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La responsabilité écrasante qui incombe à la Chine en ce qui concerne l’éclosion du covid-19 et surtout son expansion vertigineuse, qui a provoqué la pandémie planétaire actuelle, a largement été mise en évidence par l’ensemble des médias. Cependant, le nombre restreint de morts et l’absence de larges vagues de contagions dans le pays - du moins selon les données officielles -, ainsi que le fait que la Chine soit la seule grande puissance à ne pas avoir annoncé de récession économique en 2020 (+2% du PIB) ont mené de nombreux observateurs à présenter la Chine comme la grande gagnante de la crise du Covid-19 sur l’échiquier du rapport de force entre les principales puissances impérialistes.
Il est vrai que depuis le début des années 1980, en ouvrant son économie au bloc US, la Chine a largement profité de la mondialisation de l’économie et de l’implosion du bloc soviétique pour effectuer en trente ans une ascension fulgurante sur le plan économique et impérialiste, qui en a fait le challenger le plus important pour les États-Unis. Aujourd’hui pourtant, la prise en charge de la pandémie, la gestion de l’économie et l’expansion de sa zone d’influence engendrent d’importantes difficultés pour la bourgeoisie chinoise. La crise du Covid-19 accentue fortement les confrontations entre factions au sein de son appareil politique et exacerbe les tensions entre requins impérialistes en Extrême-Orient.
Lourdeurs dans la prise en charge de la crise du Covid
En misant depuis le début sur l’immunité collective avant d’ouvrir le pays, la Chine applique en attendant une politique de lock-down drastique dans des villes et des régions entières, chaque fois que des infections sont identifiées, ce qui entrave lourdement les activités économiques et commerciales : ainsi, la fermeture du port de Yantian, le troisième port de conteneurs du Monde en mai 2021, a conduit au blocage de centaines de milliers de conteneurs (comme les grands peuvent porter jusqu’à 20/30.000 milles conteneurs) et de centaines de navires pendant des mois, désorganisant totalement le trafic maritime mondial. En réalité, le moindre surgissement d’infections, même limité à quelques cas, est appréhendé comme un danger majeur : récemment encore des lock-down drastiques ont été décrétés dans 27 villes et 18 provinces (août ’21), à Xiamen, une ville de 5 millions (septembre ’21) et depuis septembre, des infections sont signalées dans la moitié des provinces et dans la ville de Shanghai.
Par ailleurs, la campagne de vaccination massive pour atteindre l’immunité collective a poussé certaines provinces et villes chinoises à imposer des sanctions financières à ceux qui se méfient et évitent la vaccination. Cependant, face aux nombreuses protestations sur les réseaux sociaux chinois, le gouvernement central a bloqué ce genre de mesures, qui tendaient à "mettre en péril la cohésion nationale". Mais le revers le plus sérieux est sans nul doute les données convergentes sur l’efficacité limitée des vaccins chinois, observée dans divers pays qui les utilisent, comme par exemple au Chili : "Au total, la campagne de vaccination chilienne –importante avec 62 % de la population vaccinée actuellement– ne semble avoir aucun impact notable sur la proportion de décès" (H. Testard, "Covid-19 : la vaccination décolle en Asie mais les doutes augmentent sur les vaccins chinois", Asialyst, 21.07.21). Les autorités sanitaires chinoises préconisaient même d’importer des doses de Pfizer ou Moderna afin de pallier l’inefficacité de leurs propres vaccins.
La gestion extrêmement lourde et peu efficiente de la pandémie par le capitalisme d’État chinois a été illustrée en novembre dernier par l’appel du Ministère du Commerce conviant la population chinoise à stocker chez soi des rations d’urgence.
Accumulation de nuages sombres sur l’économie chinoise
La forte croissance que la Chine connaît depuis quarante ans -même si la progression ralentissait déjà la dernière décennie- semble arriver à son terme. Les experts s’attendent à une croissance du PIB chinois inférieure à 5% en 2021, contre 7% en moyenne sur la dernière décennie et plus de 10% lors de la décennie précédente. Divers facteurs mettent en évidence les difficultés actuelles de l’économie chinoise.
