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Comme partout, depuis l’irruption du Covid-19, la pandémie conditionne la vie politique de la bourgeoisie en la rendant plus difficilement gérable pour les gouvernants et pour les différents appareils politiques nationaux qui subissent de plein fouet le poids de la décomposition du capitalisme. Ceci est particulièrement vrai en France où, depuis le début de la pandémie, s’étale, sans discontinuer, l’incurie du gouvernement Macron. Sa gestion de la crise est ouvertement jugée calamiteuse par la presse bourgeoise et dénoncée comme un fiasco, voire un scandale d’État, par le grand public. Les partis traditionnels ont perdu leurs “recettes idéologiques” et leur attractivité d’antan qui leur permettaient de mystifier facilement les électeurs et les militants en leur promettant plus de “démocratie”, d’ “égalité”, de “prospérité”, etc. Aujourd’hui, ces slogans, dans la bouche de partis qui n’ont cessé d’accompagner la crise et dégrader les conditions de vie des exploités, n’ont plus aucune crédibilité.
Il leur reste cependant l’arme des gros mensonges et des “coups” (de communication) pour tenter d’accéder ou se maintenir au pouvoir. De fait, la vie des partis bourgeois ressemble de plus en plus à celle des mafieux défendant des intérêts claniques et des carrières personnelles. Ce n’est pas par hasard si Hollande a qualifié de “hold up” l’élection de Macron en 2017, car cela correspond à la mentalité de gangs du milieu politique de la classe dominante.
Les tendances au chacun-pour-soi se sont également renforcées avec la pandémie. Après quelques semaines d’ “union nationale”, les partis d’opposition ne pouvaient pas abandonner “l’espace médiatique” à Marcon et ont tiré à boulets rouges sur le gouvernement à des fins strictement électoralistes, discréditant davantage son action. On a ainsi pu voir des barons locaux (présidents de Région, de Département…) s’opposer ouvertement aux mesures sanitaires du gouvernement, voire lui mettre des bâtons dans les roues, ajoutant ainsi à la cacophonie et au chaos logistique ambiant.
C’est avec le même état d’esprit que les partis s’agitent aujourd’hui dans la perspective de la présidentielle de 2022 et ce, alors que la bourgeoisie se retrouve encore plus fragilisée qu’il y a cinq ans face au danger que fait peser sur les intérêts globaux du capital français, l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national (RN), représentant des fractions les plus arriérées de la bourgeoisie française. En cela, les élections départementales et les régionales de juin 2021, alors que le risque épidémique est encore très élevé, visent à fourbir les armes pour tenter de repousser une nouvelle percée populiste dans le paysage politique de la bourgeoisie. Dès lors, les grandes manœuvres en vue des prochaines échéances électorales ont déjà commencé !
Quatre ans après sa victoire, le macronisme fragilisé
La bourgeoisie française avait su repousser le danger populiste avec la victoire de Macron et son mouvement La République en Marche (LREM). Mais le retour de bâton ne s’est pas fait attendre puisque cette fraction de l’appareil politique, très inexpérimentée, fait preuve d’un amateurisme effarant, enchaînant les erreurs politiques et les couacs avec des dissensions fréquentes à l’intérieur même du gouvernement. Des ministres s’écharpent jusque dans la presse sur des sujets aussi sensibles que la politique sanitaire ou les orientations économiques face à la crise, obligeant Macron a de sévères “recadrages” afin d’asseoir une autorité qu’il a encore du mal à imposer.
D’autre part, cette formation souffre d’un cruel manque d’implantation sur le territoire national, comme le soulignent les résultats des dernières municipales. Au niveau du parti, c’est l’effritement régulier des effectifs, y compris au parlement où pas moins de 45 députés ont quitté LREM en entraînant la perte de sa majorité absolue à l’Assemblée. Là encore, son allié du Modem a profité de l’occasion pour avancer ses pions et négocier des postes, comme son chef, François Bayrou, nommé Haut-commissaire au plan alors qu’il est encore sous le coup d’une mise en examen pour “complicité de détournement de fonds publics”…
En somme, il y a bien un affaiblissement du camp Macron, ce qui ne va pas sans conséquences sur les perspectives électorales et la capacité de la bourgeoisie à maintenir au sommet de l’État les fractions les plus clairvoyantes de l’appareil politique qui sont confrontées à la tendance dominante au “dégagisme”, au mécontentement et au désarroi des électeurs.
Le RN de Marine Le Pen à l’affût
Le RN, parti populiste notoire, s’est justement nourri du mécontentement suscité par la gestion de la pandémie, en particulier auprès de la petite bourgeoisie comme les commerçants, artisans et certaines professions libérales dont les activités subissent les effets négatifs des restrictions sanitaires (confinement, couvre-feu, perte de clientèle et de bénéfices…). Aussi, Marine Le Pen affine sa stratégie pour l’élection présidentielle, à commencer par gommer les aspects les moins “vendables” de son programme de 2017. Son nouveau discours s’en éloigne donc à plusieurs niveaux : par exemple pour les “accords de Schengen”, Marine Le Pen dit maintenant “réfléchir dans le cadre d’un esprit européen” ; pour la dette publique, elle est désormais pour son remboursement au nom de la responsabilité de l’État, et bien sûr, il n’est plus question d’abandonner la monnaie unique européenne. En clair, le RN vise à élargir son électorat en ciblant la droite “modérée”.
