Seul le renversement des lois du capitalisme pourra mettre fin à l’exclusion sociale

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À peine quelques semaines et, déjà, le scandale des maltraitances dans les EHPAD du groupe ORPEA est relégué au fin fond de l’actualité soumise à une autre expression dramatique de la décomposition capitaliste, la guerre.

Dans un précédent article, nous avions clairement affirmé combien toute cette campagne médiatique et la fausse indignation du gouvernement sur la situation dans les EHPAD étaient d’une hypocrisie sans nom. (1) La main sur le cœur, des trémolos dans la voix, la ministre à l’autonomie, Brigitte Bourguignon, comme d’autres, osait affirmer de manière éhontée « qu’on ne fait pas n’importe quoi dans ce pays, dans une activité qui est lucrative mais qui ne doit pas l’être au détriment de la bientraitance ». Lucrative donc, c’est-à-dire source de profits, mais activité au plus haut point désintéressée et solidaire… De qui se moque-t-on ? Dernier exemple en date où la logique capitaliste et sa pourriture morale se sont confirmées, l’ancien directeur général d’ORPEA, censé garantir cette « bientraitance institutionnelle », a été limogé fin janvier suite au scandale mais aussi parce qu’il est soupçonné de délit d’initiés ; averti de la sortie du livre « Les Fossoyeurs », il aurait revendu « à l’insu de son plein gré » quelque 7 500 titres ORPEA lui ayant rapporté plus de 800 000 euros. Chassez le naturel… Au-delà du sentiment de dégoût, on ne peut que constater, une fois de plus, que la « bientraitance » sous le capitalisme n’est jamais que celle du profit extorqué à l’humanité comme marchandise qu’il faut rentabiliser jusqu’au bout dans des établissements mouroirs.

Le Moloch capitaliste contre la vieillesse

La question « des vieux » dans le capitalisme est devenue une véritable caricature de la barbarie ordinaire. La population mondiale vieillit. D’après les projections de l’ONU, 16 % des êtres humains auront 65 ans ou plus en 2050, contre seulement 9 % aujourd’hui. Même si avec l’épidémie de Covid, l’espérance de vie mondiale a connu en 2020 sa plus forte baisse depuis la Seconde Guerre mondiale (France Inter, septembre 2021), il n’en reste pas moins que ce vieillissement historique de la population mondiale inquiète économistes, gouvernements et États qui parlent d’un « tsunami gris » où la population active ne parviendra plus à subvenir aux besoins des plus âgés.

En 1973, sortait le film de science-fiction Soleil vert, librement inspiré du roman de Harry Harrison, Soylent green (1966), où dans une société totalitaire du futur (situé… en 2022 !), la pollution, le chômage massif, la surpopulation et le manque de nourriture amènent le pouvoir à créer des aliments artificiels et industriels, soi-disant issus de plancton mais, en réalité, fabriqué à partir des cadavres de vieux, de chômeurs suicidés ou euthanasiés. Cette vision de l’industrialisation et du « cannibalisme » social dans ce film avait fait grand bruit à l’époque. C’étaient les premières expressions écologistes petite-bourgeoises réagissant au retour de la crise et appelant à réduire la consommation dans un monde aux ressources gaspillées, vantant la perspective prétendument radicale et « révolutionnaire » de la « décroissance » avant l’heure.

Aujourd’hui, la réalité vient concrétiser sur bien des aspects cette œuvre d’imagination apocalyptique. L’ « anthropophagie » du Moloch capitaliste transforme tous les jours l’être humain en une pure marchandise à rentabiliser jusqu’au dernier souffle de vie. Alors que dans les sociétés du passé, les anciens étaient respectés parce que leur expérience était un trésor à transmettre aux générations futures, le vieillissement est considéré par le capitalisme comme une calamité, une charge insupportable et inutile pour le mode de vie de la société bourgeoise. Les retraités sont donc vus comme des « improductifs » et des « inutiles » à l’égard desquels l’État bourgeois exprime la plus profonde indifférence. C’est pourquoi la retraite, dans tous les pays et sous tous les gouvernements, est peu à peu repoussée à des âges canoniques et donne lieu à des pensions de plus en plus maigres. Tant pis si ces ouvriers sexagénaires ne peuvent plus assumer leur tâche. Et surtout, tant pis s’ils sont malades et épuisés, ou plutôt, tant mieux. Car c’est bien là le calcul de la classe dominante : que les ouvriers qui n’ont pas été licenciés en cours de route soient contraints de laisser tomber leur emploi, résignés et au bout du rouleau, sans avoir obtenu leur nombre de trimestres nécessaire pour une pension déjà à minima. Qu’ils crèvent à la tâche ou qu’ils partent avec leur pension de misère ! Et lorsqu’ils ne pourront plus vivre tout seuls, c’est le racket institutionnalisé dans les maisons de retraite. L’État en profitera pour récupérer les pensions des anciens et attaquer les salaires des autres membres de la famille obligés de prendre en charge ou de compléter le prix du « séjour ».

