Hordes trumpistes et “gilets jaunes”: Un amalgame pour criminaliser toute révolte contre la misère !

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En France, dès les premières minutes de l’invasion du Capitole aux États-Unis par les nervis trumpistes, un mensonge éhonté s’est répandu dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ces insurgés néo-fascistes ne seraient que la version américaine des “gilets jaunes” : “Le danger pour la démocratie, c’est tous ceux qui encouragent les séditieux et la violence. Qu’ils se nomment “gilets jaunes”, qu’ils soient supporters de Trump, d’extrême-droite ou anarchistes”, “Factieux trumpistes aujourd’hui, “gilets jaunes” hier”, “Moi, quand je regardais hier les images que nous avons tous regardées, j’ai pensé aux “gilets jaunes”, évidemment”. (1) C’est bien entendu l’éditorialiste-vedette de l’hebdomadaire de droite Le Point, Franz-Olivier Giesbert, toujours en pointe quand il s’agit d’exploiter une situation pour développer une campagne idéologique qui avait ouvert le bal de cet amalgame sur les chaînes d’informations.

Cette comparaison fallacieuse poursuit trois buts :

  • dénaturer le mouvement des “gilets jaunes” qui était une explosion sociale contre la paupérisation ;
  • criminaliser ce mouvement et ainsi légitimer le renforcement continu de l’appareil répressif de l’État bourgeois ;
  • masquer et minimiser la signification profonde de l’assaut du Capitole : l’accélération de la décomposition de la société capitaliste.

La foule soutenant Trump était constituée de suprémacistes blancs et de rednecks. Elle brandissait une forêt de drapeaux des États confédérés, symboles nostalgiques de la grandeur des États du Sud esclavagistes. L’un de ses leaders, vêtu d’une peau de bison et d’un casque à cornes, se fait appeler Q-Shaman et exhibe son corps parsemé de tatouages nazis. Ces trumpistes, armés jusqu’aux dents, incarnent la haine de l’autre, de “l’étranger” et la poussée de la pensée irrationnelle qui gangrènent de plus en plus toute la société. Tous ces obscurantistes arriérés sont convaincus que la défaite de Trump aux élections est le fruit d’un complot, tout comme ils rejettent la théorie de l’évolution des espèces de Darwin. Ils croient que le monde ne remonte qu’à 6000 ans et certains restent persuadés que la terre est plate ! C’est là la quintessence du populisme.

Le mouvement des “gilets jaunes” en France, malgré certaines similitudes apparentes, n’a pas de commune mesure avec l’assaut du Capitole par les bandes armées de trumpistes fanatisés. Ce mouvement populaire était une révolte du désespoir portant les stigmates de la décomposition de la société capitaliste. Il a certes lui aussi été marqué partiellement par l’influence du populisme, notamment par le rejet de l’establishment et des élites, le nationalisme exacerbé. Au début du mouvement, et de façon minoritaire, une partie des “gilets jaunes” ont exprimé leur xénophobie, agressant verbalement des immigrés à plusieurs reprises et réclamant un durcissement du contrôle aux frontières. Ce mouvement a également été marqué par le chaos social, avec des scènes de guérillas urbaines, des saccages dans les beaux quartiers de Paris et une volonté, parmi les plus “radicaux” des “gilets jaunes”, de partir à l’assaut de l’Élysée (ce qui ne pouvait être qu’un fiasco : le palais présidentiel était autrement mieux protégé que le Capitole américain !).