Il y a d’abord le danger d’éclatement de la bulle immobilière chinoise : Evergrande, le numéro deux de l’immobilier en Chine, se retrouve aujourd’hui écrasé par quelque 300 milliards d’euros de dettes, à elles seules 2% du PIB du pays. D’autres promoteurs sont quasiment en défaut de paiement, tels Fantasia Holdings ou Sinic Holdings, et le secteur de l’immobilier, qui représente 25% de l’économie chinoise, a généré une dette publique et privée colossale qui se chiffre en milliers de milliards de dollars. Le crash d’Evergrande n‘est que la première séquence d’un effondrement global à venir de ce secteur. Aujourd’hui les logements vides sont tellement nombreux qu’on pourrait héberger 90 millions de personnes. Certes, l’effondrement immédiat du secteur sera évité dans la mesure où les autorités chinoises n’ont d’autre choix que de limiter les dégâts du naufrage au risque sinon d’un impact très sévère sur le secteur financier : "(…) il n’y aura pas d’effet boule de neige comme en 2008 [aux USA], parce que le gouvernement chinois peut arrêter la machine, estime Andy Xie, économiste indépendant, ancien de Morgan Stanley en Chine, cité par Le Monde. Je pense qu’avec Anbang [groupe d’assurance, NDLR] et HNA [Hainan Airlines], on a de bons exemples de ce qui peut se produire : il y aura un comité rassemblant autour d’une table l’entreprise, les créditeurs et les autorités, qui va décider quels actifs vendre, lesquels restructurer et, à la fin, combien d’argent il reste et qui peut perdre des fonds". (P.-A. Donnet, "Chute d’Evergrande en Chine : la fin de l’argent facile", Asialyst, 25.09.21). De nombreux autres secteurs sont aussi dans le rouge : fin 2020, la dette globale des entreprises chinoises représentait 160 % du PIB du pays, contre 80 % environ pour celle des sociétés américaines et les investissements "toxiques" des gouvernements locaux représenteraient aujourd’hui, selon des analystes de Goldman Sachs, à eux seuls 53 000 milliards de yuans, soit une somme qui représente 52 % du PIB chinois. L’éclatement de la bulle immobilière risque non seulement de contaminer d’autres secteurs de l’économie mais aussi d’engendrer une instabilité sociale (près de 3 millions d’emplois directs et indirects liés à Evergrande), la grande crainte du Parti Communiste Chinois (PCC).
Ensuite, les coupures énergétiques se sont multipliées depuis l’été 2021 : elles sont la conséquence d’un approvisionnement en charbon défaillant, causé entre autres par les inondations records dans la province du Shaanxi (produisant à elle seule 30% du combustible dans tout le pays), et aussi par le durcissement de la réglementation anti-pollution décidée par Xi. Les secteurs de la sidérurgie, de l’aluminium et du ciment souffrent déjà dans plusieurs régions de la limitation de l’offre d’électricité. Cette pénurie a réduit d’environ 7 % les capacités de production d’aluminium et de 29 % celles de ciment (chiffres de Morgan Stanley) et le papier et le verre pourraient être les prochains secteurs touchés. Ces coupures freinent désormais la croissance économique de l’ensemble du pays. Mais la situation est encore plus grave qu’il n’y paraît à première vue. « En effet, cette pénurie d’électricité se répercute désormais sur le marché résidentiel dans certaines régions du Nord-Est. La province du Liaoning a ainsi étendu les coupures de courant du secteur industriel à des réseaux résidentiels » (P.-A. Donnet, « Chine : comment la grave pénurie d’électricité menace l’économie », Asialyst, 30.09.21).
Enfin, la pénurie énergétique mais aussi les lock-down découlant des infections Covid affectent la production dans les industries de diverses régions de Chine, ce qui, à son tour, accroît l’ampleur des ruptures des chaînes d’approvisionnement, déjà hypertendues, au niveau national et mondial, d’autant plus que les chaines de fabrication dans de nombreux secteurs sont confrontées à une pénurie aigüe de semi-conducteurs.
Les données récentes confirment l’essoufflement de la croissance économique, qui va de pair avec une baisse de la consommation intérieure, une chute des revenus des ménages et une baisse des salaires.
