Aujourd’hui comme hier, Solidarnosc est le pire ennemi des ouvriers de Pologne

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Nous publions ci-dessous des extraits d’une lettre de lecteur qui aborde différentes questions : le rôle des syndicats, celui des gauchistes de "Lutte Ouvrière" et pour finir la situation en Pologne et la nature de Solidarnosc. C’est la partie traitant de cette dernière question, suivie de notre réponse que nous publions ici.

 (...) Au sujet du syndicalisme, je ne sais quelle est votre position vis-à-vis de Solidarité (je ne suis pas lecteur de RI depuis assez longtemps) mais j’ai lu dernièrement deux ouvrages qui m’ont quelque peu éclairé sur la question : le livre de Lech Walesa : "Un chemin d’espoir" et celui d’Adam Michnik "Penser la Pologne". Ce dernier surtout est important, car œuvre d’un penseur attentif et modéré. Il met l’accent sur deux thèmes importants:

  • Tout d’abord la prudence à adopter dans chaque mouvement de revendications. 1970 est trop présent dans les esprits. Prague, Budapest, sont des cicatrices encore béantes. Michnik met sans cesse l’accent sur le danger soviétique réel qui dicte toute forme d’opposition: forcément modérée et avançant à petits pas, mais ferme dans ses objectifs. La classe ouvrière polonaise, exaspérée par les hausses de prix à répétition, le mépris des milices et du gouvernement, pouvait-elle agir autrement qu’elle ne l’a fait? Solidarité a été une impulsion formidable qui, dans les luttes de 81, alors qu’elle n’était encore qu’un embryon, avec l’aide de quelques intellectuels et la volonté de la base, a permis d’élargir le cadre des revendications aux 21 propositions finalement signées.
  • Ensuite, il y définit parfaitement le rôle historique de l’Eglise, puissance capitale, structurée : forte d’une influence morale qui n’ose pas (ne peut pas) briser le gouvernement, elle est un contre-pouvoir relativement favorable aux ouvriers et ne leur refusant pas un soutien au moins verbal. Certes, elle trouve dans l’affaire de quoi satisfaire des appétits, mais elle était alors un allié puissant.

Mais Lech Walesa et Michnik mettent nettement en garde et définissent parfaitement les limites de leur action. Solidarité n’a jamais postulé la destruction de l’Etat ni même du communisme. Solidarité a voulu s’imposer comme mouvement de défense des ouvriers et non comme mouvement politique d’opposition.

Aujourd’hui la situation est plus claire encore. Solidarité est un appareil syndical énorme, qui va se bureaucratisant et qui défend le gouvernement en place, même si cela doit être demain contre les ouvriers. Mazowiecki veut faire de la Pologne un pays libéral-capitaliste-démocratique. Grâce à l’ère Gorbatchev, il semble avoir les mains libres. Le syndicat semble le soutenir. (...)

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NOTRE REPONSE

Nous ne pouvons qu’encourager l’attitude qui est la tienne de recherche des positions de classe et de dénonciation des syndicats qui, comme tu le dis, "baladent les ouvriers... refusent l’extension", comme à Peugeot par exemple, dénonciation que tu appliques aussi justement à LO qui ne rate pas une occasion, en fait, de soutenir les syndicats, ce que tu appelles le "traquenard syndical".

Tu te poses cependant des questions concernant le syndicat Solidarité en Pologne et l’action d’éléments comme Walesa, président de Solidarité, et Michnik, l’un des fondateurs du KOR.

Tu penses que Solidarité aurait été "une impulsion formidable" ; il aurait permis "d’élargir le cadre des revendications aux 21 propositions finalement signées" ; son seul souci aurait été de "s’imposer comme mouvement de défense des ouvriers et non comme mouvement politique d’opposition" ; Solidarnosc, aujourd’hui, irait "se bureaucratisant et défend le gouvernement en place, même si cela doit être demain contre les ouvriers.".

Nous allons rappeler brièvement notre position sur des questions aussi essentielles, et nous renvoyons à d’autres articles de notre presse[1], pour de plus amples développements.

Rappelons d’abord une vérité générale: en aucun cas, on ne peut juger les gens d’après ce qu’ils disent d’eux-mêmes et ce qu’ils disent faire, mais sur ce qu’ils font pratiquement. Mais, au cas particulier, même certains dires de Solidarité sont très clairs, dès 1980:

  • "Pour dire les choses comme elles sont, nous avions le sentiment, depuis deux bons mois, que le pouvoir était, d’une certaine façon, dépassé par les événements, et qu’il fallait que le syndicat, fort du soutien populaire dont il bénéficie, prenne en compte la réalité des difficultés économiques et en explique les conséquences (...) : arrêter toutes les actions revendicatives et chercher à établir un programme social qui prenne en compte les données de la crise économique..." (Extrait de l’entretien avec un expert-conseiller de Solidarité, publié dans "Le Monde” du 17.12.80).