Il faut dire que Macron est devenu lui-même un facteur actif de la montée en puissance du populisme. Dans son chemin de croix pour se maintenir au pouvoir, Macron n’hésite plus à reprendre les ficelles démagogiques de sa concurrente : “islamo-gauchisme”, “séparatisme”, “reconquête républicaine face à la délinquance”, LREM reprend sans vergogne toutes les thématiques anti-immigrés du RN. Le sinistre ministre de l’Intérieur, Darmanin (qui en connaît un rayon en matière de délinquance, lui qui doit répondre de plusieurs plaintes pour viol et harcèlement), a même pu lancer nonchalamment à Le Pen : “je vous trouve molle, un peu branlante”.
Macron et son gouvernement multiplient également les fakes news les plus éhontées. LREM n’a ainsi pas hésité à colporter une étude complètement bidon plaçant la France au quatrième rang des pays les plus respectueux de l’environnement. Récemment encore, Macron affirmait mensongèrement que les épidémiologistes s’étaient trompés dans leur projection, alors que lui avait comme prédit l’avenir. Et que dire des statistiques arrangées comme il faut et des graphiques trompeurs que les ministres présentent chaque jour à la télévision pour donner à leur improvisation permanente une image “pragmatique” et “scientifique”. Ce faisant, c’est au sommet de l’État qu’on alimente la méfiance à l’égard de la science très prégnante dans l’électorat du RN.
La bourgeoisie en panne d’alternative crédible
Si Macron n’est pas encore écarté de la course à la présidentielle, son affaiblissement représente un réel danger de voir Marine Le Pen entrer à l’Élysée, ce à quoi la plupart des fractions de la bourgeoisie se refusent, d’autant que l’exemple de Trump est encore dans tous les esprits. Mais la bourgeoisie a de plus en plus de mal à faire émerger un candidat alternatif pour contrer le populisme.
Les Républicains (LR) demeurent très fragilisés et courent après un leader rassembleur, mais personne n’arrive à faire consensus, à tel point que certains rêvaient d’un retour de l’ex-grand chef Sarkozy, jusqu’au 1er mars dernier, date du verdict du tribunal correctionnel le condamnant à trois ans d’emprisonnement, dont un an ferme, pour délits de “corruption active et de trafic d’influence”. Cette condamnation s’est immédiatement traduite par une recrudescence de la concurrence acharnée chez les prétendants de la droite à la présidentielle (que sont Bertrand, Retailleau, Wauquiez, Pécresse ou encore Barnier). Largement concurrencé par la politique mise en place par LREM, ce parti d’opposition file tout droit sur le terrain traditionnel du RN avec un discours de plus en plus sécuritaire, anti-immigrés, antimusulmans, etc. LR se trouve ainsi coincé entre l’enclume macroniste et le marteau lepeniste.
Face aux perspectives électorales annonçant une nouvelle débâcle pour les partis de gauche, PS, EELV et les autres esquissent une nouvelle alliance pour tenter de sortir du coma dans lequel ils sont plongés depuis quatre ans. Dans ce contexte, un élément d’actualité a semblé accélérer le processus de l’union à gauche : le débat entre Darmanin et Le Pen se concluant par une “dédiabolisation” concrète de cette dernière par le ministre de l’Intérieur. Du coup, toute la gauche en tire argument pour affirmer que désormais Macron n’est plus un obstacle à l’arrivée du RN au pouvoir mais qu’il lui offre un boulevard. Depuis lors, divers sondages indiquent qu’une majorité des électeurs de gauche qui avaient voté Macron au deuxième tour en 2017 disent aujourd’hui qu’ils n’iront pas voter pour lui afin de faire barrage à Le Pen. De fait, la gauche semble avoir trouvé là un petit tremplin de circonstance pour tenter de se reconstruire. D’où la réunion organisée samedi 17 avril à Paris avec la participation d’une vingtaine d’organisations dont les résultats sont jugés “très positifs” par les porte-parole. L’issue de cette tentative d’union reste cependant incertaine tant les rancunes, les conflits d’ego et les ambitions sont également très tenaces à gauche.
En dernier recours, la bourgeoisie n’exclut pas, non plus, un scénario à l’italienne avec la construction d’attelages hétérogènes ou l’émergence d’une personnalité plus ou moins charismatique (comme Édouard Philippe) réunissant autour d’elle divers composantes de l’appareil politique. Mais la bourgeoisie est consciente qu’une telle solution ne ferait qu’accelerer les tendances à la perte de contrôle du jeu politique.
Ce branle-bas de combat démontre bien que la bourgeoisie tente de mettre toutes les cartes de son côté pour éviter une victoire de l’extrême droite, ce qui provoquerait une très forte instabilité politique et un approfondissement du chaos dans un des pays les plus développés d’Europe.
Fabien, 22 avril 2021