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Un enseignant décapité dans la rue en représailles d’un cours sur la liberté d’expression… Cela ne s’est pas passé au fin fond de l’Afghanistan ni des territoires irakien ou syrien dominés par Daesh, mais au cœur de l’Europe, dans la région parisienne, au moment où s’ouvre le procès des responsables survivants des attentats islamistes de 2015 et l’assassinat des dessinateurs Charb, Wolinski, Cabu, Tignous dans les locaux de Charlie Hebdo. Ce meurtre s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de l’attaque terroriste du 25 septembre 2020 à Paris, commise à proximité des anciens locaux du journal satirique. Deux personnes ont été gravement blessées à l’arme blanche, par un jeune pakistanais de 18 ans qui affirme avoir agi en représailles de la récente republication des caricatures de Mahomet. Samuel Paty, lui, a été froidement assassiné parce qu’il a eu le malheur de faire un cours sur la liberté d’expression concrétisée par ces caricatures.
L’horreur et la barbarie de cet acte ignoble ont provoqué un état de choc, un “sursaut” et une indignation légitime dans la grande majorité de la population. Samuel Paty, professeur d’histoire stigmatisé et dénoncé sur les réseaux sociaux par un parent d’élève pour avoir tenu des propos prétendument “blasphématoires”, était un simple défenseur de la “liberté d’expression”. Il ne faisait qu’appliquer le programme scolaire d’une éducation “citoyenne” dans le respect des règles de la “démocratie républicaine”. Qu’il ait fait l’objet, pour cela, d’une dénonciation publique et d’un assassinat crapuleux et prémédité est ahurissant. Le déchaînement de la vindicte sur les réseaux sociaux de la part d’élèves, de parents d’élèves, de citoyens se sentant une légitimité pour dénoncer et insulter celui qui ne pense pas comme eux a effectivement préparé les conditions du passage à l’acte et à son exécution atroce par un jeune fanatique islamiste.
Il n’a pas fallu deux semaines pour qu’un nouvel attentat au couteau soit perpétré par un autre fanatique dans la basilique de Nice, causant trois morts. Là encore, les victimes sont de simples fidèles catholiques venant prier dans leur lieu de culte sensé représenter un espace sacré de paix et de pardon soi-disant préservé du chaos, et qui est devenu, l’espace d’un instant, le théâtre de la barbarie la plus sauvage.
Une nouvelle manifestation de la décomposition du capitalisme
Ces “faits divers” qui ont bouleversé l’ensemble de la population, notamment les enseignants, sont de nouvelles manifestations de la barbarie et de l’état avancé de décomposition du monde actuel. La haine, l’obscurantisme religieux et le culte de la violence sont des symptômes, parmi beaucoup d’autres, du pourrissement de la société capitaliste. D’un côté, c’est la satire, l’humour comme “forme la plus saine de la lucidité” (selon Jacques Brel), une expression de la civilisation, de la pensée humaine, qui a été encore une fois la cible du nihilisme mystique et du fanatisme religieux. De l’autre, c’est la religion catholique, religion “concurrente” de l’islam qui est visée par un jeune fanatique, un paumé désocialisé devenu tueur bestial et qui se rêve en martyr.
Nous écrivions déjà en 2015 : “La haine et le nihilisme sont toujours un moteur essentiel dans l’action des terroristes, et particulièrement de ceux qui font délibérément le sacrifice de leur vie pour tuer le plus massivement possible. Mais cette haine qui transforme des êtres humains en machines à tuer froidement, sans la moindre considération pour les innocents qu’ils assassinent, a souvent eu pour cible principale ces autres “machines à tuer” que sont les États. Rien de ça, le 7 janvier à Paris : la haine obscurantiste et le désir fanatique de vengeance sont ici à l’état pur. Sa cible est l’autre, celui qui ne pense pas comme moi, et surtout celui qui pense parce que moi j’ai décidé de ne plus penser, c’est-à-dire d’exercer cette faculté propre à l’espèce humaine”. (1)
Le pire, c’est que l’attentat de 2015 n’était que la pointe émergée d’un iceberg, de toute une mouvance qui prospère de plus en plus dans les banlieues pauvres, une mouvance qui s’était exprimée à travers l’idée revancharde que Charlie Hebdo l’avait bien cherché en insultant le prophète ! Depuis les attentats de Charlie Hebdo, de l’hyper casher et des attentats dévastateurs de novembre 2015 à Paris (130 morts), il n’est pas de mois où d’autres attentats semant la mort parsèment l’actualité en France ou en Europe. Mais ce qui donne une dimension singulière, particulièrement effroyable, au meurtre de Samuel Paty, c’est son caractère organisé et les moyens mis en œuvre. Ce crime n’a pu aboutir que grâce à la complicité “innocente” d’ “honnêtes citoyens” qui ont donné des informations au meurtrier, facilitant ainsi son passage à l’acte : deux jeunes collégiens et des parents d’élèves jurant la main sur le cœur qu’ils “ignoraient” les sinistres intentions du terroriste ! De plus, le mode opérationnel du meurtrier ne peut que nous glacer d’effroi : la décapitation au couteau, selon les méthodes sanguinaires enseignées par Daesh. Avec de surcroît, la circulation sur les réseaux sociaux de photos prises par le meurtrier de sa victime décapitée. Une telle abomination, digne d’un film d’horreur, dépasse l’impensable !
