiquement préparé la guerre en coulisse avec la Russie et son allié britannique se faisait en même temps le chantre de la paix, comme le montre son discours du 14 juillet 1915 où en pleine guerre il affirmait : « Depuis de longues années notre démocratie laborieuse se plaisait aux travaux de la paix. Elle aurait considéré comme un criminel, ou comme un insensé, tout homme qui aurait osé nourrir des projets belliqueux ». Un comble de cynisme et d’hypocrisie ! Quelques jours plus tard, le 19 juillet, lors d’un discours au Reichstag, le chancelier allemand affirmait pratiquement la même chose : « Nous n’avons pas désiré la guerre, […] c’était la paix que nous prospérions ». Son malheur avait été d’attaquer le premier !
Comme un remake, en septembre 1939, l’invasion de la Pologne apparaissait de nouveau comme l’attaque d’un « loup » face à « l’agneau innocent » et non comme le résultat d’une logique propre au capitalisme et à l’impérialisme. La « volonté de paix » et le statut de « victime » sont de grands classiques !
Même Hitler se déclarait en faveur de la paix ! En 1938 à Berlin, concernant les relations franco-allemandes, il déclarait, à l’ambassadeur de France, son désir qu’elles soient « pacifiques et bonnes ». Et le diplomate Von Ribenttrop répétait souvent que « le Führer ne veut pas la guerre ». (2) C’est aussi au nom de la « paix » et de « l’antifascisme » que le prolétariat fut embrigadé dans la guerre.
Comme personne ne « veut la guerre » alors qu’elle constitue le mode de vie du capitalisme en décadence, elle est forcément, pour chaque camp, le fait de l’adversaire. Ainsi, pour Poutine, la faute revient au régime ukrainien, formé de « nazis », de « persécuteurs des minorités russophones » qui bataillent « contre les libertés et la démocratie ». Bien entendu, il fustige au passage un autre « responsable », les forces de l’OTAN qui l’encerclent depuis des décennies et qui cherchent à « affaiblir la Russie ».
La propagande de Zelensky et des occidentaux qui le soutiennent militairement, rend les choses d’autant plus pernicieuses et dangereuses pour les populations et le prolétariat de l’Ouest, puisque la « petite Ukraine pacifique » apparaît bel et bien comme « étranglée par l’ogre russe ». Effectivement, parmi tous les gangsters impérialistes parties prenantes de ce conflit, Poutine est bien celui qui a dégainé le premier. Dès la guerre enclenchée, de persona non grata, il est devenu rapidement un « fou sanguinaire ». La diabolisation (facilitée ici par la personnalité de Poutine et son cursus stalinien) est aussi un grand classique de la propagande ! (3)
Lors de la Première Guerre mondiale, l’armée allemande et ses soldats étaient présentés eux aussi comme des monstres, accusés de « violer, torturer et égorger froidement les enfants ». (4) La guerre actuelle et ses images, l’exploitation des cadavres étendus sur le sol, les clichés de villes dévastées, la multiplication des enquêtes internationales sur les « crimes de guerre » (5) commis par l’armée russe, le silence quasi total sur les exactions de l’armée ukrainienne du côté occidental, l’accumulation de montages grossiers du côté russe, tout ceci s’accompagnant d’une cyber-propagande enfumant les esprits, témoignent d’une intense et quotidienne guerre de l’information.
Dès lors, même si cette guerre est jugée inquiétante par les populations de l’Ouest, ces dernières finissent insidieusement par soutenir l’envoi des « armes pour l’Ukraine » afin de « donner une leçon à l’envahisseur ». Autrement dit : alimenter la guerre et les massacres au nom d’une riposte « légitime » et « défensive » !
Tous les États sont impérialistes
Dans cette guerre qui frappe brutalement l’Europe, où la terre brûlée et l’irrationalité totale révèlent l’absurdité complète d’une aventure tragique et barbare, les grandes puissances démocratiques occidentales jouent désormais le beau rôle de procureur. Elles apparaissent comme « pacifiques », mises devant une sorte de fait accompli qui ne dépendrait nullement de leur propre volonté, mais de celle d’un seul homme, le dictateur suicidaire froid et cynique Poutine.
En réalité, comme le soulignait déjà Rosa Luxemburg, tous les États, petits ou grands, sont de véritables brigands qui ne font que défendre leurs sordides intérêts impérialistes, comme le rappelle aussi notre tract international : « Depuis le début du XXe siècle, la guerre permanente avec toutes les terribles souffrances qu’elle engendre, est devenue inséparable du système capitaliste, un système basé sur la concurrence entre les entreprises et entre les États, où la guerre commerciale débouche sur la guerre des armes, où l’aggravation de ses contradictions économiques, de sa crise, attise toujours plus les conflits guerriers. Un système basé sur le profit et l’exploitation féroce des producteurs, où ces derniers sont contraints de payer le prix du sang après avoir payé le prix de leur sueur ». (6)
Évidemment, si la responsabilité des rivaux de Poutine est plus difficile à percevoir derrière les rideaux de fumée propres à la propagande occidentale, elle n’en est pas moins présente. L’action notamment de ces puissances impérialistes au sein de l’OTAN, fournissant des armes à l’Ukraine en grande quantité, alimentant une guerre qui s’enkyste, démontre amplement leur responsabilité dans la logique irrationnelle du militarisme, et de la planification massive de la destruction par les armes. Au premier rang de ces gangsters, acteurs de l’accélération du désordre et du chaos, l’État impérialiste de Biden n’est pas le moins habile. En piégeant la Russie et les alliés occidentaux européens par ses déclarations, laissant implicitement un feu vert à Poutine, il exprimait tout le machiavélisme de sa stratégie.
