Assaut du Capitole à Washington: Les États-Unis au cœur de la décomposition mondiale du capitalisme

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C’est ainsi que les résultats sont contestés dans les républiques bananières”. Cette déclaration faisait suite à l’intrusion au sein du Capitole de plusieurs centaines de partisans de Donald Trump venus interrompre la certification de la victoire de Joe Biden le 6 janvier. On aurait pu penser qu’un jugement aussi sévère sur la situation politique aux États-Unis émanerait d’un individu viscéralement hostile à ce pays, ou bien d’un “gauchiste” américain. Rien de tout cela : c’est l’ex-Président George W. Bush, qui plus est membre du même parti que Trump, qui en a été l’auteur. C’est dire la gravité de ce qui s’est passé ce jour-là à Washington. Quelques heures plus tôt, au pied de la Maison-Blanche, le Président vaincu, tel un démagogue du Tiers monde, avait chauffé à blanc la foule de ses partisans : “Nous n’abandonnerons jamais ! Nous ne concéderons jamais cette défaite ! […] Nous ne reprendrons jamais notre pays en étant faibles ! […] Je sais que tout le monde ici marchera bientôt vers le Capitole, pour pacifiquement, patriotiquement faire entendre vos voix”. Suite à cet appel à peine voilé à l’émeute, la foule vengeresse, dirigée par les hordes trumpistes fascisantes (comme les Proud Boys) n’avait plus qu’à remonter à pied le National Mall en direction du Capitole et prendre d’assaut le bâtiment, sous l’œil des forces de l’ordre totalement dépassées. Comment se fait-il que les cordons de flics chargés de protéger l’accès au Capitole aient pu laisser passer les assaillants alors que le dispositif de sécurité impressionnant lors des manifestations Black Lives Matter devant ce même bâtiment avait empêché tout débordement ? Ces images effarantes ne pouvaient que susciter la théorie selon laquelle l’assaut contre cet emblème de la démocratie américaine était un “11-septembre politique”.

Face au chaos, les autorités n’ont cependant pas tardé à réagir : les troupes antiémeutes et la Garde nationale sont déployées, des coups de feu retentissent provoquant cinq morts, un couvre-feu est instauré tandis que l’armée patrouille dans les rues de Washington… Ces images, totalement hallucinantes, rappellent en effet les nuits post-électorales des “républiques bananières” de pays du tiers-monde déchirés par les rivalités sanguinaires de cliques mafieuses. Mais ces événements qui ont fait la Une de l’actualité internationale, ne sont pas le fait d’un exotique général mégalomane. Ils se sont déroulés au cœur de la première puissance planétaire, au sein de la “plus grande démocratie du monde”.

La première puissance mondiale au centre d’un chaos planétaire grandissant

La “profanation du temple de la démocratie américaine” par une foule composite de suprémacistes blancs armés de perches à selfie, de milices armées fanatiques et détraquées, ou d’un complotiste coiffé d’un casque à cornes, est l’expression flagrante de la violence et de l’irrationalité croissantes qui gangrènent la société aux États-Unis. Les fractures au sein de son appareil politique, l’explosion du populisme depuis l’élection de Trump, illustrent de façon éloquente le pourrissement sur pied de la société capitaliste. En fait, comme nous l’avons souligné depuis la fin des années 1980, (1) le système capitaliste, entré en décadence avec la Première Guerre mondiale, s’enfonce depuis plusieurs décennies dans la phase ultime de cette décadence, celle de la décomposition. La manifestation la plus spectaculaire de cette situation avait été l’effondrement, il y a trois décennies, du bloc de l’Est. Cet événement considérable n’était pas le simple révélateur de la fragilité des régimes qui dirigeaient les pays de ce bloc. Il exprimait un phénomène historique qui affectait l’ensemble de la société capitaliste à l’échelle mondiale et qui, depuis, est allé en s’aggravant. Jusqu’à présent, les signes les plus évidents de la décomposition ont été observés dans les pays “périphériques” déjà fragilisés (l) : les foules en colère servant de chair à canon pour les intérêts de telle ou telle clique bourgeoise, l’ultra violence au quotidien, la misère la plus noire s’affichant à chaque coin de rue, la déstabilisation d’États, voire de régions entières… Tout cela semblait en effet n’être l’apanage que de “républiques bananières”.

