Conflits au Sahel: L’impérialisme français condamné à la débandade ou à l’enlisement

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

La situation au Sahel est marquée par deux événements d’actualité rappelant brutalement les difficultés colossales dans lesquelles baigne l’impérialisme français : d’un côté, au Mali où deux coups d’État se sont produits à neuf mois d’intervalle au nez et à la barbe des forces de l’opération Barkhane déployées sur place ; d’un autre côté, la mort subite (« au combat ») d’Idriss Déby, tyran tchadien dont le pays constitue le pilier principal du dispositif militaire français en Afrique. Ces deux événements sont arrivés au moment où la France est face à un dilemme : l’enlisement jusqu’au cou ou la débandade humiliante.

Face à cette situation, le président Macron tergiverse et se noie dans ses incohérences habituelles en politique africaine : devant les médias il décrète « la fin de l’opération Barkhane » tout en prétendant vouloir en créer une autre appelée « Takuba » en y associant ses « partenaires » européens et africains, alors que ce « machin » existe déjà depuis 2018. La versatilité de Macron a été sévèrement jugée au sein même de l’armée française comme le prouve la réaction de ce général cité par la presse : « On peut difficilement demander à nos partenaires européens de nous venir en aide au Mali et, en même temps, donner le signal que la France retire ses billes ».

Mais plus ouvertement encore, c’est la presse de l’Afrique occidentale qui se moque de l’attitude du président français : « En attendant un enterrement de première classe, ou d’une inhumation dans l’intimité familiale, la force Barkhane vient, après une lente agonie, de pousser son dernier soupir (cette opération militaire a remplacé en 2014 l’opération Serval, lancée deux ans plutôt au Mali pour combattre les groupes terroristes). […] La force française, forte de 5 100 hommes, dont 50 ont été avalés par le sable chaud du Sahel, aura affronté le danger des canons des djihadistes au quotidien, mais aura surtout souffert de ce sentiment anti-français qui ne cesse d’enfler, au point de constituer un gros caillou dans les rangers des Macron boys. Mais la force Barkhane a pris un autre plomb dans l’aile : la majorité des Français la désavoue, parce que budgétivore et dévoreuse des enfants de la patrie, à des milliers de kilomètres de la France ». (1)

« Agacé par l’idée de la perte du verrou malien et, au-delà, de tout l’espace sahélien, et constatant son impuissance à influencer sur les événements, Emmanuel Macron en vient à proférer des menaces ». (2)

Toutes ces réactions mettent le doigt sur l’impuissance et le désarroi de la bourgeoisie française dans sa politique militaire et dans ses orientations politiques où elle perd de plus en plus le contrôle de la situation.

C’est ainsi que, lassée de la persistance sans fin du chaos et du blocage du pays à tous les niveaux (militaire, économique, politique), une partie de l’armée malienne, dirigée par le colonel Assimi Goïta, a renversé le gouvernement civil en octobre dernier en promettant d’instaurer un nouveau gouvernement civil au bout d’une période de transition (de 18 mois). Au bout de 9 mois de palabres et l’annonce de la composition du futur gouvernement, le même colonel a repris les choses en main, le 24 mai (deuxième coup d’État), sous prétexte que ses proches y étaient mal représentés. Et ayant eu satisfaction avec la nomination du premier ministre de son choix, le colonel putschiste s’est réengagé dans le processus de transition en obtenant au bout du compte l’agrément des pays voisins regroupés au sein du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), mais pas celui de la France dont pas un seul dirigeant ou diplomate n’a soutenu publiquement ses orientations pour l’avenir du Mali. Voilà une expression du profond discrédit de l’autorité de l’impérialisme français dans ces pays qu’il prétend défendre contre le terrorisme islamique depuis plus de 8 années.

Face à l’échec flagrant de sa politique interventionniste au Mali, Macron et son gouvernement tâtonnent quant à la ligne à suivre dans la « lutte anti-djihadiste ».

L’impérialisme français assoiffé de sang

Pour tenter de jouer son rôle de « gendarme » dans un Sahel déjà à feu et à sang depuis l’intervention de la France au Mali en 2013, les interventions militaires françaises sont de plus en plus orientées vers des pratiques d’assassinats ciblés, en utilisant des drones tueurs, des avions de chasse ou des commandos spécialisés en la matière.

