Ceuta: Les migrants, otages des sordides rivalités capitalistes

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Nous publions ci-dessous des extraits d’un article publié sur notre site en espagnol.


Afin de fermer l’accès à la Méditerranée, l’Union Européenne déploie une force navale nommée Frontex qui, en 10 ans, a refoulé de manière expéditive plus de 60 000 migrants et a été dénoncée pour effectuer des renvois directs dans des îles grecques en crise.

De plus, à côté de la répression propre des États membres l’UE confie “la sale besogne” de traque, de répression et de retour au pays d’origine à la Turquie à l’est, à la Libye au centre et au Maroc à l’ouest. […]

Le cynique marchandage de l’État marocain

Le capital marocain se charge à la perfection de cette “sous-traitance” puisque ses forces de répression ont une réputation bien méritée de brutalité et d’absence de scrupules en matière de “droits humains”. Depuis 2005, la police marocaine enferme, assassine, viole, bat, renvoie les migrants et réalise même quelque chose d’encore plus atroce en les faisant monter dans les autobus pour les abandonner en plein désert. 1 […]

Cependant en assumant ces fonctions généreusement rétribuées par l’UE, le Maroc, tout comme son homologue turc, dispose d’une formidable arme de pression et de chantage sur l’Europe et plus particulièrement sur l’Espagne, porte sud de la Méditerranée.

Le capital marocain utilise dans son intérêt le drame de l’émigration. Il se fait rémunérer sous forme de subventions, d’investissements, d’accords commerciaux, d’avantages impérialistes, etc. Lorsque le Maroc souhaite obtenir quelque avantage impérialiste (particulièrement au sujet du Sahara occidental) ou économique (par exemple avec la pêche) ou simplement recevoir plus de subventions. Mais quand il désire exercer une pression plus forte, il n’hésite pas à ouvrir sa frontière avec l’Espagne. C’est le jeu sinistre du chat et de la souris. Sa manœuvre habituelle est de laisser passer les migrants à travers les “points chauds” espagnols : Canaries, Melilla et Ceuta.

C’est le cas de la récente crise à Ceuta durant laquelle en deux jours, 10 000 personnes sont entrées dans la ville avec les encouragements des autorités marocaines. Après avoir laissé les portes ouvertes le lundi et le mardi, le mercredi 19 mai le Maroc a fermé de nouveau les frontières et les matraques, les tabassages et les détentions sont réapparus.

Plus de 1500 enfants et des familles entières sont entrés en nageant ou en passant par des trous dans les clôtures frontalières.

Au Maroc, la jeunesse est désespérée par le chômage, les atroces conditions de travail et la répression du régime : “La pandémie de Covid-19 a contracté l’économie de 7,1 % et a fait s’envoler le chômage des jeunes à près de 40 %. La pauvreté dans les villes a été multipliée par 7 durant la dernière année. En février, au moins 24 personnes, pour la plupart des femmes, sont mortes noyées à cause d’une inondation dans une cave de Tanger qui fonctionnait comme fabrique textile illégale2. […]

Dans le même temps au nord du Maroc, se concentrent des milliers de migrants qui fuient en débandade la situation qui règne dans la grande majorité des pays africains.

Pour l’UNHCR (agence dec l’ONU sur la question des réfugiés), […] “la majeure partie des migrants est victime ou témoin d’exactions brutales aux mains des trafiquants, des contrebandiers, des milices ou des autorités étatiques qui les soumettent à des tortures impensables comme des brûlures à l’huile, au métal brûlant, ou au plastique fondu ; des décharges électriques et des immobilisations dans des postures douloureuses en plus de les battre et de les obliger à réaliser des travaux forcés, voire de les assassiner”.

Selon ce même rapport, “dans 47 % des cas les victimes ont déclaré que ces violences émanaient des autorités policières, ce qui écarte l’idée que les responsables sont toujours des contrebandiers ou des trafiquants”. “Au moins 1750 personnes sont mortes en 2018 et en 2019 après avoir migré de nations d’Afrique occidentale ou orientale”.

Cela a débouché sur les incidents de Castillejos, une ville marocaine voisine de Ceuta, où des centaines de jeunes se sont défendus contre la gendarmerie à coups de pierres. C’est une manipulation sanglante qui montre le capital tel qu’il est : un système assassin commandé par des assassins patentés.

L’hypocrisie et la barbarie de la démocratie espagnole

Le capital espagnol, un impérialisme de second plan, aime exhiber ses muscles chaque fois qu’il a un contentieux avec son voisin du Sud. En 2002, le gouvernement de droite d’Aznar avait déployé une opération militaire disproportionée afin de déloger une demi-douzaine de soldats marocains qui avaient fait une incursion sur Perjil, en face des côtes de Ceuta. En 2005 le gouvernement “socialiste” de Zapatero a déployé ses troupes de légionnaires et la garde civile afin de repousser brutalement une ruée de migrants que le Maroc avait laissé passer par Melilla. Cinq migrants sont morts. Désormais, c’est le gouvernement de la “gauche progressiste” de Sanchez (dont fait partie “l’ami des migrants” Podemos), qui lance les tanks sur la plage du Tarajal et déploie l’armée et la garde civile. Les migrants ont souffert de ce déploiement puisque se sont produites “des agressions sur mineurs de la part des membres de l’armée, le non-respect du devoir de protection à l’enfance, des renvois immédiats sans un minimum de garanties, la criminalisation des personnes migrantes. Au moins un homme est décédé. Le gouvernement espagnol a refoulé plus de 4000 personnes”.3 […]