Essoufflement du projet de la "nouvelle route de la soie"
Le déploiement de la "nouvelle route de la soie" rencontre des difficultés croissantes à cause du poids financier de la crise du Covid en Chine, mais aussi à cause des difficultés économiques des "partenaires", asphyxiés par la pression de la dette, ou encore de leur réticences de plus en plus manifestes face aux "ingérences" chinoises.
À cause en particulier de la crise du Covid, l’endettement de divers pays « partenaires » atteint des niveaux pharamineux et ceux-ci se retrouvent dans l’incapacité de payer les intérêts des prêts chinois. Des pays comme le Sri Lanka, le Bangladesh (dette extérieure +125% dernière décennie, le Kirghizstan, le Pakistan (20 milliards de $ de prêts bilatéraux octroyés par la Chine), le Monténégro, et divers pays africains, ont demandé à la Chine de restructurer, de retarder ou d'annuler carrément le paiement des remboursements qui sont dus cette année.
D’autre part, une méfiance croissante se manifeste dans divers pays envers les agissements de la Chine (non-ratification du traité commercial entre la Chine et l’Union Européenne, distanciation du Cambodge, des Philippines ou de l’Indonésie), à laquelle il faut ajouter une pression antichinoise exercée par les États-Unis (en Amérique latine envers des pays comme le Panama, l’Équateur et le Chili). Enfin, le chaos produit par la décomposition a pour conséquence de déstabiliser certains pays clés de la "nouvelle route" ; c’est le cas par exemple de l’Éthiopie, qui s’enfonce dans une terrible guerre civile entre le gouvernement central éthiopien et la région du Tigray, alors que le pays, présenté comme un pôle de stabilité et le "nouvel atelier du monde", constituait un point d’appui pour le "Belt and Road Project" en Afrique du Nord-Est, avec une base militaire chinoise à Djibouti.
Bref, il ne faut pas s’étonner qu’en 2020, il y a eu un effondrement de la valeur financière des investissements injectés dans le projet "Nouvelle route de la soie" (-64%), alors que la Chine a prêté plus de 461 milliards de dollars depuis 2013.
Accentuation des antagonismes au sein de la bourgeoisie chinoise.
L’ensemble de ces difficultés attisent les tensions au sein de la bourgeoisie chinoise, même si, du fait de la structure politique capitaliste d’État de type stalinien, elles ne se manifestent pas de la même manière qu’aux USA ou en France par exemple.
Sous Deng Xiao Ping le capitalisme d’État de type stalinien chinois, sous le couvert d’une politique de "créer des riches pour partager leur richesse", a établi des zones "libres" (autour de Hong Kong, Macao, etc.) afin de développer un capitalisme de type "libre marché" permettant l’entrée de capitaux internationaux et favorisant aussi un secteur capitaliste privé. Avec l’effondrement du bloc de l’Est et la "globalisation" de l’économie dans les années 90, ce dernier s’y est développé de manière exponentielle, même si le secteur public sous le contrôle direct de l’État représente toujours 30% de l’économie. Comment la structure rigide et répressive de l’État stalinien et du parti unique a-t-elle prise en charge cette "ouverture" au capitalisme privé ? Dès les années 1990, le parti a intégré massivement des entrepreneurs et des chefs d’entreprises privées. "Au début des années 2000, le président d’alors, M. Jiang Zemin avait levé l’interdiction de recruter des entrepreneurs du secteur privé, vus jusque-là comme des ennemis de classe, (…). Les hommes et les femmes d’affaires ainsi sélectionnés deviennent membre de l’élite politique, ce qui leur garantit que leurs entreprises soient, au moins partiellement, protégées de cadres aux tendances prédatrices" ("Que reste-t-il du communisme en Chine ?", Le monde diplomatique 68, juillet 2021). Aujourd’hui, professionnels et managers diplômés du supérieur constituent 50% des adhérents du PCC.