Mais ces interventions visant à « liquider » les chefs des groupes terroristes font surtout de sanglantes « bavures » au sein de la population civile. Ainsi en janvier 2021, au Mali, une centaine de personnes s’étaient rassemblées dans un village pour célébrer un mariage et le banquet allait être servi lorsque des avions de chasse français ont surgi et lâché leurs bombes dans la foule, massacrant 22 personnes et mutilant de nombreuses autres victimes. Les témoignages des familles des victimes glacent le sang : « Les gens ramassaient les bras, les jambes et les têtes arrachés, ils les jetaient dans un trou et les enterraient » ;  « Ce n’étaient pas des djihadistes. Personne n’avait d’arme, même pas un couteau » ; « Nous étions en train de célébrer un mariage. Ils sont venus en avion puis nous ont bombardés ». (3)

L’État français a eu beau arguer que ce raid aérien avait touché uniquement des « terroristes » (ce qui a été formellement contredit par une enquête de l’ONU), il ne fait aucun doute que l’affaiblissement de son influence dans l’un de ses anciens pré-carrés le pousse à commettre les crimes les plus abjects et odieux pour maintenir sa présence impérialiste, commerciale et militaire.

En fait, l’armée française a commencé ses sales « bavures » dès le début de son intervention au Mali. Officiellement, on dénombre quelque 8 000 victimes civiles dans cette boucherie à laquelle participe activement l’ancienne puissance coloniale. Mais, après 8 ans de guerre, les islamistes sont loin d’être vaincus. Bien au contraire ! Les odieuses attaques des criminels djihadistes se développent de plus en plus au Mali, au Burkina, au Niger et dans la moitié des pays de la région, où des milliers d’écoles sont fermées du fait que les enseignants et les élèves sont pris pour cibles et risquent leur vie dans leurs salles de classe.

Dans ce contexte, il n’est même plus question de « chasser les groupes islamistes », pas plus que de « réinstaurer l’État de droit » ou de « sécuriser la population », comme le prétendait mensongèrement le président Hollande. Il s’agit désormais de négocier avec les djiadistes « les moins sanguinaires ». En réalité, l’impérialisme français se soucie comme d’une guigne des populations civiles ; il cherche d’abord et toujours à défendre ses sordides intérêts de puissance dans la région, quitte à perpétrer cyniquement et tenter de justifier d’autres crimes et tueries, tels le bombardement de populations civiles.

On appréciera ainsi les piteuses tentatives de justification, d’une hypocrisie des plus consommées, lorsque l’actuel président français déclare avec un aplomb presque touchant : « la France n’a aucun intérêt au Mali, aucun calcul politique ou économique » !

Le poids de la décomposition sur l’appareil politique français

L’enlisement de l’impérialisme français au Sahel s’explique d’abord et avant tout dans le cadre de la décomposition du capitalisme, dont l’une des manifestations frappantes est le caractère de plus en plus irrationnel des politiques menées par les représentants de la bourgeoisie à la tête de l’État.

Barkhane est une intervention très coûteuse économiquement (un milliard d’euros par an) et humainement (l’extension du conflit et des victimes et la généralisation de la misère) qui se poursuit sans objectif visible et sans fin. Pourquoi alors un tel aveuglement des gouvernements français successifs dans leur politique au Sahel ?

Une des réponses crédibles à cette question se trouve dans la thèse de l’un des anciens stratèges de l’impérialisme français, Dominique de Villepin, (4) selon laquelle, au sein de la bourgeoisie française, persiste ce courant délirant pour qui déclarer la guerre donne l’illusion de mettre à distance l’ennemi djihadiste, alors que, face au terrorisme, la puissance militaire hégémonique de la France est totalement dans l’impasse : quand elle avance, elle s’expose et cristallise tous les ressentiments contre elle ; quand elle se retire, elle aiguise les appétits de ses concurrents.

Mais si l’échec de sa politique « antiterroriste » au Sahel est flagrant, en revanche la bourgeoisie française s’en sert efficacement sur son territoire. Ainsi, la politique contre le terrorisme islamique sert de plus en plus ouvertement à justifier une politique ultra-sécuritaire et répressive, c’est-à-dire susciter la peur pour pousser la population derrière l’État « protecteur » et ses flics, en particulier quand les attentats terroristes se produisent en métropole. Ce sont là les agissements d’un État policier s’orientant de plus en plus vers le renforcement de la militarisation de la société.

Que la France quitte honteusement le Sahel ou s’y embourbe durablement, le chaos et la barbarie guerrière ne cesseront pas. Les morts continueront à être « avalés par le sable chaud du Sahel ». En Afrique comme ailleurs, les effets mortifères de l’impérialisme ne peuvent trouver de remèdes si ce n’est dans la destruction même de ce qui constitue sa logique même : le capitalisme décadent !

Amina, 24 juin 2021

 

1) « La fin de l’opération Barkhane au Sahel, c’est “la fin d’un leurre”», Courrier international, (17-23 juin 2021).

2) « Concernant le Sahel, Macron perd la raison », Courrier international, (3-9 juin 2021).

3) « Au Mali, la France piégée dans une guerre sans fin », Courrier international, (10-16 juin 2021).

4) Dominique de Villepin : Mémoire de paix pour temps de guerre (2016). Villepin est un ancien ministre des affaires étrangères et premier ministre, un pur produit de la bourgeoisie française.

 

Géographique: 

Rubrique: 

Conflits impérialistes