Le capital espagnol joue un double jeu avec les pays du Maghreb en tentant d’arbitrer et de tirer profit des tensions entre deux ennemis irréconciliables : le Maroc et l’Algérie. Cette dernière supporte le Polisario, “mouvement de libération du Sahara occidental” occupé par le Maroc ainsi l’hospitalisation en Espagne du leader de ce groupe atteint du Covid a provoqué les représailles marocaines. Cependant, la réponse armée du capital espagnol a pris les migrants comme cibles. C’est la réalité de toutes les guerres : les capitaux nationaux s’affrontent en utilisant les masses humaines comme chair à canon.

L’État espagnol qui prétend être “démocratique”, “humanitaire” et “avancé” a tenté de dissimuler la barbarie de sa réponse avec la répétition en boucle d’images humanitaires : un garde civil qui sauve un bébé, des soldats prenant un migrant par l’épaule ou les équipes du personnel sanitaire s’occupant de femmes et d’enfants transis de froid.

Le cache-sexe hypocrite du gouvernement “le plus progressiste de l’histoire espagnole” occulte le désespoir de centaines de migrants qui déambulent dans Ceuta, se cachant de la police et de l’armée pour ne pas être renvoyés ou internés : selon la presse locale, “Les enfants, les jeunes qui arrivent sur le territoire de Ceuta sont refoulés sans que personne ait parlé avec eux, dorment dans la rue et sont victimes de tirs de carabine de plomb dans les rues”. À Ceuta, des femmes d’origine marocaine, aidées par des familles espagnoles et de Gibraltar, ont organisé de leur propre initiative, devant la totale inaction des organismes officiels, des services de douches, de distribution de nourriture et de vêtements aux migrants noirs ou arabes. D’après leurs témoignages, ils sont quelques milliers à venir chaque jour, apeurés, “refusant d’aller à l’hôpital universitaire de Ceuta car ils ont peur que la police ne les embarque et les renvoie au Maroc”. […] Les CIES (centres d’internement pour étrangers) sont des prisons dans lesquelles les migrants peuvent être enfermés plus de 60 jours sans avoir commis le moindre délit, théoriquement en attente d’être déportés. Il y en a huit en Espagne dans lesquels on a entassé jusqu’à 14 000 migrants alors que la capacité officielle est de 1472 personnes ! En mai 2020 ils ont été vidés à cause des révoltes et des protestations car ils ne recevaient aucune attention face au danger de contamination par le Covid. Cependant ils ont été réouverts en septembre 2020 et plus de 1000 personnes se retrouvent ainsi enfermées dans des conditions sanitaires, alimentaires et de traitement inhumaines.

S’y ajoutent les campements dans trois îles des Canaries (Fuerteventura, Gran Canaria et Tenerife) dans lesquels, en pleine pandémie, le gouvernement a entassé plus de 9000 migrants venant des côtes africaines dans des conditions de logement infâmes, avec de la nourriture de mauvaise qualité et en petite quantité et en leur faisant subir des traitements dégradants.

Ceux qui “jouissent de liberté” se voient forcés à dormir à la merci des intempéries sur des terrains, dans des maisons abandonnées ou dans le meilleur des cas, dans des appartements de fortune dans lesquels ils s’entassent jusqu’à 14 dans des logements de 3 pièces.

Avec des emplois informels, travaillant comme vigiles dans les parkings, laveurs de vitres aux feux rouges, vendeurs à la sauvette toujours prêts à ramasser les marchandises et à courir avant l’arrivée de la police.

De fait, derrière l’attaque scandaleuse des migrants par le capital espagnol se cache la poursuite de l’attaque frontale des conditions de vie de tous les travailleurs, natifs ou étrangers car les conditions des travailleurs “autochtones” s’apparentent toujours plus à celles de leurs frères de classe migrants. Le salaire moyen en Espagne a connu en 2020 une chute de 3,1 %, la plus importante depuis un demi-siècle. […] La précarité de l’emploi connaît une escalade irréversible affectant tout particulièrement les jeunes générations alors même que sévit une nouvelle vague énorme de licenciements.

Il faut repousser autant les loups (Vox, PP) qui disent défendre les travailleurs espagnols face aux immigrés que les loups déguisés en agneaux (Podemos, PSOE) qui prétendent défendre tout le monde sans discrimination.

Les uns un comme les autres n’ont qu’un seul but : renforcer l’exploitation capitaliste en accroissant l’enfoncement dans la misère de tous les prolétaires par tous les moyens.

Marjane/Omar, 31 mai 2021

 

1Voir l’article « Ceuta, Mellila : l’hypocrisie criminelle de la bourgeoisie démocratique », Révolution internationaleI n° 362, (novembre 2005).

2“El regreso al pasado del rey de Marruecos”, article du quotidien bourgeois La Vanguardia du 20/05/2021.

3Selon Kaosenlared du 21 mai 2021 (site sur les réseaux sociaux se réclamant de la « gauche anticapitaliste »).

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Migrants