Depuis quelques années, cette tendance générale touche de plus en plus explicitement les pays “centraux”. Bien sûr, tous les États ne sont pas atteints de la même façon, mais il est clair que la décomposition vient à présent frapper de plein fouet les pays les plus puissants : multiplication des attaques terroristes en Europe, victoires surprises d’individus aussi irresponsables que Trump ou Boris Johnson, explosion des idéologies irrationnelles et, surtout, gestion désastreuse de la pandémie de coronavirus qui, à elle seule, exprime l’accélération sans précédent de la décomposition… Tout le capitalisme mondial, y compris ses parties les plus “civilisées” évolue inexorablement vers la barbarie avec des convulsions de plus en plus aiguës.

Si les États-Unis sont aujourd’hui, parmi les pays développés, celui qui est le plus touché par ce pourrissement sur pied, ils représentent aussi un des foyers majeurs d’instabilité. L’incapacité de la bourgeoisie à empêcher l’accès à la présidence d’un guignol milliardaire et populiste issu de la télé-réalité, exprimait déjà un chaos croissant dans l’appareil politique américain. Durant son mandat, Trump n’a pas cessé d’aggraver les “fractures” de la société américaine, notamment raciales, et d’alimenter le chaos partout sur la planète, à force de déclarations à l’emporte-pièce et de coups fumeux qu’il présentait fièrement comme de subtiles manœuvres de businessman. On se souviendra de ses déboires avec l’état-major américain qui l’avait empêché, à la dernière minute, de bombarder l’Iran ou de sa “rencontre historique” avec Kim Jong-un qu’il surnommait si finement “rocket man” quelques semaines plus tôt.

Lorsque la pandémie de Covid-19 a surgi, après des décennies de rabotage permanent des systèmes de santé, tous les États ont fait preuve d’une incurie criminelle. Mais, là encore, l’État américain dirigé par Donald Trump a été aux avant-postes du désastre, tant sur le plan national avec un nombre record de contagion et de décès, (2) qu’au niveau international, en déstabilisant une institution de “coopération” mondiale comme l’OMS.

L’assaut contre le Capitole par les bandes de trumpistes fanatisées s’inscrit entièrement dans cette dynamique d’explosion du chaos à tous les niveaux de la société. Cet événement est une manifestation des affrontements croissants totalement irrationnels et de plus en plus violents entre différentes parties de la population (les “blancs” contre les “noirs”, les “élites” contre le “peuple”, les hommes contre les femmes, les hétérosexuels contre les homosexuels, etc.), dont l’émergence de milices racistes surarmées et de complotistes totalement délirants est l’expression caricaturale.

Mais ces “fractures” sont surtout le reflet de l’affrontement ouvert entre les fractions de la bourgeoisie américaine, avec d’un côté les populistes autour de Trump et, de l’autre, les fractions plus soucieuses des intérêts à long terme du capital national : au sein du Parti démocrate et parmi le Parti républicain, dans les rouages de l’appareil d’État et de l’armée, à l’antenne des grandes chaînes d’information ou à la tribune des cérémonies hollywoodiennes, les campagnes, les résistances et les coups bas contre les gesticulations du président populiste, ont été constantes et parfois très virulentes.

Ces affrontements entre différents secteurs de la bourgeoisie ne sont pas choses nouvelles. Mais dans une “démocratie” comme les États-Unis, et contrairement à ce qui advient dans les pays du Tiers monde, ils s’exprimaient dans le cadre des institutions, dans le “respect de l’ordre”. Que ces affrontements prennent aujourd’hui cette forme chaotique et violente dans cette “démocratie modèle” témoigne d’une aggravation spectaculaire du chaos au sein même de l’appareil politique de la classe dominante, un pas significatif dans l’enfoncement du capitalisme dans la décomposition.

En excitant ses partisans, Trump a franchi une nouvelle étape dans sa politique de la “terre brûlée” après sa défaite aux dernières présidentielles qu’il refuse toujours de reconnaître. Le coup de force contre le Capitole, instance du pouvoir législatif et symbole de la démocratie américaine, a provoqué une scission au sein du parti républicain, sa fraction la plus “modérée” ne pouvait en effet que dénoncer ce “coup d’État” contre la démocratie et se démarquer de Trump pour tenter de sauver le parti d’Abraham Lincoln. Quant à la partie adverse, celle des Démocrates, elle ne pouvait que monter au créneau, dénonçant à hue et à dia l’irresponsabilité et la conduite criminelle de Trump galvanisant ses troupes les plus excitées.

Pour tenter de restaurer l’image de l’Amérique, face à la sidération de la bourgeoisie mondiale, et contenir l’explosion du chaos dans “le pays de la Liberté et de la Démocratie”, Joe Biden et sa clique, se sont immédiatement engagés dans un combat à mort contre Trump. Ils se sont empressés de dénoncer les agissements irresponsables de ce chef d’État à l’esprit dérangé ne permettant plus son maintien au pouvoir pendant les treize jours précédant l’investiture définitive du Président sorti des urnes.