La paupérisation des vieux, particulièrement ceux de la classe ouvrière, est déjà spectaculaire dans les pays sous-développés, déjà choquante depuis longtemps, comme en Inde, par exemple, où il n’existe quasiment pas de prise en charge des personnes âgées. C’est aussi le cas dans les pays développés :

– En Corée du Sud, actuellement, près de la moitié des plus de 66 ans vit sous le seuil de pauvreté, conduisant les « Bacchus Ladies », ces dames âgées aux pensions ridicules, (la plupart ont entre 60 et 80 ans) qui se prostituent en plein Séoul pour pouvoir se nourrir !

– Au Japon, des retraités ne pouvant plus payer leur loyer choisissent même de commettre des délits pour s’offrir le luxe d’avoir un toit… en prison !

L’exclusion fait partie de l’ADN du capitalisme décadent

« Pour le capitalisme, les vieux, comme les handicapés, les marginaux ou les clochards, ne sont que des bouches inutiles à nourrir, des improductifs, aux yeux de l’État et des patrons, des “assistés”, tout juste bons à se faire “plumer” par des rapaces comme ceux du groupe ORPEA ». (2) Effectivement, l’exclusion ne concerne pas seulement les personnes âgées même s’ils en sont significativement les premières victimes, mais tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, ne correspondent pas aux exigences de productivité de la société capitaliste marchande, tous les laissés pour compte : les chômeurs, les retraités, les SDF ou sans-abris, tous les « accidentés de la vie », tous les malades, psychiatriques ou physiques, tous ceux qui, au-delà même de ne plus être rentables, représentent un « poids social », un « coût économique » affaiblissant d’autant le profit global de la nation capitaliste. Cela ne date pas d’hier, mais de toutes les sociétés d’exploitation, la société capitaliste reste le nec plus ultra de l’exclusion généralisée pour garantir l’exploitation et le profit maximal.

Bien sûr, la classe dominante cherche par tous les moyens à masquer ou détourner cet instinct naturel du capitalisme à grands coups de « campagnes de communication ». Les discours et la propagande sur le handicap en sont un parfait exemple. Ainsi, la vitrine des jeux paralympiques ou du handisport vient « valoriser », de manière hypocrite, le handicap, source d’exclusion, dans une prétendue perspective « d’intégration et d’égalité ». Il s’agit, en réalité, d’un bourrage de crâne basé sur le culte de la réussite individuelle et la propagande du « si on veut, on peut ! », qui cache mal les réalités de l’exclusion sociale de l’immense majorité des handicapés. La fonction du sport, comme pour les « valides », n’est fondamentalement ici qu’un conditionnement pour adhérer à la culture et à l’exaltation de la compétition, du nationalisme et de la concurrence entre nations qui sont les « valeurs » mêmes sur lesquelles s’appuie le capitalisme !(3) L’exclusion du handicap reste toujours la règle dans un monde capitaliste qui se doit d’être efficace, rapide, rentable pour suivre les lois économiques et la logique de l’exploitation.

Le chômage, exclusion majeure pour la classe ouvrière

Hannah Arendt écrivait en 1961 : « Ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire ». Le « chômage de masse » auquel fait référence Arendt forme la plus grande marmite à exclusion et à atomisation que le capitalisme à l’agonie peut fournir.

Si l’État, dans certains pays occidentaux comme la France, a permis après la Seconde Guerre mondiale un relatif « soutien » et le maintien d’un salaire social nécessaire pour entretenir une « armée de réserve » efficace pour l’intensification de la production et une exploitation forcenée, c’était à des fins de « reconstruction » et de compétitivité de l’économie nationale. Cet « État-Providence », devenu désormais trop coûteux, a été largement démantelé et tend à disparaître partout, avec les coups de boutoir croissants de l’aggravation de la crise économique, précarisant, jetant à la rue et marginalisant totalement ceux qui sont devenus « inutiles » ou « inaptes à la production ». C’est cette sordide réalité que tente de masquer l’hypocrisie bourgeoise et sa fausse solidarité, développée sous toutes ses formes, en vantant les « efforts » d’aide sociale des États aux plus faibles ou démunis, en faisant appel au portefeuille de la « solidarité citoyenne », en multipliant la mise en sous-traitance du marché des « aides sociales » par des entreprises elles aussi uniquement motivées par le profit maximum à retirer de ce créneau, qui va des mouroirs déshumanisés que sont les EHPAD à la gestion hospitalière, des « foyers » ou « centres spécialisés » pour « encadrer » les jeunes en difficulté aux « aides aux handicapés » et autres « association d’aides à domicile », etc.