Les oppositions entre les différentes fractions s’exprimeront donc non seulement au sein des structures étatiques mais au sein même du PCC. Depuis plusieurs années (cf. déjà le "Rapport sur les tensions impérialistes pour le 20e Congrès du CCI", Revue Internationale 152, 2013), les tensions croissent entre différentes factions au sein de la bourgeoisie chinoise[1], en particulier entre celles plus liées aux secteurs capitalistes privés, dépendant des échanges et des investissements internationaux, et celles liées aux structures et au contrôle financier étatiques au niveau régional ou national, celles qui prônent une ouverture au commerce mondial et celles qui avancent une politique plus dogmatique ou nationaliste. La "campagne contre la corruption", engagée par le président Xi, a impliqué des saisies spectaculaires de fortunes gigantesques amassées par des membres de divers clans, tandis que le "tournant à gauche", impliquait moins de pragmatisme économique et plus de dogmatisme et de nationalisme ; leur résultat a surtout été d’intensifier les tensions et l’instabilité politiques ces dernières années : en témoignent "les tensions persistantes entre le premier ministre Li Keqiang et le président Xi Jinping sur la relance économique, tout comme la " nouvelle position" de la Chine sur la scène internationale". (A. Payette, "Chine : à Beidaihe, l'"université d'été" du Parti, les tensions internes à fleur de peau", Asialyst, 06.09.20), les critiques explicites envers Xi qui apparaissent régulièrement (dernièrement l’essai "alerte virale" publié par un professeur réputé de droit constitutionnel à l'Université Qinghua à Pékin et prédisant la fin de Xi), les tensions entre Xi et les généraux dirigeant l’armée populaire, visés en particulier par la campagne anti-corruption ou encore les interventions de l’appareil d’État envers des entrepreneurs trop "flamboyants" et critiques envers le contrôle étatique (Jack Ma et Ant Financial, Alibaba). Certaines faillites (HNA, Evergrande) pourraient d’ailleurs avoir un rapport avec les luttes entre cliques au sein du parti, dans le cadre par exemple de la campagne cynique pour "protéger les citoyens des excès de la "classe capitaliste" (sic)".
Bref, la bourgeoisie chinoise, comme les autres bourgeoisies, est confrontée à des difficultés économiques croissantes liées à la crise historique du mode de production capitaliste, au chaos issu de la décomposition du système et à l’exacerbation des tensions internes entre factions au sein du PCC, qu’elle tente par tous les moyens de contenir au sein de ses structures capitalistes d’État désuètes.
Tensions accrues avec les autres impérialismes en Extrême-Orient
Par ailleurs, la situation est tout aussi délicate pour la bourgeoisie chinoise sur le plan international, d’abord à cause de la politique agressive des USA, mais aussi par les tensions croissantes avec d’autres puissances asiatiques majeures, telles l’Inde et le Japon, intensifiées par le chaos et le chacun pour soi de cette période de décomposition.
La politique "America First", mise en œuvre par Trump à partir de 2017, a essentiellement mené sur le plan impérialiste à une polarisation croissante et une agressivité accentuée envers la Chine, de plus en plus identifiée par la bourgeoisie US comme le danger principal. Les USA ont fait le choix stratégique de concentrer leurs forces sur la confrontation militaire et technologique avec la Chine, en vue de maintenir et même d’accentuer leur suprématie, de défendre leur position de gang dominant face aux rivaux (la Chine et accessoirement la Russie) qui menacent le plus directement son hégémonie. La politique de l’administration Biden s’inscrit pleinement dans cette orientation ; elle a non seulement maintenu les mesures agressives économiques contre la Chine, mises en œuvre par Trump, mais elle a surtout accentué la pression par une politique agressive :
- sur le plan politique : défense des "droits de l’homme" par rapport à la répression des Ouïghours ou des manifestations "pro-démocratie" à Hong Kong, exclusion de la Chine de la Conférence sur la démocratie, organisée par Biden, au profit de Taïwan, dont les USA se rapprochent nettement sur le plan diplomatique et commercial, accusations de piratage informatique envers la Chine, etc. ;
- au niveau militaire, en mer de Chine, par des démonstrations de force explicites et spectaculaires ces derniers mois : multiplication d’exercices militaires impliquant la flotte US et celles d’alliés en mer de Chine du Sud, rapports alarmistes sur les menaces imminentes d’intervention chinoise à Taïwan, présence à Taïwan de forces spéciales américaines pour encadrer les unités d’élite taïwanaises, conclusion d’un nouvel accord de défense, l’AUKUS, entre les USA, l’Australie et la Grande-Bretagne, qui instaure une coordination militaire orientée explicitement contre la Chine, engagement par Biden d’un soutien à Taïwan en cas d’agression chinoise.
