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1983, gare de Bologne en Italie. Des centaines de gens affairés se trouvent là quand éclate la bombe ; œuvre d’un dément, d’un fou dangereux, d’un terroriste sanguinaire... On se rappelle les images horribles des nombreuses victimes et aussi la réaction indignée, dégoûtée, des médias, la chasse effrénée aux terroristes par tous les gouvernements des pays de l’Ouest européen dont celui de l’Italie n’était pas le moins zélé. Ce ne fut qu’un épisode parmi les plus odieux de toute la violence terroriste qui sévissait en Europe ces années-là.
1990, Giulio Andreotti, qui participa à presque tous les gouvernements italiens depuis 1947 et se trouve aujourd’hui encore président du Conseil, fait parler de lui une nouvelle fois ; il arrive benoîtement et annonce dans un rapport "confidentiel", à présent connu de tous, qu’en Italie, il existe toujours un réseau clandestin d’agents commandé par les services secrets et largement financé par l’OTAN et la CIA. Ce réseau, du nom de "Gladio" (glaive en italien), avait été mis en place, dans toute l’Europe, par les USA au début de la guerre froide afin "de résister à une éventuelle occupation ennemie", c’est-à-dire russe. Ce réseau est composé de barbouzes triées sur le volet, rompues à toutes les techniques de la propagande, du sabotage et de la guérilla. De fil en aiguille, on en vient à ne plus douter que "Gladio" est à l’origine de pas mal d’attentats en Italie dont justement celui de Bologne ou encore le meurtre d’Aldo Moro. Le terrorisme peut bien être noir ou rouge, venir de Libye ou d’ailleurs, il semble que "Gladio" et consœurs y soient dans presque tous les cas mêlés. Alimentant "la stratégie de la tension" dans toutes ces années pour arriver à ses fins, la bourgeoisie magouille, assassine ses pairs et massacre des innocents !
Pour les "gladiateurs", il s’agissait de contrer tout ce qui était prorusse et notamment l’arrivée du PCI au pouvoir, qui aurait, paraît-il, mis l’OTAN en danger.
Puis petit à petit, on découvre aussi que le même type d’organisation clandestine existait en France jusqu’au 1er novembre, date approximative à laquelle Mitterrand l’aurait dissoute ; elle existait également en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne ou encore en Suède, bref, l’Europe occidentale en était totalement pourvue ! En fait, ce qu’on découvre aujourd’hui avec l’affaire "Gladio", c’est tout simplement l’existence d’une structure secrète de l’OTAN dont s’étaient dotés, sous l’égide des USA, les principaux pays de l’ex-bloc occidental (y compris la France, dont les velléités d’indépendance à l’égard des USA apparaissent maintenant ouvertement pour ce qu’elles étaient déjà à l’époque de De Gaulle : de l’esbroufe !).
Que tout cela perce aujourd’hui au grand jour n’est en rien une preuve de "changement d’attitude" de la bourgeoisie sur le fond. La conjonction extraordinaire des circonstances historiques actuelles permet à elle seule de comprendre pourquoi tout cela se sait maintenant, pourquoi, à la suite de l’Etat italien, toutes les puissances européennes lancent à présent ce pétard. C’est bien sûr, comme l’avoue ouvertement Andreotti, parce que les blocs impérialistes d’hier ont disparu que la raison de l’existence de "Gladio" s’écroule aussi. Mais au-delà de cette réalité, ce que révèle cette affaire, c’est surtout la tentative des principaux pays occidentaux de se dégager de la tutelle américaine, voire de s’y opposer, au moment même où les USA s’efforcent par tous les moyens de réaffirmer leur leadership sur le monde à travers leur offensive militaire contre l’Irak. En faisant exploser au grand jour le réseau "Gladio", tous les pays européens impliqués dans cette opération, ne visent ainsi à rien de moins que torpiller la discipline que cherchent à leur imposer les USA. L’affaire "Gladio" n’est, ainsi, qu’une nouvelle manifestation caricaturale de la tendance au "chacun pour soi" qui caractérise la politique de tous les Etats sur l’arène impérialiste mondiale.
Baldwin (22.11.90)