Les démissions en chaîne des ministres Républicains, les appels à la démission de Trump ou à sa destitution, de même que les recommandations faites au Pentagone de surveiller de près ses agissements pour qu’il n’appuie pas sur le bouton de l’arme nucléaire, témoignent de la volonté d’éliminer du jeu politique celui qui est encore Président. Au lendemain de l’assaut contre le Capitole, cette crise politique s’est soldée par le lâchage de Trump par la moitié de son électorat, l’autre moitié continuant à soutenir et justifier l’attaque. La carrière politique de Trump semble gravement compromise. En particulier, tout est mis en place pour qu’il ne soit plus éligible et ne puisse pas se représenter en 2024. Aujourd’hui, le Président déchu n’a plus qu’un seul objectif : sauver sa peau face à la menace de poursuites judiciaires pour ses appels à l’insurrection. Après avoir appelé ses troupes, sans toutefois condamner leurs actes, à “rentrer pacifiquement à la maison” le soir-même de leur assaut contre le Capitole, Trump a mangé le reste de son chapeau deux jours après : il a qualifié “d’odieux” cet assaut et s’est dit “scandalisé par cette violence”. Et continuant à faire profil bas, il a fini par reconnaître du bout des lèvres sa défaite électorale et a déclaré qu’il laissera le “trône” à Biden tout en affirmant qu’il ne sera pas présent à la cérémonie de passation des pouvoirs le 20 janvier.

Il est possible que Trump soit définitivement éliminé du jeu politique mais ce n’est pas le cas du populisme ! Cette idéologie réactionnaire et obscurantiste est une lame de fond qui ne peut que monter avec le phénomène mondial d’aggravation de la décomposition sociale, dont les États-Unis sont aujourd’hui l’épicentre. La société américaine est plus que jamais divisée, fracturée. La montée de la violence va continuer avec le danger permanent d’affrontements (y compris armés) da de la population. La rhétorique de Biden sur la “réconciliation du peuple américain” montre une compréhension de la gravité de la situation, mais au-delà de tel ou tel succès partiel ou temporaire, elle ne pourra pas arrêter la tendance sous-jacente à la confrontation et à la dislocation sociale dans la première puissance mondiale.

Le plus grand danger pour le prolétariat aux États-Unis serait de se laisser entraîner dans la confrontation entre les différentes fractions de la bourgeoisie. Une bonne partie de l’électorat de Trump est constituée d’ouvriers rejetant les élites et à la recherche d’un “homme providentiel”. La politique de Trump de relance de l’industrie avait permis de rallier derrière lui de nombreux prolétaires de la “ceinture de la rouille” qui avaient perdu leur emploi. Le risque existe d’affrontements entre ouvriers pro-Trump et ouvriers pro-Biden. Par ailleurs, l’enfoncement de la société dans la décomposition risque d’aggraver encore le clivage racial, endémique aux États-Unis, entre les blancs et les noirs, en propulsant les idéologies identitaires.

La gigantesque campagne démocratique est un piège pour la classe ouvrière !

La tendance à la perte de contrôle de la bourgeoisie sur son jeu politique, comme on l’a vu avec l’arrivée de Trump à la présidence, ne signifie pas que la classe ouvrière peut tirer profit de la décomposition du capitalisme. Bien au contraire, la classe dominante ne cesse de retourner les effets de la décomposition contre la classe ouvrière. Déjà en 1989, alors que l’effondrement du bloc de l’Est était une manifestation spectaculaire de cette décomposition du capitalisme, la bourgeoisie des principaux pays avait utilisé cet événement pour déchaîner une gigantesque campagne démocratique mondiale au moyen d’un bourrage de crâne intensif, destinée à tirer un trait d’égalité entre la barbarie des régimes staliniens et la véritable société communiste. Les discours mensongers sur “la mort de la perspective révolutionnaire” et “la disparition de la classe ouvrière” avaient déboussolé le prolétariat, en provoquant un profond recul de sa conscience et de sa combativité. Aujourd’hui, la bourgeoisie instrumentalise les événements du Capitole en déployant une nouvelle campagne internationale à la gloire de la démocratie bourgeoise.