Le fait de pousser l’adversaire à engager lui-même les hostilités est un classique. C’est ce que montrait déjà, à propos de la Première Guerre mondiale, Alfred Rosmer, citant un ancien sénateur, Jacques Bardoux, s’exprimant au sujet des provocations ayant amené l’Allemagne à attaquer la première : « Quand une guerre est-elle offensive ou défensive ? Les épithètes se prêtent à mille interprétations. Elles sont l’expression d’opinions mobiles et changeantes. Quand un diplomate est habile, la guerre qu’il provoque n’est jamais offensive. Il a l’air de se défendre lorsqu’il attaque ». (7)
Par le cordon sanitaire dressé par l’OTAN autour de la Russie depuis l’effondrement de l’URSS, par la volonté d’adhésion de nouveaux pays comme la Finlande ou la Suède à l’Alliance, le gouvernement Biden, comme ses alliés ponctuels et forcés d’Europe occidentale, a bien « l’air de se défendre lorsqu’il attaque ». Telle est sa force. Mais en même temps, cette entreprise criminelle est l’expression d’une faiblesse historique plus fondamentale tant la dynamique du militarisme est porteuse de chaos, d’irrationalité et de destructions.
En réalité, tous les dirigeants des puissances impérialistes opposées qui poussent des cris d’horreur devant les exactions de Poutine sont ceux qui ont eux-mêmes du sang sur les mains et finissent par accélérer davantage la dynamique mortifère du désordre mondial. Lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté, ces mêmes puissances alliées n’étaient nullement ces « chevaliers de la liberté » qu’ils prétendaient être, mais des acteurs barbares de l’impérialisme défendant leurs sordides intérêts : « les occidentaux n’interviennent pas pour détruire le nazisme ni écarter la menace d’un régime totalitaire. C’est l’équilibre européen qui est en jeux ». (8) En réalité, cet « équilibre européen » n’était rien d’autre qu’une question de rapport de forces entre gangsters impérialistes.
Aujourd’hui, l’Europe est menacée d’un chaos plus grand dans cette vaste foire d’empoigne. Quoi qu’elles en disent, ce sont les grandes puissances mondiales qui sont à la manœuvre. Les mêmes qui par le passé commirent les pires exactions, toujours au nom du « bien ». Pensons aux « bombardements stratégiques » de 1943 où les Alliés déversaient des tapis de bombes incendiaires sur les quartiers ouvriers de Dresde et Hambourg, faisant au moins 250 000 morts. Plus récemment, n’oublions pas que les forces américaines rasaient des villes entières comme celle de Falloujha en Irak en 2004. Aujourd’hui, la menace atomique et le battage terrifiant des uns et des autres autour de l’arme nucléaire ne doit pas nous faire oublier que ceux qui l’ont utilisée pour la première fois au Japon se prévalaient des mêmes valeurs, celles de « paix », de « liberté » et de « démocratie ». Alors qu’ils n’étaient nullement acculés militairement, ces mêmes voyous avaient envisagé très sérieusement dans les années 1950 de vitrifier la Corée par l’arme nucléaire !
Il n’y a pas d’illusion à se faire, le capitalisme en décomposition ne peut que porter la guerre et le chaos, les destructions, la crise, les épidémies et tous les fléaux. Le prolétariat ne doit pas oublier le bourrage de crâne qu’il a subi pendant toutes les guerres du passé. Aujourd’hui, il doit absolument repousser celui de tous les belligérants et des fauteurs de guerre qui les accompagnent. Ceux qui se laissent abuser peuvent penser que les livraisons d’armes à l’Ukraine sont malgré tout une « solution », même insatisfaisante, le prolétariat n’étant pas en mesure de stopper immédiatement la guerre. Or, loin d’épargner les souffrances, cette option ne peut justement qu’alimenter la folie meurtrière en dynamisant les forces destructrices dont les deux camps aux prises sont responsables en tant qu’agents du capitalisme. Seule la conscience de classe et les leçons du passé permettent aux révolutionnaires de dénoncer les mensonges de la bourgeoisie pour permettre au prolétariat de ne pas se faire happer par la logique de guerre et développer son combat de classe.
WH, 11 juin 2022
1 ) Contrairement au prolétariat en Ukraine qui a été battu et enrôlé, et au prolétariat en Russie, extrêmement fragile et très perméable, celui d’Europe de l’Ouest, bien qu’incapable, actuellement, de mettre un terme au conflit, n’est pas prêt à accepter le sacrifice de milliers de victimes chaque jour.
2 ) Anne Morelli, Principes élémentaires de la propagande de guerre (2001).
3 ) Ce fut le cas, pour prendre quelques exemples, de Saddam Hussein, transformé du jour au lendemain en « boucher de Bagdad », de Milosevic en Serbie pendant la Guerre en ex-Yougoslavie, et maintenant de Poutine.
4 ) « Naissance de la démocratie totalitaire », Revue internationale n° 155 (été 2015).
5 ) Notion juridique permettant de légitimer la barbarie guerrière ordinaire en faisant oublier que la guerre est elle-même un véritable crime du capitalisme.
6 ) Cf. notre tract international : « Conflit impérialiste en Ukraine : Le capitalisme c’est la guerre, guerre au capitalisme ! ».
7 ) Alfred Rosmer, Le mouvement ouvrier pendant la Première Guerre mondiale (1936-1959). Il faut aussi préciser que l’argument « défensif » a été utilisé par tous les sociaux-traîtres en 1914 (social-démocratie) afin de désarmer et de mieux embrigader le prolétariat dans la guerre.
8 ) Philippe Masson, Une guerre totale (1990).