La solidarité que prône et dont se gargarise la bourgeoisie ne peut être qu’une fausse solidarité reposant sur le mensonge et la poursuite de conflits d’intérêts mercantiles, totalement sous l’emprise du « chacun pour soi » et de la concurrence capitaliste : « L’idée que l’État serait l’incarnation de la solidarité, telle que l’ont cultivée en particulier la social-démocratie et le stalinisme, est l’un des plus grands mensonges de l’histoire. La solidarité ne peut jamais être imposée contre la volonté. Elle n’est possible que si ceux qui expriment la solidarité et ceux qui la reçoivent partagent la conviction de sa nécessité. La solidarité est le ciment qui tient ensemble un groupe social, qui transforme un groupe d’individus en une seule force unie ». (4)

L’exclusion devient la marque de fabrique du capitalisme agonisant

L’accélération de la crise économique partout dans le monde pousse des millions d’exploités non seulement au chômage, mais également à ses conséquences les plus sordides que sont la vie « dans la rue », la drogue, la délinquance… Cette logique infernale de désocialisation touche aujourd’hui des masses toujours plus nombreuses de l’humanité. Là encore, la bourgeoisie n’hésite pas à instrumentaliser la situation de ces populations en les présentant comme des « incapables », des « poids morts », des « assistés » ne pouvant s’en prendre qu’à eux-mêmes. En d’autres termes, il s’agit de culpabiliser ces « individus hors norme » pour mieux cacher l’abjecte indifférence de la société capitaliste.

Les sans-abris, toxicomanes et drogués que l’on trouve dans toutes les concentrations urbaines sont ainsi présentés comme marginaux par « accident » ou « incompétence », « manque de volonté », incapables de « s’intégrer », de travailler, des « déchets » sociaux sources de toutes les vilenies. Souvent, ils ne sont pourtant et de plus en plus que des jeunes en souffrance, éjectés du rouleau compresseur de l’école, éjectés de pays en guerre, traumatisés, délaissés par des familles impuissantes, rejetés par le système productif ou tout simplement délaissés par les services de santé des États ! Seule l’économie parallèle du trafic de stupéfiants, les mafias de la came, trouvent avantage à l’exploitation jusqu’à la mort d’une partie de ces exclus.

La solidarité prolétarienne est l’arme du futur

La solidarité est une expression concrète de la nature sociale de l’humanité, une tendance vers une activité pratique de soutien mutuel entre les êtres humains dans la lutte pour l’existence, aujourd’hui pervertie par la société capitaliste. Elle n’est pas un idéal utopique à atteindre, mais au contraire une force matérielle active caractérisée par la conscience, la volonté et par l’initiative. La solidarité est donc le dépassement de l’individualisme et du particularisme dans l’intérêt de l’ensemble de la communauté aussi vieille que l’humanité elle-même. Bien que dans l’histoire de l’humanité, la solidarité entre les membres de la société ait été avant tout un réflexe instinctif de préservation, plus la société humaine devient complexe et conflictuelle, depuis l’apparition des sociétés de classes, plus haut est le niveau de conscience nécessaire à son développement. En ce sens, la solidarité de classe du prolétariat constitue la forme la plus haute de la solidarité humaine jusqu’ici.

Or, là où règnent en permanence les rapports marchands, la réduction des hommes eux-mêmes à des marchandises et le principe bourgeois du calcul d’intérêt, des avantages et des inconvénients de ce que l’on offre à l’autre, la tendance consécutive inexorable à la désagrégation des rapports sociaux qui culminent dans le capitalisme décadent, il n’y a pas de solidarité possible autre que dans le combat de classe. La bourgeoisie ne peut ainsi que prolonger et accentuer toujours plus les souffrances de l’humanité en défendant bec et ongles son système de domination.

La classe ouvrière est la seule force sociale, à travers le développement de ses luttes sur son terrain de résistance et de lutte contre l’exploitation capitaliste et de sa perspective révolutionnaire, capable d’exprimer sa solidarité à tous les exclus du système, à tous les exploités parce qu’à l’opposé de la bourgeoisie, le prolétariat est amené à développer dans sa lutte contre le capitalisme une solidarité de classe, expression de son unité et qui correspond en même temps à sa tache historique de libérer l’ensemble de l’humanité du fléau et des chaînes de l’exploitation.

Sa solidarité est celle d’une classe internationale qui, en luttant au-delà de toutes les particularités nationales, raciales, physiques, pourra bannir l’exploitation en mettant fin au travail salarié par la révolution communiste en instaurant une société dont les rapports sociaux seront non plus établis sur la base d’un rapport entre exploités et exploiteurs mais selon le principe suivant : « De chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins », lequel reposera l’ossature de la société communiste.

Stopio, 19 mars 2022

 

1 « Les maltraitances dans les maisons de retraite sont un produit de la barbarie du capitalisme », disponible sur notre site internet (5 février 2022).

3 Voir notre série sur le sport, et notamment : « Le sport, le nationalisme et l’impérialisme (Histoire du sport dans le capitalisme, partie III) ». Sans compter que le handisport et les JO paralympiques sont aussi un vecteur important de la concurrence féroce entre entreprises ou entre nations et que « la guerre des prothèses » n’a rien à envier à la « guerre des masques » ou celle des vaccins que nous avons largement dénoncées dans nos articles sur la pandémie.

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Barbarie du capitalisme