La décomposition sociale a marqué indéniablement de son sceau le mouvement des “gilets jaunes”. Mais il n’y a pas de trait d’égalité avec le coup de force des “factieux trumpistes”, ces nervis nazillons, avec leurs milices armées qui ont pris d’assaut le Capitole. Le mouvement des “gilets jaunes” n’était pas une flambée de haine populiste, animée par les idéologies de l’extrême-droite et visant à maintenir à la tête de l’État un aventurier mégalomane complètement irresponsable. Ce mouvement était une révolte illusoirement “citoyenne” contre la paupérisation dans lequel se sont retrouvées toutes les couches sociales protestant contre la politique économique de Macron, le “Président des riches”. Il s’agissait d’un mouvement interclassiste (et non pas populiste) du fait que les revendications des secteurs les plus pauvres du prolétariat (les ouvriers des zones rurales et péri-urbaines) s’étaient mêlées à celle des petits patrons et artisans. Dans le mouvement des “gilets jaunes”, de très nombreux retraités et ouvriers pauvres n’arrivant plus à joindre les deux bouts, ont défilé pacifiquement dans les manifestations contre la misère, la précarité et le chômage. La nature interclassiste de ce mouvement social s’est illustrée par un amas hétéroclite de revendications souvent contradictoires entre elles. Derrière l’explosion de colère contre l’augmentation des taxes sur le carburant qui frappait aussi bien les petits patrons que les ouvriers des zones rurales contraints de prendre leur voiture pour se déplacer et se rendre à leur travail, se cachaient en réalité des intérêts antagoniques. Face à l’augmentation du coût de la vie, la composante ouvrière des “gilets jaunes” revendiquait une augmentation du salaire minimum, alors que les petits patrons (et petits exploiteurs) mettaient plutôt en avant une baisse des taxes mais aussi une baisse des salaires de leurs employés pour maintenir leur entreprise à flot. Ce mouvement interclassiste où les revendications ouvrières se sont mêlées à celle de la petite-bourgeoisie ne pouvait conduire qu’à diluer les secteurs les plus fragiles et marginalisés du prolétariat dans “le peuple”, sans aucune distinction de classe. C’est pour cela que le mouvement des “gilets jaunes” a été immanquablement marqué par l’idéologie et les méthodes de la petite-bourgeoisie victime de déclassement, de la paupérisation liée aux ravages de la crise économique et portée par le sentiment de frustration et de revanche sociale, avec une forte polarisation contre la personne de Macron.

Néanmoins, l’hétérogénéité des “gilets jaunes” a débouché sur une relative décantation. Alors qu’à son début, ce mouvement social avait été soutenu par Marine Le Pen et les partis de droite, c’est La France Insoumise, le parti de Mélenchon, et les gauchistes (notamment le NPA) qui ont pris le relais, à mesure que la composante ouvrière des “gilets jaunes” s’est détachée en faisant prévaloir ses propres revendications concentrées sur la question des salaires et du pouvoir d’achat. Cette décantation a été rendue plus visible lors des manifestations contre la réforme des retraites : des centaines de “gilets jaunes” regroupés sous le drapeau tricolore et entonnant La Marseillaise ont été rejetés des cortèges, alors que d’autres choisissaient de s’intégrer, individuellement ou par petits groupes dans le mouvement général de la classe ouvrière contre la réforme des retraites (où dans certains cortèges, de nombreux travailleurs en lutte chantaient L’Internationale à tue-tête pour couvrir la voix nationaliste des “gilets jaunes” “radicaux”.

En faisant un amalgame tendancieusement superficiel et caricatural entre les “gilets jaunes” et les troupes de choc para-militaires de Trump, les médias bourgeois et autres journalistes ou politiciens invités sur les plateaux de télévision, se focalisent sur les scènes de violences, en évacuant délibérément les actes de vandalisme des bandes black blocs (entièrement manipulés par la police) ! Une telle falsification de la réalité vise essentiellement cet objectif : criminaliser tout mouvement de révolte contre la misère et la pauvreté. On peut donc être sûr que la bourgeoisie n’hésitera pas dans l’avenir à déployer ses forces de répression face à tout mouvement révolutionnaire de la classe exploitée. Elle n’hésitera pas (et se prépare déjà) à le dénoncer comme un coup d’État fomenté par des hordes de terroristes semant la violence, le chaos et le désordre contre l’ordre “démocratique” républicain et sa “paix sociale”.

Gilles, 11 janvier 2021

 

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Assaut du Capitole