La Chine a réagi furieusement à ces pressions politiques et militaires, particulièrement à celles en mer de Chine autour de Taïwan : organisation de manœuvres navales et aériennes massives et menaçantes autour de l’île, publication d’études alarmistes, qui rapportent un risque de guerre "qui n’a jamais été aussi élevé" avec Taïwan, ou de plans d’attaque surprise contre Taïwan, qui conduirait à une défaite totale des forces armées de l’île.
Les tensions sont tout aussi fortes avec d’autres puissances asiatiques : elles sont à leur comble avec l’Inde, sa grande rivale en Asie, à laquelle des incidents militaires sérieux l’ont opposé dans le Ladakh pendant l’été 2020 ; elles s’exacerbent également avec le Japon, dont le nouveau premier ministre Fumio Kishida, pour la première fois depuis 1945, veut "envisager toutes les options, y compris celle [pour le Japon] de posséder des capacités d’attaques de bases ennemies, de continuer le renforcement de la puissance militaire japonaise autant qu’il sera nécessaire" (P.-A. Donnet, "Les relations entre la Chine et le Japon se détériorent à grande vitesse", Asialyst, 01.12.21). Ces pays gardent cependant une certaine distance envers les USA (et n’ont pas adhéré au pacte militaire de l’AUKUS), la frilosité de l’Inde s’expliquant par ses propres ambitions impérialistes, celle du Japon, par le fait d’être écartelé entre d’une part la crainte du renforcement militaire de la Chine et d’autre part leurs liens industriels et commerciaux considérables avec ce pays (la Chine est le plus grand partenaire commercial du Japon qui a exporté pour plus de 141 milliards de dollars vers ce pays en 2020, comparé à 118 milliards de dollars exportés vers les Etats-Unis (cf. Id.)).
Le chaos et le chacun pour soi produits par la décomposition accentuent pour la Chine aussi le caractère imprédictible de la situation, comme l’illustre l’exemple de l’Afghanistan. L’absence de centralisation du pouvoir Taliban, la myriade de courants et de groupes aux aspirations les plus diverses qui composent le mouvement et les accords conclus avec les chefs de guerre locaux pour investir rapidement l’ensemble du pays font que le chaos et l’imprédictibilité caractérisent la situation, comme les attentats récents visant la minorité Hazara le démontrent. Cela ne peut qu’intensifier l’intervention des différents impérialismes (la Russie, l’Inde, l’Iran, …) mais aussi l’imprévisibilité de la situation, donc aussi le chaos ambiant. Pour la Chine, ce chaos rend toute politique cohérente et à long terme dans le pays aléatoire. Par ailleurs, la présence des Talibans aux frontières de la Chine constitue un danger potentiel sérieux pour les infiltrations islamistes en Chine (cf. la situation dans le Sin-Kiang), surtout que les "frères" pakistanais des Talibans (les TTP, cousins des ISK) sont engagés dans une campagne d’attentats contre les chantiers de la "nouvelle route de la soie", ayant déjà entraîné la mort d’une dizaine de "coopérants" chinois. Afin de contrer le danger en Afghanistan, la Chine tend à s'implanter dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale (Turkménistan, Tadjikistan et Ouzbékistan). Mais ces républiques font traditionnellement partie de la zone d’influence russe, ce qui augmente le danger de confrontation avec cet "allié stratégique", auquel de toute façon ses intérêts à long terme (la "nouvelle route de la soie") l’opposent fondamentalement.
Une perspective d’intensification du chaos, de perte de contrôle et de confrontations guerrières
La Chine est donc non seulement directement impactée par l’approfondissement du pourrissement du capitalisme, elle est un puissant facteur actif de celui-ci, comme son implication dans la crise du Covid, l’essoufflement de son économie ou les affrontements internes au sein de sa bourgeoisie le démontrent amplement.
