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Située dans les hauteurs du Caucase entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, la région montagneuse du Haut-Karabakh est une zone de conflit intense entre les deux États voisins et les puissances impérialistes qui les soutiennent. La barbarie et la guerre auxquelles sont confrontées les populations de cette région du monde ne sont pas nouvelles mais, pendant six semaines, les tensions se sont exacerbées et la violence s’est généralisée. Depuis fin septembre, les combats ont déjà fait plusieurs milliers de morts avec des centaines de victimes parmi les civils, le président russe évoquant un bilan avoisinant au moins 5 000 victimes.
Les deux camps n’ont pas hésité à prendre à partie les populations civiles en attaquant des villes ennemies : “Dimanche matin (1er novembre), la capitale séparatiste de Stepanakert (55 000 habitants) a été la cible d’intenses tirs d’artillerie lourde de l’armée azerbaïdjanaise, vers 9h30. Bakou a indiqué avoir procédé à ces tirs en riposte à des tirs de roquettes des forces arméniennes depuis la ville […]. La deuxième ville d’Azerbaïdjan, Gandja, a été de son côté “sous le feu” des forces arméniennes, a par ailleurs annoncé, dimanche, le ministère azerbaïdjanais de la défense”. (1) Dans cette escalade meurtrière, l’usage de bombes à sous-munitions, et en particulier au phosphore, contre des civils amplifie l’horreur de la situation. C’est à une véritable politique de haine et de terreur que se livrent les belligérants ! Le chaos et la désolation ont poussé plus de 90 000 personnes à quitter leurs maisons pour se réfugier en territoire arménien. Ceux qui sont restés sont condamnés à vivre dans des caves pour se protéger des tirs d’artillerie. Si le cessez-le-feu leur donne une période de répit, les discours belliqueux n’offrent aucune illusion sur ce qui attend les populations de cette région instable : toujours plus de violence, de terreur et de chaos !
Aujourd’hui, le fragile cessez-le-feu issu des “accords” entre les différentes parties en présence ne doit laisser aucune illusion sur un quelconque “règlement pacifique” du conflit. Il est le produit d’une situation qui ne fait que sanctionner un “ordre” précaire et un rapport de forces imposé à la fois par la Russie et la Turquie. Il ne règle rien. Il constitue même au contraire une étape dans l’exacerbation des tensions guerrières dans la région et alimente le chaos avec ce foyer de guerre qui risque de se rallumer plus tard.
Il est manifeste que la Russie, en se posant en arbitre du conflit, est parvenue à retourner la situation à son profit. Cela lui permet de reprendre la main sur la direction des opérations qui tendait à lui échapper et de réinstaller des troupes d’occupation, sous couvert de protection du maintien de l’accord de cessez-le-feu (2 000 soldats, avec une clause de renouvellement de cette force d’occupation tous les cinq ans). Elle a ainsi pu rétablir un contrôle militaire permanent qu’elle avait perdu il y 30 ans.
La récupération de la majeure partie de ce territoire par l’Azerbaïdjan consacre la victoire militaire et la suprématie écrasante des troupes azéries. Ceci s’est concrétisé par la prise de Choucha, la deuxième ville du territoire, par les forces séparatistes, ne laissant plus à l’Arménie qu’un étroit corridor la reliant encore à la capitale, Stepanakert. Cela permet donc au gouvernement azéri d’annexer sept districts d’où il avait été évincé en 1994.
Derrière cette victoire militaire de l’Azerbaïdjan, la Turquie, son ferme soutien, a conforté son influence dans le Caucase en faisant étalage de son agressivité. Une illustration supplémentaire de ses nouvelles ambitions d’expansion impérialiste consistant à se tailler une place parmi les grands requins de la région, parallèlement à son offensive en Méditerranée orientale face à la Grèce et à son rôle actif en Libye et en Syrie.
Ceci annonce en fait un bras-de-fer plus intense et un face-à-face plus direct déjà engagé entre la Russie et la Turquie, portant à un degré supérieur les tensions et la rivalité entre ces deux protagonistes. La situation donne cependant à la Turquie des atouts supplémentaires pour renforcer sa pression et exercer un chantage permanent au sein du dispositif de l’OTAN. La situation est d’autant plus complexe et difficile à gérer sur la situation internationale que le futur président Joe Biden a promis dès ses premiers discours d’investiture de “réactiver” le rôle de l’OTAN, ce qui ne peut que susciter l’irritation et l’inquiétude du Kremlin.
Mais cet accord représente clairement une défaite cinglante pour l’Arménie qui perd totalement le contrôle du territoire alors que la population y est en grande majorité arménienne et que ses “soutiens” occidentaux, en particulier la France et les États-Unis, ont été totalement marginalisés et réduits à l’impuissance, confirmant ainsi leur perte croissante de contrôle et d’influence.
Cela augure aussi une crise ouverte et une déstabilisation du gouvernement arménien qui a dû se résoudre à signer l’accord sous la menace d’une déroute militaire plus cuisante et à une division entre le Premier ministre accusé de capitulation et de trahison et d’autres fractions qui réclament sa démission, appelant ouvertement la population arménienne à la rébellion et à une mobilisation patriotique.