Alors que les “insurgés” occupaient encore le Capitole, Biden déclarait immédiatement : “Je suis choqué et attristé par le fait que notre nation, pendant très longtemps une lueur d’espoir pour la démocratie, soit confrontée à un moment si sombre. […] Le travail d’aujourd’hui et des quatre années à venir consistera à restaurer la démocratie”, suivi par une cascade de déclarations allant dans le même sens, y compris au sein du Parti républicain. Même son de cloche à l’étranger, particulièrement de la part des dirigeants des grands pays d’Europe occidentale : “Ces images m’ont mise en colère et attristée. Mais je suis sûre que la démocratie américaine se révélera beaucoup plus forte que les agresseurs et les émeutiers”, déclarait Angela Merkel. “Nous ne céderons rien à la violence de quelques-uns qui veulent remettre en cause [la démocratie]”, lançait Emmanuel Macron. Et Boris Johnson d’ajouter : “Toute ma vie, l’Amérique a représenté des choses très importantes : une idée de la liberté et une idée de la démocratie”. Après la mobilisation autour de l’élection présidentielle, qui a connu un record de participation, et le mouvement Black Lives Matter revendiquant une police “propre” et plus “juste”, de larges secteurs de la bourgeoisie mondiale cherchent à entraîner le prolétariat derrière la défense de l’État démocratique contre le “populisme”. Le prolétariat est appelé à se ranger derrière la clique “démocrate” contre le “dictateur” Trump. Ce faux “choix” n’est que pure mystification et un véritable piège pour la classe ouvrière !

À rebours du chaos international que Trump n’a cessé d’alimenter, le “démocrate” Biden imposera-t-il un “ordre mondial plus juste” ? Sûrement pas ! Le prix Nobel de la “Paix”, Barack Obama, et son ex-vice-président, Joe Biden, ont connu huit années de guerres ininterrompues ! Les tensions avec la Chine, la Russie, l’Iran et tous les autres requins impérialistes ne disparaîtront pas miraculeusement.

Biden réservera-t-il un sort plus humain aux migrants ? Pour se faire une idée, il suffit de voir avec quelle cruauté tous ses prédécesseurs comme toutes les “grandes démocraties” traitent ces “indésirables” ! Il faut rappeler que durant les huit ans de la présidence d’Obama (dont Biden était le vice-président), il y a eu plus d’expulsions d’immigrés que pendant les huit ans de présidence du Républicain George W. Bush. Les mesures contre les immigrés de l’administration Obama n’ont fait qu’ouvrir la voie à l’escalade anti-immigration de Trump

Les attaques économiques contre la classe ouvrière vont-elles cesser avec le prétendu “retour de la démocratie” ? Certainement pas ! La plongée de l’économie mondiale dans une crise sans issue encore aggravée par la pandémie du Covid-19, se traduira par une explosion du chômage, par plus de misère, plus d’attaques contre les conditions de vie et de travail des exploités dans tous les pays centraux dirigés par des gouvernements “démocratiques”. Et si Joe Biden parvient à “nettoyer” la police, les forces de répression de l’État “démocratique”, aux États-Unis comme dans tous les pays, continueront à se déchaîner contre tout mouvement de la classe ouvrière et réprimant toutes ses tentatives de lutter pour la défense de ses conditions de vie et ses besoins les plus élémentaires.

Il n’y a donc rien à attendre d’un “retour de la démocratie américaine”. La classe ouvrière ne doit pas se laisser endormir et piéger par les chants de sirènes des fractions “démocratiques” de l’État bourgeois. Elle ne doit pas oublier que c’est au nom de la défense de la “démocratie” contre le fascisme que la classe dominante avait réussi à embrigader des dizaines de millions de prolétaires dans la Deuxième Guerre mondiale, sous l’égide de ses fractions de gauche et des fronts populaires. La démocratie bourgeoise n’est que la face la plus sournoise et hypocrite de la dictature du capital !

L’attaque contre le Capitole est le symptôme supplémentaire d’un système à l’agonie qui entraîne l’humanité dans sa lente descente aux enfers. Face au pourrissement sur pied de la société bourgeoise, seule la classe ouvrière mondiale, en développant ses combats sur son propre terrain de classe contre les effets de la crise économique, peut renverser le capitalisme et mettre un terme à la menace de destruction de la planète et de l’espèce humaine dans un chaos de plus en plus violent.

CCI, 10 janvier 2021

 

1) Voir nos “Thèses sur la décomposition”, Revue internationale n° 107 et le “Rapport sur la décomposition aujourd’hui”, Revue internationale n° 164.

2) Au moment où nous écrivons cet article, il y a eu officiellement 363 581 décès aux États-Unis et près de 22 millions de personnes contaminées.

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