Le capitalisme produit des bombes humaines
Derrière l’État islamiste ou plutôt derrière sa vitrine, de plus en plus de jeunes désespérés, déclassés, sans avenir, s’enrôlent et se découvrent un “idéal de purification” de la société par la mort. Ces terroristes se recrutent de plus en plus parmi de jeunes adolescents (et pas seulement ceux des banlieues les plus défavorisées).
Ce deuxième attentat de Nice, commis selon les mêmes modalités que celui de Conflans ou celui de Paris le 25 septembre, montrent que ces crimes sont de plus en plus souvent des actes d’individus isolés, désespérés qui trouvent dans l’idéologie mortifère de l’islam radical un moyen stérile et destructeur de devenir quelqu’un. Bien que ces individus soient poussés et parfois aidés par des réseaux, il s’agit moins pour le moment d’actes bien structurés et organisés par des organisations ou des États, dans un contexte où Daesh est affaibli et n’a plus autant de marge de manœuvre pour mener des “raids” planifiés, structurés et financés, dans les pays centraux. Que ce soit à Conflans-Sainte-Honorine, à Nice ou tout dernièrement à Vienne en Autriche, ces actes terroristes sont la claire démonstration que ces fanatiques devenus monstres ne sont plus sous contrôle de qui que ce soit. Ils ne sont même plus le bras formé et armé de telle ou telle officine djihadiste déclarée ou revendiquée mais de simples machines à tuer low cost, l’expression de “l’ubérisation” d’idéologies décomposées qui produisent ces “auto-entrepreneurs” du terrorisme. (2)
Comment comprendre alors que l’idéologie djihadiste, irrationnelle, nihiliste et digne du fascisme gangrène une partie de la jeunesse ? Ces adolescents kamikazes qui s’engagent dans la “guerre sainte” pour gagner le paradis ne sont-ils que des créatures monstrueuses, étrangères à l’espèce humaine ? Sont-ils de simples bourreaux que les forces de l’ “ordre républicain” sont acculées à abattre comme des chiens ? Ou sont-ils aussi des victimes de leurs crimes innommables et d’un système qui transforme les hommes en machines à tuer ? Derrière leur radicalisation et leur passage à l’acte terroriste, il y a une attitude nihiliste suicidaire caricaturale mais entretenue par un idéal mystique que véhicule toute conception religieuse du monde.
L’islam n’a pas d’exclusivité en matière de radicalisation violente. Cela vaut pour toutes les religions. D’un côté, elles proposent compassion, miséricorde, “vie éternelle” dans le royaume des cieux et un “paradis” qui ne peut être trouvé sur terre, lieu de tous les “pêchés”. De l’autre, elles stigmatisent les impies, les mécréants, les “infidèles”, les “tentateurs”, sources du Mal et adorateurs de Satan, qu’il faut éradiquer dans leur chair, sous le glaive ou sur le bûcher. Les religions ne font que justifier l’injustifiable et perpétuer la soumission à l’exploitation dans le “royaume des hommes”. Comme disait Marx, la religion est “l’opium du peuple”. Elle est “le cœur d’un monde sans cœur et l’esprit d’un monde sans esprit”.
Ces jeunes apprentis “martyrs” n’imaginent comme seule perspective qu’une action spectaculaire et barbare n’ayant de glorieux que le fait d’entraîner avec soi dans la mort quelques innocents soi-disant “mécréants”, ou des symboles de cette société “souillée” et honnie : militaires, flics, journalistes, enseignants, fidèles d’autres religions… Pour ces djihadistes, c’est un moyen de cesser d’être invisibles aux yeux des autres, de la société, et d’ “exister” un ultime instant avant de se faire sauter avec une ceinture d’explosifs ou se faire descendre sous les balles des flics, en criant qu’ “Allah est le plus grand”.
La montée de l’irrationalité, de l’intégrisme religieux, du nihilisme est la trame fondamentale d’une conception mortifère totalement décomposée des liens sociaux, de l’humanité, véhiculée par des individus déjà broyés dans leur tête et totalement décérébrés.
C’est donc très clairement qu’il faut s’attendre à la recrudescence de tels actes, nourris par la spirale infernale de la décomposition de l’ensemble de la société capitaliste, nourris par les réponses répressives, politiques et sociales des États bourgeois qui ne pourront que jeter de l’huile sur le feu.
Le fait que des adolescents n’aient d’autre ambition que de mourir en héros est le reflet du système capitaliste, un système pourri qui n’a aucun avenir à offrir aux jeunes générations. C’est à cause de cette absence de perspective, de l’atmosphère ambiante du no future, qu’une partie de ces jeunes, souvent laissés pour compte, cherchent un refuge et un exutoire à leur désespoir dans le fanatisme religieux.
Bernard, 2 novembre 2020
1) Révolution internationale no 450.
2) Bien qu’il semble attesté que l’assassin de Samuel Paty par exemple était en contact avec des djihadistes basés en Syrie.