Son effort spectaculaire pour tenter de compenser son retard sur le plan militaire par rapport aux Etats-Unis est en particulier un facteur important dans l’accélération de la course aux armements, en particulier sur le continent asiatique qui connaît une hausse significative des dépenses militaires : l'inversion du poids respectif de l'Asie et de l'Europe entre 2000 et 2018 sur ce plan est spectaculaire : en 2000, l'Europe et l'Asie représentent respectivement 27 % et 18 % des dépenses de défense mondiales. En 2018, ces rapports sont inversés, l'Asie en représente 28 % et l'Europe 20 % (données du Sipri). Ainsi par exemple, le budget militaire japonais atteindra un niveau jamais vu depuis 1945 avec plus de 53,2 milliards de dollars pour 2021, une hausse de 15% comparée à la même période de 2020 (cf. P.-A. Donnet, "Les relations entre la Chine et le Japon se détériorent à grande vitesse", Asialyst 01.12.21). L’armement massif des États accroît sensiblement le danger de confrontation entre puissances asiatiques majeures ou les tensions avec les USA, qui sont prééminentes, même si elles n’induisent pas une tendance à la formation de blocs impérialistes dans la mesure où ni les USA aujourd’hui et encore moins la Chine n’arrivent à mobiliser les autres puissances derrière leurs ambitions impérialistes et à imposer de manière durable son leadership à d’autres pays. Cela n’a toutefois rien de rassurant : "Dans le même temps, les "massacres d'innombrables petites guerres" prolifèrent également, alors que le capitalisme, dans sa phase finale, plonge dans un chacun-pour-soi impérialiste de plus en plus irrationnel" (Résolution situation internationale du 24ième Congrès du CCI, point 11, Revue Internationale 167).
La Chine ne ressort donc nullement de la crise du Covid-19 comme le "rempart de la stabilité mondiale" ni comme le phare qui indiquerait le chemin de la sortie de crise au capitalisme mondial. "La croissance extraordinaire de la Chine est elle-même un produit de la décomposition. (…) [et] a été mise en œuvre par un appareil politique inflexible qui n'a pu éviter le sort du stalinisme dans le bloc russe que par une combinaison de terreur d'État, une exploitation impitoyable de la force de travail qui soumet des centaines de millions de travailleurs à un état permanent de travailleur migrant et de croissance économique frénétique dont les fondations semblent maintenant de plus en plus fragiles. Le contrôle totalitaire sur l’ensemble du corps social, le durcissement répressif auxquels se livre la fraction stalinienne de Xi Jinping ne représentent pas une expression de force mais au contraire une manifestation de faiblesse de l’État, dont la cohésion est mise en péril par l’existence de forces centrifuges au sein de la société et d’importantes luttes de cliques au sein de la classe dominante" (Résolution situation internationale du 24ième Congrès du CCI, point 9, Revue Internationale 167). Elle apparaît au contraire comme une gigantesque "bombe à retardement" annonçant une effroyable spirale de barbarie pour la planète si la classe ouvrière ne met pas fin au pourrissement sur pied de ce système décadent[2].
R. Havannais / 20.12.21
[1] La littérature sur le PCC énumère par exemple la faction Qinghua (ex étudiants de l’université polytechnique Qinghua à Pékin, tels l’ex-président Hu Jintao et le premier ministre Li Keqiang), aux origines plus modestes et d’orientation plutôt réformatrice, la faction des "princes rouges", issue de familles de la Nomenklatura du PCC (Xi Jinping) et dirigeant la majorité des grands groupes publics ou semi-publics, ou encore la « clique » de Shanghai (Jiang Zemin), orientée vers l’ouverture et les réformes économiques.
[2] Un facteur supplémentaire et récent de cette menace a été révélé avec le risque de propagation du variant Omicron en Chine. En effet, beaucoup plus transmissible que les variants précédents, il est susceptible de mettre en défaut la stratégie chinoise de "zéro Covid-19" reposant sur des mesures drastiques de confinement. Et ceci alors même que des études récentes convergent vers le diagnostic d'une efficacité médiocre des deux principaux vaccins utilisés en Chine. En fonction de l'ampleur que pourraient prendre des suspensions de l'activité (localisés à une ou plusieurs villes, une région, …) qui en découleraient, il est facile d'entrevoir les conséquences possibles de celles-ci en Chine même, et aussi mondialement. (Actualisation du 31/12/2021)