La situation témoigne donc non pas d’un pas vers la paix et la stabilisation mais exprime au contraire un enfoncement dans la décomposition et le chaos guerrier.
La situation dans le Haut-Karabakh est une triste illustration de l’impasse historique dans laquelle le capitalisme entraîne toute l’humanité. Un tel chaos trouve ses racines dans les conséquences de l’effondrement du bloc de l’Est dans les années 1990 : “Des frontières se sont érigées, au sein de l’URSS, défendues les armes à la main par les militants indépendantistes. La Lituanie a posté des gardes sur ses frontières et des affrontements sporadiques avec la police de Moscou ont occasionné plusieurs morts. Le conflit entre les milices arméniennes et azéris ne s’est pas calmé avec l’intervention de 1’ “armée rouge” dans la région. Les pogroms, la guerre et la répression à Bakou et dans le Caucase ont fait des centaines de morts. L’ “armée rouge” s’est enlisée sans parvenir à une solution du conflit. En Géorgie, les affrontements entre milices géorgiennes et ossètes ces derniers mois montrent l’émergence d’une nouvelle zone de tension. Partout en URSS, les conflits ethniques se multiplient”. (2) Les années qui suivirent furent une terrible confirmation de ce que nous écrivions alors. Entre 1991 et 1994, les affrontements armés entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie firent près de 30 000 morts et provoquèrent l’exode de plus d’un million de réfugiés. En mai 1994, le rattachement du Haut-Karabakh à l’Arménie alimenta un fort sentiment de revanche au sein de l’État d’Azerbaïdjan (qui perdait alors près d’un tiers de son territoire ex-soviétique). Par la suite, le conflit a connu une sorte de “gel”, comme disent les spécialistes, mais les tensions et les provocations ne cessèrent de s’amplifier, avec de nombreux “incidents” à la frontière.
La campagne militaire menée par l’Azerbaïdjan pour reconquérir ce petit territoire autonome est l’expression du pourrissement de la situation et de son instabilité croissante. Pour la Russie, puissance maîtresse et historique dans la région, et bien que cette dernière soit liée à l’Arménie par un pacte de défense mutuelle (tout comme l’UE et l’Iran), la situation était loin d’être simple : “Si la Russie entretient une relation privilégiée avec Erevan, elle a néanmoins un partenariat économique avec l’Azerbaïdjan, y compris dans le domaine de l’armement dont l’armée est indéniablement supérieure à celle de l’Arménie sur le plan matériel”. (3) La Russie ne pouvait pas se permettre de prendre ouvertement position pour un camp contre l’autre. Une situation que la Turquie a exploitée en soutenant activement l’Azerbaïdjan dans son offensive militaire. Dans cette stratégie, il est aisé pour Ankara de s’appuyer sur la culture musulmane d’une très large partie de la population azérie (plus de 90 %), faisant écho aux récentes déclarations d’Erdogan qui se positionne en véritable “défenseur de l’Islam”. Et il est clair que les poussées successives de l’impérialisme turc, suivies de très près par Moscou, incitent la Russie à intervenir d’une manière ou d’une autre. (4) Avec la conquête du Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan vise à étendre son territoire vers la frontière limitrophe avec son allié turc. Ankara n’hésite d’ailleurs pas à envoyer des groupes djihadistes et des mercenaires syriens pour soutenir l’offensive : “En effet, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), au moins 64 miliciens syriens ont été tués dans ce territoire depuis le début des combats. L’ONG affirme que 1 200 Syriens ont été envoyés par la Turquie se battre aux côtés des forces azerbaïdjanaises contre les séparatistes du Haut-Karabakh”. (5)
La nouvelle du cessez-le-feu a donné lieu à des manifestations en Arménie. Ces mobilisations accusant le premier ministre Pacharan de traître ne sont rien d’autre qu’un règlement de compte entre différentes fractions de la bourgeoisie arménienne dont la population est l’otage. Ici comme ailleurs, doit être défendu le fait que le prolétariat mondial n’a ni patrie, ni territoire à défendre, ni guerre impérialiste à mener. Choisir un camp contre un autre est toujours un piège qui nous divise et nous détourne de la seule perspective qui puisse sortir l’humanité de la barbarie capitaliste : la lutte de classe pour la révolution mondiale !
Marius, 10 novembre 2020
1 ) “Nouvelles frappes, tirs de roquette : la guerre s’installe dans le Haut-Karabakh”, Mediapart (4 novembre 2020).
2 ) “L’URSS en miettes”, Revue internationale no 66.
3 ) “Nouvelles frappes, tirs de roquette : la guerre s’installe dans le Haut-Karabakh”, Mediapart (4 novembre 2020). On peut également noter que les positions pro-européennes de l’Arménie ne favorisent pas le rapprochement avec son “allié” russe.
4 ) Par exemple, un des gros projets d’exportation d’hydrocarbures de la mer Caspienne vers les marchés européens est envisagé pour réduire la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie (au profit de l’Azerbaïdjan et de la Turquie).
5 ) “Nouvelles frappes, tirs de roquette : la guerre s’installe dans le Haut-Karabakh”, Mediapart (4 novembre 2020).