Et de fait, depuis ses débuts, l’attitude du syndicat Solidarité n’a pas varié. Elle a toujours constitué un barrage directement élevé contre les luttes ouvrières. Rappelons les faits : dans ses luttes, en juillet-août 1980, à partir de revendications alimentaires face à la pénurie, la classe ouvrière a été rapidement amenée à s’organiser de manière autonome, en assemblées générales souveraines, nommant et contrôlant de façon permanente les membres révocables des comités de grève qu’elle envoyait aux délibérations rendues publiques par voie de haut-parleurs et qui étaient les organes exécutifs des décisions de l’assemblée.

Une des revendications majeures mises en avant dans les assemblées était la dissolution du carcan que constituaient les syndicats officiels, ces milices de l’Etat dans les usines, dont la tâche principale était la surveillance des quotas de production des ouvriers.

Dans les débats permanents que suscitait le mouvement, s’exprimaient des positions diverses comme celle des membres de l’opposition pro-occidentale du KOR et aussi celle des partisans d’un "syndicalisme libre”. Cette dernière idée a connu un rapide succès dans les assemblées car les ouvriers voyaient, dans le "syndicalisme libre", la possibilité de manifester leur liberté face au pouvoir stalinien. Ils exprimaient par là le poids important des illusions démocratiques qui pèsent sur eux. C’est dans ces conditions que les Walesa et consorts sont parvenus à placer, comme première revendication, la constitution de "nouveaux syndicats libres et indépendants". Ainsi, le piège principal se mettait en place.

En acceptant le principe de nouveaux syndicats, les ouvriers laissaient se créer une brèche qui signifiait l’acceptation d’une délégation de pouvoir à une minorité agissante, la création d’une structure hiérarchisée qu’ils n’allaient plus contrôler, extérieure à eux et qui les privait de leur force essentielle : leur propre organisation, leur propre unité basée sur les AG souveraines et les comités de grève élus et révocables.

Très rapidement, de publique, la négociation entre le MKS et l’Etat, qui aboutit aux accords de Gdansk de fin août 80, devint secrète et échappa au contrôle des assemblées générales pour devenir une affaire de "spécialistes de la conciliation". C’est le KOR, conseiller de Solidarité qui, au moment de l’établissement par le comité inter-entreprises de Gdansk de la liste des revendications, met en garde les ouvriers contre "des revendications qui, soit acculent le pouvoir à la violence, soit entraînent sa décomposition. Il faut leur laisser une porte de sortie"! Et pourquoi ? Parce que "s’élever contre la hausse des prix porterait un coup au fonctionnement de l’économie" ! Ce sont là les déclarations du KOR.

Ces spécialistes syndicaux avec en tête Walesa, passèrent rapidement d’un langage combatif à des discours de plus en plus "responsables", jusqu’à accepter, avec la reprise du travail, un accroissement de la productivité pour "réparer le mal causé par la grève". Ils se plaçaient ainsi résolument du point de vue de la défense du capital national (ce qui ne doit pas nous surprendre de la part d’un syndicat) et c’est pour cela qu’ils réclamaient aux ouvriers la délégation de pouvoir. Le nouveau syndicat sera désormais l’organe qui négociera avec les autorités, usine par usine, secteur par secteur, ville par ville, avec toujours comme objectif : faire reprendre le travail. Et cela n’a cessé depuis. Voilà comment, grâce à Solidarnosc, tout un mouvement, puissant jusqu’à août 80, a été affaibli et comment le nouveau syndicat a livré les ouvriers pieds et poings liés à la répression.

La leçon est claire : partout, quel que soit le degré d’illusions qu’il est capable de semer, l’appareil syndical est contraint d’exercer la même fonction : au service de l’Etat, contre le prolétariat. Toute forme syndicale aujourd’hui ne peut aboutir qu’à cela. C’est depuis sa naissance que Solidarité est cela. Son attitude "bureaucratique" d’aujourd’hui était inscrite dans sa nature anti-ouvrière, dès sa naissance et a toujours été sa pratique. Quelle que soit l’image qu’il puisse offrir, qu’il adopte un langage radical pour mieux contenir la pression ouvrière ou qu’il prône ouvertement "les sacrifices nécessaires face aux réalités de l’économie nationale", tout syndicat met en œuvre, toujours et partout, la même pratique qui s’oppose directement, non seulement aux intérêts mais aux pratiques mêmes de la classe ouvrière en lutte. En cela, un Walesa n’est pas différent d’un Krasucki, d’un Kaspar ou d’un Blondel.

Dans les régimes staliniens ou "démocratiques", toute forme syndicale ne peut jamais correspondre à l’expression du mouvement ouvrier, mais toujours au besoin de la classe bourgeoise, d’essayer de contrecarrer un mouvement qui le menace.

A.B.


[1] "Revue Internationale" n°s 23, 24, 27, 28 et 29. "Révolution Internationale" n°s 179,180,181...

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